Alors je vais reprendre tout de même courageusement : le Vajrayana c’était trop d’exotisme en effet. Pourtant je n’ai pas totalement exclu les écoles tibétaines puisque plus tard, pensant avoir trouvé une pratique non duelle absolue offrant une diversification habile des pratiques pour "devenir bouddha dans cette vie avec ce corps" [Sokushin-Jôbutsu], comme on le prêche dans l’école ésotérique japonaise Shingon , j’ai été initié à la pratique du Dzogchen (dans l’école de Chögyal Namkhai Norbu)
qui se veut au-delà de toutes les écoles du Tantrisme et j’ai tourné – sans m’y investir autrement que de manière livresque – autour du Bön qui précède tout apport venu de l’Inde et n’a pas cessé d’exister au Tibet malgré l’« impérialisme » du Bouddhisme.
La méditation était alors ma préoccupation et je me suis tourné vers le Zen (禅) Soto qui était le plus représenté à l’époque – et même le seul – alors que désormais d’autres écoles Zen (le Rinzaï qui donne beaucoup d’importance aux Koans [injonctions paradoxales], le Son coréen qui comprend en sus du Zazen des pratiques communes à d’autres écoles comme les prosternations, les mantras etc. l’école Sambo Kyôdan etc.) ont leurs instructeurs (Sensei) voire leurs maîtres et leurs dojos en France et dans différents pays d’Europe.
Dans l’école Soto du Zen qui a été introduite en France dans les années soixante par Taisen Deshimaru disciple de
Kôdô Sawaki (voir son émouvante biographie ) et que l’on trouve dans toute l’Europe désormais, prime sur tout l’assise nue :
Zazen (座禅).
C’était ce qu’il me fallait.
Il s’agit de s’asseoir dans la posture juste (en lotus, demi-lotus ou posture birmane) celle dans laquelle Sâkyamuni, le Bouddha historique, a rencontré l’Eveil, posture ni crispée, ni relâchée, sans visualisation, sans combattre mais sans alimenter les pensées, sans recherche d’effet (genre relaxation ou concentration ou inspiration avant l’action) sans but et surtout pas en recherchant la Réalisation, le Satori, et encore moins la rencontre du Bouddha (« Si tu rencontres le Bouddha, frappe-le ! » est-il enseigné. C’est très physique : se tenir le dos droit, le menton rentré, la tête poussant vers le ciel, les genoux appuyant sur le sol, concentré sur la respiration avec une expiration longue et une inspiration lui succédant naturellement, attentif aux crispations ou l’avachissement. Seulement s’asseoir Shikantaza 只管打坐 disait Maître Dogen.
Plus trivialement ou plus rudement "Assieds-toi et ferme-la" dit un instructeur américano-japonais ancien musicien de rock. Par parenthèse une certaine rudesse n’est pas forcément le contraire de la compassion mais plutôt en est aussi une forme, je ne l’oublierai jamais dès ce moment, écartant les mièvreries du politiquement correct qui n’est autre que de la culture chrétienne sécularisée, sans Dieu.
Pratique simple et dépouillée mais riche d’enseignements. Zazen n’est pas seulement une posture physique qui invite au calme les excités, ou oblige les endormis à se tenir éveillés, c’est à la fois une métaphore de la vie selon le Zen et la vie même. Considéré par cette école comme l’enseignement en droite ligne du Bouddha il y a 2500 ans et transmis de maître à disciple, le Dhyâna est devenu le Ch’an à son introduction en Chine par le 28eme Patriarche Bodhidharma, puis le Zen au Japon grâce à Dogen au 13° siècle dont les textes sont devenus le fondement même de cette école. J’ai donc pratiqué encore une fois de tout mon être, corps et esprit, matin (quelquefois même midi) et soir seul sur mon zafu (coussin de méditation, rond, noir, bourré sur mesure de kapok) comme on le fait dans l’école Soto : face à un mur. Et j’ai bien sûr participé aux sesshins (retraites) du temple de la Gendronnière puisque c’est dans le cadre de l’AZI que j’ai pratiqué. Cette pratique a été pour moi une merveilleuse école d’ascèse, de dignité, d’engagement, de foi, de courage, de persévérance, de longanimité. Les rituels exigeants, beaux et sobres m’ont alors convenu parfaitement et bien qu’esthétiquement très japonaise on pouvait trouver dans cette école un dépouillement tel qu’il restait ouvert à l’universel et donc convenable pour un Français ; davantage que le foisonnement et le bigarré de la culture tibétaine.
Quant à la « théorie » développée aussi bien dans le recueil de leçons de Dogen que condensée dans le Sutra du cœur il aura contribué à faire place nette en mon esprit de sorte que l’apophatisme de la théologie orthodoxe n’aura par été très déstabilisante par la suite.