Si quelqu'un, en effet, veut aimer la vie et voir des jours heureux, qu'il préserve sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses, qu'il se détourne du mal et fasse le bien, qu'il recherche la paix et la poursuive. 1 Pierre 3:10-11 Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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mardi 16 avril 2019

Le rôle de l'ÉGLISE ROUMAINE dans l'histoire de l'Unité orthodoxe [2]

LE RENOUVEAU HÉSYCHASTE AU XVIIIe SIÈCLE

Si le XIVe siècle fut pour l’Orient orthodoxe l’époque par excellence du «mouvement hésychaste», le XVIIIe siècle fut celui de la Philocalie (littéralement, «amour de la beauté»). En fait, il s’agit dans les deux cas d’un renouveau spirituel dû à des personnalités monastiques qui incarnèrent dans leur vie et dans leur œuvre l’esprit de la tradition la plus authentique du monachisme, où l’accent est mis sur l’expérience mystique de l’union avec Dieu par la purification, la garde du cœur et la prière pure. Ce renouveau fut lancé par la publication, presque simultanément, de la Philocalie grecque à Venise et 1782 et sa version slavonne intitulée Dobrotoliubie à Saint-Pétersbourg en 1793. La parution de la Philocalie représente le grand événement spirituel de l’Orthodoxie de l’époque, aux conséquences les plus bénéfiques pour le monde spirituel et culturel roumain, russe et grec.

Dans la période précédant le renouveau philocalique, la vie monastique, et tout particulièrement celle des petites communautés (skites), dans les pays roumains, malgré les signes d’une décadence, se développait dans la tranquillité, encouragée tant par les princes que par les métropolites du pays. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le nombre de monastères et de skites augmenta considérablement en Moldavie et en Valachie. La vie érémitique des skites fut préférée à celle des grandes communautés.

L’historien russe Serge Tchetverikov décrit comme suit la situation des monastères en Moldavie dans la première moitié du XVIIIe siècle: «À cette époque, la Moldavie était l’un des fleurons du monde orthodoxe... La Moldavie, gouvernée par des pieux princes, était à tous points de vue une région favorable à une existence paisible et à la prospérité des monastères orthodoxes. Les chroniques font continuellement état de constructions de monastères par les princes, les boyards et autres gens aisés. En retour, les donateurs exigeaient des monastères qu’ils jouent un rôle civilisateur dans les domaines de la morale et de la religion».

Dans les monastères, il y avait des bibliothèques importantes qui contenaient de nombreux manuscrits et parmi les moines, beaucoup étaient cultivés; on rencontre souvent, dans les documents des monastères, des noms de moines accompagnés de l’épithète didascalos ou «rhéteur». Il y avait aussi non seulement des écoles élémentaires, mais des écoles supérieures où l’on enseignait la poétique, les mathématiques, la théologie, les langues grecque, slavonne et roumaine.

Saint Voïévode Constantin Brancoveanu et ses fils

La Valachie connut justement à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles une époque culturelle des plus florissantes, sous le règne de saint Constantin Brancoveanu (1654-1714) (16 août) et le métropolite Antime l’Ibère (c. 1650-1716). En 1688 Constantin Brancoveanu fut élu voïévode de Valachie, charge qu’il exécuta avec douceur et patience pendant 25 ans, jouant un habile jeu d’alliances diplomatiques afin de préserver son pays des ennuis de ses puissants voisins, en particulier l’empire Ottoman. Il fonda de nombreuses églises et monastères en Valachie et devint un des grands patrons des orthodoxes sous domination musulmane. Mais la Valachie n’était pas entièrement indépendante des Turcs et en 1714 Constantin Brancoveanu fut arrêté à Bucarest, avec sa famille et son principal conseiller, sur ordre du sultan. Amené à Constantinople, on tenta de le faire devenir musulman, mais il refusa de renier la foi chrétienne. Il fut torturé, et lui et ses quatre fils et son conseiller furent décapités le 16 août 1714.

L’épouse du prince, avec les autres membres de sa famille, échappa à la mort grâce à une énorme rançon versée par les chrétiens; elle put récupérer les reliques des martyrs qui furent déposées à l’église Saint-Georges-le-Nouveau à Bucarest.

Saint Antime (27 septembre), originaire de Géorgie, était soumis à l’esclavage pendant de longues années à Constantinople. Il apprit néanmoins plusieurs langues (le grec, le turc, l’arabe, le slavon et le roumain) et une fois affranchi, il enseigna l’art des icônes brodées et la sculpture sur bois. Invité à s’installer en Valachie en 1690 par le voïévode Constantin Brancoveanu, Antime apprit l’art de la typographie, devint responsable de la typographie princière, puis moine et prêtre. Son intérêt pour l’édition et la typographie ne le quitta pas, même quand il fut élu higoumène du monastère de Snagov, puis évêque de Rimnic et en dernier lieu métropolite de la Valachie. Saint Antime édita environ 63 livres ecclésiastiques et spirituels, dont un bon nombre écrits par lui-même en plusieurs langues. Il organisa des écoles dans tout le pays et il fonda à Bucarest le monastère de Tous-les-Saints, qui aujourd’hui porte son nom. En 1716, deux ans seulement après le martyre de Constantin Brancoveanu, saint Antime, accusé par les Turcs d’avoir intrigué pour soumettre la Valachie à l’empire autrichien, fut déposé, aveuglé et envoyé en exil, mais les soldats de son escorte le noyèrent en chemin. C’est grâce à ses éditions que la langue roumaine devint langue liturgique de l’Église, qui jusqu’alors utilisait exclusivement le slavon.




La situation en Transylvanie, toujours sous domination autrichienne, était beaucoup moins propice à la floraison du monachisme que dans les deux autres pays roumains. En fait, la foi orthodoxe était menacée à la fois par la puissance dominante, catholique, qui cherchait à nuire sinon détruire l’Orthodoxie, et par des missionnaires calvinistes, qui y introduisaient des idées de la Réforme protestante. Cette période connut trois grands confesseurs de la foi orthodoxe: saint Iorest d’Oradéa, saint Sabas de Transylvanie et saint Joseph du Maramouresh (tous sont célébrés le 24 avril). Saint Iorest, moine de Putna en Moldavie, fut choisi en 1640 pour devenir métropolite d’Oradéa en Transylvanie. En 1643 il fut emprisonné pendant neuf mois ; relâché, il se réfugia en Moldavie. En 1657 on lui confia l’évêché de Chous, mais il mourut quelques mois plus tard. Saint Sabas fut élu métropolite de Transylvanie en 1656, charge qu’il occupa pendant 24 ans, affirmant le peuple dans la foi. En 1680 le prince d’Oradéa le fit déposer et emprisonner. Il endura des souffrances pendant trois ans, puis il fut libéré seulement sur le point de rendre son âme. 


Saint Joseph était originaire de Maramouresh dans le nord de la Transylvanie. Il devint évêque de cette ville en 1690 et dut combattre vaillamment pour maintenir l’unité religieuse du peuple roumain de la Transylvanie. En 1701 il fut convoqué à Vienne, dans le but de lui faire renoncer à sa foi, et par la suite il fut traîné devant le tribunal de Sibiu, emprisonné, relâché grâce aux efforts du peuple et du clergé, arrêté de nouveau en 1705, puis relâché mais sans autorisation d’exercer sa charge épiscopale. Il mourut en 1711. La vénération de ces trois confesseurs de la foi fut confirmée par l’Église de Roumanie en 1992.




Avant même les parutions de la Philocalie grecque et slavonne, «l’événement philocalique» était déjà depuis un demi-siècle une réalité puissante dans l’Orthodoxie roumaine où, pour la première fois dans leur histoire, les textes philocaliques étaient traduits en langue moderne. La «Philocalie de Dragomirna» est un manuscrit de 626 pages daté du 4 mai 1769, contenant une bonne partie des textes qui entreront dans la Philocalie de Venise, traduits en roumain. À l’origine de ce mouvement qui conduisit au «réveil» des écrits philocaliques se trouve le starets Païssii Velitchkovski, qui, après un long séjour au Mont Athos, devint higoumène des monastères de Neamts et de Sécu en Moldavie. Païssii eut comme précurseur le starets Basile de Poiana Màrului, que certains considèrent comme le premier maître et auteur hésychaste dans l’Orient orthodoxe des temps modernes. Son ascendane sur la personnalité de Païssii et son influence sur le monachisme orthodoxe ne sauraient être minimisées.




Le starets Basile de Poiana Màrului («la clairière du pommier») serait né en 1692 et mort le 25 avril 1767. Selon toute vraisemblance, Basile était ukrainien. Avant de franchir les frontières de la Valachie, il vécut en Russie et dans les montagnes de Mochentski (Ukraine). Obligé de quitter son pays, lorsqu’on a interdit aux moines de Russie de vivre en ermites, Basile et beaucoup d’autres ascètes s’installent dans les skites de Moldavie et de Valachie. Après une vingtaine d’années au skite de Dalhautsi, Basile bâtit, avec l’aide du voïévode Constantin Mavrocordat, le skite de Poiana Màrului où il se transporta avec douze moines. C’est sans doute dans ce skite qu’il écrivit son œuvre, tandis que sa renommée se répandait dans tout le pays et même au-delà. Organisé selon les principes de vie hésychaste et les règles de saint Basile le Grand et celles du Mont Athos, le skite de Poiana Mârului deviendra bientôt le centre hésychaste le plus important du pays. Onze skites de la région se trouvaient sous la direction spirituelle de Basile. Ainsi Poiana Màrului attirait-il des moines de partout, même du Mont Athos. Un moine athonite nota à l’époque: «Poiana Màrului en Roumanie est devenu la deuxième Sainte Montagne», un véritable «centre de culture orthodoxe». En 1750, le starets Basile, en voyage au Mont Athos, tonsura et reçut comme moine son «disciple» Platon-Païssii Vélitchkovski.

Starets Basile lui Poiana Mãrului

C’est surtout à travers ses écrits, qui témoignent d’une riche originalité, que nous connaissons la personnalité de Basile. Par ces écrits, il inaugure dans la culture roumaine un nouveau genre de littérature religieuse, qui sera continué et approfondi par Païssii Velitchkovski et son école. Subtil connaisseur et interprète des Saintes Écritures et de la littérature ascétique, fervent pratiquant de la prière spirituelle, le starets Basile nous a laissé une œuvre peu étendue mais qui, déjà en son temps, fut assimilée aux écrits les plus célèbres de la tradition hésychaste, avec lesquels elle a été copiée et rassemblée dans de nombreux recueils. Des écrits du starets Basile, il ressort avec une nette évidence que la préoccupation centrale de sa vie fut de raviver la pratique de la prière de Jésus. Le plus souvent il la désigne par les termes «activité de l’intellect» (ou mentale), «prière intérieure», ou encore «pratique intérieure», lorsqu’il s’agit de son premier stade, pratique; il lui réserve au contraire les termes «prière spirituelle», «prière contemplative» ou «prière du cœur», lorsqu’elle est devenue un don de l’Esprit Saint. Il était important de souligner d’emblée la distinction entre prière de Jésus «pratique» et prière de Jésus «contemplative» dans les écrits de Basile, pour comprendre son insistance, peu commune, sur le devoir de tout chrétien, moine ou laïc, de la pratiquer. Pour lui, la prière de Jésus est, parmi les diverses pratiques ascétiques, le moyen par excellence de purifier l’âme des passions et de garder l’intellect à l’abri des tentations. Ainsi, la prière de Jésus n’est pas seulement une prière contemplative réservée à une élite purifiée des passions, mais elle est comme une épée remise entre les mains de tous, même débutants, pour combattre pensées et passions. Mieux que celle des très célèbres Récits d’un pèlerin russe, cette orientation de Basile rendrait compte de la pratique effective des moines hésychastes, notamment en Russie et en Roumanie. Les conseils du starets Basile sur la prière ont connu un grand succès non seulement dans le monachisme roumain et russe, mais par ce truchement, parmi les fidèles orthodoxes partout, puisque ces conseils devaient être intégrés dans le «renouveau philocalique».

Saint Païssii Velitchkovski

jeudi 11 avril 2019

LA FONCTION SPÉCIFIQUE DE L’ÉGLISE DE ROUMANIE À L’INTÉRIEUR DE L’UNITÉ ORTHODOXE [1]

LA ROUMANIE, PATRONNE DE L’ORTHODOXIE


La propagation de l’hésychasme vers les terres slaves et roumaines au XIVe siècle fut surtout le résultat des relations que ces pays orthodoxes entretenaient avec les centres de rayonnement hésychaste, à savoir le Mont Athos et la Bulgarie. Aux siècles suivants, les pays roumains diversifièrent leurs relations avec les pays de tradition orthodoxe, embrassant tout l’Orient orthodoxe, du fait notamment de sa soumission aux Turcs. De façon constante jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, les princes roumains, de par la générosité de leur soutien matériel des orthodoxes sous domination musulmane, s’avérèrent les successeurs tant des basileis byzantins que des tsars serbes et bulgares. Au-delà de l’aspect matériel de ces relations, on devrait voir une « véritable interaction grâce à laquelle l’Église et les pays roumains prennent conscience de leur place et affirment leur fonction spécifique à l’intérieur de l’unité orthodoxe». C’est grâce à la protection matérielle accordée par les voïévodes roumains à tout l’Orient orthodoxe que les échanges spirituels les plus variés ont pu se nouer et se développer entre les Églises et les monastères valaques et moldaves et les Églises, monastères et lieux saints, en particulier l’Athos, Jérusalem et le Sinaï.

Après la chute de la ville impériale de Constantinople en 1453, l’espoir des patriarches œcuméniques se dirigea vers les pays roumains, seuls restés libres dans leur proximité immédiate. C’est ainsi qu’aux XVIe et au XVIIe siècles, presque tous les patriarches œcuméniques, accompagnés de prélats et de moines, firent des voyages, parfois des mois durant, en Valachie et en Moldavie, en quête de subsides ou même, pour certains d’entre eux, pour y demeurer, ayant perdu leur trône. Ainsi, le premier patriarche après la chute de Constantinople à résider en Valachie (1486-1488 et 1496-1498), comme métropolite de l’Église de Valachie, fut saint Niphon II (11 août). Moine du Mont Athos, hésychaste renommé, maître et père spirituel de Neagœ Basarab, futur voïévode de Valachie, Niphon fut déposé deux fois comme patriarche de Constantinople avant d’être invité par le voïvode de Valachie, Radu le Grand, de prendre la direction de l’Église de Valachie. Là, il réorganisa la vie ecclésiastique du pays, créant deux nouveaux diocèses, avant de se retirer à la Sainte Montagne, où il mourut en 1508. Il fut canonisé en 1517 sur l’insistance de Neagœ Basarab, l’un des princes roumains les plus généreux envers tout l’Orient chrétien.


En 1641, le voïévode moldave Vasile Lupu, «protecteur de toute l’Église œcuménique et successeur très digne des basileis byzantins», paya toutes les dettes du patriarcat (une somme très importante) et institua une commission spéciale pour gérer ses affaires financières. Par sa grande générosité et son autorité, Vasile Lupu exerça un fort ascendant sur toute l’Orthodoxie soumise aux Turcs.

Parmi les patriarches les plus connus de Constantinople qui firent de longs séjours dans les pays roumains, mentionnons Cyrille Lukaris, Athanase Patellaros, Parthène IV (mort à Bucarest après 1688) et Denys IV, hiérarque érudit, qui oignit comme voïévode de Valachie Constantin Brancoveanu. Reconnaissant le rôle exceptionnel que la Valachie joua pour la sauvegarde des peuples orthodoxes soumis par les Turcs, le patriarche Sophrone octroya en 1776 au métropolite de Valachie Grégoire II et à ses successeurs le titre honorifique de locum tenens du siège de Césarée de Cappadoce. Les liens tissés avec «1’Église-mère» de Jérusalem par les pèlerinages de fidèles et de moines roumains au Saint Sépulcre datent de temps immémoriaux. La vie érémitique aux déserts de la Palestine servit même de modèle pour le monachisme roumain primitif. Plus tard, des liens formels se nouèrent entre la Valachie et le patriarcat de Jérusalem, au temps du voïévode Neagœ Basarab (1512-1521), qui fit de grands dons à l’église de Sion et aux églises environnantes. Les «princes de Valachie» contribuèrent à la restauration du monastère de Saint-Sabbas à Jérusalem au début du XVIe siècle. Les XVIIe et XVIIIe siècles virent se multiplier les voyages et les séjours des patriarches de Jérusalem dans les pays roumains. Ainsi le patriarche Théophane (1607-1644) fit quatre voyages en Moldavie, et chaque fois il reçut, soit des monastères, soit des terres dédiés au Saint Sépulcre, soit même, en 1632, de la part du prince Vasile Lupu, le paiement de toutes les dettes de son patriarcat. C’est la raison pour laquelle un de ses successeurs, le patriarche Dosithée (1669-1707), disait que «depuis la chute de Constantinople, aucun basileus ou seigneur n’a fait un plus grand bien au siège patriarcal de Jérusalem» que ce prince roumain. Quant à l’érudit patriarche Dosithée, qui exerça son ministère pendant presque quarante ans, on pourrait dire que « sa véritable résidence était à Bucarest et à Jassy, et nullement à Jérusalem», qu’« il fit des pays roumains un deuxième siège du patriarcat de Jérusalem». À l’exemple de leurs précurseurs, tous les autres patriarches de Jérusalem des XVIIe et XVIIIe siècles visitèrent les pays roumains et entretinrent avec eux des rapports étroits.

Il en va de même des patriarches d’Alexandrie et d’Antioche : pendant de longs siècles ils entretinrent des relations étroites avec les pays roumains et y effectuèrent de fréquents voyages. Le fameux patriarche d’Alexandrie, Cyrille Lukaris, qui séjourna plusieurs années en Valachie et en Moldavie, fut très attaché au peuple roumain et s’intéressa au sort des Roumains de Transylvanie opprimés par les calvinistes. Il répondit, en 1629, au prince Gabriel Bethlen, qui demandait son appui pour la conversion des Roumains au calvinisme, que son projet ne réussirait pas en raison des «liens de sang et de sentiments qui unissent tous les Roumains»; quant à lui, «le consentement reconnu ou tacite à cette action serait de notre part un péché que tous les supplices du monde ne pourraient racheter». L’un des patriarches d’Antioche les plus célèbres au XVIIe siècle, Macaire III Zaim, entreprit un long voyage dans les pays roumains ainsi qu’en Russie, entre 1652 et 1659. En Valachie, où régnait Matthieu Basarab, et en Moldavie, Basile Lupu, le patriarche fut accueilli partout avec les plus grands honneurs et reçut des dons importants pour son Église. Un autre patriarche d’Antioche, Sylvestre le Chypriote (1724-1766), séjourna cinq ans dans les pays roumains. Les rapports des pays roumains avec la Sainte Montagne représentent le chapitre le plus important dans l’histoire des relations de ces pays avec l’Orient orthodoxe. Pendant cinq siècles, la république monastique de l’Athos jouit des plus grandes faveurs de la part des voïévodes et des hiérarques valaques et moldaves. Ainsi à peine saurait-on trouver sur l’Athos, à partir du XIVe siècle et jusqu’au XIXe siècle, un coin de terre ou une époque qui ne porte pas les marques de la générosité fervente des Roumains.

Gravure de Moschos Georgios (1906 - 1990)
Suite à la reconstruction du monastère athonite de Koutloumousiou au XIVe siècle aux frais des voïévodes valaques et à l’installation dans cette laure des premiers moines roumains, les égards des voïévodes valaques envers Koutloumousiou ne cessèrent pas: le monastère fut considéré, pendant cinq siècles, comme «la grande Laure de la Valachie». Parmi les autres monastères athonites qui bénéficièrent d’une faveur particulière de la part des princes roumains figure la Grande Laure de saint Athanase, reconstruite par le prince Neagœ Basarab, qui lui accorda également une aide annuelle, et Matthieu Basarab y bâtit l’église de saint Michel le Confesseur. 

Neagœ Basarab

Neagœ Basarab rénova aussi le monastère de Dionysiou entre 1512 et 1515. Et après la canonisation en 1517 de son père spirituel, le patriarche Niphon II, qui vécut ses dernières années à Dionysiou, Neagœ y fit construire une chapelle sous le vocable de saint Niphon. En 1534, un incendie ayant détruit cette église, elle fut reconstruite aux frais de Pierre Rares de Moldavie. Le monastère de Dochiariou fut entièrement rebâti aux frais du prince Alexandre Lâpusneanu (1552-1568). Neagœ Basarab rebâtit partiellement le monastère de Vatopédi, et y fit construire une église sous la protection de la Mère de Dieu. Les monastères de Grigoriou et de Zographou comptent Étienne le Grand parmi leurs fondateurs, et Simonos Petra, Michel le Brave. L’église du monastère de Saint Pantéléimon fut rebâtie entre 1812 et 1819 aux frais de Scarlat Calimachi, prince de Moldavie. Outre ces quelques exemples d’églises et de monastères athonites construits ou reconstruits par les voïévodes roumains, il faut mentionner les innombrables dons en argent, en icônes et en objets de culte, à toutes les communautés de la Sainte Montagne.


Parallèlement à ces dons, l’assistance roumaine au Mont Athos revêt, à partir du XVIe siècle, une forme typique, celle des «monastères dédiés». Ainsi des dizaines de monastères, skites ou églises roumains, avec leurs propriétés, furent-ils soustraits à l’autorité de l’évêque local et mis sous la protection des monastères athonites. Cette situation, qui devait durer jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, favorisa les relations spirituelles avec la Sainte Montagne. En effet, une telle situation attira en Roumanie «de nombreux moines étrangers, facilitant les échanges de livres et de manuscrits, orientant les influences spirituelles, iconographiques et artistiques, maintenant vivants l’unité de la tradition spirituelle et le lien entre les Églises». Ces échanges sont toujours allés dans les deux sens. Comme le constata l’historien Porfiri Uspenski: «Aucun autre peuple n’a fait autant de bien à l’Athos que les Roumains».

La générosité des princes roumains se manifesta également envers les monastères des Météores, de Janina, du Péloponnèse, de Halki, Paros, Rhodes et même de Chypre.

UN PRINCE HÉSYCHASTE: NEAGŒ BASARAB



La littérature patristique et d’inspiration hésychaste arrivée en Roumanie par le biais des relations multiples avec le Mont Athos, avec les anciens centres de culture orthodoxe, ainsi qu’avec la Russie, trouvera dans les monastères roumains le milieu idéal pour une vigoureuse éclosion. À partir du XVe siècle, les grands monastères deviennent de véritables écoles de copistes, où les documents patristiques en slavon (langue officielle et de culture jusqu’au XVIIIe siècle) seront multipliés et répandus non seulement à travers le monachisme roumain, mais souvent au-delà du Danube, dans le monde bulgare et serbe.

Cependant les Roumains ne se sont pas bornés à copier les manuscrits patristiques arrivés dans leur pays; il existe, du XVe au XVIIe siècle, une littérature originale, écrite sur le sol roumain par des moines et des laïcs. Le chef-d’œuvre littéraire et théologique de cette époque, Les enseignements de Neagœ Basarab à son fils Théodose, représente une «synthèse magistrale de la culture médiévale roumaine et la première création de valeur universelle de cette littérature». Bien que les sources historiques concernant la personne de voïévode de Valachie Neagœ Basarab (1481-1521) soient assez pauvres, sa personnalité est clairement mise en lumière par ses œuvres exceptionnelles. L’histoire et la culture médiévales roumaines montrent Neagœ comme «un bienfaiteur hors pair de l’Orthodoxie, aussi bien en Valachie et dans les autres pays roumains que dans tout l’Orient et le monde slave du sud», le plus grand bâtisseur d’églises et de monastères du XVIe siècle, «ami des lettres» et «homme de culture». La Roumanie lui doit un nombre impressionnant – vu la brièveté de son règne – d’œuvres d’architecture. Pour le Mont Athos, il est le «grand bienfaiteur de toute la Sainte Montagne», et les églises de Constantinople, du Sinaï, de Jérusalem et de Serbie le comptent parmi leurs «fondateurs». Neagœ Basarab a légué à la postérité deux monuments des plus remarquables: le célèbre monastère de Curtea de Argei, et un ouvrage savant, les Enseignements à l’intention de son fils Théodose: une «cathédrale de pierre» et une «cathédrale littéraire», qui se reflètent réciproquement. Pour la majestueuse et élégante église de Curtea de Argei (dont une fresque représente le fondateur dans toute la magnificence d’un basileus byzantin), ses contemporains le louaient à l’égal d’un nouveau Justinien, comparant son église à Sainte-Sophie de Constantinople. Par ses Enseignements, il prit aux yeux de la postérité la stature d’un «patriarche des voïévodes roumains», d’un législateur qui codifia les conceptions politiques et religieuses de son temps et la conduite d’un prince chrétien. Neagœ Basarab fut profondément influencé dès sa jeunesse par la spiritualité monastique; d’ailleurs, toute son époque était dominée par la spiritualité hésychaste. Le futur voïévode avait effectué dans ses jeunes années de longs séjours parmi les moines de Bistrita, foyer de culture monastique, semblable en importance à celui de Neamts en Moldavie. L’ex-patriarche de Constantinople, saint Niphon, hésychaste connu, fut son pédagogue et son père spirituel. Que Neagœ Basarab ait essayé lui-même de réaliser le type d’un monarque hésychaste n’est pas surprenant: à l’époque, boyards, mères, épouses et filles de voïévodes quittaient leur famille pour revêtir l’habit monastique. Despina, la femme de Neagœ Basarab prit elle aussi le voile monacal après la mort du voïévode en 1521.

Les Enseignements s’inscrivent dans la ligne de la spiritualité de saint Nicolas Cabasilas, une spiritualité hésychaste «adaptée» à des laïcs. Neagœ Basarab croit donc à la possibilité pour chacun d’atteindre la perfection chrétienne sans quitter le monde et sans se retirer dans la solitude, tout en exerçant ses propres fonctions, depuis le voïévode jusqu’au plus humble de ses sujets. Au terme d’une vie pourtant courte, déjà affaibli par la maladie et voyant sa mort proche, le pieux voïévode voulut laisser à son fils et à la postérité un guide de conduite, qui soit comme un testament reflétant l’expérience de sa propre vie, au cours de laquelle il s’est efforcé «non seulement de gouverner son royaume, mais aussi d’aimer le Seigneur de toute son âme par des bonnes œuvres». Si la première partie de son livre est adressée spécialement à Théodose et à ceux qui lui succéderont à la tête de l’état, leur présentant les grandes lignes de sa conception de la monarchie de droit divin, dans la deuxième partie les thèmes se multiplient, et en sa qualité d’«oint de Dieu», le voïévode s’adresse à tous, mû par un grand amour. Ce qui l’intéresse le plus, c’est que chacun vive selon la volonté de Dieu, en conformité avec ses commandements qui conduisent à la perfection personnelle et au salut éternel.

Œuvre au contenu essentiellement spirituel et moral, les Enseignements fondent leur argumentation sur une théologie biblique et patristique dans la ligne la plus fidèle à la tradition orthodoxe; l’auteur puise abondamment dans l’Ancien Testament, dans les Évangiles et les Pères de l’Église. Certaines sentences de l’auteur, témoignant d’une haute expérience spirituelle, mériteraient d’être insérées dans une collection philocalique.


Extrait d'un article paru dans la revue «LUMIERE DU THABOR» n° 27

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