par Annie WELLENS
Il m’arrive de converser avec des interlocuteurs dont le maître mot, destiné à clore toute discussion, est l’étymologie. « Etymologiquement parlant »… cette formule devient le critère exclusif de vérité. Certains ne se tiennent plus de joie d’avoir ainsi découvert que « pécher » signifie « rater sa cible ». D’un seul coup, des siècles de pédagogie culpabilisatrice leur glissent des épaules. Ils regardent alors d’un air de commisération ceux qui avouent décliner encore le verbe « pécher » à tous les temps, sinon à tous les modes.
Familiers de la sagesse biblique, les exégètes font jouer la symphonie des interprétations quand ils approchent un mot. Les militants de la seule racine hébraïque ou grecque n’en ont cure et ne retiennent que le mot à mot d’une langue à une autre. Par une sorte de fondamentalisme souterrain - puisqu’ils se situent à la racine, au pied de la lettre, pour ne pas dire à sa botte - ils proclament l’existence d’un vocable totalement pur, vierge des façons de le vivre et de le transmettre.
Constatant à juste titre que des mots ont le malheur de se pétrifier ou de s’engluer dans une tradition qui se veut plus importante que ce qu’elle transmet, ils devraient veiller d’autant plus à ne pas reproduire ce mécanisme. Meurtris par une façon de dire, ils la remplacent par une autre. Les enfants battus deviennent souvent des parents battant.
Les traducteurs de la Bible ont l’humilité de signaler par une note l’obscurité résistante de quelques textes tout en proposant leur interprétation. On leur doit la forte image du « péché tapi comme une bête » à la porte de Caïn [
1]. L’obscurité du mystère du mal ne saurait être éclairée par la seule évocation du tireur maladroit. J’imagine mal Caïn disant à sa victime : « Pardonne-moi, mon frère, j’ai raté ma cible ! » Ou alors il faut imaginer Abel expirer en murmurant : « Plût à Yahvé que ce fût vrai ! Etymologiquement parlant. »
Chronique parue dans La Croix, le 11 janvier 1999.