"Ne restons pas à la surface des Écritures" : De la nécessité de la "fidélité littérale"

La valeur de la pratique littérale selon Maurice Blondel
par P. André Borrely

"Pour intituler ce paragraphe, j'aurais pu emprunter à saint Isaac le Syrien une très belle formule : Ne restons pas à la surface des Écritures. Il y a, dans L'Action de 1893, une notion que l' œcuménisme gagnerait grandement à redécouvrir et à placer au centre même de ses préoccupations si du moins celles-ci visent non pas l'union des Églises, mais l'unité de l’Église. C'est ce que Blondel appelle une fidélité littérale (p.405). Il parle également, et pour le donner en exemple, du fidèle de la lettre (p.409). La grande tentation, la grande faiblesse de l'homme d'aujourd'hui est sans doute de croire qu'il doit purifier l'esprit de la lettre tenue pour inévitablement assujettissante. Mais la lettre, c'est ce que je lis dans le Nouveau Testament, ce sont les tropaires de l'Office byzantin que chante cette chaire de théologie qu'est la chorale de l'église. Et ce que Blondel appelle la pratique littérale consiste notamment à ne pas essayer de contourner la lettre, de l'interpréter de telle manière qu'on finit par la vider de sa substance. Celui que Blondel appelle le fidèle de la lettre, c'est le chrétien qui refuse de ne voir dans la lettre qu'hyperbole poétique ou orientale, c'est celui qui renonce à énerver le texte, au sens étymologique de ce verbe, c'est-à-dire à lui enlever son nerf, sa force, en cherchant à donner au texte une signification prétendument spirituelle consistant notamment à désincarner l'esprit, ce qui est le moyen par excellence de tourner le dos à la mentalité sapientielle des hommes de la Bible. Pour ne prendre qu'un exemple, je n'ai jamais compris comment le protestantisme peut concilier la théologie de la Sola Scriptura dont, sauf erreur de ma part, fait partie intégrante l'épître aux Éphésiens, et nier que le mariage chrétien soit un mystère sacramentel. Loin de nous aliéner, la lettre, parfois choquante, brutale, surprenante, nous permet pourtant d'accéder à la liberté véritable, si peu que nous nous y soumettions en voyant en elle la condition nécessaire de notre divinisation. Concrétisons ces affirmations à partir de quelques textes d'abord néotestamentaires, ensuite extraits de l'Office byzantin.


 Texte n°1 : Jn. 1, 12-13
A tous ceux qui l'ont accueillie, elle leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, aux croyants en son Nom, elle qui fut engendrée non point des sangs*, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

Il s'agit de la Parole. Les plus anciens témoins du texte du Prologue ne sont que quatre, mais deux d'entre eux datent du 2ème siècle (Tertullien et saint Irénée de Lyon), un troisième est un manuscrit latin du 4ème siècle, et un quatrième est une version syriaque. Ces quatre témoins ont le singulier et non pas le pluriel. On a de bonnes raisons de penser que le singulier est le texte véritable dans la mesure où il est le plus antique. D'autre part, nous savons qu'Irénée, à travers Polycarpe de Smyrne - ville qui n'est pas loin d’Éphèse, où saint Jean a achevé sa vie - se situait dans la filiation spirituelle remontant à l'Apôtre préféré du Seigneur.

Le prologue du quatrième évangile nous dit ici que si l'homme consent à recevoir par la foi le Fils de Dieu consubstantiel et coéternel au Père et au saint Esprit, et cependant devenu l'un de nous, il reçoit du Fils une participation à la génération éternelle du Fils par le Père. Seule est intelligible la lecture littérale de l'expression devenir enfants de Dieu, dès lors que le texte relie étroitement cette expression à l'affirmation que la Parole incarnée est engendrée de Dieu de toute éternité. Le mot enfant doit être pris au pied de la lettre, c'est-à-dire qu'il doit être compris comme une participation divinisante à la génération éternelle du Fils par le Père.

La Parole divine venue ici-bas épouser notre humanité n'est pas engendrée par la chair et le sang, mais directement par Dieu le Père dès avant les siècles. Et les hommes qui consentent à croire en elle ont deux générations : une génération charnelle, au sens biblique de cet adjectif, c'est-à-dire coupée de Dieu, et une génération divinisatrice qui les délivre de la chair et du sang. Engendré de toute éternité par le Père, le Fils, lorsqu'il naît ici-bas, ne saurait être engendré par un père terrestre, humain.. C'est bien ce qu'indique d'une autre manière Matthieu lorsqu'il achève ce que j'aime appeler le livret de famille de Jésus en disant : ...Jacob engendra Joseph, époux de Marie, de laquelle naquit Jésus appelé le Christ (Mt 1,16). Engendré de toute éternité par le Père, le Λόγος devenu l'un de nous ne peut être ici-bas le fils que de Marie et Joseph l'époux de celle que l'hymne acathiste appelle 1' épouse inépousée : Νύμφη Ανύμφευτε."

Note :
*Le langage de l'auteur du Prologue johannique exprime les croyances des hommes de l'Antiquité qui pensaient que la conception de l'homme s'effectuait par le mélange du sang paternel avec celui de la mère.

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