Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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vendredi 17 novembre 2023

ATTENTION et CULTURE NUMÉRIQUE par P. Maximos CONSTAS

École de théologie orthodoxe grecque Sainte-Croix
Conférence internationale sur les médias numériques et la pastorale orthodoxe
Athènes, 7-9 mai 2015

 L'essor de la culture numérique a créé à la fois de formidables possibilités ainsi que d'énormes défis et problèmes. De puissants intérêts corporatifs et commerciaux se disputent notre attention, qui est devenue une ressource précieuse marchandise dans le monde en ligne. Vivre dans une culture de distractions organisées, la conscience humaine est fragmentée, ce qui nous fait perdre contact avec nous-mêmes, nos voisins, le monde qui nous entoure et Dieu. Cet article explore la tradition pratique ascétique d'attention et de vigilance qu'il recommande comme remède. poids à la fragmentation culturelle, psychologique et spirituelle moderne. Les principales sources considérées sont tirées de la Philokalia, une collection d’écrits consacrés à la pratique de la vigilance intérieure  du 

«ΠΡΌΣΕΧΕ ΣΕΑΥΤΩ͂Ι»

«  OBSERVE -TOI  » 

 

Par L'Archimandrite Maximos CONSTAS

Professeur de patristique et de spiritualité orthodoxe et directeur de l'Institut patristique Pappas, École de théologie grecque orthodoxe Holy Cross, Brookline, Massachusetts, États-Unis.

LA VIE DISTRAITE

 

    Après nous avoir promis une utopie technologique, notre omniprésente et intrusive cyberculture a plutôt précipité une crise spirituelle dans laquelle l'expérience humaine a été systématiquement fragmentée et la cohérence du moi de plus en plus menacée.


Vivant dans une culture de la destruction organisée, nos pensées sont isolées et déconnectées, nous empêchant de voir et d'expérimenter la totalité de la vie. La distraction et la fragmentation ont des conséquences négatives sur l’organisation des connaissances ; elles nous empêchent d'activer notre profondeur spirituelle et nous rendent incapables de susciter la profondeur spirituelle des autres, car ayant perdu le contact avec notre propre personnalité, nous ne pouvons recevoir ni la personnalité de notre prochain ni celle de Dieu.


    À partir de 2009, le New York Times a publié une série d’articles intitulée « Driven to Distraction », axés sur les accidents et les décès impliquant des conducteurs distraits.1 La série s’est élargie pour inclure « Distracted Doctoring », qui rend compte du grand nombre de chirurgiens qui s’adonnent à des appels personnels pendant une opération chirurgicale ; sur les techniciens médicaux qui envoient des SMS tout en utilisant des appareils de pontage cardio-pulmonaire ; et les anesthésistes qui achètent des billets d’avion en ligne.


    Les distractions créées par les médias sociaux sur le lieu de travail coûtent à l'économie américaine 650 milliards de dollars par an, avec des interruptions des médias sociaux toutes les dix minutes et des travailleurs passant 41 % de leur temps sur Facebook. Rien qu’aux États-Unis, plus de 12 milliards d’heures collectives sont consacrées chaque jour à naviguer sur les réseaux sociaux. L’étudiant moyen passe 3 heures par jour à consulter les sites sociaux, mais seulement 2 heures par jour à étudier. À côté des statistiques officielles, les preuves anecdotiques abondent, comme le rapport de septembre 2013 selon lequel des passagers d'un train à San Francisco étaient trop distraits par leurs smartphones et tablettes pour remarquer la présence d'un homme armé, qui brandissait son arme. à la vue de tous pendant plusieurs minutes avant de tirer et de tuer un banlieusard de 20 ans (l'épisode entier a été filmé par la caméra de surveillance du train).


    Aux coûts financiers et aux pertes de vies humaines s'ajoutent des coûts spirituels que le New York Times et les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis ne sont pas compétents pour diagnostiquer, à savoir la perte de l'action humaine, la fragmentation de la subjectivité humaine, et l'incohérence croissante du moi. Dans son livre récent, The World Beyond Your Head, Matthew Crawford  a qualifié cette situation de « crise de propriété personnelle », affirmant que nous vivons désormais dans une « économie attentionnelle » dans laquelle « notre attention ne nous appartient pas simplement de la diriger où nous le ferons », faisant de « l’effort d’être pleinement présent » une lutte insoluble. Crawford affirme que notre besoin insatiable de distractions sans fin signifie que le contenu de nos distractions est devenu largement hors de propos, révélant une crise de valeurs plus profonde. Selon Crawford, nous sommes devenus « agnostiques » sur la question de savoir à quoi prêter attention, ce qui signifie que nous ne savons plus à quoi valoriser. 

 

    En conséquence, notre vie intérieure devient « informe » et nous devenons sensibles à ce qui nous est présenté par de puissantes forces commerciales qui ont remplacé les autorités culturelles traditionnelles. Être attentif, en revanche, est la première étape. en revendiquant notre humanité, notre libre arbitre et notre autodétermination en tant qu'êtres humains. Nous choisissons ce à quoi nous devons prêter attention et, dans un sens très réel, cela détermine ce qui est réel pour nous ; ce qui est réellement présent à notre conscience. En revanche, la distraction et la fragmentation révèlent un vide éthique au centre de notre existence, incitant Crawford à appeler à une « éthique » et à des « ascètes » de l’attention pour notre époque, fondées sur une vision réaliste de l’esprit humain.


      Le livre précédent de Crawford était un essai sur l’importance du travail, déplorant la perte de compétence manuelle dans les cultures numériques, qui, selon lui ont éloigné les êtres humains des outils réels et du monde physique pour lesquels les outils ont été conçus.

Sans surprise, sa proposition d’« éthique » et d’« ascèse» de l’attention est également centrée sur la participation à un métier ou à une pratique qualifiés, activité qui demande à l'artisan de s'y attaquer directement et attentivement, et donc être pleinement présent à, la réalité objective.


Être attentif


    Sans vouloir minimiser l’importance du savoir-faire artisanal (que la Sainte Montagne a pratiqué et soutenu tout au long de sa longue histoire), je voudrais me concentrer sur le moment logiquement antérieur de « l’attention » elle-même, indépendamment de toute activité (logiquement consécutive) pour laquelle elle pourrait être considérée comme nécessaire ou utile. Comme je le montre ci-dessous, l'attention nous offre une vision profonde et une réponse efficace à notre culture moderne de distractions organisées.  Bien sûr, « L’éthique et l’ascèse de l’attention » que Crawford recherche sont au cœur de l’anthropologie et de la psychologie morale orthodoxes, à savoir : la pratique de « l’attention » (προσοχή) ou de s'occuper (ou de prêter attention) à soi-même (προσέχειν σεαυτῷ). Cette phrase, qui n'a qu'un rapport superficiel avec l'injonction socratique du « Connais-toi toi-même » ( γνῶθι σεαυτόν) apparaît sous diverses formes dans le Nouveau Testament (πρόσεχε σεαυτῷ καὶ φύλαξον τὴν ψυχὴν σου σφόδρα) ou, alternativement, dans Deutéronome 15 : 9 : « Prenez garde à vous-même, à ce qu'il n'y ait rien de caché » (πρόσεχε σεαυτῷ µὴ γένηται ῥῆµα κρυπτὸν ἐν τῇ καρδίᾳ σου ἀνόµηµα) L’expression, qui est un impératif éthique, perdure et a une histoire riche, dont seuls quelques exemples peuvent être cités ici.


    Dans la Vie d’Antoine 3.1 du IVe siècle, on nous dit que la première pratique ascétique qu'il entreprit avant d'entrer dans le désert, consistait à « pre,ndre garde à lui-même. » Le jeune contemporain d’Antoine, Basile de Césarée, a écrit ce qui s’agit probablement de la première homélie consacrée exclusivement à Deutéronome 15 : 9 (« Sur les paroles : « Prends garde à toi-même » »). Bien que la Vie d’Antoine ne décrive pas la pratique de l’attention en détail, Basile la décrit longuement. Loin d'être simplement externe « observation de soi » et n’ayant rien à voir avec une quelconque forme d’auto-observation solipsiste. L'absorption, « l'attention » a une portée globale, étant à la fois : (1) l'éveil des principes rationnels que Dieu a placés dans l'âme ; (2) une gestion vigilante des mouvements de l'esprit, qui régissent les mouvements de l'esprit, le corps et la société dans son ensemble ; (3) la conscience de la priorité de l’esprit (ou de l’âme) sur le corps, et de la beauté de Dieu sur le plaisir sensoriel ; (4) un engagement avec la réalité et un rejet des fantasmes mentaux ; (5) l'auto-examen et le refus de se mêler des affaires des autres ; et (6), et non des moindres, la connaissance même de Dieu, dans la mesure où le « moi » est l'image de Dieu, un lien avec lequel Basile conclut tout le sermon : « Prête donc attention à toi-même, afin que tu puisses prêter attention à Dieu » (πρόσεχε οὖν σεαυτῷ, ἵνα προσέχῃς Θεῷ).


    La pratique de l'attention à soi, solidement établie au IVe siècle, est restée au cœur de l’anthropologie et de l’éthique chrétiennes. Les générations suivantes d’écrivains et de praticiens ont développé le concept, alignant généralement l'attention avec des pratiques apparentées telles que « l'immobilité » et la « vigilance ».  Dans cette forme plus complète – déjà suggérée par Basile – il a reçu un rôle fondamental dans la vie chrétienne et a finalement été considéré comme un élément nécessaire présupposé ou condition préalable au salut.


    L’extraordinaire importance accordée à l’attention s’explique non seulement parce que l'esprit humain est enclin à la distraction, mais parce que la désintégration de notre vie intérieure a commencé précisément avec la chute, lorsque l'humanité s'est séparée de Dieu.

La « distraction », de ce point de vue, a été appelée à juste titre « la distraction originelle » péché de l'esprit.


    La notion de transgression originelle comme chute de l’attention vers les distractions sont un élément central de la théologie de l'écrivain du Ve siècle, St. Diadoque de Photicée : « La connaissance divine nous enseigne que notre perception naturelle faculté est unique, mais qu'elle s'est divisée en deux modes de fonctionnement différents en raison de la désobéissance d'Adam. »  Créé avec une conscience unique, simple et indivise, la chute a brisé l’intégrité du soi en deux activités contradictoires, l’une attirée par les réalités divines, et l'autre entraînée vers l'extérieur dans les apparences superficielles du monde visible à travers la perception sensorielle, et soumis à un processus de fragmentation continue.


    Nous trouvons des points de vue similaires dans les écrits de saint Grégoire du Sinaï (mort en 1346), qui soutient que l'esprit humain, créé dans un état de repos, est devenu agité et distrait lorsqu'il est tombé en disgrâce en choisissant la sensation corporelle plutôt que Dieu, et par la suite, il se retrouva perdu et errant parmi les choses du monde. 

Saint Grégoire Palamas, faisant peut-être allusion à l'enseignement de saint Grégoire du Sinaï, déclare que : « Un grand enseignant a dit qu'après la chute, notre être intérieur s'adapte naturellement aux formes extérieures », et exhorte le lecteur à « s'occuper de lui-même », citant Deutéronome 15:9 directement. 


    En oubliant Dieu et en nous attachant au monde, nous devenons sujets à des comportements malsains, désirs et comportements addictifs, motivés par une préoccupation continue et la poursuite de rien. Étant obsédés par les apparences superficielles des choses, nous n'avons aucune conscience de leurs significations plus profondes ou de leurs relations mutuelles, mais recherchons seulement cette partie d'un objet ou d'une personne qui peut satisfaire temporairement notre désir de plaisir.


    S'abandonnant habituellement à nos pulsions et impulsions irrationnelles, l'esprit devient asservi aux sensations (corporelles ou psychologiques) ; nous nous brisons en fragments isolés, menant une vie double et triple, étant auto-divisé en d'innombrables actes sans rapport entre eux, afin que notre recherche du plaisir contribue non pas à l'unité de soi et du monde, mais à la désintégration et à la désorganisation des deux. Divisé en actes sans rapport de sensation irrationnelle, l'esprit ne reçoit que l'impression fugace de quelque chose de fini et isolé de tout le reste. Cette condition a été diagnostiquée et décrite par des spécialistes spirituels et orthodoxes, les écrivains ascétiques, qui appellent cela «l'éparpillement » ou la « dispersion » de l'esprit. Par exemple, Nicetas Stethatos, le disciple de saint Syméon le Nouveau Théologien, affirme que :

 

    Dans la mesure où notre vie intérieure est en discorde et dispersée parmi tant de choses contraires, nous sommes incapables de participer à la vie de Dieu. Nous désirons des choses  opposées et contraires, et nous sommes déchirés par la guerre incessante entre eux, et c’est ce qu’on appelle la « discorde » de l'esprit, une condition qui divise et détruit l'âme. Tant que nous sommes affligés par le tumulte de nos pensées, et aussi longtemps que nous serons gouvernés et contraints par nos passions, nous sommes nous-mêmes tant que nous sommes gouvernés et contraints par nos passions, nous sommes auto-fragmentés et coupés de l’Unité divine.

 

    Pourtant, si l’attention est la réponse au dilemme de la fragmentation humaine, et la désintégration, le but n’est pas un retour à une forme de conscience présumée édénique, mais plutôt à la grâce du Saint-Esprit, placée dans nos cœurs au moment de notre baptême. Cette focalisation sacramentelle est au cœur de la théologie spirituelle de Diadoque, pour qui la guérison commence par le don du Saint-Esprit, tandis que la dualité du moi déchu est unifiée par l'invocation de la prière de Jésus. Il s'ensuit que la motivation première de la pratique de l'attention intérieure, le but de se tourner vers l'intérieur et d'entrer dans le cœur, de rencontrer le Saint-Esprit qui habite en nous, un principe qui a été constamment et même systématiquement réaffirmé par les Hésychastes byzantins ultérieurs.

 

    Nous trouvons essentiellement le même enseignement dans les Écritures. Le fils prodigue a quitté sa maison et s'est rendu dans un lieu lointain, où l'Évangile dit qu'il a "dispersé" (ou "éparpillé") sa "substance" (Luc 15, 13).(διεσκόρπισεν τὴν οὐσίαν αὐτοῦ) D'une certaine manière, cela signifie qu'il a dilapidé tout son argent, mais le sens le plus profond est la richesse de l'âme, notre héritage spirituel, puisque notre « substance » est l'esprit que Dieu a placé en nous et dans lequel, par le saint baptême, il a implanté sa propre grâce, nous revêtant de « notre vêtement originel de gloire ». » (cf. Luc 15, 22), et « envoyant son propre Esprit dans nos cœurs » (Ga 4, 6). Mais lorsque nous nous séparons de cette grâce, nous perdons notre unité spirituelle et nous nous fragmentons.

 

    L’esprit humain déchu est fragmenté, continuellement enclin aux distractions et dispersé dans une infinité troublée de pensées et de sensations déconnectées. Notre esprit est toujours ailleurs que notre corps. Plutôt que de travailler à atténuer cette faiblesse constitutive, nous avons construit une culture de distractions organisées, aidant et encourageant l’esprit dans son état déchu. On peut affirmer que l’ordinateur lui-même est un esprit déchu, une puissante extension de nos propres désirs douteux, créé à notre image. S'attarder de manière non régénérée dans un royaume d'illusions ; fascinés par les images qui voltigent sur nos écrans d’ordinateur, nous devenons « des mouches prédatrices et ennuyeuses qui bourdonnent sur la fenêtre de la chambre », désespérées de consommer toute la futilité du monde.


    Pourtant, nous ne sommes pas des prédateurs, mais des proies. Nous ne sommes pas les utilisateurs de technologies de l’information et des médias sociaux, mais nous sommes plutôt utilisés, manipulés et exploités par eux. Dans notre culture des distractions, les espaces publics et privés sont saturés de technologies conçues pour capter et s'approprier notre attention ; nos vies mentales intérieures, comme notre corps, ne sont que des ressources qui peuvent être récoltées par de puissants intérêts économiques (Crawford suggère que la distraction est à l’esprit ce que l’obésité est au corps). Nous ne devrions donc pas nous concentrer uniquement sur la technologie et la culture numérique, mais aussi sur les intérêts et les motivations qui guident leur conception et favorisent leur diffusion dans tous les aspects de notre vie.

 

    Tout au long de sa longue histoire, le christianisme a souvent été soumis à des structures politiques et économiques dominantes, en oubliant que l'Évangile n'est pas un dérivé de la culture humaine, mais qu'il est générateur d'un nouveau mode de vie. Nous devons retrouver le pouvoir de l’Évangile en tant que force contre-culturelle, non pas dans le but de déstabiliser la société, mais afin de créer des communautés qui affirment la vie. Nous devons redécouvrir non seulement que notre foi et notre vocation à la sainteté nous distinguent du monde, mais qu'elles engendrent également un monde nouveau et alternatif ; non pas une réalité virtuelle, mais la réalité de la vertu. Afin de réaliser notre appel, l’attention doit être notre attitude et notre philosophie fondamentales. Sans attention, il n’y a pas de prière, et sans prière, il n’y a pas de communion avec Dieu, pas de participation à la vie divine. La pratique de l’attention intérieure, de la descente de l’esprit dans le cœur, est à la fois une activité et un mode de vie qui nous situe dans l’existence authentique, c’est-à-dire dans notre relation avec Dieu. C'est pourquoi on dit si souvent que l'attention est équivalente au souvenir de Dieu, à la conscience consciente de la grâce du Saint-Esprit qui demeure en nous. Prendre soin de nous-mêmes et nous occuper de nous-mêmes est la méthode la plus efficace pour reprendre possession de notre autodétermination auprès de ceux qui souhaitent nous la prendre. Transfigurée par la grâce, l'attention découvrira de nouveaux objets d'attention, car elle prendra sa source dans un nouveau sujet, non plus conforme à la forme du monde, mais transformé dans le renouvellement de son esprit  (Rom 12, 2), possédant et possédé par la pensée du Christ (1 Cor 2, 16).

 

    En conséquence, notre vie intérieure devient « informe » et nous devenons sensibles à ce qui nous est présenté par de puissantes forces commerciales qui ont remplacé les autorités culturelles traditionnelles.4 Être attentif, en revanche, est la première étape. en revendiquant notre humanité, notre libre arbitre et notre autodétermination en tant qu'êtres humains. Nous choisissons ce à quoi nous devons prêter attention et, dans un sens très réel, cela détermine ce qui est réel pour nous ; ce qui est réellement présent à notre conscience. En revanche, la distraction et la fragmentation révèlent un vide éthique au centre de notre existence, incitant Crawford à appeler à une « éthique » et à une « ascétique » de l’attention pour notre époque, fondées sur une vision réaliste de l’esprit humain.

Version française par Maxime le minime


    

vendredi 19 avril 2019

Le rôle de l'ÉGLISE ROUMAINE dans l'histoire de l'Unité orthodoxe [3]

LE STARETS PAÏSSII VÉLITCHKOVSKI



C’est l’illustre disciple du starets Basile, Païssii Vélitchkovski, qui a non seulement continué l’œuvre de son maître, mais qui est, avec les auteurs athonites de la Philocalie grecque, à l’origine du renouveau philocalique dans les pays de tradition orthodoxe au XIXe siècle, renouveau qui se prolonge jusqu’à nos jours. Païssii n’était pas seulement l’initiateur de ce courant philocalique et un fervent traducteur des œuvres ascétiques, son charisme exceptionnel était surtout celui d’un vrai père spirituel, rayonnant de sainteté: «Il réunissait en lui, de façon étonnante, la sainteté de sa vie personnelle, le goût de l’étude, une capacité remarquable d’organisation de la communauté monastique, le don d’attirer à soi et de nourrir spirituellement une foule nombreuse de disciples, de fonder près de lui une grande école d’ascèse spirituelle orthodoxe, et enfin un grand talent littéraire». Païssii naquit le 21 décembre 1722 dans la famille du doyen de la cathédrale de Poltava (Ukraine), Jean Vélitchkovski. Selon l’usage de l’époque, Pierre (son nom de baptême) commença ses études par la lecture des psaumes et du Livre des Heures, à l’école, puis à la maison, sous la direction de son frère Jean, prêtre à la cathédrale. De tempérament silencieux, doux, timide et réservé, le starets avoue dans son Autobiographie «sa soif inaltérable de lecture et de prière» qui le poussa dès son jeune âge à lire toute la Bible, les vies des saints, les homélies de saint Jean Chrysostome et les discours d’Éphrem le Syrien, ainsi que d’autres livres, et aussi à prier en silence, à l’écart de tous». Entre 1735 et 1739, Pierre fit ses études à l’Académie de Kiev. Malgré ses qualités intellectuelles et ses bons résultats, Pierre trouva peu de satisfaction dans l’enseignement, influencé par la scolastique occidentale. Peu à peu, grâce à la lecture des Écritures et des Pères de l’Église et à la fréquentation des ermitages voisins de Kiev, le désir de la vie monastique prit le dessus sur son zèle pour les études. À l’âge de quatorze ans, il avait déjà compris l’essentiel de la vie chrétienne, à savoir la loi de l’amour, et il se fixa comme règle de ne jamais juger son prochain, même si ses péchés étaient évidents, de ne jamais nourrir de haine contre qui que ce soit, et de pardonner de tout son cœur à ceux qui l’auraient offensé. En 1740, ayant terminé le premier cycle de l’Académie, Pierre décida de quitter l’école et d’embrasser la vie monastique. C’est alors que commence une longue période pendant laquelle il cherchait un véritable guide spirituel et en même temps un lieu convenable à la vie monastique qu’il souhaitait. Le parcours de Pierre l’amena d’abord à plusieurs monastères en Ukraine, où il devient rasophore en 1741 sous le nom de Platon. Une rencontre avec un moine, possesseur de nombreux textes ascétiques et bon connaisseur des Pères, qui avait vécu dans les monastères roumains et voulait y retourner, fut pour lui décisive. Platon comprit que le monachisme roumain était plus florissant que celui de son pays et qu’il devait suivre la voie de tant de moines qui avaient quitté leur patrie pour la Roumanie. Au début du Carême 1743, il se rend dans la région de Buzau en Moldavie, où existait une quarantaine de skites éparpillés sur les collines des montagnes environnantes. Dans plusieurs de ces skites vivaient des moines russes, serbes et bulgares fuyant les malheurs de leurs pays. Platon s’arrêta tout d’abord au skite de Dàlhàuti, puis passa au skite de Trâisteni, tous les deux se trouvant sous la direction spirituelle du starets Basile de Poiana Marului. C’est là qu’il fit connaissance avec des offices religieux célébrés selon les usages du Mont Athos «avec beaucoup de piété et de ferveur». Là aussi, il trouva la solitude, le silence et des pères spirituels selon son cœur. Désireux d’une vie encore plus solitaire, Platon passa, après deux ans de séjour à Trâisteni, au skite de Cirnul, auprès de l’hésychaste Onuphre, qui parla de la vie solitaire, les passions spirituelles et corporelles, la lutte de la pensée contre les démons. Platon séjourna presque quatre ans en Valachie; il apprit la langue roumaine et acquit une telle sagesse et une telle expérience qu’on l’appelaient le «jeune vieillard». Mais le Mont Athos était le rêve de sa plus tendre jeunesse. En Valachie, où l’influence de l’Athos, par les mouvements de moines dans les deux sens, était si forte, ce rêve devait prendre un contour de plus en plus précis. Et voilà que le temps de sa réalisation était arrivé. Il avait vingt-quatre ans lorsqu’il arriva à la Laure de saint Athanase le 4 juillet 1746, puis il se dirigea vers le monastère de Pantocrator, ayant appris que des moines slaves habitaient dans les alentours. Là, il se vit attribuer un petit ermitage à proximité du monastère. Bientôt, Platon se mit à visiter les moines, à la recherche d’un guide spirituel selon son cœur. Mais il n’en trouva pas, car le Mont Athos traversait à cette époque une profonde crise spirituelle; il dut s’en remettre à la Providence et demeurer solitaire. Platon vécut ainsi presque quatre années dans la retraite et le silence. En 1750, le starets Basile vint en visite au Mont Athos. Il y rencontra son disciple de Valachie et s’enquit de sa vie d’ermite. Le vénérable starets lui exposa, selon l’enseignement des Pères, les dangers qu’encourt l’érémitisme total et lui conseilla de recevoir avec lui quelques frères pour mener une vie communautaire. Avant de regagner la Valachie, Basile tonsura son disciple moine et lui donna le nom de Païssii. Obéissant à son starets, Païssii accepta de prendre avec lui un jeune moine roumain, Bessarion, qui l’en avait supplié «avec des larmes». Au cours des quatre années suivantes, il reçut en tout huit frères, tous d’origine roumaine. Lorsque les premiers Slaves arrivèrent dans la communauté païssienne, l’office, jusqu’alors chanté en roumain, fut célébré alternativement en roumain et en slavon. La communauté de Païssii franchit une nouvelle étape avec son ordination au sacerdoce en 1758. Dès lors, le nombre de frères augmenta de plus en plus. Le manque d’espace les contraignit à déménager dans le Skite de saint Élie. Le renom et l’amour dont jouissait Païssii étaient si grands que l’on venait de toute la Sainte Montagne admirer la beauté et la régularité exemplaire des offices ainsi que la vie de soumission et de charité dans la communauté païssienne. Même l’ex-patriarche Séraphim, qui vivait dans le monastère de Pantocrator, avait le starets Païssii comme père spirituel.

Le nombre toujours croissant de frères et les difficultés matérielles de la vie au Mont Athos déterminèrent le starets et ses moines à aller vivre dans un monastère de Moldavie. En 1763, après dix-sept ans de vie sur la Sainte Montagne, Païssii et ses moines, au nombre de soixante- quatre, firent voile vers la Moldavie. Ils gagnèrent le nord du pays, la Bucovine, et s’installèrent au monastère de la « Descente du Saint Esprit », à Dragomirna, mis à leur disposition par le métropolite Gabriel de Jassy. Rapidement le starets organisa la vie du monastère selon les canons traditionnels du monachisme orthodoxe, misant en particulier deux vertus : la pauvreté personnelle et l’obéissance inconditionnelle.

Le nombre de moines augmentant de plus en plus – à la fin de leur séjour à Dragomirna, ils étaient quelque trois cent cinquante –, Païssii dut ordonner plusieurs prêtres qu’il établit comme confesseurs et surveillants des moines. C’était le commencement d’une mission qui dépassait les rapports d’un seul homme avec ses disciples et qui allait bientôt s’étendre au monde laïc. À Dragomirna, Païssii avait inauguré une coutume qui devait avoir une grande et bienfaisante influence. Pendant tout l’hiver et jusqu’à la Semaine Sainte, il réunissait le soir les moines dans le réfectoire et faisait une lecture des écrits des Pères, suivie d’entretiens concernant leur enseignement et d’exhortations. Un jour cette lecture se faisait en russe, un autre jour en roumain. Le séjour de la communauté païssienne dans ce monastère dut prendre fin lorsque la Bucovine fut englobée dans l’Empire autrichien ; le 14 octobre 1775, Païssii et ses moines se fixèrent dans le monastère de Sécu. Seul le manque de place les gênait pourtant. Pour y remédier le starets s’adressa au prince Constantin Moruzi, sollicitant une aide matérielle en vue de construire de nouvelles cellules. Mais le prince, sur le conseil du métropolite, assigna à la communauté de Païssii le plus grand monastère du pays, Neamts, à quelques kilomètres de Sécu. La majeure partie de la communauté quitta alors Sécu pour se fixer à Neamts le 14 août 1779.

Depuis lors, Païssii eut la charge des deux monastères. À Neamts la communauté s’agrandit assez vite, au point de compter sept cents moines. Un hôpital et de nouvelles cellules furent bientôt construits et on prit aussi des dispositions pour loger et nourrir les pèlerins et les pauvres. Le monastère de Neamts fut la dernière et la plus importante étape de la vie du starets Païssii et de sa communauté. Elle excella par une immense activité littéraire; deux équipes de traducteurs, de copistes et de critiques, Païssii en tête, travaillaient sans relâche à la révision et à la traduction des écrits philocaliques en slavon et en roumain. Ainsi, Païssii « fit de sa laure de Neamts le centre et le flambeau du monachisme orthodoxe, l’école de la vie hésychaste et de la culture spirituelle pour tout l’Orient orthodoxe».

Le couronnement de ce travail de traduction des textes ascétiques des Pères anciens fut d’abord, déjà à Dragomirna en 1767, le réalisation d’une Philocalie roumaine, puis, en 1793, la publication à Saint-Petersbourg de la Philocalie slavonne, Dobrotoliubie. Païssii lui-même traduisait surtout en slavon, puisque plusieurs autres moines pouvaient traduire en roumain, alors que peu étaient en mesure de traduire en slavon. Quelques textes traduits en roumain à Neamts furent publiés au XVIIIe siècle, d’autres seulement après que le monastère de Neamts eut acquis sa propre imprimerie en 1807. Outre son travail de traduction et de correction de textes patristiques, Païssii écrit lui-même quelques petits ouvrages, notamment des lettres au sujet de la vie monastique, qui furent publiées par le monastère d’Optino en 1847.

Le nom du starets et de son monastère était universellement connu dans le monde orthodoxe. Des moines, des fidèles ou des personnalités ecclésiastiques venaient de partout pour le voir, ou du moins correspondaient avec lui. Vers la fin de sa vie, le don des larmes lui fut accordé. Voici comment le grec Constantin Caragea décrit Païssii, après une rencontre avec celui-ci: «Pour la première fois de ma vie, j’ai vu la sainteté incarnée et non dissimulée. J’ai été impressionné par son visage lumineux et pâle, exsangue, par sa barbe touffue et longue, brillante comme de l’argent, par la propreté de ses vêtements et de sa cellule. Sa parole était douce et sincère... Il avait l’air d’un homme totalement détaché de la chair».


Païssii mourut le 15 novembre 1794, à l’âge de soixante-douze ans, et fut enterré dans l’église du monastère où sa tombe est encore vénérée aujourd’hui. Il laissait après lui deux communautés, à Neamts et à Sécu, avec plus que mille moines, Roumains, Russes, Serbes, Bulgares et Grecs.
Mănăstirea Secu
Mănăstirea Neamțului





mardi 16 avril 2019

Le rôle de l'ÉGLISE ROUMAINE dans l'histoire de l'Unité orthodoxe [2]

LE RENOUVEAU HÉSYCHASTE AU XVIIIe SIÈCLE

Si le XIVe siècle fut pour l’Orient orthodoxe l’époque par excellence du «mouvement hésychaste», le XVIIIe siècle fut celui de la Philocalie (littéralement, «amour de la beauté»). En fait, il s’agit dans les deux cas d’un renouveau spirituel dû à des personnalités monastiques qui incarnèrent dans leur vie et dans leur œuvre l’esprit de la tradition la plus authentique du monachisme, où l’accent est mis sur l’expérience mystique de l’union avec Dieu par la purification, la garde du cœur et la prière pure. Ce renouveau fut lancé par la publication, presque simultanément, de la Philocalie grecque à Venise et 1782 et sa version slavonne intitulée Dobrotoliubie à Saint-Pétersbourg en 1793. La parution de la Philocalie représente le grand événement spirituel de l’Orthodoxie de l’époque, aux conséquences les plus bénéfiques pour le monde spirituel et culturel roumain, russe et grec.

Dans la période précédant le renouveau philocalique, la vie monastique, et tout particulièrement celle des petites communautés (skites), dans les pays roumains, malgré les signes d’une décadence, se développait dans la tranquillité, encouragée tant par les princes que par les métropolites du pays. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le nombre de monastères et de skites augmenta considérablement en Moldavie et en Valachie. La vie érémitique des skites fut préférée à celle des grandes communautés.

L’historien russe Serge Tchetverikov décrit comme suit la situation des monastères en Moldavie dans la première moitié du XVIIIe siècle: «À cette époque, la Moldavie était l’un des fleurons du monde orthodoxe... La Moldavie, gouvernée par des pieux princes, était à tous points de vue une région favorable à une existence paisible et à la prospérité des monastères orthodoxes. Les chroniques font continuellement état de constructions de monastères par les princes, les boyards et autres gens aisés. En retour, les donateurs exigeaient des monastères qu’ils jouent un rôle civilisateur dans les domaines de la morale et de la religion».

Dans les monastères, il y avait des bibliothèques importantes qui contenaient de nombreux manuscrits et parmi les moines, beaucoup étaient cultivés; on rencontre souvent, dans les documents des monastères, des noms de moines accompagnés de l’épithète didascalos ou «rhéteur». Il y avait aussi non seulement des écoles élémentaires, mais des écoles supérieures où l’on enseignait la poétique, les mathématiques, la théologie, les langues grecque, slavonne et roumaine.

Saint Voïévode Constantin Brancoveanu et ses fils

La Valachie connut justement à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles une époque culturelle des plus florissantes, sous le règne de saint Constantin Brancoveanu (1654-1714) (16 août) et le métropolite Antime l’Ibère (c. 1650-1716). En 1688 Constantin Brancoveanu fut élu voïévode de Valachie, charge qu’il exécuta avec douceur et patience pendant 25 ans, jouant un habile jeu d’alliances diplomatiques afin de préserver son pays des ennuis de ses puissants voisins, en particulier l’empire Ottoman. Il fonda de nombreuses églises et monastères en Valachie et devint un des grands patrons des orthodoxes sous domination musulmane. Mais la Valachie n’était pas entièrement indépendante des Turcs et en 1714 Constantin Brancoveanu fut arrêté à Bucarest, avec sa famille et son principal conseiller, sur ordre du sultan. Amené à Constantinople, on tenta de le faire devenir musulman, mais il refusa de renier la foi chrétienne. Il fut torturé, et lui et ses quatre fils et son conseiller furent décapités le 16 août 1714.

L’épouse du prince, avec les autres membres de sa famille, échappa à la mort grâce à une énorme rançon versée par les chrétiens; elle put récupérer les reliques des martyrs qui furent déposées à l’église Saint-Georges-le-Nouveau à Bucarest.

Saint Antime (27 septembre), originaire de Géorgie, était soumis à l’esclavage pendant de longues années à Constantinople. Il apprit néanmoins plusieurs langues (le grec, le turc, l’arabe, le slavon et le roumain) et une fois affranchi, il enseigna l’art des icônes brodées et la sculpture sur bois. Invité à s’installer en Valachie en 1690 par le voïévode Constantin Brancoveanu, Antime apprit l’art de la typographie, devint responsable de la typographie princière, puis moine et prêtre. Son intérêt pour l’édition et la typographie ne le quitta pas, même quand il fut élu higoumène du monastère de Snagov, puis évêque de Rimnic et en dernier lieu métropolite de la Valachie. Saint Antime édita environ 63 livres ecclésiastiques et spirituels, dont un bon nombre écrits par lui-même en plusieurs langues. Il organisa des écoles dans tout le pays et il fonda à Bucarest le monastère de Tous-les-Saints, qui aujourd’hui porte son nom. En 1716, deux ans seulement après le martyre de Constantin Brancoveanu, saint Antime, accusé par les Turcs d’avoir intrigué pour soumettre la Valachie à l’empire autrichien, fut déposé, aveuglé et envoyé en exil, mais les soldats de son escorte le noyèrent en chemin. C’est grâce à ses éditions que la langue roumaine devint langue liturgique de l’Église, qui jusqu’alors utilisait exclusivement le slavon.




La situation en Transylvanie, toujours sous domination autrichienne, était beaucoup moins propice à la floraison du monachisme que dans les deux autres pays roumains. En fait, la foi orthodoxe était menacée à la fois par la puissance dominante, catholique, qui cherchait à nuire sinon détruire l’Orthodoxie, et par des missionnaires calvinistes, qui y introduisaient des idées de la Réforme protestante. Cette période connut trois grands confesseurs de la foi orthodoxe: saint Iorest d’Oradéa, saint Sabas de Transylvanie et saint Joseph du Maramouresh (tous sont célébrés le 24 avril). Saint Iorest, moine de Putna en Moldavie, fut choisi en 1640 pour devenir métropolite d’Oradéa en Transylvanie. En 1643 il fut emprisonné pendant neuf mois ; relâché, il se réfugia en Moldavie. En 1657 on lui confia l’évêché de Chous, mais il mourut quelques mois plus tard. Saint Sabas fut élu métropolite de Transylvanie en 1656, charge qu’il occupa pendant 24 ans, affirmant le peuple dans la foi. En 1680 le prince d’Oradéa le fit déposer et emprisonner. Il endura des souffrances pendant trois ans, puis il fut libéré seulement sur le point de rendre son âme. 


Saint Joseph était originaire de Maramouresh dans le nord de la Transylvanie. Il devint évêque de cette ville en 1690 et dut combattre vaillamment pour maintenir l’unité religieuse du peuple roumain de la Transylvanie. En 1701 il fut convoqué à Vienne, dans le but de lui faire renoncer à sa foi, et par la suite il fut traîné devant le tribunal de Sibiu, emprisonné, relâché grâce aux efforts du peuple et du clergé, arrêté de nouveau en 1705, puis relâché mais sans autorisation d’exercer sa charge épiscopale. Il mourut en 1711. La vénération de ces trois confesseurs de la foi fut confirmée par l’Église de Roumanie en 1992.




Avant même les parutions de la Philocalie grecque et slavonne, «l’événement philocalique» était déjà depuis un demi-siècle une réalité puissante dans l’Orthodoxie roumaine où, pour la première fois dans leur histoire, les textes philocaliques étaient traduits en langue moderne. La «Philocalie de Dragomirna» est un manuscrit de 626 pages daté du 4 mai 1769, contenant une bonne partie des textes qui entreront dans la Philocalie de Venise, traduits en roumain. À l’origine de ce mouvement qui conduisit au «réveil» des écrits philocaliques se trouve le starets Païssii Velitchkovski, qui, après un long séjour au Mont Athos, devint higoumène des monastères de Neamts et de Sécu en Moldavie. Païssii eut comme précurseur le starets Basile de Poiana Màrului, que certains considèrent comme le premier maître et auteur hésychaste dans l’Orient orthodoxe des temps modernes. Son ascendane sur la personnalité de Païssii et son influence sur le monachisme orthodoxe ne sauraient être minimisées.




Le starets Basile de Poiana Màrului («la clairière du pommier») serait né en 1692 et mort le 25 avril 1767. Selon toute vraisemblance, Basile était ukrainien. Avant de franchir les frontières de la Valachie, il vécut en Russie et dans les montagnes de Mochentski (Ukraine). Obligé de quitter son pays, lorsqu’on a interdit aux moines de Russie de vivre en ermites, Basile et beaucoup d’autres ascètes s’installent dans les skites de Moldavie et de Valachie. Après une vingtaine d’années au skite de Dalhautsi, Basile bâtit, avec l’aide du voïévode Constantin Mavrocordat, le skite de Poiana Màrului où il se transporta avec douze moines. C’est sans doute dans ce skite qu’il écrivit son œuvre, tandis que sa renommée se répandait dans tout le pays et même au-delà. Organisé selon les principes de vie hésychaste et les règles de saint Basile le Grand et celles du Mont Athos, le skite de Poiana Mârului deviendra bientôt le centre hésychaste le plus important du pays. Onze skites de la région se trouvaient sous la direction spirituelle de Basile. Ainsi Poiana Màrului attirait-il des moines de partout, même du Mont Athos. Un moine athonite nota à l’époque: «Poiana Màrului en Roumanie est devenu la deuxième Sainte Montagne», un véritable «centre de culture orthodoxe». En 1750, le starets Basile, en voyage au Mont Athos, tonsura et reçut comme moine son «disciple» Platon-Païssii Vélitchkovski.

Starets Basile lui Poiana Mãrului

C’est surtout à travers ses écrits, qui témoignent d’une riche originalité, que nous connaissons la personnalité de Basile. Par ces écrits, il inaugure dans la culture roumaine un nouveau genre de littérature religieuse, qui sera continué et approfondi par Païssii Velitchkovski et son école. Subtil connaisseur et interprète des Saintes Écritures et de la littérature ascétique, fervent pratiquant de la prière spirituelle, le starets Basile nous a laissé une œuvre peu étendue mais qui, déjà en son temps, fut assimilée aux écrits les plus célèbres de la tradition hésychaste, avec lesquels elle a été copiée et rassemblée dans de nombreux recueils. Des écrits du starets Basile, il ressort avec une nette évidence que la préoccupation centrale de sa vie fut de raviver la pratique de la prière de Jésus. Le plus souvent il la désigne par les termes «activité de l’intellect» (ou mentale), «prière intérieure», ou encore «pratique intérieure», lorsqu’il s’agit de son premier stade, pratique; il lui réserve au contraire les termes «prière spirituelle», «prière contemplative» ou «prière du cœur», lorsqu’elle est devenue un don de l’Esprit Saint. Il était important de souligner d’emblée la distinction entre prière de Jésus «pratique» et prière de Jésus «contemplative» dans les écrits de Basile, pour comprendre son insistance, peu commune, sur le devoir de tout chrétien, moine ou laïc, de la pratiquer. Pour lui, la prière de Jésus est, parmi les diverses pratiques ascétiques, le moyen par excellence de purifier l’âme des passions et de garder l’intellect à l’abri des tentations. Ainsi, la prière de Jésus n’est pas seulement une prière contemplative réservée à une élite purifiée des passions, mais elle est comme une épée remise entre les mains de tous, même débutants, pour combattre pensées et passions. Mieux que celle des très célèbres Récits d’un pèlerin russe, cette orientation de Basile rendrait compte de la pratique effective des moines hésychastes, notamment en Russie et en Roumanie. Les conseils du starets Basile sur la prière ont connu un grand succès non seulement dans le monachisme roumain et russe, mais par ce truchement, parmi les fidèles orthodoxes partout, puisque ces conseils devaient être intégrés dans le «renouveau philocalique».

Saint Païssii Velitchkovski

mercredi 31 août 2016

Rappel : la racine et le fondement, le sommet et la perfection de la vie spirituelle orthodoxe : LA PRIÈRE de JÉSUS

UN NOUVEAU LIVRE AUX ÉDITIONS DES SYRTES


« Sur les monts du Caucase, Dialogue de deux solitaires sur la prière de Jésus »
 – Hiéromoine Hilarion (Domratchev)

un classique de la littérature orthodoxe


On sait peu de choses de la vie du moine mégaloschème Hilarion [Domratchev] : il naquit vers 1845 dans la région de Viatka, fut enseignant après avoir terminé quatre classes de séminaire ; il partit pour l’Athos où il vécut plus de vingt ans au monastère russe Saint-Pantéléimon. Dans les années 1880, il s’en fut au Caucase, où on le rattacha au monastère Saint-Simon-le-Cananéen du Nouvel Athos.

Dans ce livre, il narre sa rencontre avec un ermite du Caucase, qui lui enseigna la Prière de Jésus.

L’ouvrage est un classique de la littérature orthodoxe, qui suscita de nombreuses vocations.

"Ce livre, écrit avec l’aide de Dieu, n’a qu’un but : expliquer aussi complètement que possible C, elle qui, suivant l’enseignement unanime des saints Pères, est la racine et le fondement en même temps que le sommet et la perfection de la vie spirituelle. Toute l’insistance de nos paroles ne vise qu’à cela. Nous mettons toujours cette Prière au-dessus de toutes les autres vertus, dont aucune ne l’égale lorsque la Prière atteint les degrés les plus élevés. "

Cet ouvrage dresse le portrait d’une nature exubérante, de moines retirés du monde par amour de la solitude en Dieu.



samedi 27 août 2016

Nouvelle parution aux Éditions des Syrtes : Sur les monts du Caucase, Dialogue de deux solitaires sur la prière de Jésus

Parution ce jour de l’ouvrage du moine Hilarion, Sur les monts du Caucase, classique de la littérature orthodoxe jusqu’ici inédit en français. 

Né aux alentours de 1845, le père Hilarion se retire au Nouvel Athos dans les années 1880, et passe les vingt dernières années de sa vie en ermite à travers les monts du Caucase, dans la nature, poussé par un besoin profond de solitude et de contemplation. Il y rencontre un autre ermite, père Désiré, qui lui enseigne la Prière de Jésus.
Ce texte est le fruit de cette expérience spirituelle, et comprend ses entretiens avec le starets Désiré. Il s’agit donc plus de notes sur les thèmes relatifs à la théorie et la pratique de la Prière de Jésus qu’un traité systématique. Le tout agrémenté de descriptions magnifiques de la nature caucasienne.


jeudi 8 juillet 2010

Sur le blog de Claude : LES COLLYVADES

L'apparition au dix-huitième siècle des Collyvades sur la Sainte Montagne, et en Grèce en général, constitue un retour dynamique aux racines de la tradition orthodoxe, à la "philocalie" une expérience qui est au cœur de la spiritualité de l'Église orthodoxe.
Leur "mouvement", comme on l'appelait, était régénérateur et traditionnel, progressiste et pourtant patristique, en d'autres termes, véritablement orthodoxe...
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