Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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samedi 5 octobre 2019

COMMENT LUTTER CONTRE LES MAUVAISES PENSÉES par Père IUSTIN du monastère d'Oaşa



« Q- Comment lutter contre les pensées qui nous assaillent ?

P. Justin  —     Le Père Théophile disait : le plus simple c’est de les remplacer : remplacer une mauvaise pensée par une bonne pensée. Quand tu parles avec quelqu’un qui te provoque, change de sujet. Il te pose une autre question. Toi ça ne t’intéresse pas, tu changes de sujet. Il faut changer le sujet au niveau de la tête, de l’esprit. Si tu as une mauvaise pensée, change de sujet.

Après il  y a une autre lutte, une lutte de fond : la prière du cœur. Tu as ainsi une pensée constante adressée au Christ. Et cette pensée répétée te protège contre les mauvaise pensées. C’est une autre méthode.

Après tu peux aussi prier pour ces choses. Par exemple j’étais en train de faire la prothèse et j’ai été envahi par les soucis, des tas de problèmes qu’il fallait résoudre et qui me dérangeaient. Qu’est-ce que je pouvais faire ? J’ai arrêté comme quand quelqu’un vient te voir et ne te laisse pas faire ce que es en train de faire. Tu t’arrêtes et tu parles avec la personne et tu lui demandes pourquoi elle est venue, quel problème elle a etc.
J’ai arrêté la prothèse et je me suis tourné vers ce souci qui me troublait et j’ai prié pour ce problème-là : si quelqu’un commet telle erreur faut-il faire telle ou telle chose… J’ai prié jusqu’à ce que je me sente libéré de cela. Le mauvais, voyant que les mauvaises pensées se transformaient en prière, est devenu impuissant à m’inspirer de mauvaises pensées. De temps à autre même, j’essayais de me rappeler une mauvaise pensée mais il ne venait rien, même si je demandais de recevoir cette pensée, parce que les mauvaise pensées avaient été transformées en prière. Moi j’attendais que les mauvaises pensées reviennent pour les retransformer en prière. Ça c’est une troisième technique.

Une quatrième façon c’est de changer sa vie. Les pensées qu’on a ont un rapport avec notre vie, avec nos péchés ; et c’est du matin au soir qu’il faut s’efforcer d’avoir une bonne vie, une vie propre, plus pure.  Tu verras que le soir ta prière aussi deviendra plus pure. Le soir tu te réunis, tu rencontres ta vie. Père Théophile disait que la prière est le miroir du cœur. Et si tu ne sais pas quel est ton état spirituel, prie et l’état que tu vas ressentir pendant  la prière, c’est ce que tu as dans le cœur. En fonction des images qui te viennent pendant la prière, tu vois ton état spirituel. Si tu as du matin au soir un contenu positif de ta vie, le soir quand tu vas à la prière tu rencontres ce contenu positif.
Il faut toujours s’entraîner à mettre la bonne pensée. Derrière n’importe quelle réalité, il y a quelque chose de bon. Il y a un dicton populaire qui dit : « En tout mal il y a un bien » (en français on dit « À quelque chose malheur est bon ») Il faut partout, chercher le bien dans toutes les situations. Dans toute situation même si elle est mauvaise trouve une bonne chose.
Si quelqu’un t’insulte dans la rue où est le bon là-dedans ?
—        Tu peux te retourner vers toi et tu peux faire une prière en disant « c’est pour mes péchés que cela arrive . Quels péchés ? Qu’est-ce que j’ai fait comme péchés ? Je vais réfléchir. J’ai fait ça, j’ai fait ça… et je ne me suis pas repenti pour cela et la personne qui m’a fait du mal elle l’a fait pour mes péchés. Et ce sont mes péchés qui ont attiré ces injures ou ces offenses. » Et de cette façon on commence à se convertir et à s’unir avec Dieu. Voici ce que tu as gagné à partir d’une insulte. Tu as mis la bonne pensée. Ça c’est très important. Et par lui tu parviens au bien des personnes au bien des choses par la bonne pensée. Mettre la bonne pensée devant chaque homme, devant chaque personne. La bonne pensée est une porte du bien. Il faut faire cela tout le temps, il faut garder les yeux toujours tournés vers le Christ. Et le Christ étant bon , vous ne pouvez donc qu’avoir de bonnes pensées derrière tout ce qui nous entoure. 
Regardez, vous avez remercié Dieu parce que vous êtes venus ici, vous avez mis une bonne parole parce que vous êtes venus ici. Vous êtes venus de loin, cet endroit est beau, vous mettez de bonnes pensées grâce à cet endroit et que vous avez eu quelque chose en plus. Sinon le mauvais arrive de lui-même qui pousse toujours à penser à mal : « Regarde ce qu’il a fait celui-là, il a critiqué telle personne… » Mets une bonne pensée et ne perds pas ton temps. Mettre une bonne pensée ça aide à devenir bon. Et ça a un rapport avec l’humilité qui entretient un rapport avec la réalité. C’est un réel signe de puissance. »
P. Iustin Miron
(transcription d'un extrait d'un entretien spirituel avec P. Iustin
enregistré à Porquerolles en sept. 2019)

jeudi 3 octobre 2019

Il ne faut pas avoir peur, même si les diables te troublent. Il faut considérer ça comme un bon signe.

LES EFFETS THÉRAPEUTIQUES DE LA PRIÈRE
par Père IUSTIN  du monastère d'Oaşa


Q. Est-ce qu’il faut une bénédiction pour lire le psautier ? Est-ce que c’est vrai qu’on peut avoir ensuite des tentations ou des épreuves sans cette bénédiction ? 

P. Justin  — Non. Il y a des malédictions dans certains psaumes mais si tu ne veux pas maudire qui que ce soit, cela n’est pas un problème.
Chaque action a un corps et un esprit. L’esprit de l’action c’est l’objectif de l’action. Alors le fait de lire, de prononcer, c’est le corps de l’action, et l’esprit, l’âme de cette action, c’est la raison pour quoi je lis, le but. Est-ce que c’est pour faire du mal à quelqu’un ? Pour maudire quelqu’un, pour que le diable l’emporte ? Non. Je lis avec de bonnes pensées et pour que tout aille bien. 
Tu peux avoir des soucis, tu peux avoir des difficultés, mais dans tout ce que tu fais spirituellement il peut y avoir des choses qui te déroutent. Tu as l’impression que ça ne va pas bien. De la même façon que quand tu fais certains régimes diététiques, pour améliorer ta santé, que tu commences  à avoir un traitement naturaliste sur la nourriture, tu peux être malade le temps de détoxifier le corps. Là c’est pareil, quand tu lis le psautier, il y a des choses qui s’en vont et c’est pour ça que tu as l’impression que tu as des tentations, des épreuves, des difficultés dans ta vie. Il ne faut pas avoir peur. C’est à ce moment-là qu’il faut continuer. Il ne faut pas s’arrêter parce que si tu t’arrêtes à ce moment-là la guérison s’interrompt.
Le Père Théophile disait la prière du cœur quand il était  à Timișoara et il est arrivé à un niveau tel que quand il disait la prière il avait l’impression qu’il flottait dans l’air et qu’il ne touchait plus le sol. Et à partir de là il avait de grandes tentations de grandes épreuves. Il ne savait plus. Il a dit « Ma chance c’est que je n’ai pas fait le rapport entre la prière et les épreuves et les tentations, parce que je ne savais pas qu’il y avait un rapport, parce que sinon j’aurais arrêté de faire la prière. » Il a prié et il a prié et du coup il s’est purifié. Et nous quand on commence à prier, au plus profond de chacun d’entre nous, il reste de la saleté. Il faut la laisser partir et continuer la prière. Il faut laisser tout ça sortir.

Dans le Patericon il y a une parole d’un disciple qui demande à son Abba :  
—        Abba quand je veux faire mes prières, il me vient beaucoup de pensées, qu’est-ce que je dois faire ? 
—        Fais ta prière a  répondu l’Abba
—        Mais si je continue il me vient d’autres pensées, qu’est-ce qu'il va m’arriver ? Qu’est-ce que je dois faire ? 
—        Fais la prière
—        Mais si je continue il m’en vient encore et encore… Qu’est-ce que je dois faire ? 
—        Fais ta prière

Là c’est pareil. 
—Tu as commencé à réciter le psautier et tu demandes — Qu’est-ce que je dois faire ? Il me vient telle chose et telles choses — Continue à lire !  — Oui mais après, j’ai des épreuves, des tentations… —  Continue à lire ! et encore et encore ! Et c’est tout !

Beaucoup considèrent  que le psautier c’est comme un antibiotique spirituel très fort et que tu ne dois pas le prendre comme ça sans ordonnance, mais ce n’est pas comme ça. Il y a bien sûr certains offices d’exorcisme qu’on peut faire en tant que prêtre et que n’importe qui ne doit pas faire. Mais ça c’est autre chose, le psautier ne rentre pas dans cette catégorie-là.

Au fur et à mesure que tu pries, que tu lis, tu comprends mieux, tu t’élèves et même si tu as des tentations, des épreuves, même si les diables te troublent. Il faut considérer ça comme un bon signe. Il faut être inquiet justement s’il ne se passe rien. Ça veut dire que tu es superficiel et que tu ne fais pas la prière vraiment.
P. Iustin Miron
(transcription d'un extrait d'un entretien spirituel avec P. Iustin
enregistré à Porquerolles en sept. 2019)

mardi 1 octobre 2019

OSER FAIRE PLUS dans la vie spirituelle, par P. Iustin Miron du monastère d'Oaşa


"Nous avons des offices dans une paroisse, chez nous aussi au monastère, et la présence aux offices est obligatoire, et vous aussi il faut assister aux offices de votre paroisse et du début, même à l’Orthros, même pendant la semaine, pas seulement le Dimanche à la Liturgie. Si vous voyez quelqu’un faire ces efforts-là, vous pouvez le traiter d’extrémiste mais pourtant, ça, c’est juste le minimum, ce n’est pas le maximum. Aller à tous les offices pendant la semaine c’est comme savoir la table de multiplication. Il faut faire des investissements plus forts d’un point de vie spirituel. Si tu veux gagner, d’un point de vue spirituel, il faut investir. 
 J’ai une expérience à raconter : Je suis allé changer ma carte d’identité. Il y avait beaucoup de monde. Il y avait la queue. J’en avais pour une heure. J’allais perdre une heure de ma vie. Ce n’était pas possible. Que faire ? J’ai commencé la prière du cœur… Même maintenant je ne peux oublier cette heure et j’ai même envie de retourner là-bas pour recommencer à faire la queue pendant une heure. Qu’est-ce qu’elle m’a réchauffé cette prière ! C’était extraordinaire ! Cette heure j’aurais pu la perdre, j’aurais pu penser à autre chose. Donc on peut faire beaucoup spirituellement du matin jusqu’au soir. On peut faire beaucoup de choses. Il en est de même pour nous quand nous sommes dans les bouchons de la circulation.

Au monastère, on confesse parfois des paysans. Ils nous donnent des leçons. Ils se réveillent la nuit. Ils font l’office de minuit, ils savent les acathistes par cœur. Ils vont sur la colline pour travailler et lisent l’acathiste appris par cœur. Et nous qui sommes moines on trouve que ce sont des extraterrestres ces paysans-là. 

Comment parvenir à savoir tout ça par cœur ? Ça, c’est de l’exercice. Le sportif qui ne s’entraîne plus, il est fini. Sa vie de sportif est finie. Pareillement, Je ne suis pas un fidèle croyant si je ne fais pas mes prières, mes métanies.  Si tu les fais, tu vas voir comment tu te débrouilles dans ta vie et que tout fonctionne bien. Il faut oser plus dans la vie spirituelle. On est trop timide. Allez ! fais plus parce que c’est possible. Si on investit plus, on obtient plus. Et il faut absolument le faire parce que la vie spirituelle donne un sens une valeur à tout ce qui se passe autour de nous. Si tu es spirituel tu comprends, mais si tu ne l’es pas tu ne comprends pas. L’homme qui n’est pas spirituel peut être savant, il peut être ce qu’il veut, il n’a pas compris. Seulement celui qui est spirituel peut comprendre. Si tu ne vas pas à l’église et que tu n’as pas le Christ dans ton cœur, tu n’as rien compris. 
C’est pour ça qu’un philosophe roumain disait qu’il préférait la vieille femme dont les pieds sentent mauvais et qui vénère l’icône, car elle est plus sage que n’importe quel scientifique qui ne croit pas en Dieu. Parce qu’elle a compris l’essentiel. La vraie compréhension, la vraie sagesse, vient de la grâce, dans la grâce. On comprend le rôle et le sens des choses, la création.  Et pour se connecter du matin au soir à Dieu par la vie spirituelle, il faut avoir du courage. Quand tu viens du travail, avant même de te déshabiller lis un cathisme et tu verras comment tu te libères de tout ton stress et de tous tes problèmes… de même quand tu fais le ménage dans ta maison…"
P. Iustin Miron
(transcription d'un extrait d'un entretien spirituel avec P. Iustin
enregistré à Porquerolles en sept. 2019)

samedi 28 septembre 2019

GARDER LES YEUX TOURNÉS VERS LE CHRIST par P. Iustin Miron du monastère d'Oaşa


« Cherchez d’abord le Royaume des Cieux et tout le reste vous sera accordé par surcroît » (Matthieu 6, 33)





« Si dans tout ce qu’on entreprend, toute démarche, on cherche le Ciel, la Terre vient rapidement à notre rencontre. Tous les problèmes trouvent leur solution si l'on regarde le Ciel. Mais si l’on ne cherche pas le Ciel et que l’on commence à prendre en compte d’autres problèmes, alors là on perd tout.
Tout le reste nous vole, nous prend notre liberté. C'est une sorte de harcèlement. L’Apôtre Paul dit que là où est l’Esprit de Dieu se trouve la liberté. Si ça ne va pas, cela signifie que l'on s'est détourné du Ciel. Si ça ne va pas dans votre vie, retournez-vous vers le Ciel. C’est seulement en se retournant vers le Ciel qu'on retrouve sa liberté, son état naturel, son bonheur. Le reste vient alors sans rechercher les choses terrestres mais en demeurant céleste tout le temps. Les gens peuvent dire « il est dans les nuages » mais plus tu es spirituel plus tu as les pieds sur terre. 

Le père Théophile est un modèle. Il était très équilibré. Il avait les pieds sur terre, au fur et à mesure qu’il montait vers le Ciel il s’approfondissait dans les choses terrestres et il pénétrait la terre et la création d’autant plus qu’il était spirituel. C’est là la clé des clés. Il faut avoir la foi, il faut être fidèle. 

C’est difficile, mais il faut moins regarder les vagues de la tempête. Lorsque le Christ a demandé à Pierre de venir à Lui sur l’eau, il y est allé mais quand il a regardé les vagues, il a chancelé dans la foi , il a eu peur et il a commencé à sombrer. Tant qu’il regardait le Christ il allait au-dessus des vagues, mais quand il a regardé les vagues, il a commencé à sombrer. Et c’est pour ça que St Paul écrit dans l’Épitre aux Hébreux : « Courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards vers le Christ ». Nous courons dans la lutte à laquelle nous sommes confrontés. Indépendamment de la lutte que nous devons mener, si on a les yeux tournés vers le Christ, on a l’infini en nous, on a une puissance illimitée. C’est ce que tu regardes qui te pénètre, c’est ce que tu regardes que tu deviens. Si tu regardes le Christ, il faut être en Christ, il faut être comme le Christ. Mais regarde-le toujours, toujours. Ne te laisse pas emporter. Ne regarde pas à droite et à gauche. Regarde d’une manière appropriée. Si tu regardes la mer tu ne deviens pas mondain. Il y a tellement de beauté naturelle. Tu peux même regarder des films. Il y a des films qui ont beaucoup de valeur, qui sont beaux, mais il faut choisir. Il faut savoir choisir. Si on s’y tient, si on s’efforce, il faut insister davantage sur ce qu’on doit faire du matin jusqu’au soir.»

P. Iustin Miron
(transcription d'un extrait d'un entretien spirituel avec P. Iustin
enregistré à Porquerolles en sept. 2019)

mercredi 25 septembre 2019

PAS, OU PLUS DE PÈRE SPIRITUEL ? par le STARETS IUSTIN

Au début du mois  le starets Iustin Miron du monastère d'Oaşa (Părintele Iustin Miron, stareţul Mănăstirii Oaşa) est venu au monastère Ste Marie l'Egyptienne à Porquerolles rendre visite à la communauté orthodoxe roumaine et lors de l'entretien particulièrement lumineux autant que savoureux (P. Iustin est plein d'humour comme souvent les grands spirituels) qu'il a eu avec des fidèles en répondant à leurs questions, il a abordé entre autres thèmes le problème de l'absence de père spirituel. En voici la transcription, d'autres extraits suivront sur d'autres thèmes :


"Le bonheur est un état d'accomplissement en Dieu"
« Q. En France nous n’avons pas beaucoup de pères spirituels. Ici nous n’avons pas de guides. Les guides que nous avons sont seulement des prêtres qui vivent dans le monde…  Où trouverons-nous des pères spirituels orthodoxes qui puissent nous accompagner ?

P. Justin  — Père Théophile (Părintele Teofil Părăian, son père spirituel) disait que dans ce cas-là nous avons le Christ qui devient pour nous un Père spirituel.  Il devient pour nous un ami et il suffit d’avoir la foi en cela.
Lorsque je suis parti au monastère, j’ai dit à Père Théophile, « Voilà maintenant je pars, on se sépare, qu’est-ce que je vais faire ? » J’étais angoissé en voyant que je me séparais de Père Théophile, car je n’avais que lui comme Père spirituel. Mais Père Théophile m’a dit « Mon cher, aie la foi et sois sincère, et Dieu t’enverra tout ce dont tu as besoin. Tu ne manqueras de rien, mais sois sincère »
Au départ, ce ne fut pas quelque chose de spectaculaire. Mais ensuite avec la foi, la sincérité, avec le temps j’ai vu qu’il ne me manquait rien dans ma vie.

Quand les pères spirituels s’en vont, nous sommes toujours leurs fils spirituels. Même si on n’y arrive pas et qu’on est faible, fils prodigues que nous sommes. Père Théophile avait organisé une colonie pour les jeunes, seulement des garçons, environ cinquante. Après la mort de Père Théophile, on se posait la question : est-ce qu’on continue à faire la colonie ou on ne la fait plus ? Les jeunes venaient entendre le Père Théophile. On n’était pas sûr de ce qu’il fallait faire. Alors on a décidé de la faire quand même. Et au lieu de cinquante jeunes qui venaient, il y en a eu cent cinquante et après il y en avait deux cent cinquante et ensuite on a dû mettre une limite. Que peut-on en conclure ? Les jeunes venaient encore pour le Père Théophile et c’est encore le Père Théophile qui les ramenait, et maintenant, il est encore plus présent que quand il était avec nous. Quand les saints partent, qu’ils ne sont plus, ils sont encore plus présents.  Les saints sont plus proches de nous dans le Ciel qu’ils ne l’étaient quand ils étaient sur terre. Ils sont partis c’est vrai, mais ils viennent plus que ce qu’ils partent ; mais ils restent et ils sont plus proches de nous.
Nous, maintenant, nous n’arrivons plus à faire face aux milliers de jeunes qui viennent. On n’est rien, on est nuls. Ils ne viennent pas pour nous. C’est Père Théophile qui attire tout ce monde.

À propos du Père Arsenie Boca

Les trois dernières années de sa vie il avait été exclu de l’Église, interdit de monastère et de la prêtrise, on lui avait interdit même de porter l’habit ecclésiastique et il était obligé de porter des habits laïcs. Mais après sa mort, personne ne put empêcher des milliers de gens d’aller en pèlerinage sur sa tombe. C’est un saint.
Il y a eu des jours où il y a eu plus de monde là-bas qu’au tombeau du Christ. Il y a des jours où il y avait cent mille personnes. Il n’est pas encore canonisé mais il y a une démarche pour cela en ce moment. Père Arsenie disait aussi : «Après que je serai parti, je vous aiderai davantage, je serai encore plus avec vous. »
Cela demande un peu plus de foi de notre part. Il faut le croire qu’ils sont avec nous, à nos côtés !





L'exemple de St Moïse "l'éthiopien."
Saint Moïse dit aussi «le voleur», moine d’Égypte du III°s au désert, était auparavant le chef d’une bande de voleurs, qui faisaient toutes sortes de méfaits. Voulant connaître Dieu il rencontra Père Isidore, et devint moine. Moïse avait 25 à 30 ans. Le démon le combattit de diverses façons, alors il commença à lutter de toutes ses forces contre ses mauvais instincts, en priant avec détermination et en faisant beaucoup d’exercices spirituels. Un jour qu’il se décourageait, son père spirituel, Père Isidore  lui dit «Regarde à gauche » et par là il lui donna de voir tous les démons contre lesquels il avait à lutter. Mais il lui dit ensuite « Regarde à droite » et à droite il vit toutes les puissances angéliques qui étaient là, bien plus fortes que les démons ; c’est ce qui l’a déterminé à rester au monastère. Quand il a vu que de son côté, ils étaient plus nombreux et plus forts. Il ne combattait pas seul.


Moi aussi quelquefois j’ai du mal,  Père Théophile me manque et j’aurais envie de parler avec lui. C’est quelque chose d’humain. Ne vous faites pas de souci. Vous êtes seuls semble-t-il, vous n’avez pas de père spirituel, mais  le Ciel vous devient un père spirituel. Saint Nicolas Velimirovitch disait «  Si on voyait toutes les mains qui sont tendues vers nous du Ciel et qui nous relèvent quand nous tendons seulement la main,… car il y a un nombre infini de mains dans notre direction !… » Et nous nous avons peur !?» 
P. Iustin Miron 
(transcription d'un extrait d'un entretien spirituel avec P. Iustin
enregistré à Porquerolles en sept. 2019)

mercredi 24 juillet 2019

sur le site RELIGIOSCOPE : Balkans, les Églises orthodoxes ressentent l’onde de choc de l’affaire ukrainienne

SOURCE
Par Jean-Arnault Dérens, 22 juillet 2019

Le tomos signé le 5 janvier 2019 par le patriarche œcuménique de Constantinople reconnaissant l’autocéphalie d’une Église orthodoxe d’Ukraine provoque autant d’espoirs que d’inquiétudes dans les Balkans, où l’Église serbe est confrontée à des dissidences au Monténégro et surtout en Macédoine du Nord. Une nouvelle carte de l’orthodoxie européenne est-elle en train de se dessiner ?

Une visiteuse prie devant des mosaïques du monastère d'Ostrog, le plus populaire site de pèlerinage orthodoxe au Monténégro (© 2016 Elen11 |iStock).
Dès le 11 octobre 2018, le Patriarcat œcuménique de Constantinople, qui jouit d’une « primauté d’honneur » sur toutes les Églises orthodoxes du monde, mais pas pour autant de pouvoirs hiérarchiques ou disciplinaires semblables à ceux du pape dans le catholicisme, annonçait qu’il allait annuler la décision de 1686 plaçant l’Église orthodoxe d’Ukraine sous la jurisprudence de celle de Moscou. Cette décision, finalement actée le 5 janvier suivant, a suscité une tempête de réactions dans les Balkans – faisant la joie des Églises autocéphales de Macédoine et du Monténégro, qui ne disposent d’aucune espèce de reconnaissance canonique. Ces deux Églises, considérées par la communion de l’orthodoxie mondiale comme des « schismes » de l’Église serbe, ont vu cette décision comme un précédent de bon augure pour leur propre cause.

Très minoritaire, l’Église autocéphale monténégrine, « reconstituée » en 1993, entretenait d’ailleurs des relations nourries avec l’Église ukrainienne du Patriarcat de Kiev. En visite à Cetinje en 2010, son chef, le patriarche Filaret avait lancé : « les Églises orthodoxes d’Ukraine et du Monténégro n’attendent pas la reconnaissance de Moscou ni de Belgrade, mais seulement celle de Jésus Christ »… À l’inverse, l’Église serbe ne cachait pas son inquiétude, et a soutenu la position de Moscou, quoique sans prendre le risque d’une rupture ouverte avec Constantinople, tandis que l’Église grecque surveille avec attention la situation en République de Macédoine – officiellement devenue la « Macédoine du Nord » en janvier 2019, en conséquence de l’accord passé entre les Premiers ministres Alexis Tsipras et Zoran Zaev.

L’onde de choc de cette décision s’est étendue jusqu’en Bulgarie et surtout en Roumanie, où l’Église orthodoxe nourrit avec la Russie un conflit de juridiction en République de Moldavie. Une partie des orthodoxes de ce petit pays reconnaissent l’autorité du Patriarcat de Moscou, les autres celle du Patriarcat de Bucarest, dont dépend la métropole autonome de Bessarabie. Beaucoup d’analystes ont voulu croire que le précédent ukrainien pourrait ouvrir la voie à une autocéphalie moldave, seule à même de sortir le pays du conflit entre les deux Églises rivales[1]. Cela supposerait néanmoins, en indispensable préalable, que la Moldavie soit capable de dépasser les profondes divisions politiques qui la minent, mais aussi de résoudre le défi posé par les séparatistes « pro-russes » de Transnistrie. Aucune perspective de résolution de ce conflit « gelé » depuis 1991 n’émergeant à l’horizon, on peut supposer que le statu quo ecclésiastique a encore de beaux jours devant lui. Toutefois, pour parer à tout péril, le patriarche Kiril de Moscou a effectué une visite très médiatisée en Moldavie à la fin du mois d’octobre, se rendant dans la capitale Chișinău, mais aussi à Balti, Comrat et Tiraspol, chef-lieu de la république autoproclamée de Transnistrie.

Au vrai, l’Église serbe, pourtant très sujette à l’influence russe, essaye de tenir une position de relative neutralité, évitant de se ranger trop bruyamment dans le camp de Moscou, et prêche la modération. Après avoir longtemps hésité, elle avait finalement décidé de prendre part au « Grand et Saint Concile panorthodoxe » de Crête, en juin 2016, boycotté par les Églises de Russie, de Géorgie, de Bulgarie et d’Antioche. En effet, l’Église serbe est très liée aux évêchés du nord de la Grèce, placé sous la juridiction du Patriarcat œcuménique, et elle redoute surtout une division du Mont Athos, où elle dispose du grand monastère du Hilandar. L’Église marche donc sur des œufs, évitant de s’engager de manière irrévocable dans un camp ou l’autre. Selon l’évêque Irinej de Bačka, « l’Église serbe n’est pas pour Moscou ni contre Constantinople, mais pour le respect de la tradition canonique » - ce qui représente une position de principe fort respectable, mais pas toujours simple à garder dans les complexes remous de la géopolitique ecclésiale.

Vers une Église du Monténégro ?


Aux inquiétudes serbes a bien sûr répondu l’enthousiasme des Macédoniens et des fidèles de la très petite Église autocéphale du Monténégro. Au vrai, c’est dans ce dernier pays que la situation pourrait le plus vite évoluer. L’Église monténégrine, « recréée » en 1993, ne compte pourtant guère qu’une poignée de prêtres, sous la houlette du métropolite Mihailo (qui avait reçu l’épiscopat d’un groupe d’évêques bulgares alors en dissidence). C’est une Église militante, qui s’est battue dans les années 1990 pour la restauration de l’indépendance du Monténégro, finalement recouvrée en 2006, tout en s’opposant à l’influence serbe dans le pays, largement incarnée par Amfilohije, le métropolite serbe du Monténégro et du littoral. C’est pourtant bien ce dernier qui pourrait se retrouver au cœur d’une nouvelle configuration ecclésiale.


Des pèlerins devant le monastère orthodoxe d'Ostrog,
 adossé à une falaise du Monténégro (© 2013 Suc |iStock).
La question de l’autocéphalie monténégrine est un dossier dont les pièces sont bien connues, mais se prêtent à des interprétations contradictoires. La principauté médiévale de Dioclée, ancêtre du Monténégro, se trouvait située sur l’ancienne ligne de partage entre les Empires romains d’Occident et d’Orient, et l’archevêché de Bar (Antivari) a varié d’obédience au cours du Moyen Âge. Réunie à la principauté serbe de Rascie au XIIIe siècle, la Dioclée, qui prit alors le nom de Zeta, s’ancra progressivement dans l’orthodoxie. Après la conquête ottomane des Balkans, la disparition de l’État serbe et la suppression de la patriarchie de Peć, au XVe siècle, le Monténégro, théoriquement vassal de la Porte, mais jouissant de fait d’une très large autonomie, devint un îlot de résistance dans les Balkans. En 1455, le voïvode monténégrin Stefan Crnojević et le concile de la Zeta déclarèrent qu’ils ne reconnaissaient pas « l’épiscopat latin », et engagèrent le processus qui allait aboutir à la création d’un siège métropolitain de Cetinje, trente ans plus tard. Cette Église monténégrine jouit d’une indépendance de fait, avant de reconnaître la juridiction du Patriarcat de Peć, lorsque celui-ci fut recréé, en 1557. Le lien entre les deux institutions est néanmoins toujours resté d’autant plus ténu que le patriarcat était fortement intégré dans les structures administratives de l’Empire ottoman, tandis que les évêques de Cetinje incarnaient la résistance des Slaves orthodoxes des Balkans. À compter d’une date incertaine, ceux-ci assurèrent d’ailleurs également le pouvoir temporel, en qualité de princes-évêques, élus par l’assemblée des hommes libres. Ce n’est qu’en 1851 que le prince Danilo Petrović Njegoš renonça à la charge épiscopale, permettant l’instauration d’un principe dynastique direct.
À Podgorica, une statue de Petar I Petrović-Njegoš (1749-1830), prince-évêque du Monténégro de 1781 à 1830 (© Dvrcan | Dreamstime.com).
Lorsque la Porte supprima de nouveau le Patriarcat de Peć, en 1766, alors que la petite principauté monténégrine venait de nouer des liens diplomatiques avec la Russie, l’Église de Cetinje ne reconnut pas la juridiction du patriarcat œcuménique de Constantinople, mais s’appuya sur l’Église russe : les milieux autocéphalistes soutiennent qu’elle aurait reconnu l’indépendance ecclésiastique monténégrine en 1851. Après la pleine reconnaissance de l’indépendance monténégrine au Congrès de Berlin, en 1878, la Constitution du pays confirma le caractère autocéphale de son Église, mais l’État monténégrin s’effondra dans la bourrasque de la Première Guerre mondiale. En 1918, il fut réuni au nouveau Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, extension du Royaume de Serbie des Karađorđević. Cette réunion avait été approuvée par une assemblée réunie à Podgorica, mais resta contestée par une partie de la population. Une résistance « verte », c’est-à-dire favorable à l’indépendance et à la vieille dynastie des Petrović Njegoš, s’organisa même dans les montagnes de la région de Cetinje, contre les « blancs », les unionistes. En 1920, l’Église orthodoxe serbe fut restaurée comme Église patriarcale et autocéphale, et elle plaça le Monténégro sous sa juridiction. L’Église monténégrine restaurée en 1993 conteste bien sûr cette décision, qu’elle considère comme une « annexion » anti-canonique.

Le débat touche à l’identité nationale des Monténégrins, dans des Balkans où les appartenances confessionnelles sont souvent à la base des identités nationales. Les écrits du prince-évêque Petar II Petrović Njegoš (1813-1851), le « grand Njegoš », considéré comme le plus grand poète de la langue serbo-croate, ne laissent pourtant guère place aux doutes. Il se considérait comme « de foi serbe orthodoxe », tout en insistant sur sa « nationalité monténégrine », tandis que ses sujets se définissaient volontiers comme « Monténégrins, c’est-à-dire les meilleurs des Serbes »… L’indépendance ecclésiastique du Monténégro, incontestable aux XVIIIe et XIXe siècle, doit-elle donc être considérée comme un pis-aller, une réponse de circonstance à la disparition du patriarcat serbe ? C’est bien sûr la conclusion que tirent les unionistes, mais elle est contestée par les partisans de l’indépendance politique et ecclésiastique du Monténégro.

Si le métropolite Amfilohije a toujours considéré l’Église monténégrine autocéphale comme une secte schismatique et marginale, sa position sur le fond du dossier est plus ambiguë qu’il n’y paraît au premier regard. Prélat d’une grande culture, artisan majeur du revival spirituel et national serbe dès les années 1980, Amfilohije est aussi un homme de pouvoir, qui entretient des relations complexes avec le régime de Milo Đukanović, l’indéboulonnable maître du Monténégro, qui alterne depuis 1991 les fonctions de Premier ministre et de Président de la République, charge qu’il occupe à nouveau depuis le 20 mai 2018. Depuis la restauration de l’indépendance, en 2006, les relations entre le pouvoir monténégrin et l’Église serbe peuvent se résumer à une longue litanie de tensions et de provocations. Tout est prétexte à conflit, notamment les projets immobiliers de l’Église, tandis qu’Amfilohije multiplie les sorties incendiaires à l’encontre de Milo Đukanović, qui est même désormais menacé d’anathème.

À Lustica, au Monténégro, le 8 août 2014, le métropolite Amfilohije donne la communion à des fidèles (© 2016 Draskovic |iStock).
En effet, le Parlement monténégrin a adopté à la mi-mai une loi sur la liberté religieuse, dont une annexe évoque les biens des communautés religieuses[2] : celles-ci ne pourront conserver leurs biens que si elles peuvent arguer de titres légaux de propriété, ce qui n’est bien sûr pas le cas pour la plupart des églises et des monastères de l’Église orthodoxe serbe, notamment les grands monastères de Cetinje, résidence du métropolite, ou d’Ostrog, véritable cœur de l’orthodoxie au Monténégro. Naturellement, Amfilohije a aussitôt dénoncé une tentative « d’usurpation » par « l’État athée », laissant augurer d’une violente querelle des inventaires à la monténégrine… Solidaire, le Saint-Synode de l’Église russe a même exprimé sa « profonde préoccupation face à la dégradation de la situation »[3].

Pourtant, les relations entre Amfilohije et Milo Đukanović n’ont pas toujours été aussi tendues. Lors de la scission du DPS, en 1996, le métropolite avait soutenu Milo Đukanović contre son rival Momir Bulatović. Les deux hommes étaient arrivés ensemble au pouvoir, prenant le contrôle de l’ancienne Ligue des communistes monténégrins avec le soutien de Slobodan Milošević et se partageant les plus hautes fonctions de l’État. Durant plusieurs années, ils ont tenu le Monténégro aligné sur la ligne politique de Belgrade, mais, en 1996, alors que les accords de paix de Dayton-Paris ont mis à la guerre de Bosnie-Herzégovine, Milo Đukanović cherche à desserrer la tutelle du mentor serbe, auquel Momir Bulatović reste totalement fidèle. Ce dernier perdit la partie de bras de fer. Mis en minorité au sein du DPS, il créa un nouveau Parti socialiste populaire (SNP) et fut battu d’un cheveu par son rival à l’élection présidentielle de l’automne 1997. Le soutien de l’Église orthodoxe serbe a sûrement apporté à Milo Đukanović les quelques milliers de voix qui lui ont permis de faire la différence. Ce choix s’inscrivait, du reste, dans le cadre de la politique générale de l’Église d’opposition au régime « communiste » de Milošević : le patriarche Pavle lui-même prit part aux manifestations démocratiques qui secouèrent la Serbie durant l’hiver 1996-1997.

Cathédrale de la résurrection à Podgorica (© 2019 Maylst |iStock)
Milo Đukanović avait beau reprendre à son compte certains éléments du discours « souverainiste » monténégrin – uniquement défendu, dans la première moitié des années 1990, par l’Alliance libérale du Monténégro (LSCG), par quelques intellectuels et par l’Église orthodoxe monténégrine – il pouvait apparaître, aux yeux du métropolite Amfilohije, comme un politicien plus malléable que Momir Bulatović, homme lige de Milošević. L’Église serbe n’avait pas de raison d’être foncièrement hostile à la résurrection d’un État monténégrin, tant que sa propre position dominante n’était pas remise en question. Ainsi, lors du référendum de 2006, et contrairement aux attentes des partisans du maintien de l’union avec la Serbie, le métropolite Amfilohije pratiqua une retenue s’apparentant à de la neutralité, qui fut peut-être déterminante pour l’issue de la consultation : un fort engagement de l’Église serbe contre l’indépendance aurait certainement eu une grande influence sur les résultats.

Pour le métropolite Amfilohije, il existe donc deux lignes rouges de nature fort différente : la première touche au statut de l’Église, à ses propriétés foncières et aux autres possessions matérielles ; la seconde concerne l’identité nationale des fidèles orthodoxes au Monténégro. Si ceux-ci demeurent « de foi serbe orthodoxe », ainsi que l’écrivait le Njegoš, pourquoi ne pourraient-ils pas être « de nationalité monténégrine » ? Ceci posé, toutes les issues sont envisageables à l’actuel bras de fer qui oppose Milo Đukanović au métropolite Amfilohije, en sachant qu’aucun des deux hommes n’a intérêt à une rupture totale. Au contraire, de puissants intérêts politiques et matériels les rendent indispensables l’un à l’autre. Le Président de la République ne veut pas partir en guerre contre l’Église serbe, et celle-ci dépend du pouvoir politique pour sauver ses biens… Dans ces conditions, beaucoup d’analystes postulent même qu’Amfilohije pourrait très bien devenir le chef d’une Église autocéphale du Monténégro, pour peu que celle-ci ne renie pas son ancrage dans la tradition nationale serbe. En bonne théologie, on pourrait rappeler que l’indépendance des Églises n’a pas à être liée avec les sentiments d’identité nationale, cette funeste alliance constituant même l’essence de l’hérésie ethnophylétiste, telle que définie par le second concile de Constantinople en 1872.

L’Église serbe sous pression du pouvoir politique


La tentation d’être maître chez soi, de devenir le chef d’une nouvelle Église autocéphale travaille peut-être d’autant plus Amfilohije que la situation de l’Église serbe est plus compliquée que jamais. Celle-ci est confrontée à une violente tentative de prise en main par le pouvoir politique, qui compte sur la docilité du patriarche Irinej. Pour le régime du président Aleksandar Vučić, l’enjeu est d’assurer de la neutralité de l’Église sur la question du Kosovo. Issu de l’extrême droite nationaliste, il jouit d’un soutien constant et appuyé des pays occidentaux qui le suppose capable d’imposer un « compromis » à propos de ce territoire, qui supposerait une reconnaissance par Belgrade de l’indépendance proclamée en 2008.

Aleksandar Vučić milite pour un accord « historique » qui passerait par une « redéfinition des frontières », en clair un échange de territoires entre le Kosovo et la Serbie, qui entraînerait immanquablement des déplacements de population et sonnerait le glas pour les enclaves serbes situées dans les parties du Kosovo qui ne seraient pas incluses dans les nouvelles frontières de la Serbie[4]. Or, c’est aussi dans ces régions que se trouvent certains des plus grands et prestigieux monastères serbes, comme celui de Visoki Dečani ou le siège patriarcal de Peć. Dès janvier 2018, le métropolite Amfilohije avait déclaré à la télévision du Monténégro (RTCG) que « la politique du Président Vučić menait à la trahison de la Serbie et du Kosovo », ajoutant : « ni moi ni l’Église n’attaquons personne. Nous ne faisons qu’exprimer notre inquiétude pour la partie la plus importante et la plus sainte de l’État serbe. »[5]

Lors du dernier Synode de l’Église serbe, en mai 2019, Aleksandar Vučić est directement venu sermonner et chapitrer les évêques[6]. En effet, une large partie de l’épiscopat s’oppose fermement à toute hypothèse de partage « ethnique » du Kosovo. L’évêque Teodosije de Prizren et de Raška, dont l’éparchie couvre l’essentiel du territoire du Kosovo, ainsi que le père Sava, archimandrite du prestigieux monastère de Visoki Dečani, ont été victimes de véritables campagnes de harcèlement, notamment dans la presse à scandale proche du pouvoir[7], pour s’être publiquement opposés à cette politique. Le Président a réitéré ses remontrances et ses mises en garde devant le Synode, ce qui a eu pour résultat principal d’accroître les divisions au sein de l’épiscopat, même si le patriarche Irinej a tenu à remercier et à « féliciter » le président Vučić pour son action…


Dans la vieille ville de Kotor, au Monténégro, la façade de l'église Saint-Nicolas
(© 2018 AIS60 |iStock).
Il est surprenant que le chef d’un État laïc intervienne aussi directement dans les affaires religieuses, et il n’est pas plus fréquent que le chef du pouvoir temporel, à supposer qu’il soit lui-même croyant, vienne ainsi dicter sa ligne à l’Église… M. Vučić a besoin du soutien de l’Église pour faire passer auprès de certains secteurs de l’opinion la politique qu’il entend mener au Kosovo, mais lui-même n’est pas connu pour sa piété. Issu du Parti radical serbe, la formation ultranationaliste longtemps dirigée par Vojislav Šešelj, le président serbe a une approche « utilitariste » de l’Église, qui est un vecteur d’opinion qu’il convient de mobiliser au service de la politique qu’il entend mener. Pour cela, le nouveau maître de Belgrade sait se montrer financièrement généreux, multipliant les subventions publiques directes ou indirectes à l’Église[8]. Une manière, peu discrète, mais toujours efficace, d’acheter son soutien.


Le défi macédonien


Une église d'un monastère dans les montagnes de la Macédoine (© 2009 JF Mayer).

Cette Église pourrait néanmoins se retrouver bien vite confrontée à un autre défi majeur en Macédoine du Nord. C’est en effet le nom que porte désormais l’ancienne république méridionale de la Yougoslavie. L’accord signé à Prespa le 17 juin 2018 entre les Premiers ministres Alexis Tsipras et Zoran Zaev, a soldé 27 années de conflit entre la Grèce et la Macédoine, qui porte désormais le nom de « Macédoine du Nord », et voit s’ouvrir devant elle les portes de l’OTAN, à défaut encore de celles de l’Union européenne.

La situation ecclésiastique fait partie intégrante de la complexe « question de Macédoine », cette région centrale des Balkans, partagée en 1913 entre Bulgarie, Grèce et Serbie, étant toujours convoitée par tous ses voisins. Ohrid est un des plus anciens sièges épiscopaux des Balkans, et une Église orthodoxe macédonienne a été créée en 1967, par dissociation de l’Église serbe. Il s’agit du cas, unique, d’un schisme national favorisé par les autorités communistes afin de consolider l’identité nationale des Slaves macédoniens, contestée par les traditions nationalistes tant bulgares que serbes[9]. Après la dislocation de la Yougoslavie et l’accession à l’indépendance d’une République de Macédoine, aussitôt confrontée à l’hostilité de la Grèce, des tentatives de résolution du schisme ont été menées avec la médiation du Patriarcat œcuménique de Constantinople. L’accord conclu à Niš, en Serbie, le 17 mai 2002, prévoyant une réintégration de l’Église de Macédoine dans le giron de son Église mère, qui lui aurait aussitôt accordé un statut d’autonomie, fut aussitôt dénoncé comme une « trahison » à Skopje, et les évêques macédoniens retirèrent leur paraphe, à l’exception d’un seul, Jovan (Vraniskovski), qui fut donc nommé épiscope d’Ohrid et exarque de l’Église serbe en Macédoine. Il fut aussitôt victime de l’hostilité non seulement des milieux ecclésiastiques, mais aussi des autorités politiques, et passa plusieurs années en prison sous des accusations contestables de détournement de fonds.
L'archevêque Stéphane, à la tête de l'Église macédonienne autocéphale,
 lors d'un entretien accordé à Religioscope en 2009 (© 2009 JF Mayer).
Si les relations macédo-serbes se sont détendues depuis la remise en liberté de l’évêque Jovan, aucune avancée notable n’est intervenue sur le fond du dossier, les tentatives de médiation bulgares ou russes n’ayant rien donné de significatif. L’Église orthodoxe macédonienne est à la fois quasiment hégémonique dans son pays – les fidèles reconnaissant l’exarchat serbe n’étant qu’une poignée – et totalement écartée de toute forme de reconnaissance internationale. Même la petite Église monténégrine autocéphale mène une diplomatie plus active, notamment du fait de ses bonnes relations avec le patriarcat de Kiev. Cette situation pourrait toutefois changer, maintenant qu’un des termes de la complexe équation macédonienne a trouvé une solution, avec l’accord passé avec la Grèce et le nouveau nom du pays. Les représentants de l’Église macédonienne affichent une grande réserve, estimant que l’initiative devrait revenir à la Serbie. « Si nous recevons une offre de dialogue, le Saint-Synode de notre Église devra statuer à ce sujet. Pour l’instant, il ne sert à rien de se lancer dans des spéculations », déclarait ainsi en juin l’évêque Timotej de Debar, porte-parole de l’Église macédonienne, qui ajoute que le dernier mot devrait revenir à Constantinople[10].

C’est en réalité une partie de billard à trois bandes qui se joue. Il est peu probable que le patriarche œcuménique prenne une décision unilatérale de reconnaissance sans tenir compte de l’avis de l’Église grecque et celle-ci, jusqu’à plus ample informé, se fait la représentante des intérêts serbes. Dans ces conditions, il faudrait parvenir un accord avec Belgrade et en revenir à peu près aux termes de l’accord de Niš – réintégration dans l’Église serbe et concession d’une autonomie canonique. Un tel compromis serait tout à l’honneur des deux Églises, et l’on peut supposer qu’à la différence de la situation qui prévalait au début des années 2000, le pouvoir politique macédonien soutiendrait un tel compromis. Cherchant à normaliser les relations du pays avec tous ses voisins, le Premier ministre Zaev a également signé un traité « historique » avec la Bulgarie le 2 août 2017, soldant les nombreux contentieux qui existaient entre les deux pays[11]. Hormis la délicate question des relations avec l’Albanie et le Kosovo, il ne reste plus à Skopje qu’à régler la querelle ecclésiastique avec la Serbie.

Une église sur les rives du lac d'Ohrid, en Macédoine (© 2019 JF Mayer).

Le Patriarcat œcuménique serait sans aucun doute favorable à un accord de ce type, mais il fera certainement preuve d’une grande prudence, de crainte de braquer Belgrade et de rejeter l’Église serbe dans les bras de Moscou[12]. Reste à savoir si celle-ci est également prête à un compromis, dont elle a, a priori, peu d’avantages particuliers à attendre. En Serbie, le pouvoir politique peut aussi penser que la question religieuse lui offre toujours une manière de plus d’avoir prise sur la Macédoine du Nord.
Jean-Arnault Dérens

Notes
Laura-Maria Ilie et Florentin Cassonnet, « Clochemerle orthodoxe en Moldavie : la bataille de l'église de Dereneu », Le Courrier des Balkans, 29 avril 2018. ↑
« Monténégro : Milo Đukanović a-t-il déclaré la guerre à l'Église orthodoxe serbe ? », Le Courrier des Balkans, 19 juin 2019. ↑
« Statement of the Holy Synod of the Russian Orthodox Church on the situation in Montenegro », Interfax, 10 juillet 2019. ↑
Lire le dossier du Courrier des Balkans : « Kosovo-Serbie : une « rectification des frontières » pour une « solution définitive » ? » ↑
Srđan Janković, « Serbie : le métropolite Amfilohije tire à boulets rouges contre Vučić », Le Courrier des Balkans, 211 janvier 2018. ↑
Milica Čubrilo-Filipović, « Serbie : l'Église orthodoxe au service d'Aleksandar Vučić ? », Le Courrier des Balkans, 21 mai 2019. ↑
« Serbie : les médias proches de Vučić lancent la charge contre l'Église orthodoxe » , Le Courrier des Balkans, 27 août 2018. ↑
Milica Čubrilo Filipović, « Serbie : l'Église orthodoxe « plus loin de Dieu, plus près du pouvoir », Le Courrier des Balkans, 2 avril 2019. ↑
Lire J.A. Dérens, « Orthodoxie : l’Église serbe face aux schismes macédonien et monténégrin », Religioscope, 16 juin 2004, et « Macédoine: patchwork ethnique et religieux », Religioscope, 6 août 2004. ↑
Branka Mihajlović, « Orthodoxie : entre les Églises de Macédoine du Nord et de Serbie, le dialogue est-il possible ? », Le Courrier des Balkans, 28 juin 2019. ↑
« La Macédoine et la Bulgarie signent un traité d'amitié «historique», sans parler des sujets qui fâchent », Le Courrier des Balkans, 2 août 2017. ↑
C’est ce que souligne la théologienne Regina Elsner : « Orthodoxie : les conséquences de la rupture entre Moscou et Constantinople », Le Courrier des Balkans, 6 novembre 2018. ↑