Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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dimanche 19 avril 2020

CHRIST EST RESSUSCITÉ !

La signification de la résurrection des corps

 par Jean-Claude Larchet

«Le tropaire de Pâques dit que le Christ « par Sa mort a vaincu la mort » et saint Jean Chrysostome y voit « la mort de la mort ». La mort qui signifiait avant cela l’anéantissement de toute chose devient elle-même un néant ; elle cesse d’être une fin pour devenir le simple point de passage d’un mode de vie à un autre.
Quant aux martyrs, ils nous donnent l’exemple de chrétiens qui, par la foi dans le Christ et l’union étroite à Lui, ont dépassé la peur de la souffrance et de la mort. Elles n’ont plus de pouvoir sur eux, ni le diable ni le péché qui agissent en s’appuyant sur elles. Ils les affrontent non seulement de plein gré, mais de bon gré.

Mais cela, chaque chrétien est appelé aussi à le réaliser par la vie ascétique (que certains Pères qualifient de martyr progressif et non sanglant): elle nous apprend à nous familiariser avec la souffrance (dans les peines volontaires de l’ascèse que nous recherchons – comme le jeûne, les veilles, le travail fatigant, et toutes les formes de renoncement –, ou dans les peines involontaires que cette existence terrestre nous impose – comme les maladies – mais que nous acceptons de bon gré); elle nous apprend aussi à nous familiariser avec la mort (dans ce que les Pères appellent la « mémoire de la mort », mais aussi dans le processus de mortification du « vieil homme » [Rm 6, 6; Eph 4, 22]; Col 3, 9] qui est l’homme soumis, par le biais de ses passions, aux déterminismes biologiques et sociologique […]
La résurrection signifie positivement pour l’homme la possibilité de vivre éternellement en Dieu dans tout son être – âme et corps. Cette vie, qui sera celle des justes après le Jugement, peut et doit être anticipée: dans l’Église, nous pouvons vivre les prémices du Royaume des cieux à la mesure de notre développement spirituel en Christ. On voit comment chez les saints le corps témoigne déjà ici-bas d’une nouvelle vie, donnée par la présence en lui des énergies divines (dont les icônes et les reliques manifestent le rayonnement et la force).

Grâce à la résurrection future, la mort n’est pas une fin définitive de la vie spirituelle que nous menons ici-bas avec tout notre être, ni le commencement d’un mode de vie définitif sans le corps. Elle ne rompt pas fondamentalement la continuité de la vie spirituelle que nous commençons à mener ici-bas dans l’Église. La vie dans le Royaume ne sera pas une vie radicalement nouvelle, mais une restauration et un renouvellement (de la vie de l’âme avec le corps) et un accomplissement (de la vie spirituelle qui trouvera alors sa plénitude).  
Dieu fera « toute chose nouvelle » (Ap 21, 5), il y aura alors « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65, 17; Ap 21, 1), nous ne pouvons pas vraiment comprendre à partir de notre condition déchue actuelle ce que sera notre vie future, mais seulement en avoir des aperçus. À la Résurrection nous retrouverons notre corps (et non un corps étranger) mais il existera selon un mode nouveau, du fait notamment qu’il sera moins matériel, plus subtil, et ne sera plus soumis aux déterminismes spatio-temporels auxquels sont soumis dans le monde actuel toutes les choses matérielles. Il ressemblera au corps qu’avait Adam à l’origine (ce que nous ne pouvons pas non plus précisément connaître) et au corps qu’avait le Christ ressuscité, lequel avait des propriétés surnaturelles puisqu’il pouvait se trouver en plusieurs lieux à la fois, parcourir en un instant de grandes distances, ou franchir les portes closes ou les murs (Jn 20, 19 et 26)…

Ce corps qui sera aussi le nôtre est ce que saint Paul appelle le « corps spirituel » en le distinguant du corps psychique ou animal (cf. 1 Co 15, 35-50). »

Jean Claude LARCHET (source)

Grandes Vêpres 18h00 (heure de Moscou) 19/04/2020 LE CHRIST EST RESSUSCITÉ !!! 

DIFFUSION EN DIRECT. En direct Pâques La brillante résurrection du Christ. Grandes vêpres. Service de streaming en direct: Monastère Sainte-Élisabeth, Minsk. Le chœur monastique du monastère chante.

mardi 12 novembre 2019

L'Ancien de Patmos Saint Amphiloque Makris

Introduction par JeanClaude Larchet :
"Chaque année, chaque Église orthodoxe locale canonise un certain nombre de personnes qui sont déclarées saintes, c'est à dire qui sont considérées comme ayant accompli en sa perfection la vie chrétienne. Le Père Amphiloque a été canonisé récemment, mais constamment il y a une reconnaissance de l'Église par rapport à de nouveaux saints qui sont des gens qui en général étaient connus, parfois moins connus et il y a aussi des gens qui ne sont pas officiellement reconnus par l'Église et dont la sainteté demeure secrète. C'est un processus qui accompagne la vie spirituelle de l'Église en permanence…".



Entretien avec JEAN CLAUDE LARCHET sur la vie et l'enseignement d'Amphiloque Makris (né Athanase le 13 février 1889-1970), tonsuré le 27 août 1906, fondateur de monastères et revivificateur du monachisme à Patmos et dans les îles du Dodécanèse de la  Mer Égée, reconnu en 29 août 2018 comme saint par le patriarcat œcuménique de Constantinople.



L'Ancien Amphiloque fondateur du monastère de l'Annonciation à Patmos et de ses dépendances ; un père spirituel dont la renommée attire de nombreuses personnes du monde hellénique et de toute l'Europe ; l'esprit missionnaire au cœur de l'enseignement du p. Amphiloque ; promoteur d'un monachisme ouvert et accueillant ; plusieurs canonisations de pères spirituels du 20e siècle sont prévues par le patriarcat de Constantinople (Daniel de Katounakia, Jérôme de Simonos Pétra, Joseph l'Hésychaste, Éphrem de Katounakia, Sophrony Sakharov). 
A lire Ignace Triandis, L'Ancien de Patmos Saint Amphiloque Makris (1889-1970), éditions des Syrtes, 2019 écrit par le Métropolite Ignace en 1994, traduit en français par Isabelle Tambrun-Kamaroudis dans la Collection Grands spirituels orthodoxes dirigée par Jean-Claude Larchet. Parution 2019 Préface de Jean-Claude Larchet
Musique diffusée : extrait de la liturgie solennelle célébrée le 19 septembre 2018 au monastère de l'Annonciation de Patmos à l'occasion de la canonisation du Père Amphiloque Makris, son fondateur.



samedi 7 juillet 2018

DIGITAL DETOX par Jean-Claude LARCHET

« Digital detox » orthodoxe: la proposition de Jean-Claude Larchet au récent colloque international sur les médias numériques et la pastorale orthodoxe

Les nouveaux médias, encore appelés médias numériques, dont les instruments sont les ordinateurs, les tablettes et surtout maintenant les smartphones et dont le contenu est principalement celui de l’Internet et des réseaux sociaux et des messages, ont envahi la vie des hommes de notre époque, en particulier celle des jeunes, dès l’âge de 10 ans, parfois moins.
Leurs capacités de communication rapide et presque gratuite, la possibilité qu’ils donnent d’accéder à tous et à tout, et la force des images que les médias numériques véhiculent, leur ont donné un pouvoir de séduction considérable. La pression sociale (notamment celle du conformisme) mais aussi l’organisation économique de la société en a fait des instruments qu’il est pratiquement obligatoire de posséder, sous peine de se voir exclu de divers groupes ou circuits sociaux, administratifs ou économiques.
Mais c’est surtout une dépendance interne, psychologique, qui s’est établie chez les utilisateurs de tous âges. Cette dépendance inquiète beaucoup de parents, car elle affecte maintenant beaucoup d’enfants. Elle est remarquée par les utilisateurs eux-mêmes, et est fortement perçue dans les cas les plus graves, qui nécessitent un traitement drastique, sous la forme notamment d’un sevrage total de longue durée et parfois d’un accompagnement psychiatrique en clinique. Mais cette addiction est souvent inconsciente dans les cas moins graves, car l’habitude a le pouvoir de faire apparaître comme normal ce qui ne l’est pas. On doit le constater : chez la plupart des utilisateurs, l’usage est devenus abus.
Dans ce colloque qui réunit des acteurs de médias orthodoxes, les médias sont présentés dans la plupart des cas d’une manière positive, comme appartenant ou devant appartenir à la vie ecclésiale, avec l’idée qu’ils sont devenus de nos jours des moteurs indispensable à l’activité pastorale et missionnaire de l’Église. Cette vision quasi paradisiaque doit cependant être tempérée. Dans la vraie vie, la consultation de sites orthodoxes occupe malheureusement beaucoup moins de place que celle des autres sites, et beaucoup de jeunes orthodoxes y restent totalement étrangers. Dans une très grande majorité de cas, les passions qui habitent l’homme déchu l’attirent vers des contenus conformes à ces passions, que ce soit dans le choix des sites visités ou dans les motivations de la communication sur les réseaux sociaux comme Facebook, où le narcissisme (que les Pères de l’Église appellent philautia) joue un rôle considérable, que ce soit dans la mise en scène de soi-même ou dans la recherche effrénée de « like » qui flattent l’ego.
J’ai publié récemment un livre de 320 pages, intitulé en français « Malades des nouveaux médias », qui a été traduit en roumain sous le titre « Captivi în Internet », et est en cours de traduction en anglais sous le titre « Addicts of modern medias ». Je montre dans ce livre, de manière très détaillée et argumentée, les effets négatifs, corrosifs et destructeurs des nouveaux médias dans les divers sphère de la vie de l’homme : psychique, intellectuelle, culturelle, sociale, relationnelle, et enfin et surtout spirituelle. Je propose aussi un certain nombre de prophylaxies et de thérapies, en particulier de nature spirituelle. Pour le présent exposé, qui doit être très court, j’ai choisi de parler seulement du jeûne et de l’abstinence, comme moyens de limiter et de contrôler l’usage des nouveaux médias, devenu dans la plupart des cas abusif et nocif.

L’Église orthodoxe a établi pour les périodes de carêmes et certains jours de la semaine ou de l’année des règles de limitation et d’abstinence concernant l’usage de la nourriture et de la sexualité.
L’une des finalités principales de ces règles est d’habituer l’esprit à contrôler les impulsions corporelles et psychiques, à réorienter et à recentrer les forces psycho-physiologiques vers la vie spirituelle, à instaurer un état de faim et de désir qui fait ressentir à l’homme sa dépendance à l’égard de Dieu et son besoin de Lui, à établir dans l’âme un état paisible qui dispose à la pénitence et favorise l’attention et la concentration dans la prière.

L’abus, devenu commun, des nouveaux medias, produit des effets contraires à ceux recherchés par le jeûne et l’abstinence : épuisement vain de l’énergie, sollicitation et dispersion extérieures permanentes, mouvement et bruit intérieurs incessants, occupation envahissante du temps, impossibilité d’établir ou de maintenir la paix intérieure, destruction de l’attention et de la concentration nécessaires à la vigilance et à la prière.
Ces effets, il faut le souligner, sont relatifs à l’usage même des nouveaux médias dès lors qu’il atteint un certain seuil, indépendamment de leur contenu. Comme la montré le grand spécialiste des medias Marshall Mc Luhan, le medium a plus d’impact que le message qu’il véhicule, au point que l’on peut dire que « le medium est le message » (« the medium is the message »). Cela ne doit évidemment pas faire oublier la question du contenu qui, lorsqu’il est mauvais, vient solliciter et alimenter les passions, et augmente encore le degré d’incompatibilité avec la vie ascétique au sens large, et nuit encore plus à la vie spirituelle.

L’Église doit prendre en compte ces circonstances nouvelles créés par notre époque, et établir des règles appropriées, accompagnant celles du jeûne alimentaire et de l’abstinence sexuelle, de manière à aider l’homme moderne, par une limitation volontaire régulière, à se libérer des nouvelles addictions qui l’enchaînent, et de manière à lui donner les moyens de mener pleinement la vie spirituelle qui convient à sa nature et qui est la condition de son épanouissement personnel véritable.
On pourrait dire que nulle règle n’est nécessaire pour cela et que des recommandations pastorales suffisent, mais on pourrait dire la même chose par rapport au jeûne alimentaire ou à l’abstinence sexuelles pour lesquelles cependant l’Église a établi des canons, et même de manière solennelle, c’est-à-dire lors de Conciles œcuméniques, pour la raison que les règles officiellement et précisément formulées ont un impact plus grand, une portée plus universelles et un caractère plus obligatoire que de simples recommandations – d’ailleurs pas toujours données – au sein d’une paroisse.

La question qui se pose est ici celle de la nature du jeûne et de l’abstinence pratiquées.
Il s’agit déjà, comme l’indique ce qui précède, de limiter le temps de connexion et de réguler strictement l’usage et le contenu des médias. Il est nécessaire d’abandonner la connexion permanente, et de limiter la connexion à une période définie dans la journée. Il convient d’abandonner les médias non nécessaires, comme les médias sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, etc.) et tous les sites de divertissement. Tous les sites Internet présentant un risque de tentations ou de mauvaises rencontres doivent évidemment être évités. Il convient de limiter aussi la connexion Internet à ce qui est strictement nécessaire pour le travail professionnel ou les études.
Les parents doivent apprendre à leurs enfants utilisateurs des nouveaux medias à pratiquer une telle limitation en leur en expliquant le sens.
Les périodes de carême sont des opportunités offertes à tous d’abandonner les relations virtuelles et artificielles des réseaux sociaux pour retrouver des relations réelles, concrètes, approfondies avec la famille et les amis, et, d’une manière générale, être plus attentifs aux personnes qui nous entourent. Ces périodes de carême sont aussi des opportunités pour redécouvrir le silence et la solitude, qui sont nécessaires à l’exercice et au développement de la vie spirituelle.
La question qui risque de fâcher, dans le contexte de ce colloque, est de savoir si l’on doit étendre la règle du jeûne et de l’abstinence des nouveaux médias aux sites orthodoxes eux-mêmes. Je ne veux pas mettre au chômage partiel la plupart des participants à ce colloque, et mon but est encore moins de limiter la présence de la parole chrétienne et ecclésiale dans un monde où elle est déjà trop peu présente.
Mais je voudrais tout d’abord faire remarquer que lors des carêmes, et surtout du Grand Carême, un certain nombre de médias orthodoxes, en particulier ceux qui ont un contenu spirituel, s’autolimitent : ils ferment leurs sites pour une période plus ou moins longue, ou du moins ralentissent et restreignent leur production.
Un telle restriction a une valeur exemplaire et témoigne à sa manière de l’existence du carême et des limitations auxquelles il invite.
Ma seconde remarque concerne la lecture. Il est vrai que, très positivement, la plupart des médias orthodoxes proposent, au moins pour une part, des lectures spirituelles, et certains sites sont même consacrés uniquement à cela. Il n’y a donc pas de raison, en principe, de limiter la production ou la consultation de tels sites, et il semble qu’on devrait même l’encourager, dans la mesure où les fidèles sont invités, pendant les périodes de carême, à faire davantage de lectures spirituelles.
Je voudrais cependant signaler ici que les études scientifiques qui ont été faites sur les modalités de la lecture sur écran montrent que ce type de lecture est à la fois très rapide et très superficiel.
Sur les écrans, les textes nous apparaissent comme des images. Pour cette raison, le texte sur écran fait l’objet, comme une image, d’un balayage en surface, le regard s’arrêtant habituellement sur quelques lignes seulement.
Une étude scientifique a montré que la plupart des gens ne lisent pas le texte ligne par ligne, comme ils le feraient pour un livre, mais sautent rapidement du haut jusqu’au bas de la page, dans un mouvement qui suit généralement la forme d’un F : ils lisent les premières lignes, descendent un peu, lisent la partie gauche de quelques lignes, puis descendent le long de la partie gauche de la page.
Une deuxième étude a conclu qu’un lecteur moyen sur le Web ne lit qu’environ 20% du texte.
Une troisième étude a établi que la plupart des pages Web sont regardées au maximum pendant 10 secondes, ce qui montre de toute évidence qu’elles ne sont pas vraiment lues.
La lecture sur écran ne s’arrête guère sur les mots ou les expressions. C’est une lecture où l’on fait peu de retours en arrière. C’est une lecture peu réflexive. C’est une lecture superfi­cielle qui ne donne guère lieu a un effort de compréhen­sion et à un effort de mémorisation.
De beaucoup de façon, le multimédia rend la relation au texte plus instable, plus légère, plus fragile, plus éphé­mère.
Les périodes de carêmes peuvent et doivent être des périodes où le temps et la qualité de la lecture peuvent être retrouvés par l’abandon des supports numériques au profit des supports imprimés et en particulier des livres qui, toutes les études le montrent, permettent une lecture beaucoup plus fructueuse que la lecture sur écran et n’a pas les inconvénients de celle-ci.

Se couper complètement des médias, quels qu’il soient, pendant les périodes de carême est une solution idéale pour retrouver l’hésychia indispensable à l’approfondissement de la vie spirituelle, qui est précisément le but principal des temps de jeûne.
Je voudrais noter en conclusion que de nombreuses cliniques privées et hôtels proposent des séjours plus ou moins longs de déconnexion totale aux prix le plus bas de 1000 euros ou 1200 dollars la semaine. L’Église orthodoxe devrait officiellement offrir cette possibilité pendant les périodes de carême, la gratuité du service étant assurée et le rendant donc accessible à tous, avec un outre un profit spirituel qu’on ne trouve pas ailleurs. L’une de ces cliniques a pour slogan publicitaire : « Déconnectez vous pour vous reconnecter. » L’Église peut reprendre à son compte ce slogan en précisant : Déconnectez vous des nouveaux medias pour vous reconnecter à Dieu et à votre prochain.

lundi 17 avril 2017

LA RÉSURRECTION ICI ET MAINTENANT par J.C LARCHET

« La victoire sur la mort est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant », une interview de Jean-Claude Larchet dans l’hebdomadaire de l’Église roumaine « Lumina de Duminica »

« La victoire sur la mort est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant », une interview de Jean-Claude Larchet dans l’hebdomadaire de l’Église roumaine « Lumina de Duminica »



« Lumina de Duminică » , version hebdomadaire du quotidien de l’Église roumaine  « Ziarul Lumina » a publié hier une interview de Jean-Claude Larchet sur le sens de la Résurrection. On en trouvera ici la version roumaine et ci-dessous la version française.
« La victoire sur la mort est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant »


  1. Mis à part le christianisme, aucune autre religion ne parle de Résurrection. Qu’est-ce que la Résurrection du Christ a représenté pour le monde antique et païen et comment les Saints Pères ont mis en lumière cet événement dans leurs écrits?
L’affirmation d’une résurrection des morts a représenté une nouveauté radicale par rapport au courant de pensée dominant du monde antique, représenté notamment par le platonisme, qui valorisait l’âme exclusivement et considérait que la vie après la mort ne pouvait être que la vie de l’âme seule, libérée du corps qui n’était pour elle qu’une prison le temps de cette vie terrestre.
L’anthropologie chrétienne a toujours considéré que l’homme est constitué d’une âme et d’un corps indissociablement, et que le corps a une valeur autant que l’âme, car il a lui aussi été créé par Dieu, porte Son image, est appelé à participer à la vie spirituelle, à recevoir la grâce divine et même à être déifié. Cette valorisation du corps en tant que constitutif de la nature humaine a été confirmée au plus haut niveau par le fait que le Verbe, le Fils de Dieu, en S’incarnant a pris non seulement une âme, mais un corps. Sa dimension spirituelle, son aptitude à être déifié sont quant à elles soulignées dès l’origine par saint Paul: « Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu? Et que vous ne vous appartenez pas? Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6, 19-20).
Cette anthropologie a non seulement été défendue par les premiers Pères de l’Église (en particulier saint Irénée) contre les courants platoniciens et gnostiques qui méprisaient le corps, mais aussi au XIVe siècle par saint Grégoire Palamas qui a fortement souligné la participation du corps à la vie spirituelle – dès ses premiers degrés, dans l’ascèse et la prière – jusqu’en son plus haut degré – la vision de Dieu–, et le fait qu’il est déifié au même titre que l’âme.
La foi en la résurrection fut quant à elle défendue par les premiers Pères, contre les intellectuels de l’époque qui la jugeaient scandaleuse et la raillaient. On en trouve une apologie développée dans le Contre Celse d’Origène, et surtout dans le traité Sur la résurrection des morts d’Athénagore.
  1. Sur la Croix la vie semblait engloutie par la mort. Mais, en Christ, la mort « en entrant en Dieu est consommée », elle se dissout en Lui, car « ne trouve aucune place pour elle là-bas ». Qu’est-ce que nous pouvons faire, en tant qu’êtres mortels, pour que la mort ne puisse plus nous toucher, pour que nous soyons semblables au Seigneur, en tant que « vases » où la mort ne trouve plus d’abri?
La victoire sur la mort n’est pas seulement, comme on le croit souvent, une victoire physique, qui se manifeste dans la résurrection future. C’est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant: le Christ sur la Croix a vaincu le pouvoir que la mort a sur nous par la crainte qu’elle nous inspire, et le pouvoir que le diable a sur nous par le moyen de cette crainte. C’est l’enseignement même de saint Paul, qui affirme que le Christ, en participant à notre nature, avait pour but « d’affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort » (He 2, 15). Et Théodore de Mopsueste et saint Jean Chrysostome en particulier ont noté que les hommes développent en eux les passions comme une tentative de vivre intensément et d’échapper à la mort, ce qui est évidemment une double illusion.
Ces idées trouvent aussi un fondement dans les paroles de saint Paul qui, face à la victoire du Christ sur la mort s’écrie: « Ô mort, où est ta victoire? où est ton aiguillon? » (1 Co 15, 55). En nous unissant au Christ, nous pouvons recevoir cette grâce qu’Il nous a acquise: non seulement dépasser la mort physique par la résurrection future, mais avant cela n’être plus dominé spirituellement par la mort, notamment à travers la crainte qu’elle nous inspire, et par là devenir libre par rapport à nos passions qui nous attachent à notre vie biologique et à ce monde.
  1. La Résurrection opère un changement fondamental dans la nature déchue, en ouvrant une possibilité énorme: la sanctification de la mort elle-même. Dans le Patriarcat roumain, l’année 2017 a été dédié à tous ceux qui ont témoigné de l’Orthodoxie durant l’oppression communiste. Comment ont-ils réussi, par le dépassement de la peur et de la douleur physique, de sanctifier leurs propres morts? Qu’est-ce que la mort a signifié pour eux?
Je ne sais pas si l’on peut parler d’une sanctification de la mort: le tropaire de Pâques dit que le Christ « par Sa mort a vaincu la mort » et saint Jean Chrysostome y voit « la mort de la mort ». La mort qui signifiait avant cela l’anéantissement de toute chose devient elle-même un néant; elle cesse d’être une fin pour devenir le simple point de passage d’un mode de vie à un autre.
Quant aux martyrs, ils nous donnent l’exemple de chrétiens qui, par la foi dans le Christ et l’union étroite à Lui, ont dépassé la peur de la souffrance et de la mort. Elles n’ont plus de pouvoir sur eux, ni le diable ni le péché qui agissent en s’appuyant sur elles. Ils les affrontent non seulement de plein gré, mais de bon gré.
Mais cela, chaque chrétien est appelé aussi à le réaliser par la vie ascétique (que certains Pères qualifient de martyr progressif et non sanglant): elle nous apprend à nous familiariser avec la souffrance (dans les peines volontaires de l’ascèse que nous recherchons – comme le jeûne, les veilles, le travail fatigant, et toutes les formes de renoncement –, ou dans les peines involontaires que cette existence terrestre nous impose – comme les maladies – mais que nous acceptons de bon gré); elle nous apprend aussi à nous familiariser avec la mort (dans ce que les Pères appellent la « mémoire de la mort », mais aussi dans le processus de mortification du « vieil homme » [Rm 6, 6; Eph 4, 22]; Col 3, 9] qui est l’homme soumis, par le biais de ses passions, aux déterminismes biologiques et sociologiques).
  1. À partir du moment de la victoire du Christ sur la mort, la Résurrection est devenue la loi universelle du monde créé, surtout pour l’homme. On pourrait dire que notre salut est garanti à 100%. Et pourtant, ce n’est pas ainsi, car nous tombons souvent dans le péché. Quel est le rôle de la pénitence, des larmes, de ce baptême d’après le baptême? Peuvent-elles faire en sorte que la Résurrection nous soit plus proche?
Attention: il ne faut pas confondre résurrection et salut. Tous les hommes, quelle que soit leur qualité spirituelle, ressusciteront (cf. Ac 24, 15), c’est-à-dire retrouveront leur corps (quoique sous un nouveau mode d’existence). Après le Jugement, certains mèneront une vie paradisiaque avec ce corps, d’autres subiront les peines de l’enfer avec ce corps. La vie éternelle est certes une grâce, mais elle sera accordée à tous les hommes; cependant, selon les choix qu’ils auront fait au cours de leur vie terrestre pour ou contre Dieu, pour certains, comme le dit saint Maxime le Confesseur, ce « toujours-être » sera un « toujours-être-bien » (celui de la vie paradisiaque), tandis que pour d’autres ce sera un « toujours-être-mal » (celui de la vie infernale).
Mais c’est effectivement à travers la purification de nos péchés (et avant tout de nos passions qui en sont la source) et à travers la pratique corrélative des vertus que nous trouvons le salut. Ces deux aspects sont contenus dans la pratique des commandements divins, qui ne sont pas des règles morales ni des lois, mais des préceptes qui nous permettent de nous assimiler au Christ dans notre mode d’existence (c’est-à-dire dans les actes, dispositions et états de tout notre être).
La pénitence joue un rôle de premier plan dans ces deux phases de la vie spirituelle, car la pénitence ne consiste pas seulement à pleurer sur les fautes passées ou présentes, mais à vouloir fermement s’améliorer dans l’avenir et dès maintenant. C’est fondamentalement un processus de conversion (ce que marque bien son nom grec, metanoia, qui signifie littéralement changement de mentalité). Ce processus (qui doit être actif en permanence) nous permet de nous désolidariser du mode de vie déchu (selon les passions et les péchés qui en découlent) pour nous attacher au mode de vie selon le Christ.
  1. Même pour les chrétiens de nos jours, la Résurrection représente plutôt une espérance, une croyance. Comment pouvons-nous faire en sorte qu’elle devienne une réalité présente dans nos âmes?
La résurrection signifie positivement pour l’homme la possibilité de vivre éternellement en Dieu dans tout son être – âme et corps. Cette vie, qui sera celle des justes après le Jugement, peut et doit être anticipée: dans l’Église, nous pouvons vivre les prémices du Royaume des cieux à la mesure de notre développement spirituel en Christ. On voit comment chez les saints le corps témoigne déjà ici-bas d’une nouvelle vie, donnée par la présence en lui des énergies divines (dont les icônes et les reliques manifestent le rayonnement et la force).
Grâce à la résurrection future, la mort n’est pas une fin définitive de la vie spirituelle que nous menons ici-bas avec tout notre être, ni le commencement d’un mode de vie définitif sans le corps. Elle ne rompt pas fondamentalement la continuité de la vie spirituelle que nous commençons à mener ici-bas dans l’Église. La vie dans le Royaume ne sera pas une vie radicalement nouvelle, mais une restauration et un renouvellement (de la vie de l’âme avec le corps) et un accomplissement (de la vie spirituelle qui trouvera alors sa plénitude).
  1. Dans votre ouvrage La vie après la mort selon la Tradition orthodoxe, vos tout premiers mots touchent au mystère de la mort, la seule chose incontournable de notre vie, dont on ne connaît ni ce qu’elle est, ni où elle nous conduit. On pourrait continuer, en s’exclamant: « Infiniment plus accablant est le mystère de la Résurrection ! » Pourquoi le Christ ne parle pas de manière plus développée sur Sa Résurrection, mais seulement annonce aux Apôtres qu’Il sera tué par les juifs et ressuscitera le troisième jour? Pourquoi n’a-t-Il pas révélé aux vivants les mystères de l’au-delà?
Parce que Dieu fera « toute chose nouvelle » (Ap 21, 5), qu’il y aura alors « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65, 17; Ap 21, 1), nous ne pouvons pas vraiment comprendre à partir de notre condition déchue actuelle ce que sera notre vie future, mais seulement en avoir des aperçus. À la Résurrection nous retrouverons notre corps (et non un corps étranger) mais il existera selon un mode nouveau, du fait notamment qu’il sera moins matériel, plus subtil, et ne sera plus soumis aux déterminismes spatio-temporels auxquels sont soumis dans le monde actuel toutes les choses matérielles. Il ressemblera au corps qu’avait Adam à l’origine (ce que nous ne pouvons pas non plus précisément connaître) et au corps qu’avait le Christ ressuscité, lequel avait des propriétés surnaturelles puisqu’il pouvait se trouver en plusieurs lieux à la fois, parcourir en un instant de grandes distances, ou franchir les portes closes ou les murs (Jn 20, 19 et 26)…
Ce corps qui sera aussi le nôtre est ce que saint Paul appelle le « corps spirituel » en le distinguant du corps psychique ou animal (cf. 1 Co 15, 35-50).
  1. Le Christ a dit : « Je suis la Résurrection et la Vie: celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25), et l’écrivain ecclésiastique Athénagore l’Athénien conclut son œuvre Sur la résurrection des morts, en disant: « S’il n’y avait pas de résurrection, l’homme ne pourrait lui-même non plus durer. » Quel est le rôle du corps, de la matière, dans le fait de la Résurrection? Le Christ est ressuscité avec Son corps, et nous, par la communion eucharistique, c’est-à-dire par Son corps ressuscité, avons la communion avec l’immortalité. Parlez-nous sur l’importance du corps au sein du christianisme.
C’est un vaste sujet, car le christianisme depuis l’origine a eu à lutter contre des courants de pensée assez forts qui dévalorisaient le corps. Pour le platonisme et pour les différents courants gnostiques de l’Antiquité, l’homme c’est l’âme seulement, ou même seulement la partie la plus noble de celle-ci l’intellect (nous en grec). Selon eux, l’homme vivait à l’origine en tant que pur esprit dans un état de perfection qu’il a perdu; sa déchéance a consisté pour lui à tomber dans le monde matériel, son âme entrant dans un corps qui est devenu pour elle une prison; la philosophie (comprise dans un sens éthique) consiste alors à détacher l’âme du corps en s’élevant par l’esprit au-dessus du monde matériel. Pour le courant gnostique (qui a pris une grande variété de formes dans l’Antiquité et jusqu’à une époque récente dans diverses sectes), la matière, et donc le corps, c’est le mal. Dès les premiers temps, les Pères se sont attaché à montrer que l’homme ce n’est ni le corps seulement ni l’âme seulement, mais les deux ensemble, indissociablement. Si Athénagore dit que « s’il n’y avait pas de résurrection, l’homme ne pourrait lui-même non plus durer », c’est parce que l’homme n’est pas durablement concevable sans son corps; le corps est une partie de l’être humain; comme le dit saint Irénée, l’homme sans son corps n’est plus vraiment homme. Les Pères soulignent que pour le christianisme, l’homme tout entier, corps et âme, est appelé à être sauvé et déifié, que le corps et la matière en général ne sont pas mauvais, mais que ce qui est mauvais c’est l’attachement passionnel à la matérialité et à l’apparence sensible des choses. Les Pères, à la suite de saint Paul n’opposent pas l’âme au corps, mais ce qui est spirituel à ce qui est charnel, or le corps et l’âme sont tous deux susceptibles d’être spirituels ou charnels, selon qu’ils sont unis à Dieu ou à ce monde.
C’est dans la théologie de saint Grégoire Palamas que le corps a été le plus fortement valorisé dans sa fonction et son destin spirituels: le docteur hésychaste souligne la forte implication du corps dans la prière et dans la vie ascétique en général, mais aussi dans la vision de Dieu et la participation à la vie bienheureuse en Dieu. Mais évidemment il n’a pas été le premier à le faire. Saint Maxime le Confesseur par exemple évoque « l’homme tout entier divinisé par la grâce du Dieu fait homme qui l’a créé, qui tout en restant homme tout entier, âme et corps, à cause de la nature, devient dieu tout entier, âme et corps, à cause de la grâce et de la divine splendeur qui lui convient entièrement, de la gloire bienheureuses au-dessus de laquelle on ne peut rien concevoir de plus sublime » (Ambigua à Jean, 7, PG 91, 1088C).
Lumina de Duminică, Pâques 2017

mardi 3 janvier 2017

Sur orthodoxie.com : Rôle de l'ATHOS aujourd'hui par JC LARCHET

Jean-Claude Larchet: Le rôle prophétique du Mont-Athos dans le monde contemporain

La conférence de Jean-Claude Larchet « Le rôle prophétique du Mont-Athos dans le monde contemporain », donnée à Moscou le 21 septembre 2016 dans le cadre des célébrations des « Mille ans de la présence russe au Mont-Athos », vient d’être publiée en russe sur le site du Département synodal des monastères et du monachisme de l’Église orthodoxe russe et sur le site du Monastère de Sretenski Pravoslavie.ru, et en anglais sur ce dernier site et sur le site Orthodox Ethos. Nous en donnons ici la version française.

Le rôle prophétique du Mont-Athos dans le monde contemporain
Le monachisme n’est au fond qu’une façon de mener la vie chrétienne avec un engagement total dans le renoncement à ce monde et la consécration de soi à Dieu. Pour cela, le monachisme est partout le même, et chaque monastère, chaque skite ou chaque ermitage constitue un lieu privilégié, un centre de référence pour la vie monastique et pour la vie chrétienne. Pour une grande part, ce qui peut être dit du monachisme peut être dit du Mont-Athos, et ce qui peut être dit du Mont-Athos peut être dit du monachisme.
Pourtant le Mont-Athos est depuis longtemps un lieu fascinant, qui attire l’attention non seulement des Orthodoxes, mais de personnes appartenant à d’autres religions et même de non-croyants. En témoignent le nombre important de livres, d’articles consacrés au Mont-Athos, mais aussi le flux incessant de pélerins et de visiteurs venus du monde entier. Cette fascination n’est pas nouvelle, mais elle est sans aucun doute plus grande à notre époque que par le passé. Il y a à cela plusieurs raisons.
1) La première raison est que le Mont-Athos est une république autonome – et pour cela comme un pays – habité seulement par des moines et entièrement consacré à la vie monastique. Bien que chaque pays orthodoxe ait au moins une région qui regroupe plusieurs monastères, il n’y aucune autre région qui regroupe un nombre aussi important de monastères, de skites et d’ermitages, et qui constitue un pays gouverné par des moines, avec une vraie frontière qui le délimite par rapport aux pays ou régions environnants. C’est une zone protégée non seulement politiquement, administrativement et géographiquement (en étant une péninsule), mais aussi spirituellement, puisque le Mont-Athos est couramment appelé « Le jardin de la Mère de Dieu » et considéré comme un lieu qui lui appartient et où elle est particulièrement présente. Par le fait qu’il est un pays entièrement peuplé de moines, qu’il ne permet pas « la libre circulation des personnes » exigées par les lois européennes, n’accepte pas l’afflux des touristes et n’accepte pas non plus l’entrée des femmes, mais étend la clôture monastique à l’échelon d’un pays, le Mont-Athos est un pays pas comme les autres.
2) Deuxièmement, le Mont-Athos est un témoignage du Royaume déjà présent parmi nous.
C’est le lieu qui abrite les plus nombreuses et importantes reliques du monde orthodoxe. Ces reliques y rendent présents et actifs par leurs miracles presque tous les grands saints chrétiens.
Le Mont-Athos en tant que concentration monastique et lieu particulièrement propice à la sanctification a lui-même produit des milliers de saints, connus ou inconnus. Certains à notre époque ont un rayonnement mondial, comme saint Silouane, Joseph l’Hésychaste et ses disciples, ou saint Païssios. À travers ses nombreux saints du passé et du présent, le Mont-Athos apparaît, selon les paroles du Psalmiste, comme « la montagne fertile », « la montagne féconde », « la montagne où il a plu au Seigneur d’habiter » et où Il « habitera à jamais » (Ps 67, 16-17).
3) Le Mont-Athos est un rappel du paradis perdu et une annonce du Paradis retrouvé.
Ce n’est pas seulement à travers ses saints, mais en tant que lieu béni, institution sacrée que le Mont-Athos témoigne prophétiquement d’un autre monde qui donne son sens au monde actuel. Le Mont-Athos, encore appelé « Montagne Sainte », ou « Jardin de la Vierge », est une image du Paradis, un rappel du Paradis perdu par nos premiers parents, et une préfiguration symbolique du Paradis promis aux justes.
  1. a) Le Mont-Athos offre l’image d’une nature paradisiaque parce que, dans la variété des paysages qui s’échelonnent depuis le niveau de la mer jusqu’aux deux mille mètres où culmine la montagne Athos, ce sont de très nombreuses espèces végétales et animales qui vivent et constituent un microcosme résumant le monde entier. Une autre raison est que cette nature reste inviolée, préservée de l’exploitation économique et de la pollution technique. Sa seule existence dans notre monde moderne a une valeur exemplaire. Elle est un modèle d’écologie spirituelle ; elle témoigne de la sauvegarde de la création qui a été confiée à l’origine par Dieu à l’homme pour qu’il en use pour ses besoins, tout en en faisant un instrument de contemplation et d’action de grâce.
  2. b) L’espace du Mont-Athos témoigne de l’espace paradisiaque, et annonce l’espace du Royaume des cieux. À la différence de l’espace de tous les autres pays (réparti entre sacré et profane, voire même parfois entièrement profane), l’espace du Mont-Athos apparaît totalement sacré, non seulement par la présence d’une multiplicité de monastères, de skites, d’ermitages, d’églises et de chapelles, mais aussi parce qu’il est tout entier sanctifié par les saints qui le parcourent ou l’ont parcouru, l’ont rempli de la voix de leur prière, et l’ont baigné des énergies divines dont ils rayonnaient. Chaque fois que l’on marche sur un sentier du Mont-Athos, on a la certitude de mettre ses pieds sur les traces de saints qui nous y ont précédés. Beaucoup de lieux dans la nature gardent la mémoire d’apparitions du Christ, de la Mère de Dieu ou de saints. Il n’y a pas ici de monastère, de skite, d’ermitage, de chapelle, ni de source ou de fontaine dont la présence ne s’explique par une vision céleste ou par un miracle.
  3. c) Il faut dire quelques mots aussi sur la signification prophétique du temps athonite. L’une des choses qui matériellement frappent le plus le visiteur du Mont-Athos, et dans une certaine mesure le désoriente, c’est le changement d’heure. La plupart des monastères gardent l’heure byzantine, qui ne sert plus de référence que dans cet endroit du monde. Notre heure à nous, les moines l’appellent kosmiki ora : l’heure du monde. L’heure byzantine n’est pas une simple survivance des temps anciens ; elle témoigne d’une autre modalité du temps, d’un temps spirituel, sanctifié parce que entièrement consacré à Dieu, subdivisé et organisé pour répondre à Sa volonté. Symboliquement cela rappelle le temps paradisiaque et annonce le temps du Royaume.
4) Un quatrième point important est que la vie collective telle qu’elle est organisée dans l’ensemble du Mont-Athos et dans chaque monastère, constitue un appel à l’unité de tous les hommes, et un témoignage qu’une telle unité est possible dans le Christ. Dans un monde déchiré par les guerres, les nationalismes, les conflits ethniques, le racisme, ce témoignage et cet appel sont véritablement prophétiques.
Le Mont-Athos dans son ensemble témoigne depuis de nombreux siècles de la bonne entente de communautés d’origines ethniques différentes qui non seulement coexistent pacifiquement, mais vivent harmonieusement dans le lien de la charité.
C’est dans ce lien de la charité que la Sainte Communauté, constituée de représentants des principaux monastères, gouverne le Mont-Athos non selon les principes démocratiques du monde, mais dans l’esprit de la conciliarité (sobornost) chrétienne. Chaque monastère athonite en témoigne pareillement, étant dirigé par un Conseil des Anciens avec à sa tête un higoumène élu par les moines.
5) Comme cinquième point, on peut mentionner le rôle fondamental qu’a joué le Mont-Athos dans l’histoire de l’Orthodoxie et qui se révèle aujourd’hui peut-être plus que jamais d’une importance capitale : celui du maintien de la Tradition et de la défense de la foi orthodoxe. Il s’agit là encore d’un rôle prophétique, car le prophète est traditionnellement quelqu’un qui rappelle les hommes à la fidélité à Dieu et qui est un défenseur de la foi face à tout ce qui peut l’altérer ou la pervertir.
Dans un monde soumis à des changements de plus de plus nombreux et de plus en plus rapides, le Mont-Athos donne l’exemple d’un monde stable, immuable, à l’image du monde divin. Préservé de la soif de changement et du vertige du mouvement qui habitent les hommes vivant dans le monde, à l’abri de la pression sociologique qui porte à se conformer en tout point au mode de vie des sociétés modernes, les moines athonites conservent scrupuleusement les prescriptions canoniques, le typikon liturgique et le mode de vie ascétique que nos Pères se sont transmis de génération en génération.
Le maintien scrupuleux même des plus infimes traditions a été la condition pendant plus d’un millénaire d’une parfaite préservation la Tradition orthodoxe. Les moines athonites ont aussi grandement contribué à préserver la foi orthodoxe dans tous les moments difficiles de l’Histoire où elle était menacée, et le font aujourd’hui encore. Et ils jouissent toujours pour cela d’un prestige particulier et d’une grande autorité.
Le rôle prophétique de vigie et de phare que joue traditionnellement le Mont-Athos dans le monde orthodoxe pour rappeler aux gens quelle est la vraie foi est particulièrement important à notre époque où l’on peut observer un affaiblissement considérable de la conscience dogmatique.
6) Un sixième et dernier point est que le Mont-Athos contribue également, d’une manière fondamentale, à maintenir à la fois inchangée et vivante la spiritualité orthodoxe. Constituée par les moines de Palestine, de Syrie, du Sinaï et du Stoudion de Constantinople, les Pères athonites en sont devenus, à partir du XIIIe siècle, les principaux héritiers et dépositaires. Le Mont-Athos est devenu une référence absolue en matière d’ascétisme et de spiritualité, et a attiré de nombreux moines de tous les pays. Lors de leurs visites ou de leur retour dans leurs pays d’origine, ces moines ont contribué fortement à la diffusion de cette spiritualité. En particulier, le Mont-Athos a toujours été un centre de la pratique de la prière de Jésus et de la spiritualité hésychaste. Et c’est toujours à la Sainte Montagne que cette pratique a, si l’on peut dire, son centre.
Les Pères athonites ont comme tâche de le communiquer aux hommes d’aujourd’hui cet héritage séculaire et comme responsabilité de le transmettre aux générations futures. En cela aussi réside le rôle prophétique et eschatologique du monachisme athonite.
Jean-Claude Larchet

vendredi 14 octobre 2016

Claude Lopez-Ginisty à propos du livre "Sur les monts du Caucase" : interview



Hiéromoine Hilarion (Domratchev), Sur l es monts du Caucase. Traduit du russe par Dom André Louf, Préface du métropolite Hilarion de Volokolamsk, Éditions des Syrtes, Genève, 2016, 284 p.


L’émission Une foi pour toutes consacrée à l’interview de Claude Lopez-Ginisty sur le livre du Hiéromoine Hilarion (Domratchev) Sur les monts du Caucase a été diffusée sur RCF-Liège le jeudi 13 octobre à 16H, rediffusion le vendredi suivant à 06h00, le dimanche suivant à 10H. Avant d’être rediffusée sur les autres stations du réseau RCF en Belgique.
Il est possible de l’écouter en direct via le site http://www.rcf.fr/radio/rcfliege
L’émission est aussi désormais téléchargeable sur le site www.doyenne-orthodoxe.org
rubrique « Emissions radio RCF » à l’adresse
http://www.doyenne-orthodoxe.org/download.php?view.180
Ces informations sur les émissions sont transmises également pour le site www.orthodoxie.com

Vous pouvez aussi l'écouter sur le lecteur ci-dessous


Jean Claude Larchet en avait la recension sur orthodoxie. com :

On sait peu de choses du moine du grand habit Hilarion Domratchev, sinon qu’il naquit vers 1845 dans la région de Viatka en Russie, fut enseignant après avoir terminé le séminaire, partit pour le Mont Athos où il vécut vingt-cinq ans, puis alla dans les années 1880 dans les montagnes du Caucase, où il fut rattaché au monastère Saint-Simon-le-Cananéen du Nouvel Athos, mais mena sa vie monastique et fonda des communautés en plusieurs endroits de cette région. De même que les Récits d’un pèlerin russe faisaient l’éloge de la Prière de Jésus et en exposait les voies à travers les récits d’un vagabond sans doute imaginaire, ce livre fait de même à travers la relation de la rencontre avec un ermite du Caucase (il s’agit du Père Désiré, père spirituel de l’auteur). De même que les Récits d’un pèlerin russe étaient émaillés d’anecdotes pittoresques liées à des rencontres, ce récit est émaillé de magnifiques descriptions de la nature. Comme le remarque le métropolite Hilarion Alfeyev dans sa préface, ce livre est sans doute parmi tous les livres de spiritualité, celui qui accorde la plus grande place à la nature et se montre le plus sensible à sa beauté. Le hiéromoine Hilarion souligne le caractère didactique de son projet : « Ce livre n’a qu’un but: expliquer aussi complètement que possible en quoi consiste la Prière de Jésus, elle qui, suivant l’enseignement unanime des Saints Pères, est la racine et le fondement en même temps que le sommet et la perfection de la vie spirituelle. Toute l’insistance de nos paroles ne vise qu’à cela. Nous mettons toujours cette Prière au-dessus de toutes les autres vertus, dont aucune ne l’égale lorsqu’elle atteint les degrés les plus élevés ». L’exposé du hiéromoine Hilarion n’est pas systématique et n’obéit à aucun ordre logique. S’y entrecroisent les évocations de la personnalité de l’ermite Désiré, ses enseignements sur la prière, les commentaires qu’y ajoute le Père Hilarion, des citations des Pères et des descriptions de la nature, et de nombreuses considérations sur la vie spirituelle, ce qui donne à l’ensemble, constitué de courts chapitres, une forme variée et dynamique, propre à maintenir l’intérêt. L’enthousiasme du hiéromoine Hilarion à l’égard de la Prière de Jésus est tel qu’il se laisse aller à des formules excessives, affirmant notamment que le Nom de Jésus s’identifie au Christ lui-même (voir notamment p. 37-40), que « le nom du Seigneur est le Seigneur lui-même » (p. 45) que « le Nom du Dieu tout-puissant est Dieu lui-même » (p. 45), considérant comme équivalentes la présence du Christ dans son Nom et sa présence dans la sainte eucharistie (p. 44). Il affirme aussi que « par le fait [que le Nom] est Dieu, la toute-puissance qui produit des œuvres grandes et glorieuses, indépendamment de la sainteté de ceux qui le prononcent, lui appartient aussi » (p. 47), ce qui correspond à une conception magique, éloignée de la conception orthodoxe traditionnelle de la synergie entre la grâce de Dieu et les dispositions spirituelles et réceptives de l’homme. Bien que des telles affirmations soient par ailleurs nuancées – par exemple dans les affirmations plus modérées que « le Dieu tout puissant est présent dans son Nom avec toute sa plénitude divine et ses infinies perfections » (p. 46) ou que « la totalité des perfections divines habite dans le très saint Nom de Jésus-Christ » (p. 39), ce qui peut être rapporté aux énergies divines plutôt qu’à la nature même de Dieu –, elles furent l’objet d’une violente controverse où certains accusèrent le hiéromoine Hilarion et ses partisans d’être des onomatolâtres (adorateurs du Nom) tandis que d’autres prenaient leur défense, les considérant seulement comme des « glorificateurs du Nom ». Ce conflit enflamma les monastères et skites russes du Mont-Athos de 1907 à 1914. Il suscita une condamnation de la doctrine des partisans du hiéromoine Hilarion de la part de la Sainte-Communauté du Mont-Athos, du patriarcat de Constantinople et du Saint-Synode de l’Église russe. Il se termina dramatiquement par l’expulsion ou l’exil volontaire de près de 1700 moines russes du Mont-Athos. Le débat se poursuivit en Russie, donnant lieu à une réflexion approfondie de la part de théologiens en vue sur la question de la nature du nom et de son rapport à celui qu’il désigne (une réflexion qui reste d’ailleurs toujours ouverte). L’intervention de diverses personnalités dont l’empereur lui-même amena l’Église russe à adopter une attitude plus tolérante à l’égard des « glorificateurs du Nom ». Plusieurs livres parus en français au cours de ces dernières années ont exposé en détail cet épisode : (Métropolite Hilarion Alfeyev, Le Nom grand et glorieux (Cerf, 2007) et Le mystère sacré de l’Église. Introduction à l’histoire et à la problématique des débats athonites sur la vénération du Nom de Dieu (Presses universitaires de Fribourg, 2007; Antoine Nivière, Les glorificateurs du Nom. Une querelle théologique parmi les moines russes du Mont Athos (1907-1914). Les formulations controversées du hiéromoine Hilarion sont sans aucun doute inacceptables au regard de la théologie orthodoxe, car elles témoignent d’une série de confusions (notamment entre signifiant et signifié, entre personne et nature, entre nature divine et énergies divines) et donnent vraiement à certains moments l’impression que le Nom de Dieu prend la place de Dieu. Mais elles n’occupent dans ce volumineux ouvrage de 300 pages qu’une place minime (quelques phrases), et il faut savoir les dépasser et apprécier l’exposé de l’auteur, qui reste l’un des meilleurs exposés sur la Prière de Jésus, et comporte par ailleurs de nombreux développements sur la vie spirituelle qui, tout en étant fondés sur l’enseignement de Pères abondamment cités, ont l’avantage de refléter aussi une expérience personnelle dont le saint starets Barsanuphe d’Optina lui-même louait la profondeur. Rappelons qu’avant que quelques-unes de ses formulations maladroites ne suscitent la controverse, l’ouvrage était grandement apprécié en Russie et au Mont-Athos. Il avait été publié en 1907 avec le soutien de la grande-duchesse Élisabeth Fiodorovna (future moniale et martyre), et avait connu deux rééditions (1910 et 1912) avec l’approbation du comité de censure, le troisième tirage atteignant 10.000 exemplaires. PS. Ne pas confondre cette éditon publiée par les Syrtes (qui ne sera en laibrairie qu’à la fin du mois d’août) avec celle, que vient de faire paraître parallèlement, dans une traduction de moins bonne qualité, le monastère catholique Skita Patrum.

mercredi 18 mai 2016

« D’une qualité remarquable, la théologie du père Jean Romanidès n’est pas sans défauts…» par Jean-Claude LARCHET



SUR LE SITE ORTHODOXIE.COM
Jean Claude Larchet nous offre une fois de plus une recension dont l'honnêteté intellectuelle, la rigueur scientifique, le sens de la mesure et l'esprit critique traditionnels français bien heureusement cultivés, associés à l'exigence d'une fidélité sans faille à l'Orthodoxie  dérangent nos partis pris hâtifs et nos aversions inconsidérées  en nous transmettant un enseignement bienfaisant pour tous les orthodoxes.  Grâces lui soient rendues   !



Jean Romanidès, Théologie empirique
Présenté et commenté par Mgr Philarète, 
L’Harmattan, Paris, 2015, 336 p.

Le père Jean Romanidès (1927-2001) est l’un des plus grands théologiens orthodoxes contemporains

Son œuvre se distingue par son souci rigoureux d’orthodoxie, sa cohérence, son originalité, sa force d’expression, son ancrage dans la tradition des Pères et l’expérience spirituelle. Elle se présente en Grèce comme l’alternative majeure à la théologie – aujourd’hui de plus en plus critiquée – du métropolite Jean Zizioulas (avec lequel Romanidis et ses disciples furent en oppostion) et à la théologie néo-grecque du groupe réuni dans les années 60 autour de la revue Synaxis, marquée par un mélange de théologie et de philosophie traduisant une méthode théologique déficiente, par une volonté de modernité et par une forte influence de la théologie russe décadente de la diaspora (Boulgakov et ses disciples) et de la philosophie occidentale (principalement existentialiste).

Le père Jean Romanidès est né au Pirée en 1927 de parents qui avaient été chassés de Cappadoce par les Turcs lors de la dramatique « épuration ethnique » de 1922. Deux mois après sa naissance, ses parents émigrèrent aux États-Unis. C’est à New York, dans le quartier de Manhattan, qu’il reçut sa première formation scolaire, avant d’entreprendre, lorsque le temps fut venu, des études de théologie à l’École de théologie orthodoxe de Holy Cross, dont il fut l’un des premiers diplômés (1949). Il poursuivit ensuite ses études à l’université de Yale (1950-1954), passa un an à l’Institut Saint-Serge à Paris, avant de rejoindre la Faculté de théologie de l’Université d’Athènes où il soutint en 1957 une thèse de doctorat qui avait pour thème « Le péché ancestral » (trad. anglaise: « Original Sin », 2e éd., Zephyr, Ridgewood, 2002) et qui, à l’époque, parut révolutionnaire. Il fut alors élu professeur à l’École supérieure de théologie orthodoxe de Holy Cross (1958) et devint éditeur de la Greek Orthodox Theological Review, l’une des deux plus importantes revues orthodoxes de langue anglaise. Il quitta ce poste en 1965 et fut élu en 1968 professeur à la Faculté de théologie de l’Université Aristote de Thessalonique. Il fut ordonné prêtre en 1970. Il participa à différentes commissions de dialogue théologique, cela au-delà de sa retraite, qu’il prit en 1984, et jusqu’à son décès, à Athènes, en 2001.

L’œuvre de Romanidès fut, par son engagement, son originalité, sa vigueur et, il faut le dire, de sa dimension anticonformiste et provocatrice, sujette à débat dès l’origine et jusqu’à la fin. Le père Georges Dragas, qui fut l’un de ses étudiants et l’un de ses éditeurs aux États-Unis, écrit à son sujet : « C’était un combattant qui croyait clairement qu’il avait à défendre la dogmatique patristique orthodoxe telle qu’il l’avait redécouverte. C’était un théologien orthodoxe entièrement engagé qui cherchait à établir son orthodoxie sur les enseignements et la tradition vivante des Pères, tant ecclésiale qu’ascétique. Ayant grandi dans un contexte occidental et ayant été pleinement exposé aux traditions chrétiennes occidentales, il fut conduit non pas à tenir sa propre orthodoxie pour assurée, mais à l’examiner en profondeur pour redécouvrir et défendre son intégrité. Il acquit ainsi la conviction que la tradition patristique orthodoxe était radicalement différente des traditions occidentales qui, en raison de certaines exigences historiques, avaient imposé à celle-ci leur influence. »

Par la rupture qu’elle a imposée dans le monde orthodoxe par rapport aux modes de pensée établis, par la conscience nouvelle qu’elle a développée de l’identité orthodoxe par rapport à la théologie et à la spiritualité latines hétérodoxes (qu’il considérait comme enracinée dans l’œuvre d’Augustin d’Hippone et comme ayant été développée et imposée à l’Occident par les Carolingiens), l’œuvre du père Jean Romanidès a exercé une influence décisive beaucoup de théologiens orthodoxes contemporains, si bien que, comme le note le père Georges Métallinos dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, « on doit distinguer dans la pensée orthodoxe moderne un avant et un après Romanidès ».

La pensée du père Jean Romanidès a fait l’objet d’une présentation d’ensemble, qui a reçu son approbation, par Andrew J. Sopko (Prophet of Roman Orthodoxy. The Theology of John Romanides, Synaxis Press, Dewdney, BC, Canada, 1998).

Ses livres et articles sont disponibles en grec, mais aussi en anglais. On en trouvera une partie (téléchargeable légalement en différents formats) sur le site Internet qui lui est consacré, et dans lequel il est accompagné par deux de ses principaux disciples actuels, le métropolite Hiérothée de Naupacte et Saint-Blaise, et le père Georges Métallinos, ancien doyen et professeur de la faculté de théologie d’Athènes.

L’importante diffusion de l’œuvre du père Jean Romanidès aux États-Unis tient au fait qu’il y a passé la plus grande partie de sa vie et a enseigné de nombreuses années dans l’un des deux principaux instituts supérieurs de théologie orthodoxe américains, et a écrit la plus grande partie de son œuvre en anglais.

Dans le monde francophone, c’est La Lumière du Thabor, revue aujourd’hui disparue d’un groupe schismatique de Vieux-calendaristes, que revient le mérite d’avoir fait connaître le père Jean Romanidès (comme lui revient le mérite d’avoir publié plusieurs textes importants du père Georges Florovsky, et une partie importante de l’œuvre de saint Justin Popovitch). Elle a offert, au fil de ses numéros, la traduction de plusieurs de ses articles (« Le Christ, la vie du monde »; « L’ecclésiologie de saint Ignace d’Antioche »; « Examen critique des applications de la théologie »; « La franco-latinisation de l’orthodoxie »; « Sur l’accord de Balamand »). Un autre article, d’une qualité exceptionnelle, sur « le Filioque », extrait d’un ouvrage du grand théologien intitulé Franks, Romans, Feudalism and Doctrine, a également été traduit et publié par l’équipe éditoriale de la revue dans un remarquable Dossier Saint Augustin paru aux éditions L’Âge d’Homme.

L’évêque de ce groupe, Mgr Philarète (alias Laurent Motte) a eu l’heureuse idée de rassembler l’ensemble de ces études dans le présent volume intitulé Théologie empirique. Il les a fait précéder d’une vaste et très bonne introduction de 70 pages, qui présente la biographie de l’auteur et une synthèse des principaux thèmes de son œuvre, dont ce volume offre un bon échantillon: la méthodologie de la théologie orthodoxe (fondée sur l’expérience spirituelle de l’illumination et de la glorification, et non sur une spéculation de type philosophique, d’où le titre donné au volume); les trois degrés de la vie spirituelle (purification, illumination, glorification) ; le christianisme comme thérapeutique; l’opposition de la théologie franque – imposée à l’Occident par Charlemagne – à la théologie romaine (c’est-à-dire de l’empire romain, improprement appelé byzantin par les historiens, et de sa continuation après la chute de Constantinople, improprement appelée « Byzance après Byzance »), tout à la fois orientale et occidentale; la différence radicale entre la doctrine catholique-romaine du péché originel (issue d’Augustin) et la conception orthodoxe du péché ancestral; le Filioque comme produit de la théologie des Franks (orthographe justifiée par l’auteur); les déviations de la théologie augustinienne et l’inspiration augustinienne de la théologie des Franks; le schisme de 1054 non pas comme le résultant d’une « estrangement » progressif entre l’Occident et l’Orient seon une opinion devenue courante, mais comme le produit de la politique des Franks imposée aux papes; la vision du Verbe par les justes de l’Ancient Testament et leur glorification/déification; la glorification/déification comme but de la vie chrétienne; l’opposition de la théologie orthodoxe des énergies divines incréées à la doctrine de la grâce créée (qui prend sa source dans la doctrine augustinienne des « théophanies », intermédiaires créées), développée par la théologie franque.

On regrette, d’un point méthodologique, que les commentaires de ceux qui ont à l’origine publié ces traductions françaises se trouvent, dans les notes réunies en fin de volume, mélangées sans distinction avec celle du père Jean Romanidès. Cela donne une fâcheuse impression de tentative de récupération de sa pensée par un groupe dont il restait distant, puisque, rappelons-le, il a toujours appartenu à l’Église orthodoxe canonique et représentait même officiellement son Église locale (le patriarcat de Constantinople)dans des réunions œcuméniques internationales.

D’une qualité remarquable, la théologie du père Jean Romanidès n’est pas sans défauts. Sa vigueur tient souvent à une systématisation et à une simplification excessives, comme celle du schéma purification – illumination – glorification (qui certes appartient à la tradition patristique mais y fait l’objet d’une conception plus souple), ou celle de l’opposition Romains-Franks poussée jusqu’à l’époque actuelle (et qui finit par se substituer comme deux concepts politiques à la distinction orthodoxie-hétérodoxie), ou comme la réduction du christianisme à une thérapeutique (ce qui certes s’applique au salut et à la vie ascétique, mais n’est pas pertinent pour ce qui concerne la divinisation). Parmi ses autres faiblesses, on peut signaler l’insistance trop forte sur la responsabilité de la théologie de saint Augustin dans les déviations dogmatiques du catholicisme-romain, qui en fait le responsable de tous les maux passés et présents. On trouve certes chez Augustin les racines de plusieurs d’entre-elles et non des moindres, mais ce qu’il faudrait surtout incriminer c’est l’augustinisme (constitué par les disciples d’Augustin qui ont systématisé certaines de ses positions) et l’utilisation qui en a été faite plusieurs siècles plus tard, quand l’augustinisme, courant longtemps minoritaire, s’est imposé de longue lutte comme courant dominant en Occident (le père Placide Deseille a livré à ce sujet une excellente analyse). Une troisième faiblesse des positions du père Jean Romanidès est l’appui qu’il a apporté à la christologie monophysite aux cours de réunions œcuméniques où il a représenté le patriarcat de Constantinople et qui ont abouti au mauvais compromis de Chambézy (auquel ont aujourd’hui heureusement renoncé toutes les Églises locales orthodoxes à l’exception du patriarcat de Constantinople). Une quatrième faiblesse de la pensée du théologien grec est son exaltation de l’hellénisme (commune à beaucoup de théologiens grecs des années 60, différents de lui et différents entre eux), s’incarnant dans le projet utopique, quasi politique, de restaurer dans le monde (mais en excluant paradoxalement les pays slaves) l’Empire romain sous le nom de Romanie. Ce dernier aspect de la pensée de Romanidès, peu présent dans ce volume, a été exposé dans son livre Romanité, Romanie, Roumélie, dont on trouvera une présentation détaillée et une critique équilibrée dans le compte rendu qu’en a fait le père André de Halleux pour la Revue théologique de Louvain (15, 1984, p. 54-66) : « Une vision orthodoxe grecque de la Romanité », que l’on peut lire en ligne et télécharger ici.