RÉSISTANCE EUROPÉENNE
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mercredi 30 septembre 2020
jeudi 28 novembre 2019
mercredi 10 avril 2019
L’« épuration ethnique » du Kosovo
sur le Monde Diplomatique
Le plus gros bobard de la fin du XXe siècle
par Serge Halimi & Pierre Rimbert
Il y a vingt ans, le 24 mars 1999, treize États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), dont les États-Unis, la France et l’Allemagne, bombardaient la République fédérale de Yougoslavie. Cette guerre dura soixante-dix-huit jours et se nourrit de bobards médiatiques destinés à aligner l’opinion des populations occidentales sur celle des états-majors. Les Serbes commettent un « génocide », « jouent au football avec des têtes coupées, dépècent des cadavres, arrachent les fœtus des femmes enceintes tuées et les font griller », prétendit le ministre de la défense allemand, le social-démocrate Rudolf Scharping, dont les propos furent repris par les médias ; ils ont tué « de 100 000 à 500 000 personnes » (TF1, 20 avril 1999), incinéré leurs victimes dans des « fourneaux, du genre de ceux utilisés à Auschwitz » (The Daily Mirror, 7 juillet). Une à une, ces fausses informations seront taillées en pièces — mais après la fin du conflit —, notamment par l’enquête du journaliste américain Daniel Pearl (The Wall Street Journal, 31 décembre 1999). Tout comme se dégonflera l’une des plus retentissantes manipulations de la fin du XXe siècle : le plan Potkova (« fer à cheval »), un document censé prouver que les Serbes avaient programmé l’« épuration ethnique » du Kosovo. Sa diffusion par l’Allemagne, en avril 1999, servit de prétexte à l’intensification des bombardements. Loin d’être des internautes paranoïaques, les principaux désinformateurs furent les gouvernements occidentaux, l’OTAN ainsi que les organes de presse les plus respectés (1).
Parmi eux, Le Monde, un quotidien dont les prises de position éditoriales servent alors de référence au reste de la galaxie médiatique française. Sa rédaction, dirigée par Edwy Plenel, admet avoir « fait le choix de l’intervention (2) ». En première page de l’édition du 8 avril 1999, un article de Daniel Vernet annonce : « Ce plan “Fer à cheval” qui programmait la déportation des Kosovars ». Le journaliste reprend les informations dévoilées la veille par le ministre des affaires étrangères allemand, l’écologiste Joschka Fischer. Ce « plan du gouvernement de Belgrade détaillant la politique de nettoyage ethnique appliquée au Kosovo (…) porte le nom de code de plan “Fer à cheval”, sans doute pour symboliser la prise en tenaille des populations albanaises », écrit Vernet, pour qui la chose « paraît faire peu de doutes ».
Deux jours plus tard, le quotidien récidive sur toute la largeur de sa « une » : « Comment [Slobodan] Milošević a préparé l’épuration ethnique ». « Le plan serbe “Potkova” programmait l’exode forcé des Kosovars dès octobre 1998. Il a continué d’être appliqué pendant les négociations de Rambouillet. » Le Monde évoque un « document d’origine militaire serbe » et reprend à nouveau les allégations des officiels allemands, au point de reproduire l’intégralité d’une note de synthèse — ce qu’on appellerait aujourd’hui les
« éléments de langage » — distribuée aux journalistes par l’inspecteur général de l’armée allemande. Berlin entend alors justifier auprès d’une opinion plutôt pacifiste la première guerre menée par la Bundeswehr depuis 1945, de surcroît contre un pays occupé cinquante ans plus tôt par la Wehrmacht.
« éléments de langage » — distribuée aux journalistes par l’inspecteur général de l’armée allemande. Berlin entend alors justifier auprès d’une opinion plutôt pacifiste la première guerre menée par la Bundeswehr depuis 1945, de surcroît contre un pays occupé cinquante ans plus tôt par la Wehrmacht.
Or ce plan est un faux : il n’émane pas des autorités serbes, mais a été fabriqué à partir d’éléments compilés par les services secrets bulgares, puis transmis aux Allemands par ce pays, qui fait alors du zèle pour rentrer dans l’OTAN. Le pot aux roses sera révélé le 10 janvier 2000 par l’hebdomadaire Der Spiegel et confirmé douze ans plus tard par l’ancienne ministre des affaires étrangères bulgare. A posteriori, le document aurait dû inspirer d’autant plus de méfiance que « fer à cheval » se dit potkovica en serbe, et non potkova, ainsi que le remarqua dès le 15 avril 1999 le député allemand Gregor Gysi devant le Bundestag. En mars 2000, le général de brigade allemand Heinz Loquai exprime dans un livre ses « doutes sur l’existence d’un tel document » ; son enquête oblige M. Scharping à admettre qu’il ne dispose pas d’une copie du « plan » original. Au même moment, le porte-parole du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qualifie les éléments du prétendu plan de « matériel peu probant » (Hamburger Abendblatt, 24 mars 2000) ; et la procureure Carla Del Ponte n’y fera même pas référence dans l’acte d’accusation de Milošević en 1999 puis en 2001.
« La guerre, avait expliqué Plenel peu après le début des bombardements, c’est le défi le plus fou pour le journalisme. C’est là qu’il prouve ou non sa crédibilité, sa fiabilité (3). » L’investigateur n’est jamais revenu sur ce grand écart avec « l’amour des petits faits vrais » qu’il proclame dans son livre pamphlet en faveur de l’intervention de l’OTAN (4). Le Monde évoquera à nouveau le faux, mais comme s’il l’avait toujours considéré avec prudence : « “Fer à cheval” reste un document fort controversé, dont la validité n’a jamais été prouvée » (16 février 2002). Spécialistes des Balkans, les journalistes Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin qualifient pour leur part le plan Potkova d’« archétype des fake news diffusées par les armées occidentales, repris par tous les grands journaux européens (5) ».
La célébration d’un anniversaire n’aurait pas justifié à elle seule qu’on revienne sur cette affaire. Mais certaines de ses conséquences pèsent encore sur la vie internationale. Pour ce qui fut sa première guerre depuis sa naissance en 1949, l’OTAN choisit d’attaquer un État qui n’avait menacé aucun de ses membres. Elle prétexta un motif humanitaire et agit sans mandat des Nations unies. Un tel précédent servit les États-Unis en 2003 au moment de leur invasion de l’Irak, là encore aidée par une campagne de désinformation massive. Quelques années plus tard, la proclamation par le Kosovo de son indépendance, en février 2008, mettrait à mal le principe de l’intangibilité des frontières. Et la Russie se fonderait sur cette indépendance lorsque, en août 2008, elle reconnaîtrait celles de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux territoires qui s’étaient détachés de la Géorgie. Puis en mars 2014 quand elle annexerait la Crimée.
La guerre du Kosovo ayant été conduite par une majorité de gouvernements « de gauche », et appuyée par la plupart des partis conservateurs, nul n’avait intérêt à ce qu’on revienne sur les falsifications officielles. Et on comprend sans peine que les journalistes les plus obsédés par la question des fake newspréfèrent eux aussi regarder ailleurs.
Serge Halimi & Pierre Rimbert
(1) Cf. Serge Halimi, Henri Maler, Mathias Reymond et Dominique Vidal, L’opinion, ça se travaille… Les médias, les « guerres justes » et les « justes causes », Agone, Marseille, 2014.
(2) Pierre Georges, directeur adjoint de la rédaction du Monde, entretien accordé à Marianne, Paris, 12 avril 1999.
(3) Cité dans Daniel Junqua, La Lettre, n° 32, Paris, avril 1999, et reproduit sur Acrimed.org, novembre 2000.
(4) Edwy Plenel, L’Épreuve, Stock, Paris, 1999.
(5) La Revue du crieur, n° 12, Paris, février 2019.
mardi 12 juin 2018
Goebels, les apprentis censeurs et les fake news…
Extrait du DRONE 022
ENFUMAGES par Eric Werner
Surcompensation
[…] D’une manière générale, plus on parle de certaines choses, plus il y a de chances pour qu’elles fassent défaut dans la réalité.
Voyez les droits de l’homme. Jamais, comme aujourd’hui, on n’a autant parlé des droits de l’homme, pour autant, quand on se tourne vers la réalité, peut-on dire que la situation dans ce domaine soit très satisfaisante? En Europe même, sous l’effet d’une masse de textes votés à la hâte au prétexte de combattre le «terrorisme», que subsiste-t-il aujourd’hui encore de nos anciennes libertés, celles que nous appelions autrefois «fondamentales»: liberté d’opinion, de recherche et d’expression, liberté de la presse, etc.? Le Parlement français s’apprête ces jours-ci à adopter une loi accordant au gouvernement et à son administration le droit de dire ce qu’est ou non une fausse nouvelle (fake news), donc aussi celui de dire ce qu’est la vérité. Ce n’est pas une très bonne nouvelle pour les droits de l’homme.
La France, patrie des droits de l’homme, n’est peut-être pas encore une dictature policière, mais ce n’est pas en vain qu’un élu régional PS pouvait déclarer en 2011: «Nous sommes dans un régime hypersécuritaire. Lorsque j’étais adolescent, je passais mes vacances en Espagne et même sous le gouvernement de Franco ce n’était pas comme ça. Nous sommes dans un régime véritablement totalitaire»[source] La police française profite, en fait, des lois antiterroristes pour étendre à des domaines n’ayant rien à voir avec le terrorisme les méthodes ultra-violentes de l’antiterrorisme.
Exemple, l’utilisation d’armes de guerre dans le contrôle des foules, armes dites subléthales mais en réalité bel et bien léthales, comme on l’a vu il y a quelques années à Sivens. Ou encore de gaz toxiques, comme ce fut le cas lors de la répression de la manif pour tous...
[…]
Le Conseil de l' Europe a émis une condamnation de la façon dont le gouvernement français a utilisé la répression pour faire taire la protestation contre la destruction du mariage. Il a décrété que les autorités françaises ont porté atteinte aux droits de l'homme en utilisant des gaz lacrymogènes, des bombes fumigènes, l' emprisonnement et des arrestations au hasard pour faire taire l'immense l'opposition dirigée par l'organisation La Manif Pour Tous.
dimanche 18 mars 2018
Un monde sans Poutine… par Slobodan Despot
sur le site https://medium.com/antipresse
Un monde sans Poutine
Ce dimanche 18 mars, les Russiens [1] se rendent aux urnes. Ils s’apprêtent à réélire Vladimir Poutine à une écrasante majorité. Mais s’ils se ravisaient? Si une soudaine révolution colorée venait balayer le maître incontesté du Kremlin? S’il s’empoisonnait lui-même par accident? Qu’adviendrait-il de la Russie? Qu’adviendrait-il de nous? Et d’abord, de moi-même?

Je me posais cette question voici quelques jours en arpentant les rues d’une capitale est-européenne en proie elle aussi à la fièvre électorale. En regard de l’enjeu russe, pourtant, cette élection était presque futile. Plus exactement, elle y était subordonnée. Si la Russie changeait de main, les pouvoirs seraient rebrassés dans le monde entier, même sur un plan interne. Même au niveau municipal, comme ici.
Projection
A quoi ressemblerait un monde sans Poutine? Commençons par la Russie. Le départ de l’homme du KGB signifierait sans faute l’arrivée d’un homme de la CIA, tenu par une laisse plus ou moins visible, plus ou moins longue. La Russie retomberait dans le chaos et le pillage des années Perestroïka, où des directeurs de théâtre s’improvisaient exportateurs de cuivre ou de nickel en gros. Selon le cinéaste Stanislav Govoroukhine, qui avait réalisé une enquête sidérante (et confisquée) sur la Grande Révolution criminelle des années 1990, le bradage frénétique des ressources russes en ces temps-là avait contribué au redressement des économies occidentales après le krach de 1988.
Les médias et le système éducatif seraient immédiatement reprogrammés. Le patriotisme et la relative liberté d’expression feraient place à une dérussisation sans failles. Nul Navalny, nul Kasparov — mais de l’autre bord — ne serait plus autorisé à défier le nouveau pouvoir démocratique dans la rue. (Lorsque la Douma nationaliste s’opposa à Eltsine en 1993, Eltsine la fit démolir au canon, tuant mille insurgés, députés et autres civils de passage dans le silence approbateur des médias d’Occident.)
Le défilé du Régiment immortel du 9 mai, avec ses petites pancartes ringardes à l’effigie des ancêtres morts pour la patrie, serait remplacé par une tonitruante gay pride où des femen équipées de godemichés géants sodomiseraient en cadence le patriarche Cyrille — ou du moins son effigie. Les crimes du nazisme eux-mêmes — du moins sur le front de l’Est — seraient minimisés en regard des horreurs du poutinat. Une reprogrammation qui s’arrête aux confins du vraisemblable et du raisonnable n’est pas une reprogrammation. La «sixième colonne» russe — cette élite loyale au pouvoir quel qu’il soit — se chargerait de présenter aux reprogrammeurs des gages de parfaite réceptivité au sein de la masse populaire.
Ce peuple aussi criminel que veule ne saurait, bien évidemment, rester assis sur le sixième des terres émergées et les trésors qu’elles recèlent. Le plan de partition du territoire esquissé par «Zbig» Brzezinski serait rapidement mis en place, d’autant plus rapidement que l’économie du bassin atlantique marque le pas. La Crimée serait livrée à l’Ukraine sans aucune consultation de ses habitants et la rébellion du Donbass matée avec l’aide du Kremlin lui-même. Comme tout cela susciterait quand même quelques tensions, le nouveau gouvernement fédéral accueillerait avec soulagement des «soldats de la paix» dont le bivouac se transformerait aussitôt en bases permanentes de l’OTAN au cœur du monde. Comme aujourd’hui au Kosovo et dans les Balkans, la gestion politique de ces nouveaux États-croupions serait déléguée aux mafias locales et exercée de fait par des préfets occidentaux. Comme au Kosovo, les ministres, secrétaires d’État, barbouzes, chefs militaires (voir l’exemplaire cas Petræus) des forces de libération se transformeraient du jour au lendemain en investisseurs et magnats des hydrocarbures, des diamants ou des médias.
Dès lors, les bastions de résistance au capitalisme du désastre s’effondreraient comme châteaux de cartes, à commencer par le nœud pétrolier crucial de la Syrie. L’Iran serait attaqué dans la foulée avec l’aide de la Turquie soudain réalignée et qui n’en serait pas à son premier retournement de veste. En guise de récompense, Erdogan serait autorisé à régler durablement la question kurde et à dégazerquelques millions de réfugiés en direction de l’Europe. Car tout ce remue-ménage se solderait par un exode autrement plus massif que ceux qu’on a connus jusqu’ici, sans compter les masses africaines pas directement concernées qui profiteraient du brouhaha pour s’engouffrer dans le sillage.
Sur le Vieux Continent, les quelques États d’Europe centrale tacitement adossés à la Russie pour défendre leur souveraineté et refuser le saupoudrage migratoire seraient mis au pas et gratifiés de quotas punitifs de réfugiés pour mieux savourer la «chance» dont ils s’étaient privés jusqu’alors. Pris en tenailles entre le flux humain et les grognements croissants de leur population, les satrapes de l’UE s’empresseraient, en échange d’un relâchement de la pression, de signer avec les USA les contrats de libre-échange léonins qui officialiseraient la transformation de l’Europe en marché de dumping américain. Dès lors, tout en achetant massivement appartements et placements outre-Atlantique, ils renforceraient les programmes d’éducation-à-l’acceptation-de-l’Autre à l’égard des indigènes. Les Botho Strauss [2] et autres Renaud Camus auraient enfin de bonnes raisons de ne plus reconnaître leur propre pays en sortant de chez eux.
Ils auraient d’encore meilleures raisons de ne plus s’en plaindre, puisqu’à la suite des lois sur les «fake news» françaises et allemandes et de la transformation de la paranoïa Russiagate en programme de censure officiel, l’Euroland adopterait des dispositifs assimilant toute résistance à la tiers-mondisation du continent à du nationalisme d’inspiration poutinienne.
C’est ainsi que l’auteur de ces lignes, sitôt qu’il remettrait les pieds en France, ou dans la préfecture otanienne qui en tiendrait lieu, serait convoqué pour entretien à cause du présent article, et plus encore de son virulent Syndrome Tolstoïevsky qui commençait par:
«Le problème, avec l’approche occidentale de la Russie, n’est pas tant dans le manque de volonté de comprendre que dans l’excès de volonté de ne rien savoir.»
Réfutation
Implacable, non? Or je ne veux pas croire à ce scénario. Il ne me convainc pas et je n’ai pas envie d’y penser. Ceci pour deux raisons. La première est générale, la seconde personnelle.
La raison générale, c’est que ce pronostic est tendancieux. A chaque embranchement, il fait le choix du pire. Il ne convainc que ceux qui ont envie de malheur. D’autre part, on n’est plus en 1993. L’Empire atlantique n’est plus seul maître du monde. Bien au contraire, il est dressé sur ses pattes arrière, les babines retroussées, face à deux challengers qui se tiennent les coudes. En 2018, les États-Unis cherchent à refermer les marchés quand la Chine ne demande qu’à les ouvrir. Les États-Unis connaissent une guerre civile virtuelle entre leur présidence et leurs élites quand la Chine octroie sans un pli le pouvoir à vie à son Xi, redevenant de fait une monarchie impériale. Les États-Unis s’enlisent dans des opérations de police globale ruineuses et sans but défini quand la Russie fait la démonstration d’une efficacité sidérante avec quelques dizaines d’avions et quelques milliers d’hommes en Syrie, coordonnés par des missions rigoureusement délimitées. Les États-Unis engloutissent des budgets faramineux — au prix de leur sacro-saint niveau de vie — dans des projets d’armes ésotériques dont le but réel n’est que d’assurer la survie de quelques corporations boulimiques, tandis que la Russie officialise des drones nucléaires sous-marins qui mettent à nu l’Amérique côtière — autrement dit toute l’Amérique.
Par conséquent, il n’y a pas que la CIA qui pourrait convoiter le trône du Kremlin. Les camarades beaucoup plus discrets du Guoanbu pourraient être déjà assis dessus avant que le premier agent U. S. n’entre dans la salle.
De plus, les Yankees et leurs moucherons se sont intoxiqués avec leurs propres affabulations. Attribuer la responsabilité de ces renversements historiques à l’action d’un seul homme, et croire que son élimination permettrait de ramener le monde vingt ans en arrière, est une tournure rhétorique qui certes permet de simplifier efficacement la story à l’adresse du grand public, mais qui fait oublier qu’on a affaire non à des chefs de bandes, mais à des systèmes évolués.
La Russie, une fois rentrée dans son assiette historique et administrative, est un système stable, centralisé, qui peut compter sur une obéissance sans faille de ses sujets, sur une abnégation d’un autre temps et sur un patriotisme élevé au rang de religion. C’est ce consentement à la destinée commune que les Occidentaux appellent une dictature, eux-mêmes préférant gouverner leurs masses par la diversion et le simulacre.
Malgré l’immensité du territoire, les différences dialectales à l’intérieur de la langue russe sont anecdotiques — bien moindres qu’en Italie ou dans l’aire germanique — et les villes sont organisées selon une même charte de Kaliningrad à Vladivostok, charte édictée par la grande Catherine en personne. Par-dessus tout, l’ordre y est assuré depuis des siècles par des forces de sécurité redoutables qui assurent, avec l’Église orthodoxe, la survie de l’organisme dans les conditions les plus extrêmes.
L’irruption out of nowhere du jeune officier Poutine au tournant de l’an 2000 ne signifiait rien d’autre que le retour aux affaires de ces forces-là après une déstabilisation en profondeur qui avait failli faire imploser le pays. Le blondinet a accompli son mandat sans faille et, vu son esprit méthodique, il aura assuré sa succession de longue date. Il faudrait bien plus d’imagination qu’on n’en a aujourd’hui, et bien d’autres rapports de force, pour répéter le piège de la Perestroïka. Et il faut avoir étudié la fracture des destinées individuelles, le marasme démographique, la terrainvaguisation du paysage urbain et rural et l’ensauvagement apocalyptique d’une génération perdue pour entrevoir l’ampleur de ce cataclysme si superficiellement évoqué chez nous. Les Russes ne veulent plus revivre ça, à aucun prix. Mais que savons-nous de ce que veulent les Russes? Et qu’est-ce que cela nous fait?
Confession
Ceci m’amène à ma raison personnelle. Je n’ai plus envie de combattre les moulins à vent de la propagande officielle. Je l’ai fait voici bientôt trente ans, excédé par la bêtise ignare et raciste qui tenait lieu d’information au sujet du conflit qui dévasta mon pays natal, la Yougoslavie. Cela m’a détourné de mes études, coupé de mes intérêts réels, et m’a poussé vers un univers dont je n’eusse jamais songé à me rapprocher: la politique.
Les rapports sociaux sont régis par la loi de l’osmose. Qui se ressemble s’assemble, certes — mais l’inverse est aussi valable: qui s’assemble se ressemble. A force de ferrailler contre la simplification, on se simplifie. A force de pourfendre les a prioripolitiques, on se politise. A force de s’opposer à un parti, on crée le sien. Quiconque s’immisce dans le débat public s’expose à fédérer des «partisans» dont les motivations n’ont pas grand-chose à voir avec les siennes propres. On vous attire — ou l’on vous pousse — dans des cénacles «amis» avec qui vous n’avez souvent en commun que des rejets. Dans le même temps, certains milieux où vous attireraient vos affinités se referment. Bref, vous êtes «marqué», comme un bovin d’élevage. On vous identifiera désormais par votre étiquette.
C’est ainsi. Je ne suis pas l’éditeur de dizaines d’auteurs originaux, ni l’auteur de romans primés publiés par Gallimard. Je suis en premier lieu le souverainiste prorusse, proserbe et antiatlantiste de service. A ce titre, je suis sûr de ne prêcher que les convaincus, alors qu’en tant qu’éditeur ou romancier je touche un public aussi inclassable qu’inattendu.
Le plus élémentaire bon sens, hormis l’intérêt de carrière, me commande de ne plus me laisser enfermer dans ce rôle. Mais ce n’est pas qu’une affaire de stratégie de communication. Cela touche aussi à la qualité et à la substance de ce que je peux comprendre et exprimer.
Extension
La réflexion politique, qu’elle aille dans le sens du poil ou à rebours, ne fait qu’effleurer la surface des choses. Or elle tend à occuper toute la place, au détriment de l’observation et du témoignage saisi au ras du sol. Revenons quelques instants au début de ce texte et dans cette capitale étrangère où j’avais entamé ma réflexion. Je remontais une vieille rue artisanale en direction du centre. La plupart des vitrines semblaient destinées à illustrer les effets conjugués du soleil et du temps qui passe sur des marchandises passées auxquelles leurs producteurs eux-mêmes ne croyaient plus. Je me suis arrêté devant une boutique de sellier-maroquinier qui m’avait toujours attendri. Le vieil homme, moustache poivre-et-sel, était debout derrière son comptoir, en bleu de travail, l’air éternellement désœuvré. Qui aurait acheté ces ceintures inusables en cuir rigide ou ces sacs bandoulière anguleux à fermeture dorée tout droit sortis d’une pub Dunhill de 1975 (avec le mannequin à favoris et costume rayé et la Jensen Interceptor à l’arrière-plan)? A notre époque, entre la camelote industrielle et le luxe onirique, il n’y a plus beaucoup de place pour les objets réels. C’est la marque qui justifie le prix, et après elle le design. La qualité des matières, le soin de l’exécution ou la durabilité n’entrent pratiquement plus en jeu — encore moins la «patte» du fabricant. Les produits de cette boutique étaient faits pour une clientèle et une société qui n’existent plus. Son patron était lui-même une relique. Ni son habileté, ni son imagination, ni même un sens aigu du commerce n’y changeraient rien.
Trois cents mètres plus haut, la rue artisanale s’embranche sur une artère marchande du centre ville. Soudain, les loyers explosent, la foule se densifie, l’éclairage triple d’intensité. Plus question de mouches mortes ni de plantes en pot dans les vitrines. Une marque de sport bien connue vend des chaussures de course hypertechniques aux joggeurs du dimanche. Et elles s’arrachent, comme les montres de plongée parmi les cols blancs. Un euro de matière plastique, moulé et thermocollé par des robots, pour 200 euros affichés, soit le tiers du salaire moyen local. Ce qui justifie ces 20’000 % d’écart entre le prix de revient et le prix de vente? Le rêve, autrement dit le marketing, autrement dit la pensée magique. Pour le prix de cette chimie éphémère et malodorante, ou à peine davantage, j’achète auprès d’une petite usine française des chaussures de sport en cuir et semelles de gomme que je change toutes les années bissextiles… quand je ne les fais pas ressemeler. Et l’on me dit que j’ai «des goûts de luxe». Tandis que les ados qui ruinent leurs parents pour les pouponnières à bactéries griffées qu’ils portent aux pieds, eux, ont des goûts normaux.
Je ne suis pas du côté des selliers et des cordonniers parce que je suis réac et souverainiste. Je suis réac et souverainiste parce que je suis du côté des selliers et des cordonniers. Entre la boutique vermoulue de la rue pavée et le flagship store de l’artère commerciale, c’est une bataille titanesque qui se livre, bien plus féroce que toutes les guerres du pétrole. Elle oppose les mammifères vivant de et sur la terre, ou ce qu’il en reste, à des androïdes vivant dans les branchages de la réalité virtuelle, sans contact avec le sol, telle une population de perruches dans les forêts d’Amazon.
M. Poutine aimerait peut-être bien, lui aussi, jucher son vaste pays dans ces frondaisons chatoyantes. Le hic est qu’on ne le lui permet pas — ou seulement sans drapeau, à l’échelle des particuliers, comme aux derniers JO d’hiver. Il reste donc — lui, son sosie ou son successeur préparé par les Services — un semblant de recours des mammifères enracinés face à la volière psychédélique qu’est en train de devenir le monde régi par le capitalisme du désastre.
Je me joins donc au chœur de ceux qui voudraient dépoutiniser le monde. Mais peut-être pas pour la même raison. J’aimerais qu’on cesse de réduire des peuples à des Poutine, des Trump, des Macron® et des Xi, et qu’on commence à éprouver et méditer les réalités humaines qui se cachent derrière ces ombres chinoises.
PS — D’aucuns m’ont suggéré de commenter l’épisode de l’empoisonnement britannique. Je n’ai rien à dire là-dessus. L’affaire est trop claire. Il va de soi que M. Poutine n’a rien de plus pressé que de liquider un espion au rebut, sur le sol du pays qui jappe le plus contre lui, avec un produit qui le «signe», et ce à la veille de ses élections et de son Mondial de foot. Il aurait tout aussi bien pu laisser sa carte d’identité sur les lieux du crime. C’est à la mode, parmi les débiles mentaux.
NOTES
- Les Russiens désigne tous les citoyens de Russie, groupe bien plus nombreux que les Russes ethniques.
- Voir Botho Strauss, «Le dernier des Allemands», Antipresse N° 14, 6.3.2016.
mardi 20 février 2018
Vous avez dit "Fake News" ?
DANS LE NUMÉRO 4 du DRONE généré par l'ANTIPRESSE
Tous ensemble contre les fake news
C’est le cri de ralliement de ce début 2018: «tous, tous ensemble contre les fake news!» On pourrait en faire une manifestation, M. Macron veut en faire une loi. Bienvenue dans le monde des vérités officielles! Le sujet est réel. Le nombre de clics, de likes ou de vues devient le critère de véridiction le plus largement reconnu. Ce que le plus grand nombre croit être vrai, voilà la vérité! Voilà qui consacre la déchéance des experts, le déni des institutions, voilà aussi ce qui ouvre la porte à de redoutables pratiques. Avec un peu de savoir faire ou beaucoup d’argent, il est si facile de propulser des sujets et, le succès attirant le succès, de les imposer comme vérité! Facebook vient de reconnaître que les identités fictives étaient deux fois plus nombreuses que selon les évaluations précédentes, et la création de faux followers, de faux contributeurs, de faux votants, est devenue une industrie! Tout le sujet des liens sponsorisés, des sondages truqués et des robots virtuels est là. Il n’est pas si éloigné de ces fabriques de l’émotion avec lesquels les media dominants fabriquent le consentement et l’obéissance d’opinions publiques sidérées par les images qui leur sont imposées. Et il en revient bien vite à la neutralité du Net, à l’intérêt des géants qui le contrôlent, et aux présupposés idéologiques et politiques qui structurent moteurs de recherche, algorithmes et affichages. Le sujet est redoutable. Quelles sont les «fake news» les plus désastreuses de ces dernières années? Difficile de ne pas citer en premier l’invention des «armes de destrucinvention massivement validée par tous les médias dominants, et qui devait légitimer une invasion de l’Irak dont chacun peut apprécier les résultats. Difficile d’éviter le sujet de l’euro, dont il a été affirmé sur tous les tons et sur toutes les tribunes qu’il assurait la convergence des économies européennes; jamais les économies n’ont autant divergé, et jamais, l’accumulation des excédents commerciaux de l’Allemagne et des déficits des pays du Sud n’a autant menacé la maison Europe. Difficile d’oublier la prétendue «insurrection démocratique» de la place Maidan, à Kiev, dont l’envoyée spéciale américaine, Mme Barbara Nuland, se fait gloire de l’avoir financé à hauteur de… 5 milliards de dollars, tout cela pour instaurer l’un des régimes les plus corrompus de la planète, et laisser quelques complices locaux faire main basse sur les ressources du pays, en cachant mal leurs croix gammées… Les prétendus «printemps arabes» relèvent de la même intoxication des opinions occidentales par les belles histoires de l’importation démocratique, l’Égypte, la Libye ou la Syrie en illustrant les brillants résultats, la Tunisie seule sauvant les apparences – mais pour combien de temps?
Hervé Juvin: les plus grosses fake news
sont les mensonges d’Etat
extrait
"Hervé Juvin est un homme-orchestre. Homme d’affaires, entrepreneur, il dirige NATPOL DRS (Diversité, Résilience, Sûreté) et prépare un ouvrage sur Le moment politique – Un manifeste écologique et national, à paraître aux Editions du Rocher, avril 2018. Il est surtout l’un des essayistes les plus originaux et les plus provocants de notre temps en langue française. Avec Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015) ou Le gouvernement du désir (Gallimard, 2016), il s’attaque aux idéologies explicites ou cachées qui régissent les fonctionnements fondamentaux de notre vie politique, économique et sociale. Dans cette contribution exclusive, il rappelle que les dealers principaux de fake news sont ceux-là même qui, désormais, prétendent les poursuivre pénalement.
Tous ensemble contre les fake news
abonnement
lundi 5 juin 2017
LA FABRICATION D'UNE "FAKE NEW"
Depuis bien avant la mode de la chasse aux « fake news », on sait que les mensonges sont d’abord le fait des grands médias. Et c’est précisément parce que ces grands médias s’affolent de voir la « toile » donner une information alternative qu’ils organisent la guerre contre les soi-disant « fake news ».
Voici un exemple spectaculaire : la pure et simple fabrication, par CNN, d’une manifestation musulmane de dénonciation des attentats et de solidarité avec les victimes.
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