Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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mercredi 11 juillet 2012

Démocratie et Orthodoxie

"La démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres" (W. Churchill)


"Nous, français, très souvent nous confondons démοcratie et réρublique.
 Les espagnols, les anglais, les belges, les hollandais les scandinaves n'ont pas de leçon de démocratie à recevoir de nous et pourtant le régime politique auquel ils adhèrent très majoritairement est un régime monarchique et non pas républicain. 
En Grande-Bretagne comme en Espagne et en Belgique, la monarchie est dite parlementaire en ce sens que le chef du gouvernement, nommé par la reine ou le roi, est responsable devant le Parlement. Élisabeth II, Juan Carlos, Albert II sont les représentants de l'État au titre de Chefs de l`État, ce sont des arbitres, et les garants de la continuité des institutions. La Grande Bretagne, la Belgique, l'Espagne sont des démocraties non républicaines, des monarchies démocratiques, et inversement il existe des républiques autoritaires, voire dictatoriales et corrompues à un point tel qu'on ne peut parler de démocratie à leur sujet. Le fait même qu'on puisse qualifier de bananières* certaines républiques prouve qu'il ne suffit nullement qu'un régime soit républicain pour que l'on ait affaire à une démocratie. 

Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d'Αndré Lalande définit le mot démοcratie : État politique dans lequel la souveraineté appartient â la ιοtalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité. Le mot vient du grec δημοκρατία, (= souveraineté du peuple) qui lui-même est composé de δημος /dêmοs (= peuple) et κράτος / kratοs, pouvoir, souveraineté. Toutefois, le mot dêmos évoque la notion plus restrictive de citoyens (la citoyenneté n'étant pas fοrcément donnée à toute la population.


Nous devons relativiser le concept de démocratie en nous référant au fait que l'Église n'est pas une démocratie, non point parce qu'elle ne le serait pas encore et qu'elle serait appelée à le devenir. A l'instar de l'Église romaine et à la différence du Protestantisme, l'Orthodoxie a un sacerdoce hiérarchique et sacramentel qui n'est pas une délégation reçue des fidèles, mais l'autorité, issue de l'ordination, permettant au prêtre et à l'évêque de célébrer et d'assurer à la communauté la garantie du témoignage apostolique. L'Église n'est pas la simple congrégation d'hommes adhérant à l'Évangile, une communauté indifférenciée, de type charismatique. Loin de vouloir donner en exemple quelques cas exceptionnels, l'Église a parfois pris position contre une approche trop démocratique de l'élection au sacerdoce. C'est ainsi que le 13° canon du Synode de Laodicée a formulé l'interdiction suivante : "On ne doit pas laisser á la foule l'élection de ceux qui sont destinés au sacerdoce". Qu'il soit catholique-romain ou orthodoxe, un prêtre n'est pas un pasteur dans le sens que les protestants donnent à ce mot pour désigner leurs ministres. Un pasteur protestant en retraite est comparable à un douanier ou à un instituteur retraité. Un prêtre est sacerdos in aeternum."
*A l'origine il s'est agi de pays peu développés, dont l'industrie reposait sur la seule production de bananes, et étaient dirigés par une petite ploutocratie autoritaireP. André Borrely

vendredi 1 juin 2012

"MYSTÈRES" orthodoxes vs "SACREMENTS" catholiques


"[...] Présenter le mystère comme un problème irrésolu voire insoluble, c'est l'appauvrir et le réduire péjorativement. Au contraire, dans la Tradition ininterrompue de l'Église il y a dans l'idée de mystère l'évocation d'une surabondance ineffable, infinie, sans fond. […] Dans la préférence latine pour le mot sacrement, il y a quelque chose de la propension de notre mentalité occidentale à hypertrophier la pensée rationnelle et juridique au point de dessécher l'intelligence symbolique du sacrement en insistant exagérément sur la catégorie juridique de validité. On est tenté de réduire le sacrement à ce qu'on pourrait appeler le minimum indispensable pour qu'il soit valide. On tient alors pour secondaire tout ce qui entoure le rite sacramentel proprement dit, tout ce qui n'est pas indispensable à la validité du sacrement et que l'on tient pour une simple ornementation, une cérémonie. On en arrive alors à réduire le baptême à un ondoiement et à donner la divine communion, en dehors de la célébration de la divine liturgie, à des gens qui ne sont pas malades. En outre, le mot sacrement n'est pas, à lui seul, capable de suggérer la totalité de ce qui est à dire lorsque nous voulons parler du baptême, de l'huile des malades, etc... 
[...] 
Tandis que les Latins disent sacramentum, l'Église de langue grecque préfère le mot mystèrίοn/μuστηριον. Ce terme vient du verbe myô//μνω dont le sens est fermer les yeux ou la bouche, en tant qu'organes de transmission ou de regard des réalités cachées. Le mot désigne une réalité secrète, une cérémonie religieuse secrète.[...] 
Mystérion est beaucoup plus profond que sacramentum, dans la mesure oú il suggère le grand mystère de notre salut, le plan de Dieu pour sauver le monde, le dessein de Dieu en relation avec le salut de l'homme demeuré tout d'abord caché et impénétrable, puis révélé et réalisé en Christ.[...] "
POUR LIRE ce passionnant article de P. André* dans son entier cliquez ICI

*Père André Borrely (Que Dieu lui accorde de nombreuses années pour qu'il exerce, pour le plus grand bien de notre édification, son ministère apostolique !) fait partie de ces personnes précieuses et irremplaçables qui comme Geronda Placide Deseille et Jean-Claude Larchet ont une connaissance approfondie des Lettres classiques, ce qui fait d'eux de brillants et ardents confesseurs. Ils sont une grâce de l'infinie miséricorde de Dieu pour notre communauté orthodoxe francophone ! Gloire à Dieu !

dimanche 5 février 2012

"Ne restons pas à la surface des Écritures" : De la nécessité de la "fidélité littérale"

La valeur de la pratique littérale selon Maurice Blondel
par P. André Borrely

"Pour intituler ce paragraphe, j'aurais pu emprunter à saint Isaac le Syrien une très belle formule : Ne restons pas à la surface des Écritures. Il y a, dans L'Action de 1893, une notion que l' œcuménisme gagnerait grandement à redécouvrir et à placer au centre même de ses préoccupations si du moins celles-ci visent non pas l'union des Églises, mais l'unité de l’Église. C'est ce que Blondel appelle une fidélité littérale (p.405). Il parle également, et pour le donner en exemple, du fidèle de la lettre (p.409). La grande tentation, la grande faiblesse de l'homme d'aujourd'hui est sans doute de croire qu'il doit purifier l'esprit de la lettre tenue pour inévitablement assujettissante. Mais la lettre, c'est ce que je lis dans le Nouveau Testament, ce sont les tropaires de l'Office byzantin que chante cette chaire de théologie qu'est la chorale de l'église. Et ce que Blondel appelle la pratique littérale consiste notamment à ne pas essayer de contourner la lettre, de l'interpréter de telle manière qu'on finit par la vider de sa substance. Celui que Blondel appelle le fidèle de la lettre, c'est le chrétien qui refuse de ne voir dans la lettre qu'hyperbole poétique ou orientale, c'est celui qui renonce à énerver le texte, au sens étymologique de ce verbe, c'est-à-dire à lui enlever son nerf, sa force, en cherchant à donner au texte une signification prétendument spirituelle consistant notamment à désincarner l'esprit, ce qui est le moyen par excellence de tourner le dos à la mentalité sapientielle des hommes de la Bible. Pour ne prendre qu'un exemple, je n'ai jamais compris comment le protestantisme peut concilier la théologie de la Sola Scriptura dont, sauf erreur de ma part, fait partie intégrante l'épître aux Éphésiens, et nier que le mariage chrétien soit un mystère sacramentel. Loin de nous aliéner, la lettre, parfois choquante, brutale, surprenante, nous permet pourtant d'accéder à la liberté véritable, si peu que nous nous y soumettions en voyant en elle la condition nécessaire de notre divinisation. Concrétisons ces affirmations à partir de quelques textes d'abord néotestamentaires, ensuite extraits de l'Office byzantin.


 Texte n°1 : Jn. 1, 12-13
A tous ceux qui l'ont accueillie, elle leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, aux croyants en son Nom, elle qui fut engendrée non point des sangs*, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

Il s'agit de la Parole. Les plus anciens témoins du texte du Prologue ne sont que quatre, mais deux d'entre eux datent du 2ème siècle (Tertullien et saint Irénée de Lyon), un troisième est un manuscrit latin du 4ème siècle, et un quatrième est une version syriaque. Ces quatre témoins ont le singulier et non pas le pluriel. On a de bonnes raisons de penser que le singulier est le texte véritable dans la mesure où il est le plus antique. D'autre part, nous savons qu'Irénée, à travers Polycarpe de Smyrne - ville qui n'est pas loin d’Éphèse, où saint Jean a achevé sa vie - se situait dans la filiation spirituelle remontant à l'Apôtre préféré du Seigneur.

Le prologue du quatrième évangile nous dit ici que si l'homme consent à recevoir par la foi le Fils de Dieu consubstantiel et coéternel au Père et au saint Esprit, et cependant devenu l'un de nous, il reçoit du Fils une participation à la génération éternelle du Fils par le Père. Seule est intelligible la lecture littérale de l'expression devenir enfants de Dieu, dès lors que le texte relie étroitement cette expression à l'affirmation que la Parole incarnée est engendrée de Dieu de toute éternité. Le mot enfant doit être pris au pied de la lettre, c'est-à-dire qu'il doit être compris comme une participation divinisante à la génération éternelle du Fils par le Père.

La Parole divine venue ici-bas épouser notre humanité n'est pas engendrée par la chair et le sang, mais directement par Dieu le Père dès avant les siècles. Et les hommes qui consentent à croire en elle ont deux générations : une génération charnelle, au sens biblique de cet adjectif, c'est-à-dire coupée de Dieu, et une génération divinisatrice qui les délivre de la chair et du sang. Engendré de toute éternité par le Père, le Fils, lorsqu'il naît ici-bas, ne saurait être engendré par un père terrestre, humain.. C'est bien ce qu'indique d'une autre manière Matthieu lorsqu'il achève ce que j'aime appeler le livret de famille de Jésus en disant : ...Jacob engendra Joseph, époux de Marie, de laquelle naquit Jésus appelé le Christ (Mt 1,16). Engendré de toute éternité par le Père, le Λόγος devenu l'un de nous ne peut être ici-bas le fils que de Marie et Joseph l'époux de celle que l'hymne acathiste appelle 1' épouse inépousée : Νύμφη Ανύμφευτε."

Note :
*Le langage de l'auteur du Prologue johannique exprime les croyances des hommes de l'Antiquité qui pensaient que la conception de l'homme s'effectuait par le mélange du sang paternel avec celui de la mère.

jeudi 2 février 2012

Du peu de considération réelle de l'Église latine pour St Grégoire Palamas


Voici encore un extrait de l'article de Père André Borrely qui montre encore une fois, avec certes un total esprit d'amour mais avec fermeté et précision, qu'il y a une incompatibilité durable et protéiforme entre théologie latine et théologie orthodoxe, et que tout œcuménisme sincère et honnête doit, de manière incontournable, passer par ces distinctions fondamentales et ... savoir quoi en faire !


"L'évêque d'Hippone et le métropolite de Thessalonique
Dans l'article que j'ai intitulé le bienheureux Augustin, et non pas saint Augustin, j'ai tenté d'expliquer pourquoi le monde orthodoxe a éprouvé et éprouve encore un certain embarras, une certaine hésitation devant l’œuvre de l'évêque d'Hippone. Pour l'Orthodoxie, la glorification d'un chrétien ou d'une chrétienne les chrétiens d'Occident, toujours plus à l'aise dans un langage plus juridique, disent : canonisation – ne saurait être qu'une affaire d 'héroïcité des vertus : encore faut-il que le saint ou la sainte ait été exemplaire par la rectitude de sa pensée sur Dieu, de sa théologie, ce dernier terme étant compris dans un sens fondamentalement sapientiel qu'indique Evagre le Pontique quand il écrit : Si tu es théologien, tu pries vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien. Et beaucoup plus près de nous, le P. Cyprien Kern définissait la chorale qui chante dans l'église comme une chaire de théologie.

L'essence de la sainteté, pour l'Orthodoxie se situe dans un certain τρόπος ύπαρξης dans un certain mode d'existence, d'une part irréductible à l'héroïcité de l'expérience morale, si admirable et vénérable soit-elle, et d'autre part, ce mode d'existence présuppose une expérience de la théologie comprise non point comme une science mais en tant qu'elle est synonyme de sagesse et de prière.

Mais si l'évêque d'Hippone a mis et continue à mettre mal à l'aise le monde orthodoxe, inversement, saint Grégoire Palamas (1296-1359), métropolite de Thessalonique de 1347 à 1359, n'a jamais été accepté par l'Occident chrétien comme saint et ce refus ne semble pas intéresser le mouvement œcuménique : le protestantisme n'avait pas encore vu le jour lorsque s'opposèrent palamisme et thomisme, et le catholicisme campe sur ses positions médiévales en la personne de théologiens de valeur comme J-M. Garrigues op., Le Guillou (qui se dit par ailleurs ouvert au dialogue œcuménique avec l'Orthodoxie), J-M.R.Tillard; auteur, pourtant, de trois beaux ouvrages – Église d’Églises. Coll. Cogitatio fidei, n°143. Ed. du Cerf. Chair de l’Église, chair du Christ. Aux sources de l'ecclésiologie de communion. Ibidem, n°168; L’Église locale. Ibidem, n°191 dans lesquels Tillard développe une ecclésiologie qui rapproche de l'Orthodoxie la théologie catholique de l’Église. Si les termes d'embarras, d'hésitation peuvent suggérer le refus opposé par le monde orthodoxe à la théologie augustinienne, on pourrait dire que le refus de la théologie palamite par le catholicisme, et a fortiori par le protestantisme, peut être exprimé par le mot allergie. Mais cette dernière est allée plus loin que l'embarras ou l'hésitation à l'égard de saint Augustin. Car, outre l'hostilité envers Palamas, de l'Occident chrétien, augustinien puis thomiste, il y a eu un courant antipalamite au sein même du monde orthodoxe. Le métropolite de Thessalonique aurait pu s'appliquer à lui-même dans une certaine mesure la remarque du Christ en Lc 4, 24 :... aucun prophète n'est accueilli par sa patrie.


Dans son livre La théologie des énergies divines, des origines à saint Jean Damascène Jean-Claude Larchet remarque que la Dogmatique du P. Justin Popovitch ne mentionne jamais saint Grégoire Palamas ni la distinction entre l'essence divine totalement transcendante et imparticipable, et les énergies divines et incréées.

Les marxistes diraient qu'il y eut une alliance objective entre la théologie orthodoxe universitaire d'une certaine époque et, pour des raisons différentes mais finalement convergentes, la théologie catholique qui, elle, continue à rejeter Palamas. Cette tradition anti palamite occidentale n'est pas sans conséquences sur la tiédeur de plus d'un orthodoxe en face de l'engagement dans le mouvement œcuménique. Et ce que J-C. Larchet déplore à juste titre dans l' œuvre de Justin Popovitch, je l'avais moi-même déploré en 1973, en lisant et relisant la Dogmatique de l'Eglise orthodoxe-catholique de Panayotis N. Trembelas. En 1959, les deux premiers tomes de l'ouvrage de Trembelas furent publiés à Athènes par la Fraternité des théologiens ζωή, En 1961, le troisième et dernier tome fut publié par la Fraternité des théologiens Σωτηρ. Les trois volumes furent traduits par Dom Pierre Dumont osb et publiés en 1966 aux Editions de Chevetogne.

Lorsque, au sortir du maquis, le futur Père Cyrille s'en alla à Athènes pour faire des études de théologie en vue de la prêtrise, il eut comme professeur P.N.Trembelas. Or, dans les 1630 pages de la traduction française de cet ouvrage, Trembelas ne cite Palamas que trois fois et uniquement dans le premier volume. Mais le plus intéressant est de noter que le même auteur, dans les trois mêmes volumes se réfère 183 fois au Bienheureux Augustin !* Ainsi donc, le jeune hiéromoine qui arriva de Grèce en 1951 pour se mettre -au service de la paroisse orthodoxe grecque de Marseille avait encore tout à apprendre au sujet du plus grand théologien du Moyen-âge byzantin qu'il allait devoir commémorer chaque année, le deuxième dimanche du Grand Carême, sans qu'à Athènes on ait cru devoir l'y préparer en lui expliquant pourquoi l’Église orthodoxe célèbre, ce jour-là, la glorification du métropolite de Thessalonique.
Mais lorsque, dans les années 70, un de ses paroissiens et futur confrère** dévorait tout ce qui lui tombait sous la main dans le domaine de l'Orthodoxie et des Pères grecs, sans aucun mérite de sa part et ne s'étant donné la peine que de naître 18 ans plus tard, il avait l'avantage sur l'étudiant athénien des années 50 de pouvoir ne lire qu'en 1973 la Dogmatique de Trembelas, et d'abord, en 1969, le bel ouvrage du P. Jean Meyendorff : Introduction à l'étude de Grégoire Palamas.
A ce propos, il est significatif que, dans l'Eglise melkite catholique, on ait supprimé l'office célébré en l'honneur de saint Grégoire Palamas par les Eglises orthodoxes, et qu'on l'ait remplacé par un office en l'honneur des saintes reliques."***

Notes de M. le m. :
*C'est moi qui souligne. C'est le même courant occidentalisant néfaste pour l'Orthodoxie qui a produit tant de douteuses voire fausses  icônes au style saint-sulpicien sans rapport avec la tradition orthodoxe, qui a malheureusement  touché la théologie. On peut constater jusqu'à quel point cette influence, sous prétexte de dialogue interconfessionnel ,  peut être préjudiciable à l'Orthodoxie puisqu’elle peut créer dans le sein même de l’Église un courant anti-orthodoxe qui lui fait perdre toute spécificité et la dénature.
*C'est de lui-même dont parle ici P. André
*** C'est également moi qui souligne. La latinisation des églises orientales est plus insidieuse et profonde qu'il n'y paraît (au regard superficiel d'amateurs ne voyant que couleurs locales et orientalismes), transformant par toutes sortes de détails l'authentique spiritualité orientale en variante exotique locale de la théologie catholique romaine toujours vue comme princeps.


dimanche 2 octobre 2011

QU'EST-CE QUE L'ORTHODOXIE ? par Père André BORRÉLY

"Pour être pleinement orthodoxe,
 la théologie, inséparable de la sagesse et de la prière,
 exclut deux comportements hélas fort répandus : le dualisme et le juridisme".

 On nous montre encore, une fois de plus, une rencontre "fraternelle" entre le Pape et un hiérarque orthodoxe, en nous vantant les progrès de  la réconciliation qui s'accomplissent chaque jour davantage entre l' 'Orient' et l' 'Occident' chrétien comme s'il s'agissait d'une vieille querelle aux effets jadis mortels quelquefois et souvent dérisoire dans son contenu eu égard aux idéaux d'universalité non seulement souhaitable mais désormais obligatoire et à la quantité de choses qui nous sont communes. On nous trompe en insistant sur le  plan psycho-historique à propos de vieilles blessures devant être enfin cicatrisées et sur le plan juridictionnel à propos d'arrangements raisonnables et équitables de pouvoir de juridiction  d'églises enfin "sœurs". Il ne s'agit pas de cela, c'est beaucoup plus profond que cela. Bien sûr, culturellement, géo-politiquement, il y a  une nécessaire communication à cultiver et à approfondir, une communauté à conforter, une solidarité à entretenir, un front commun à constituer et à renforcer vu les contextes d'affaiblissement du "Christianisme" avec la sécularisation, la dissolution totale de la morale, la confusion des valeurs, la multiplication des sectes, l'activisme de l'Islam, la multiplication des persécutions morales et physiques à travers le monde entier etc. Bien sûr, il vaudrait mieux que l'on entende "Voyez comme ils s'aiment..."
Mais cette union, cette réunion, cette unité, qu'on l'appelle comme on veut, (au fait ne s'agirait-il pas plutôt de communion entre frères ?) entre chrétiens ne sera que de surface si elle ne se fonde pas sur le roc de la foi authentique partagée par tous, et si les erreurs profondes, qui ne mènent depuis des siècles qu'à la confusion des esprits, à la dénaturation de la doctrine, au relativisme personnel ou communautaire aveugle, et pour finir à l'hérésie et à la perdition des âmes, et si donc ces erreurs mortelles ne sont pas corrigées à temps et à contre-temps. 
Bien heureusement nous avons des serviteurs de Dieu comme le Père André à qui l'on ne peut reprocher d'avoir des comptes à régler mais qui bien au contraire aiment l'homme - tous les hommes - autant que leur foi et leur Dieu, et qui, bien qu'à la retraite de leur service à l'autel, ne cesseront de témoigner jusqu'à leur mort avec toute leur intelligence et toute leur  foi de la Vérité. Lisez son article

  
"Le dualisme est responsable d'une multitude de déchirures que l'œcuménisme est jusqu'ici impuissant à raccommoder. Si les chrétiens sont désunis, c'est bien parce qu'ils ont introduit la division entre la sainte Écriture et la Tradition, entre la parole et les rites sacramentels, entre les clercs et les laïcs, entre l'autorité et la liberté, entre la foi et les œuvres, entre le corps et l'âme, entre la pensée et la vie, entre la connaissance et l'amour, entre la foi et la raison, entre la philosophie et la théologie, entre les réalités spirituelles et les choses sensibles, entre le terrestre et le céleste, entre le temps et l'éternité, entre la contemplation et l'action, entre la nature et la personne, entre la nature et la grâce, ou entre la nature et le surnaturel. Et ce dualisme paraît s'être prolongé dans la société déchristianisée avec la théorie marxiste de la lutte des bourgeois et des prolétaires. On peut même se demander s'il n'y a pas quelque chose de cela dans un certain féminisme.

Quant au juridisme, c'est un fait bien établi que la propension du droit est de nous donner un pouvoir: avoir un droit, c'est détenir un pouvoir. Le droit nous habilite à revendiquer, à exiger, au besoin par la contrainte, ce qui nous est dû. Le droit constitue une barrière qui s'oppose aux empiètements d'autrui sur notre individualité. Il délimite la sphère en laquelle nous pouvons agir en toute indépendance sans que notre activité puisse être entravée par autrui. En outre, le droit est essentiellement rationnel. Il se fonde sur l'esprit humain en tant que faculté d'ordre et puissance normative, comme raison qui légitime notre action et rend ses conditions moralement et socialement exigibles. La mentalité juridique nous accoutume inévitablement à une objectivation des situations existentielles, elle développe en nous la propension à substituer à l'indétermination dynamique de la vie, à l'unicité de l’évènement survenu dans la vie personnelle, des modèles de vie définitifs et impersonnels se référant à l'objectivité du cas général. Plus une théologie est juridique, plus elle tend à rationaliser le mystère, moins elle est capable de réconcilier la pensée et la vie, la science et la sagesse, la connaissance et l'amour, et, plus généralement, toutes les réalités que divise la mentalité dualiste. Les Byzantins furent toujours étrangers au présupposé occidental selon lequel l'Église est une institution divine dont l'existence interne pourrait être définie de façon appropriée en des termes juridiques. Les concepts juridiques ne sauraient épuiser la réalité la plus profonde de l'Eglise. Et c'est l'honneur et la grandeur de l'Orthodoxie d'avoir toujours témoigné de cette manière de sentir la vie en Christ."  LIRE LE TEXTE intégral > ICI
(extrait d'un article du Père André Borrély "Qu'est-ce que l'Orthodoxie ?" in Orthodoxes à Marseille bulletin n°138 sept-oct 2011 - abonnement (20 euros) par chèque bancaire à l'adresse : 1 rue Raoul Ponchon 13010 Marseille)

dimanche 27 mars 2011

Augustinisme et recomposition de l'Eglise Une, par P. André Borrely - De l'Augustinisme [fin]

       Conclusion :

" Il y avait dans l’œuvre d'Augustin une systématisation, durcie par la polémique antipélagienne, qui portait en germe les hérésies de la prédestination, de l'arbitraire divin, arrachant les élus à la massa damnata, à la massa perditionis. Des systèmes théologiques ont été édifiés, qui n'étaient plus de simples opinions théologiques n'engageant à l'époque que leurs auteurs parce que l'Eglise n'avait pas encore pris position, mais de véritables hérésies. Toute une présentation augustinienne du christianisme, a été sans doute pour beaucoup dans l'athéisme qui, désormais, imprègne en profondeur notre culture et notre civilisation. St Augustin embarrasse peut-être autant le Catholicisme que l'Orthodoxie. Car, si l'erreur de l'Église latine fut de se laisser imprégner par l'augustinisme, ce fut toujours son honneur d'en rejeter les formes hérétiques qu'il a prises après la mort de St Augustin : Luther, Calvin, Jansénius. C'est ce que nous aurons l'occasion d'approfondir dans les articles qu'avec l'aide de Dieu nous publierons encore sur la concupiscence de la chair, c'est- à-dire sur la sexualité et le corps, sur la nature et la grâce, sur la prédestination et la liberté humaine, sur le refus de l'apophatisme, bref, sur tous les thèmes augustiniens au sujet desquels les chrétiens engagés dans l' œcuménisme feraient bien de tenter de recomposer l'unité au lieu de perdre leur temps à dévoyer l'unité de l'Église en une union des Églises." 
(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
 et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

mardi 22 mars 2011

Le péché originel (4) De l’Immaculée conception par P. André Borrely - De l'Augustinisme [7]


"Sur la théologie augustinienne du péché originel, qui a amené l'Eglise catholique-romaine au dogme de l'Immaculée Conception, il ne faut pas chercher de réflexion critique dans l'œuvre de Maurice Blondel. Sur ce chapitre, le philosophe d'Aix s'est trouvé, mutatis mutandis, dans une situation précritique un peu comparable à celle de Kant reconnaissant que le scepticisme empiriste du philosophe anglais David Hume l'avait réveillé de (son) sommeil dogmatique. Né en 1861, c'est-à-dire 7 ans seulement après que le pape Pie IX eût défini le dogme de l'Immaculée conception, et mort en 1949, c'est-à-dire quelques mois avant que le pape Pie XII ne définisse le dogme de l'Assomption, Maurice Blondel ne s'est jamais réveillé de ce qu'en lisant Le Buisson ardent de Boulgakov, on est tenté d'appeler, à la suite de Kant, mutatis mutandis, son sommeil dogmatique. Je doute même fort qu'en ce temps-là, les deux hommes aient jamais entendu parler l'un de l'autre. Certes, Boulgakov a écrit Le Buisson ardent en août 1926, mais c'était en russe et Constantin Andronikof n'en a publié la traduction qu'en 1987. Dans La philosophie et l'esprit chrétien, le philosophe d'Aix se borne à reproduire la doctrine mariale classique de l'Eglise romaine, toujours proclamée par elle, notamment le dogme de 1854 sur l'Immaculée Conception, et qui se situe dans le contexte et la continuité de la théologie augustinienne du péché originel. Dans le premier tome de La philosophie et l'esprit chrétien publié après sa mort, en 1950, Blondel écrit, par exemple, au sujet de la Mère de Dieu: ... immaculée que n'a pas touchée le péché originel... co-rédemptrice (p. 98).Et, à la page suivante (p.99) Blondel appelle de ses vœux la définition doctrinale du dogme implicite de l'Assomption, sans se demander pourquoi les chrétiens d'Orient disent Dormition et non pas Assomption. Car les deux concepts sont loin d'être synonymes : le mot dormition indique qu'avant d'être glorifiée jusque dans son corps, la Mère de Dieu a expérimenté la mort à la suite du Christ, la servante n'étant pas plus grande que son divin Maître ; au contraire, le mot assomption, lui, reste muet quant à la question de savoir si la Mère de Dieu a connu ou non la mort, ou bien si l'Immaculée conception, telle que l'a affirmée la théologie mariale de l'Occident chrétien en 1854, a rendu inutile voire impensable la mort de celle qui, comme le rappelle Blondel, fut exempte du péché originel. De fait, la définition doctrinale formulée par Pie XII en 1950 est aussi muette que le mot Assomption.
Jusqu'à Vatican II, le Bréviaire romain, au deuxième Nocturne des matines, citait le pape Pie XII en ces terme : "Nous proclamons, nous annonçons officiellement et nous établissons comme un dogme révélé par Dieu que la Mère de Dieu immaculée, la toujours-vierge Marie, une fois accompli le cours de sa vie terrestre, a été élevée, corps et âme, à la gloire céleste" (Pronuntiamus, declaramus et definimus divinitus revelatum dogma esse. Immaculatam Deiparam semper virginem Mariam, expleto terrestris vitae cursu, fuisse corpore et anma ad caelestem gloriam assumptam.).
Le dimanche 12 décembre 2004, je me trouvais en Ukraine, à quelque 50 km de Lviv au monastère stoudite d'Ouniv, où le P. Lev Gillet, le "moine de l'Eglise d'Orient", renouvela ses vœux monastiques entre les mains du métropolite Sheptytskyi. Le dépliant francophone que je trouvai à la librairie du monastère désignait celui-ci de la façon suivante: "La vie des moines à la Laure de la St.Assomption d'Ouniv et la naissance d'autres monastères". Fallait-il entendre Dormition et ne situer la latinisation qu'au niveau de la traduction française ou bien l'expression ukrainienne correspondante signifiait-elle elle-même Assomption et non Dormition, ce qui signifierait que la latinisation est allée plus loin? Je posai la question à Halyna Korpalo, la très gentille étudiante qui m'avait amené dans sa voiture. Sa réponse me donna toute satisfaction. En effet, m'expliqua Halyna, les Gréco-catholiques ne parlent que très rarement de Nèbovzyattya, dont le sens étymologique est: assomption (vzyattya) au ciel (nèbo) Ils parlent plutôt, notamment pour la fête du 15 août, d'Ouspènnya ou d'Ouspinnya, dont le sens est très exactement celui de Dormition. La traduction du dépliant était donc erronée et la théologie mariale des Grecs-catholiques d'Ukraine est parfaitement orthodoxe. "(à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

vendredi 18 mars 2011

Le péché originel (3) La finalité de la création de l'homme par Dieu, c'est sa divinisation par P. André Borrely - De l'Augustinisme [6]


"Nous devons présenter le péché originel aux hommes de ce temps non point comme un acte, mais comme un état pathologique: nous n'avons pas été créés pour être tels que nous le devenons par l'usage que nous faisons de notre liberté, c'est-à-dire de l'image de Dieu qui est en nous. C'est pourquoi, le baptême est conféré même aux enfants en deçà de l'âge de raison. En plusieurs endroits de l'Office des funérailles d'un enfant, l'Eglise parle des petits enfants qui n'ont rien fait de mal, de la beauté de leur pureté. Et pourtant, même pour eux, la rémission des péchés est nécessaire, c'est-à-dire la délivrance du péché originel. De là les exorcismes, que l'Eglise orthodoxe continue à pratiquer dans la première partie du baptême, celle dite du catéchuménat. Cela ne signifie pas que l'on impute la faute des ancêtres à leurs descendants, ni que l'être humain naîtrait dans une condition indue de péché par le fait que Dieu priverait l'homme de la grâce surnaturelle. 
Il y a dans l'humanité telle que nous l'expérimentons, un principe étranger à sa nature véritable, qui est le péché. La condition pécheresse et déchue est contre-nature, elle ne correspond pas à l'être authentique de l'homme. Le dessein éternel de Dieu sur l'homme est que celui-ci soit, écrit Boulgakov, empli de grâce par nature. L'homme a été créé par Dieu pour être réceptacle du saint Esprit. La finalité de la création de l'homme par Dieu, c'est sa divinisation. Et celle-ci n'est pas une action que Dieu exercerait sur l'homme, mais en l'homme, de l'intérieur même de l'homme. Boulgakov parle de notre participation personnelle au péché originel pour autant qu'il est un fait de notre liberté, et non pas seulement une nécessité. Il dit encore que le péché originel est, en chaque homme, le péché de la liberté de l’homme contre sa nature, une détermination métaphysique fautive et illégitime. Et il écrit aussi que le péché originel a pour premier effet l’infirmité de la nature, manifestée par la mortalité de l'homme. 

La Mère de Dieu mourut de mort naturelle, donc par nécessité, tandis que son Fils, dans la mesure où il était Dieu, ne mourut que parce qu'il le voulut librement, conformément au Dessein de son Père sur lui, et afin de pénétrer de part en part de sa divinité notre humanité pécheresse et déchue. En tant qu'infirmité de l'être humain, en tant que mortalité, ce que nous appelons le péché originel est invincible et inéluctable pour n'importe quel être humain si saint soit-il. Dans le cas de la Vierge Marie, le péché originel est demeuré en elle sous la forme de la mortalité, de l'infirmité de l'humaine nature qui nous amène à mourir de mort naturelle, mais le saint Esprit qui, à l'Annonciation, l'avait couverte de son ombre, coopéra avec sa liberté pour réaliser en elle une libération personnelle des péchés, ou, dit Boulgakov, une impeccabilité personnelle. La Vierge Marie porte le poids du péché originel, et simultanément l'idée d'un quelconque péché personnel est inadmissible dans son cas. La fin de l'Incarnation est essentiellement de manifester, en la divino-humanité de Jésus-Christ, la nature véritable de l'homme et la plénitude de son humanité laquelle porte alors l'image intégrale de Dieu. Le fait que Dieu se soit fait homme ne saurait être considéré comme un phénomène contingent provoqué par la chute

Le talon d'Achille de l'Augustinisme a été de faire ressortir le caractère sur-naturel de la grâce divine par rapport à l'homme. Le risque est alors de sous-estimer la profondeur de la réalité vivante de l'image de Dieu en l'homme, image de Dieu qui concerne aussi le corps et non point l'âme seulement, le risque de méconnaître la préconstruction de l'être humain pour les épousailles divines, pour la déification, la capacité de la personne humaine à attirer l'Esprit saint. La condition de possibilité de l'Incarnation exigeait que la nature humaine fût théophore, c'est-à-dire porteuse de Dieu, capable de porter Dieu. Le péché, accompli dans la liberté, agit sur l'homme d'une manière immanente à sa nature : en ne se soumettant pas au Dessein de Dieu sur lui - c'est cela, essentiellement, le péché, l'homme provoque en lui-même une catastrophe ontologique, qui entraîne une nécessité contre sa nature véritable, celle qui est voulue pour lui par Dieu. Ce qui est naturel, pour l'homme, c'est l'état de justice originelle, c'est ce que l’homme doit être, et non point ce qu'il est de fait devenu dans sa condition pécheresse et déchue."(à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

mercredi 16 mars 2011

Le péché originel (2)- un contresens sur le texte grec ! De l'Augustinisme [5] par P. André Borrely


"Aux hommes de ce temps, nos frères, nous devons dire que nous concevons les relations de l'homme avec Dieu comme une communion avec ce qui dépasse la nature de la personne humaine dans la mesure où celle-ci, intelligente, libre, et capable d'aimer, est créée à l'image de Dieu et pour lui ressembler. Or, seule cette intelligence libre et personnelle peut commettre le péché. Lorsqu'elle se rebelle contre Dieu, la personne humaine, abusant de sa liberté, a le terrible pouvoir de déformer et de pervertir la nature elle-même de l'homme. Elle peut le faire dans la mesure où elle est douée par Dieu de liberté. Le péché est toujours un acte personnel, le résultat de l'usage que la personne humaine fait de sa volonté et de sa liberté, il n'est jamais celui de la nature. Le patriarche Photios va même jusqu'à penser que la croyance en un péché de nature est une hérésie. Il convient de rejeter l'idée de faute héréditaire. Cependant, on ne saurait nier l'unité de l'humanité: la passion d'un père pour l'alcool ou d'une femme enceinte pour le tabac ou les joints,prépare de fréquentes visites chez le médecin pour l'enfant engendré dans un tel contexte biologique. Notre nature humaine subit les conséquences du péché de nos ancêtres. Cependant, ni le péché originel ni le salut en Christ ne peuvent être réalisés dans la vie personnelle d'un homme ou d'une femme sans engager leur responsabilité personnelle et libre.

Mais un paradoxe saute alors aux yeux: devant certains textes bibliques, c'est la théologie orthodoxe qui convient le mieux, voire qui seule convient aux résultats de tout le travail scientifique des Occidentaux, notamment des exégètes protestants allemands, et, dans l'Eglise romaine, de cet homme admirable et vénérable que fut le P. Lagrange. Si retardataires qu'ils soient dans le domaine des études bibliques, parfois même rétrogrades et conservateurs, les Orthodoxes sont, en ce qui concerne la théologie du péché originel, selon le mot de Malebranche, des pygmées montés sur des épaules de géants (les Pères grecs, et le plus grand de tous: saint Isaac le Syrien) que l'homme d'aujourd'hui peut accepter ou, tout au moins, respecter.

Examinons d'un peu près le verset 12 du chapitre 5 de l'épître aux Romains, en partant du texte grec, le seul reconnu par toutes les confessions chrétiennes comme inspiré et normatif, et le seul que lisaient les chrétiens d'Orient. Je citerai ensuite le texte latin le seul que lisaient les chrétiens d'Occident qui ne comprenaient plus le grec depuis longtemps. Voici d'abord le texte grec : 

"Διὰ τοῦτο ὥσπερ δι’ ἑνὸς ἀνθρώπου ἡ ἁμαρτία εἰς τὸν κόσμον εἰσῆλθεν καὶ διὰ τῆς ἁμαρτίας ὁ θάνατος, καὶ οὕτως εἰς πάντας ἀνθρώπους ὁ θάνατος διῆλθεν, ἐφ’ ᾧ πάντες ἥμαρτον " 

Voici maintenant, le texte latin tel que saint Augustin le lisait à son époque : 

"Propterea, sicut per unum hominem peccatum in hune mundum intravit et per peccatum mors, et ita in omnes homines mors pertransiit, in quo omnes peccaverunt. "

Vous remarquerez que dans le texte grec comme dans le texte latin j'ai souligné les mots ἐφ’ ᾧ et in quo. C'est pour mettre en évidence quelque chose d'admirable mais aussi de surprenant, pour ne pas dire d'inquiétant. En effet, parce que ce sont d'excellents savants, les chrétiens d'Occident ont compris, depuis des décennies, que la Vetus latina, - c'est-à-dire l'une ou l'autre des versions antérieures à la révision du texte latin entreprise et réalisée par saint Jérôme -  qu'utilisait saint Augustin, avait fait un contresens sur les mots grecs que j'ai soulignés :
ἐφ’ ᾧ est une contraction entre επι et le pronom 
relatif  , et signifie ici : parce que, le   grec étant le pronom relatif au neutre tandis que le quo latin est le pronom relatif au masculin. L'Imprimatur de l’Épître aux Romains du P. Lagrange dans la collection Etudes bibliques, chez Lecoffre-Gabalda, date du 12 novembre 1915 avec la formule réglementaire d'autrefois dans l'Eglise romaine : Superiorum permissu, avec la permission de la hiérarchie. Or, commentant ce verset, le P. Lagrange écrivait - en 1915! - ἐφ’ ᾧ ne peut signifier « dans lequel », mais seulement «parce que ». Il est inutile d'insister sur ce point, reconnu par les exégètes catholiques les plus autorisés. (p. 106). La bonne traduction du texte grec, le seul normatif, est donc la suivante :

"Voilà pourquoi, de même que c'est par un seul homme que le péché a fait son entrée dans le monde et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a atteint tous les hommes..."

Dès 1915, un exégète de l'envergure de Lagrange avait reconnu que la Vetus latina utilisée par saint Augustin avait fait un contresens sur le texte grec, et pourtant on n'en a pas tiré, s'agissant de la théologie du péché originel, la conséquence qui eût consisté à tenir aux hommes de ce temps non plus un langage augustinien devenu pour eux désormais inintelligible, mais un tout autre message, à savoir que les descendants d'Adam ne sont pas pour autant tenus pour coupables, à moins que, comme Adam, ils ne commettent le péché. 
Même s'ils n'ont pas la foi, nos contemporains éprouveront du respect pour elle si nous leur disons qu'on ne naît pas coupable, mais qu'on le devient pour autant que l'on pèche volontairement et librement. Paraphrasant le célèbre adage latin: Nascuntur poetae, oratores fiunt, on naît poète, mais on devient orateur" on pourrait dire: Nascuntur innocentes, peccatores fiunt, on naît innocent, mais on devient pécheur.  "
(à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

lundi 14 mars 2011

Le péché originel (1)- De l'Augustinisme [4] par P. André Borrely


"En ce 21ème siècle, il suffit d'ouvrir son poste de télévision pour savoir que notre humanité est âgée au minimum de 200.000 ans et que si l'on s'entête à vouloir lire les onze premiers chapitres du livre de la Genèse, comme si c'étaient des livres historiques, on se ridiculise en effectuant, sans s'en rendre compte, un saut vertigineux de quelque 190000 ans entre ceux qu'en grec on appelle les πρωτόπλαστοι, c'est-à-dire, littéralement ceux qui furent les premiers à être modelés, Adam et Ève, et leurs descendants immédiats dont il est question ensuite dans les passages du livre de la Genèse rédigés par ce qu'on appelle le Priester Codex, ou la source sacerdotale, ou encore le chroniqueur généalogiste, alors que l'histoire d'Adam et d’Ève appartient à la source yahviste ou document J. Dès lors, si l'on veut que la Révélation de Dieu à l'humanité soit intelligible à nos contemporains, nous devons commencer par tenir compte du genre littéraire auquel appartient le livre biblique dont on vient de lire, à l'église, tel ou tel extrait et que l'on a choisi de commenter. 
Que dirions-nous de quelqu'un qui se mettrait en quête de l'acte de baptême de Dimitri et d'Ivan Karamazov, ou songerait à faire des recherches sur le curé d'Ambricourt auprès de l'évêque d'Arras ou de Lille ? Autrement dit, il est stupide de faire des livres de Jonas, de Tobie, de Job et de Daniel ou bien des onze premiers chapitres du livre de la Genèse des textes historiques qui appartiendraient au même genre littéraire que les deux livres de Samuel, les deux livres des Rois ou le premier livre des Maccabées. Quand ils mangent du fruit défendu, Adam et Eve ne sont ni David ni Bethsabée. Adam et Eve ne sont pas Monsieur Adam et Madame Eve. Vouloir à tout prix chercher dans la Bible une protohistoire, une astronomie ; une géographie compatibles avec nos actuelles connaissances scientifiques, sous prétexte que la sainte Ecriture est l'œuvre divino-humaine du saint Esprit et de l'homme, c'est méconnaître gravement le fait qu'il n'y a pas erreur lorsqu'il n'y a pas enseignement, mais seulement opinion, voire acceptation non contrôlée de conceptions universellement répandues, lorsque l'affirmation incriminée n'est erronée qu'à un point de vue complètement étranger au centre d'intérêt effectif de l'écrivain, centre d'intérêt que l'on doit lui-même apprécier en fonction des lecteurs auxquels il s'adresse. Il m'est arrivé d'entendre tel membre du clergé orthodoxe soutenir l'historicité de Jonas avec, comme argument majeur, le fait que, dans l’Évangile, le Christ se réfère à ce personnage comme à un personnage historique. Mon interlocuteur oubliait simplement que, pour être en droit de reprocher à quelqu'un de ne pas s'être exprimé sur un sujet avec exactitude, il faut qu'il ait eu l'intention et le devoir de le faire, compte tenu des préoccupations de ses contemporains. 
Les onze premiers chapitres du livre de la Genèse ne sont pas des livres historiques mais mythiques. Et qu'on n'aille pas entendre ici le mot mythique en un sens péjoratif. Le langage mythique est un effort entrepris par l'imagination humaine, non point pour exprimer mais afin d'évoquer, pour suggérer de manière très concrète, imagée, symbolique, des vérités d'ordre métaphysique. Alors que nous, hommes et femmes du 21ème siècle, nous forgerions des idées abstraites et générales telles que condition humaine, libre-arbitre, culpabilité, transcendance, humanité, les hommes de la Bible, qui sont des sémites et appartiennent à une culture fondamentalement sapientielle, préfèrent le symbole nécessairement concret, au concept inévitablement abstrait. Ils vont donc inventer une histoire qu'il ne faut surtout pas prendre pour historique.

Le ou les auteurs du récit de la chute ont voulu nous dire : Voilà ce qu'était l'humanité pour Dieu quand il créa le monde, et voilà ce qu'elle est en fait

Or, saint Augustin et tout le monde chrétien, Orient et Occident confondus sur ce point - et encore un certain nombre de nos textes liturgiques - ont très longtemps traité le thème de la chute originelle comme s'il s'était agi de Monsieur Adam et de Madame Ève. Mais alors, comment continuer de présenter une théologie du péché originel qui a pu faire dire au professeur Willy Rosenbaum : la vie est une maladie sexuellement transmissible et constamment mortelle. Tout être humain, a-t-on longtemps enseigné, vient au monde en état de péché du seul fait qu'il appartient à la descendance de Monsieur Adam et de Madame Ève.

La théologie augustinienne du péché originel va se répandre comme une traînée de poudre dans tout l'Occident chrétien. Poursuivant ma parabole ferroviaire, je serais tenté de dire qu'après la gare de la Blancarde, l'omnibus s'emballe en direction de Nice à la vitesse d'un TGV, ce qui ne va pas sans un certain nombre de déraillements. Ce qu'on appelle le mouvement œcuménique évoque alors ces équipes d'ouvriers travaillant sur la voie ferrée, l'un d'eux signalant avec un cor ou une trompette le passage imminent d'un convoi. Plus précisément, le mouvement œcuménique me fait songer à une équipe d'ouvriers de la SNCF qui ne parviendraient pas à rétablir le trafic après une ribambelle de déraillements. Afin d'expliquer le fait scandaleux de la mort, parfois atroce, des enfants, saint Augustin croit pouvoir apaiser sa faim et sa soif de comprendre en se référant au péché originel et en inventant les limbes. Un enfant mort-né et innocent, que le vicaire de la paroisse en route pour le domicile n'a pas eu le temps de baptiser parce que sa vieille voiture a un problème de boîte de vitesse, cet innocent ira en un lieu situé entre l'enfer et le paradis, duquel la souffrance est absente, mais qu'y a-t-il de moins chrétien que l'idée selon laquelle l'homme pourrait n'être pas malheureux lors même qu'il vit en dehors de la présence de Dieu? Une ecclésiologie statique qui limite l'Eglise à ses limites visibles, institutionnelles et conceptualisables aboutit alors à l'idée selon laquelle seul un baptisé peut espérer obtenir la rédemption.
Voici plutôt le discours qu'il convient de tenir à nos contemporains, non point, certes, pour les caresser dans le sens du poil, pour être dans le vent, mais parce que c'est la foi de l'Eglise indivise : la mort et le péché sont anormaux et contre nature pour l'homme créé à l'image de Dieu et pour lui ressembler. Ce qui est normal pour l'homme, naturel, au sens de conforme à sa nature véritable, c'est d'être entièrement ouvert et consentant à l'action divine et divinisante, à la déification. Le fait que l'homme soit une créature est la cause de son imperfection et de sa possibilité de déchoir. En revanche, la déification signifie la plénitude de la nature humaine. Parce qu'il est créé à l'image de Dieu et pour lui ressembler, tout en étant créature, c'est-à dire imparfait et capable de déchoir, l'homme est accessible à la déification.

L'homme n'est pas un centaure dont la bestialité serait couverte par la grâce, par la sur-nature, par un don divin surajouté à sa nature. Et si l'on s'écarte de cette façon de comprendre l'homme, on ne comprend plus comment le Fils unique engendré du Père, le Λόγος a pu s'incarner en une humanité qui, par sa nature, ne lui serait pas conforme, qui ne serait pas préconstruite pour le recevoir. Le Verbe s'est fait chair ne signifie pas qu'il s'est fait centaure, mais homme ! L'humanité que le Fils ne Dieu a épousée fut une humanité qui, dès lors qu'elle était de part en part pénétrée par la divinité, put révéler sa capacité à n'être pas bestiale, concupiscente, mortelle. Et si l'humanité du Christ fut celle-là, ce ne fut pas seulement en raison du fait que le Christ ne commit jamais aucun péché personnel, mais en raison de la nature même de cette humanité pleinement capable de divinisation. L'homme tel que le Créateur l'a pensé de toute éternité et l'a finalement manifesté en son Fils devenu l'un des hommes, cet homme n'est ni concupiscent ni mortel. Si le Christ est mort c'est qu'il a voulu mourir, et il n'a pu mourir que d'une mort violente, non naturelle."(à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

dimanche 13 mars 2011

"LE SCHISME ne fut pas d'ordre essentiellement conceptuel, mais existentiel"- De l'Augustinisme [3] par P. André Borrely

Une parabole ferroviaire

Losrsqu'à Marseille, à la gare Saint-Charles, vous montez dans un train sans interrompre la lecture du roman policier qui vous captive, il peut vous arriver de vous demander si vous n'avez pas fait erreur en montant dans ce train plutôt que dans celui qui sur le quai d'à côté est lui aussi sur le départ: est-ce bien le train qui, passant par Arles, Avignon et Valence m'amènera à Lyon où je désire me rendre? Ou bien est-ce celui qui, passant par Aubagne et Toulon me conduira à Nice où je n'ai rien à faire? Durant quelques centaines de mètres parcourus lentement par les trains au départ, ce doute est concevable; mais, si vous vous êtes trompé de train à cause de Simenon, avant même d'arriver à la gare de la Blancarde vous aurez compris que le train aiguillé en gare de Marseille, se dirige vers Nice et non pas vers Lyon. Et si le train est un express, il vous faudra aller jusqu'à Toulon d'où vous devrez revenir à Marseille et là fermer enfin le roman de Simenon. Je propose cette parabole parce qu'elle me paraît susceptible d'expliquer l'embarras des Orthodoxes devant l'évêque d'Hippone. Quand un couple échoue et se sépare, le divorce prononcé par le juge n'est que l'aboutissement d'une période, parfois très longue, au cours de laquelle l'amour, telle une plante que l'on n'a pas arrosée, a fmi par se dessécher et mourir. Le, la, ou les responsables de la négligence ont commencé parfois depuis des années, voire des décennies, à assoiffer ou à affamer l'amour. Saint Augustin meurt avant que le train passe en gare de la Blancarde, mais nous qui sommes arrivés à Aubagne, Toulon, Saint Raphaël, Cannes ou Nice, nous savons ce que ne pouvait prévoir l'évêque d'Hippone. Celui-ci ne pouvait prévoir que de lui, de son œuvre sortiraient des fils et des petits-fils compromettants, voire très compromettants. Mais la responsabilité d'Augustin fut tout de même engagée en ce sens que ne seraient jamais sortis des flancs d'un Basile, d'un Maxime le Confesseur ou d'un Grégoire Palamas, non seulement Luther et Calvin, Baïus et Jansénius, mais aussi Thomas d'Aquin et Descartes, Malebranche et Leibniz, et Pascal qui, dans l'affaire de Port-Royal et la querelle janséniste, restera fidèle jusqu'au dernier moment à la doctrine augustinienne. Sans l'avoir voulu, sans avoir pu le prévoir de nombreux siècles auparavant, l'évêque d'Hippone fut, pour l'Occident chrétien, une source. On n'insistera jamais assez sur ce fait fondamental que le schisme qui a séparé l'Occident de l'Orient chrétien ne fut pas d'ordre essentiellement conceptuel, mais existentiel. Ce qui nous sépare, désormais, ne s'apprend pas dans les livres, c'est un mode d'existence différent, une manière différente d'expérimenter la vie en Christ. Et si le mouvement œcuménique tourne en rond, c'est parce qu'on méconnaît complètement cela qui est pourtant le fond du problème. Nous vivons désormais dans une société où le discours chrétien ne prend plus, dans le sens où on dit d'un vaccin ou d'une greffe qu'ils ont ou n'ont pas pris.
Et les chrétiens engagés dans le dialogue œcuménique devraient réfléchir, plus qu'ils ne le font, sur les causes qui ont engendré cette culture athée. Nietzsche était né dans une famille de pasteurs luthériens, Feuerbach avait commencé par faire des études de théologie. Renan avait été séminariste à Saint-Sulpice. Le petit père Combes avait entrepris une préparation à la carrière ecclésiastique, se plongeant notamment dans les œuvres, devinez de qui... de s.Augustin! Et, en remontant dans le temps, notamment sous la Révolution et le premier Empire : Sieyès était entré au Séminaire de Saint-Sulpice, ordonné prêtre sans vocation, Vicaire Général de Chartres à la veille de la Révolution à laquelle il se rallie, et fait une carrière politique sous le Directoire, le Consulat et l'Empire; Talleyrand fut évêque d'Autun sans vocation avant de quitter l'Eglise ; Fouché avait reçu les ordres mineurs avant de devenir conventionnel, et il serait facile, hélas, de continuer la liste jusqu'à Joseph Staline !" (à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)



                   

mercredi 9 mars 2011

La solitude de l'évêque Augustin d'Hippone [3] par P. André Borrely

"Il y a une double solitude, une solitude à deux niveaux, de l'évêque d'Hippone.
  La première solitude est due au fait que s. Augustin est un Européen d'Occident. Il vécut à l'époque où commence à s'approfondir le fossé qui rompt l'unité de la civilisation méditerranéenne et finira par séparer jusqu'à nos jours l'Orient grec de l'Occident latin. Parce que la patrie d'Augustin est, de nos jours, terre d'Islam, les descendants actuels des compatriotes de l'évêque d'Hippone se sentent plus près du Caire, de la Mecque, voire de Karachi, ou, pour certains, de l'Afghanistan. Mais à l'époque de St Augustin, l'Afrique du Nord était une terre latine. La langue de culture d'Augustin et aussi sa langue maternelle, fut le latin. Certes le grec était inscrit au programme des écoles, mais Augustin s'ennuyait éperdument en classe de grec. Du grec il retint à peu près ce que nos bacheliers retiennent du latin. Que le futur docteur prestigieux de l'Occident chrétien n'ait pas réussi à apprendre le grec a été un échec catastrophique du système pédagogique de la romanité tardive. Pour ne prendre qu'un exemple, au moment où Augustin compose son traité De Trinitate, l'absence d'ouvrages rédigés en latin sur le dogme trinitaire était à peu près complète. Ce que Tertullien, Novatien, Foebade d'Agen, Hilaire de Poitiers et finalement Ambroise de Milan avaient publié pour expliquer le sens de la foi de l'Eglise en la divine Trinité, était très inférieur à ce qu'à la même époque avaient produit sur ce sujet s.Athanase, s.Basile, s. Grégoire de Nazianze, s. Grégoire de Nysse, Didyme. Or, ces ouvrages demeuraient en très grande partie inaccessibles aux Latins qui ne comprenaient plus le grec. Un tout petit nombre seulement de ces ouvrages avaient été traduits. La première solitude de s Augustin fut donc de pâtir de l'isolement qui, peu à peu, s'instaura entre l'Occident et l'Orient chrétiens. Et son second niveau de solitude se situe dans le fait que s. Augustin est un évêque et un théologien, un pasteur et un penseur auquel son génie, sa forte personnalité, son intelligence donnent une autorité et une supériorité écrasantes sur tous les évêques et théologiens latins de son temps, c'est-à-dire Ambroise de Milan (339-397), Léon le Grand (400-461), Prosper d'Aquitaine (vers 440), Jean Cassien (360-435), Paulin de Nole (355-431), Jérôme (347-420), Martin de Tours (316 ou 317-397), Hilaire de Poitiers (vers 315-367), Marius Victorinus (milieu du 4ème siècle). Et, un peu comme le pape commence à apparaître comme un évêque à part, de même, tandis que l'Orient d'alors compte beaucoup de grands théologiens parmi ses évêques", l'évêque d'Hippone apparaît comme un homme seul face à eux. Si donc, dans l'œuvre d'Augustin se rencontrent des théologoumènes (opinions théologiques privées, qui n'engagent pas l'Eglise une et sainte) qui n'engagent que lui et que les évêques d'Orient ne se sont jamais sentis tenus en conscience d'adopter, le poids de ces théologoumènes sera d'autant plus lourd et possédera d'autant plus la capacité de creuser un fossé entre l'Occident et l'Orient chrétiens. Et si l’œcuménisme actuel peut être considéré comme très en-dessous de la tâche qui devrait être la sienne, c'est essentiellement parce qu'on ne voit même pas que subsiste un fossé qui, dans ces conditions, a encore de beaux jours devant lui. Un Orthodoxe qui aujourd'hui, s'exprime en français est, si je peux dire, obligé de parler latin alors qu'en grec c'est souvent une autre théologie qui est exprimée. Quand il prononce les mots: absolution, ordination, Monseigneur, immaculée, péché originel, etc. il parle latin et court alors souvent le risque de penser aussi en latin, c'est-à-dire selon les présupposés de la théologie occidentale que l'Orthodoxie n'a jamais prise en charge Si donc c'est la recomposition de l'unité doctrinale des chrétiens qu'on recherche, il faut remonter jusque-là dans le passé de l'Eglise."(à suivre)

(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
 et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)

lundi 7 mars 2011

La sainteté de l'évêque Augustin d'Hippone embarrasse les Orthodoxes [2] par P. André Borrely


"Pour nous préparer à examiner les points sur lesquels nous avons tous à nous convertir, ouvrons le Grand livre d'Heures du P. Denis Guillaume (Diaconie apostolique, 1989), et parcourons l'index alphabétique des saints vénérés par l'Eglise orthodoxe. Et voilà que St Augustin est absent ! Si nous consultons la table alphabétique générale contenue dans le sixième tome du Synaxaire. Vies des Saints de l'Eglise orthodoxe dont l'adaptation française est l’œuvre du hiéromoine Macaire du monastère athonite de Simonos-Petras (1996), nous finissons bien par trouver St Augustin mais d'une telle manière que nous nous posons la même question qu'en constatant son absence dans le Grand livre d'Heures de Denis Guillaume. Car, à la date du 15 juin, nous avons d'abord le prophète Amos, ensuite des disciples de saint Paul, puis un certain nombre de martyrs; l'archevêque Siméon de Novgorod ; trois higoumènes; le prince de Serbie Lazare, deux patriarches de Serbie; les néo-martyrs de Serbie; puis St Jérôme et en tout dernier lieu, Augustin, évêque d'Hippone. Quand on sait la place considérable qu'a occupée St Augustin, quand on songe que son génie exerça sur ses contemporains une véritable fascination qui dure encore', le fait qu'il ne soit mentionnée qu'en tout dernier lieu fait ici problème autant que son absence chez le p. Denis. Je ne connais aucune église orthodoxe placée sous le patronage de saint Augustin. Dans le Calendrier du Patriarcat Œcuménique pour 2010 (p. 909), qui publie la liste de tous les métropolites du Trône œcuménique, seul le métropolite d'Allemagne porte le nom d'Augustinos. Toujours selon le même ouvrage, aucun évêque auxiliaire du Trône ne porte actuellement ce nom. En 27 ans de ministère, je n'ai jamais eu à baptiser un Augustin et je ne me souviens pas d'en avoir rencontré parmi les Orthodoxes nés de parents originaires des pays de tradition orthodoxe. En outre, si l'on rencontre l'expression saint Augustin, on trouve aussi le bienheureux Augustin ou tout simplement Augustin. Lorsqu'il s'agit de l'évêque d'Hippone, il y a donc, dans le monde orthodoxe, un embarras que je voudrais tenter d'expliquer."(à suivre)
(article paru dans la revue "Orthodoxes à Marseille" n°134 de déc.-janv. 2010-2011
 et retranscrit par Maxime le minime avec la permission de Père André Borrely)
 

jeudi 20 janvier 2011

L'altérité orthodoxe [5] suite

  le mariage, la confession...par Père André Borrely

S'agissant du mariage, certains chrétiens considèrent que ce n'est pas un mystère sacramentel, nonobstant ce qu'en dit saint Paul dans l'épître aux Ephésiens. D'autres soulignent l'importance du fait que le mariage est un contrat en justice officialisé par la présence d'un ministre qui n'est pas nécessairement le président de la célébration eucharistique mais peut être un diacre. Et d'autres chrétiens encore célèbrent le mariage selon le même rite que celui des ordinations, mettant ainsi l'accent sur l'invocation ecclésiale du saint Esprit afin qu'il viepne diviniser l'amour humain.
Un autre exemple nous est fourni par la confession. Ce qui caractérise l'approche orthodoxe de l'éthique, c'est, me semble-t-il le refus de concevoir le péché essentiellement comme une transgression de la loi divine, ecclésiastique ou civile, mais plutôt de le comprendre comme un échec existentiel, une perte de la vraie vie, une maladie. En grec chrétien, le péché se dit ἁμαρτία. Or, le verbe ἁμαρτανο, auquel correspond le substantif ἁμαρτία, a pour premier sens celui de manquer le but. Pour l'Orthodoxie, le péché ne relève pas d'abord de l'éthique, encore moins de l'ordre juridique ou de la sphère d'existence sociale, mais,. de l'ontologie. Les catégories majeures ne sont pas le licite et l'illicite, ce qui est permis et ce qui est interdit, mais la vérité de l'existence humaine, la réalité existentielle de l'homme, de l'identité de son être d'homme. L'éthique orthodoxe comprend le péché comme un comportement qui fissure l'être de l'homme dans la mesure où, alors qu'il a pour destinée d'être divinisé, d'exister selon le mode d'existence du Dieu tri-personnel, l'homme expérimente l'échec des épousailles divines. A la différence de l'Occident, l'Orient chrétien n'a pas connu l'hypertrophie du sentiment de culpabilité, la maladie du scrupule, la hantise de la damnation, la peur de soi et de Dieu. Ce qui est en question, c'est de savoir si l’homme réussit ou au contraire renie et rate sa vérité et son authenticité existentielle. Un Orthodoxe pense assez spontanément que le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi. On peut être très vertueux mais en ne possédant qu'une vertu sans amour. Il y a une manière d'être pur qui rend l'homme dur. Le péché est un comportement qui confère au néant une paradoxale consistance. C'est une aliénation et une altération de l'existence humaine, de l'être de l'homme en tant que convié à la déification. L'éthique orthodoxe expérimente le péché comme un évènement existentiel, une tragique aventure en laquelle est engagée l'intégrité de la vie de l'homme véritablement humain. La lecture que les orthodoxes font de l’Évangile, par exemple du passage du quatrième évangile sur la femme adultère, suppose que ce qui est constitutif de l'être même de Dieu, ce n'est pas la justice mais l'amour. La confession sacramentelle est considérée comme une démarche de guérison et non point comme une comparution devant le tribunal de la pénitence. Dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, le prêtre qualifie le Christ de Médecin de nos âmes et de nos corps. Un autre texte liturgique appelle la Vierge, la Mère du Médecin. Et lorsqu'il accueille un pénitent, le prêtre orthodoxe lui dit: « Courage, ne me cache rien, tu doublerais tes péchés, tu es venu vers le Médecin, crains de repartir non guéri. » Le Christ n'est pas un juge mais un médecin, et le confesseur n'est' qu'un infirmier ou un aide-soignant, nullement un auxiliaire de justice. On peut se demander si la déchristianisation de l'Occident ne doit pas être recherchée dans un certain christianisme qui en était arrivé à dramatiser le péché et à hypertrophier le sentiment de culpabilité, la mauvaise conscience, au point d'accorder au pessimisme et à l'angoisse bien plus de place qu'au pardon.


Pour ceux qui ne voudraient pas attendre la parution des extraits les uns après les autres  vous pouvez Lire ici directement la suite de : L'altérité orthodoxe.