L'altérité orthodoxe [5] suite

  le mariage, la confession...par Père André Borrely

S'agissant du mariage, certains chrétiens considèrent que ce n'est pas un mystère sacramentel, nonobstant ce qu'en dit saint Paul dans l'épître aux Ephésiens. D'autres soulignent l'importance du fait que le mariage est un contrat en justice officialisé par la présence d'un ministre qui n'est pas nécessairement le président de la célébration eucharistique mais peut être un diacre. Et d'autres chrétiens encore célèbrent le mariage selon le même rite que celui des ordinations, mettant ainsi l'accent sur l'invocation ecclésiale du saint Esprit afin qu'il viepne diviniser l'amour humain.
Un autre exemple nous est fourni par la confession. Ce qui caractérise l'approche orthodoxe de l'éthique, c'est, me semble-t-il le refus de concevoir le péché essentiellement comme une transgression de la loi divine, ecclésiastique ou civile, mais plutôt de le comprendre comme un échec existentiel, une perte de la vraie vie, une maladie. En grec chrétien, le péché se dit ἁμαρτία. Or, le verbe ἁμαρτανο, auquel correspond le substantif ἁμαρτία, a pour premier sens celui de manquer le but. Pour l'Orthodoxie, le péché ne relève pas d'abord de l'éthique, encore moins de l'ordre juridique ou de la sphère d'existence sociale, mais,. de l'ontologie. Les catégories majeures ne sont pas le licite et l'illicite, ce qui est permis et ce qui est interdit, mais la vérité de l'existence humaine, la réalité existentielle de l'homme, de l'identité de son être d'homme. L'éthique orthodoxe comprend le péché comme un comportement qui fissure l'être de l'homme dans la mesure où, alors qu'il a pour destinée d'être divinisé, d'exister selon le mode d'existence du Dieu tri-personnel, l'homme expérimente l'échec des épousailles divines. A la différence de l'Occident, l'Orient chrétien n'a pas connu l'hypertrophie du sentiment de culpabilité, la maladie du scrupule, la hantise de la damnation, la peur de soi et de Dieu. Ce qui est en question, c'est de savoir si l’homme réussit ou au contraire renie et rate sa vérité et son authenticité existentielle. Un Orthodoxe pense assez spontanément que le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi. On peut être très vertueux mais en ne possédant qu'une vertu sans amour. Il y a une manière d'être pur qui rend l'homme dur. Le péché est un comportement qui confère au néant une paradoxale consistance. C'est une aliénation et une altération de l'existence humaine, de l'être de l'homme en tant que convié à la déification. L'éthique orthodoxe expérimente le péché comme un évènement existentiel, une tragique aventure en laquelle est engagée l'intégrité de la vie de l'homme véritablement humain. La lecture que les orthodoxes font de l’Évangile, par exemple du passage du quatrième évangile sur la femme adultère, suppose que ce qui est constitutif de l'être même de Dieu, ce n'est pas la justice mais l'amour. La confession sacramentelle est considérée comme une démarche de guérison et non point comme une comparution devant le tribunal de la pénitence. Dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, le prêtre qualifie le Christ de Médecin de nos âmes et de nos corps. Un autre texte liturgique appelle la Vierge, la Mère du Médecin. Et lorsqu'il accueille un pénitent, le prêtre orthodoxe lui dit: « Courage, ne me cache rien, tu doublerais tes péchés, tu es venu vers le Médecin, crains de repartir non guéri. » Le Christ n'est pas un juge mais un médecin, et le confesseur n'est' qu'un infirmier ou un aide-soignant, nullement un auxiliaire de justice. On peut se demander si la déchristianisation de l'Occident ne doit pas être recherchée dans un certain christianisme qui en était arrivé à dramatiser le péché et à hypertrophier le sentiment de culpabilité, la mauvaise conscience, au point d'accorder au pessimisme et à l'angoisse bien plus de place qu'au pardon.


Pour ceux qui ne voudraient pas attendre la parution des extraits les uns après les autres  vous pouvez Lire ici directement la suite de : L'altérité orthodoxe.

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