Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8
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mercredi 7 août 2019

LE BONHEUR D'AIMER DIEU par Père FRANÇOIS de bienheureuse mémoire



Le Père François Brune, né le 18 août 1931, est décédé mercredi 16 janvier 2019. Ordonné prêtre dans l’Église catholique et membre des Sulpiciens, il est devenu à la fin de sa vie, le dimanche d’avant la grande fête de Pâques 2018, prêtre orthodoxe. 

Théologien, professeur, chercheur, le Père François Brune était un grand serviteur de Dieu, mondialement connu. 

Il a écrit une vingtaine d’ouvrages, certains traduits en 7 langues : « Pour que l’homme devienne Dieu » « Les morts nous parlent », « La fracture théologique, un Christ deux christianismes ». 



Sa vie a été un long cri d’amour pour Dieu, vécu dans une grande simplicité et humilité. Dans ses écrits, ses conférences, sa filmographie, il s’est toujours élevé contre une théologie fondée sur saint Augustin et saint Thomas d’Aquin. Il partageait la beauté et la vérité d’une vie qui incluait l’expérience de notre lien intime au divin. Il indiquait la voie de l’Église des premiers siècles, des pères grecs, et des mystiques chrétiens de tous les temps. 



Sans fermer les yeux sur ses faiblesses, il se référait toujours à l’Église orthodoxe comme ayant su garder le message vrai de la foi, inaltéré. Plusieurs de ses livres sont aujourd’hui traduits en russe. Le Père François Brune est devenu orthodoxe à la fin de sa vie. (source)


Voici le texte qui était proposé à l'entrée de la cathédrale de la Sainte Trinité :

"Qui suis-je ? Qui m'a mis là ? Mes parents, bien sûr ! Mais au-delà, avant eux, qui ? Et pour quoi ? Pourquoi dans ce monde, sur cette planète et dans ce pays, dans cette culture, cette religion ? Tout cela a-t-il un sens ? Lequel ? Et que dois-je faire ?
Tout cela, je l'ai personnellement vécu et éprouvé comme ça. Il ne s'agit pas de littérature. Je l'ai éprouvé avec d'autant plus de violence que le monde sortait à peine de la pire guerre de son Histoire. On découvrait peu à peu jusqu'où avaient pu aller les forces de haine dans le cœur des hommes ! L’homme, le seul parmi tous les vivants de cette planète à pratiquer des massacres périodiques de sa propre espèce, accompagnés d'actes de tortures, de recherches raffinées pour humilier, faire souffrir au maximum le groupe adverse avant de l’anéantir !
Mais, entre deux guerres, il y avait toujours des périodes de réconciliation, de bonne entente sur de nouvelles bases. Je devais découvrir que l'ensemble du monde, de la Création, ne connaissait même pas ces périodes de paix. Le monde dans lequel nous vivons comporte deux aspects profondément opposés. D'un côté il est merveilleux : je ne vais pas vous faire tout un passage lyrique sur la splendeur de la nature, des montagnes aux plaines, des fleuves aux océans, des couchers de soleil aux aurores boréales. Je ne vais pas vous décrire l'incroyable fantaisie des différentes formes de vie, sur terre, dans les airs ou au fond des eaux... tout cela vous le savez. Mais il y a aussi un autre aspect : derrière les frondaisons des arbres, à travers les chants variés des oiseaux, dans les profondeurs des océans, toute cette vie grouillante n'est qu'une immense partie de chasse épouvantable, chacun essayant d'échapper à son prédateur, mais poursuivant en même temps sa proie pour arriver à survivre. Au-delà de l'immense paix d'un beau coucher de soleil, il y a la transition entre la chasse de jour et la chasse de nuit qui n'est pas moins impitoyable. Notre corps lui-même est un terrible champ de bataille, non seulement à sa surface, mais en profondeur, entre cellules ! Je veux bien que chacun, selon son tempérament, soit plus sensible à l'harmonie de la nature ou à sa cruauté. Mais, qu'on le veuille ou non, les deux aspects sont là. Je sais qu'il y a aussi l'épisode des amours et des naissances qui nous attendrit toujours dans les films sur les animaux. Mais il ne s'agit que d'une variante au schéma général, car, ces petits, il faut bien les nourrir ! Il n'y a pas de lions végétariens. Il n'y a guère que les herbivores qui seraient des victimes innocentes, encore que l'on commence à deviner que les plantes ne sont peut-être pas totalement insensibles. Alors ?...
Mon tempérament, ma sensibilité, ont fait que je suis toujours resté profondément marqué par cette empreinte du mal dans le monde. J'aurais probablement sombré dans un nihilisme total,  un désespoir profond, si je n'avais pas eu, très tôt, une certaine force en moi qui m'a permis toujours de triompher, tant bien que mal, de ce pessimisme profond.
Cette petite force, c'est la prière ! Dans l'Église catholique et romaine, on ne donne pas la communion, le corps du Christ, aux nouveau-nés, mais seulement vers 7 ou 8 ans. En I938, j'avais 7 ans et je me préparais à cette première communion.
À cette époque-là, on sentait aussi l'approche de la guerre. Je me souviens que, le soir, dans mon lit, je priais le plus longtemps possible, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte, pour que cette guerre soit évitée. Je pense que c'est ainsi qu'une certaine rencontre s'est faite entre moi et Dieu. Rien d'extraordinaire, pas d'extase, de paroles intérieures, de vision de lumière et autres phénomènes... Mais une certitude de Sa présence et de Son attention à ce que je Lui disais, la certitude que j'étais important pour Lui parce qu'Il m'aimait ; je n'étais pas non plus plus important que les autres, mais Il nous aimait tous, réellement.

Je crois que c'est ce contact avec Dieu, avec Jésus, qui m'a permis de traverser toutes ces années d'épreuves sans sombrer dans le désespoir. Quand j'avais 15/16 ans, nous habitions une petite ville de la banlieue de Paris. Après les cours de l'après-midi, qui finissaient vers 17 heures, j'allais, presque tous les jours, à la cathédrale qui n'était pas très loin de cette école et je m'y trouvais, seul, dans le silence, pour prier. C'était dans la chapelle de la Vierge, la Mère de Dieu, derrière le Chœur de la cathédrale, une magnifique église gothique du XIIIe siècle qui avait échappé aux bombardements.

J'étais alors en « terminale » et nous étions répartis en deux sections. Les « scientifiques » n'avaient que trois heures de philosophie par semaine, mais dans la section «littéraire », nous avions 9 heures, avec un professeur, ancien croyant, catholique, devenu communiste et athée. Je lui dois beaucoup par ailleurs, mais ce n'est pas lui qui m'a aidé à trouver le sens de ce monde. C'est ma petite prière quotidienne qui m'a aidé à tenir, dans un noir absolu, une incompréhension totale de ce monde et même du silence de Dieu ! Je ne comprenais rien, rien à rien, mais je continuais à Lui faire confiance, peut-être seulement parce que je n'avais aucun autre recours.

Les philosophes ont essayé d'expliquer cet état épouvantable du monde par différentes théories qui ne sont en réalité qu'une autre manière de se résigner à un état de fait, à ce que l'on ne peut pas changer. Ce monde, pour exister, nous expliquent-ils, a besoin de lois complexes, souvent contradictoires. Sans ces lois et les tensions qu'elles génèrent, ce monde ne pourrait pas exister. Dieu lui-même, avec toute Son intelligence, ne pouvait pas inventer, créer, un monde plus simple, sans tous ces conflits. La vache, nous expliquent-ils encore, en se déplaçant, écrase forcément des milliers d'insectes.
C'est la diversité des formes de vie qui engendre forcément tous ces conflits. Mais c'est cette diversité même qui fait la beauté de cet univers. Allez expliquer ça à une mère qui vient de perdre son enfant ! Le philosophe français Teilhard de Chardin, prêtre jésuite, mais aussi paléontologue, complétait ces explications traditionnelles par la notion d'évolution :
Il était physiquement (ou métaphysiquement ?) impossible à Dieu de créer un monde en état de perfection. L'état d‘harmonie du monde, de perfection, ne pouvait être que le résultat d'une longue évolution. Mais jusqu'à ce stade ultime, le mal et la souffrance régneront. 
Le Père Teilhard ne semble pas avoir expliqué, dans aucun de ses ouvrages, pourquoi il était impossible à Dieu de faire autrement. C'était, semble-t-il, pour lui, formé par la paléontologie, une évidence.

Dans ce monde sans cesse bouleversé par des guerres, des révolutions, des révoltes, des complots, des attentats, comment trouver un sens à tout cela et comment donner un sens à sa propre vie ?

« Oh, puissions-nous être nos arrière, arrière-grands-parents ! Une aile de mouette, une tête de libellule, ce serait déjà trop et souffrirait déjà trop » s'exclamait  Gottfried Benn, grand poète allemand, mais aussi chirurgien pendant la dernière guerre.

On se souvient de l’apologue imaginé par le philosophe français Henri Bergson : Le monde serait heureux, harmonieux, mais tout ce bonheur ne serait possible que parce que, quelque part, loin des regards, quelqu'un serait sans cesse horriblement torturé. Alors, disait le philosophe, plutôt rien, le néant, pas de monde heureux, plutôt que cette monstruosité !

Que de fois j'aurais anéanti le monde ! Oui, plutôt rien que tant de souffrance !

Ce monde n'est évidemment pas celui que Dieu a voulu ! C'est un monde détraqué, faussé. Même cette lutte permanente pour survivre, aux dépens des autres, en ne sauvant sa vie que par la mort des autres, ce monde ne peut pas avoir été conçu, voulu par Dieu ainsi.

Je me rappelle que, dans son autobiographie, le cardinal Newman (théologien de l'Église anglicane devenu catholique), cherchant à rendre évidente la tradition du « Paradis Perdu » rapportée dans le premier livre de la Bible, en était arrivé à une démonstration très simple, mais très efficace. J'en reprends ici l'idée : Descendez dans la rue ou dans le métro et regardez la tête des gens. De toute évidence, ce sont les survivants d'une catastrophe cosmique épouvantable dont les visages gardent le reflet. Ce ne sont pas des créatures rayonnantes de bonheur, heureuses de vivre, souriantes, épanouies, se sentant protégées par la bienveillance de tous, ni surtout attirées par Dieu. Ce n'est pas ce monde-là que Dieu a créé. Ce n'est pas possible ! Lisez les journaux, regardez les émissions de télévision, partout on se tue, on se mitraille. Même dans les opéras les nouveaux compositeurs remplacent la musique par des bruits de vaisselle que l'on casse à coups de marteau ou des grincements de porte et autres bruits désagréables, C'est bien le reflet de notre monde !

On trouve dans les littératures anciennes des textes de Stoïciens où un de ces philosophes, pour consoler un père qui vient de perdre son fils, lui explique : « un beau vase s'est brisé ! Mais tu savais bien que les vases sont fragiles ! ». Les bouddhistes, qui semblent avoir eu un lien avec nos Stoïciens, incitent de même leurs adeptes à ne pas trop aimer ceux qui partagent leur vie. Ils souffriront moins lorsque le malheur arrivera. C'est un renoncement à vivre pleinement, un demi-suicide ! Cela n'explique rien ; cela n'explique pas pourquoi le monde est dans cet état. C'est une sorte d'essai pour « faire avec », pour continuer à vivre quand même.

Tous ces essais d'explication de l'état de ce monde n'impliquent l'existence et l'action d'aucun Dieu créateur, tout au plus évoquent-ils un Dieu honoraire, sans lien réel avec ce monde. Les scientifiques  aujourd'hui sont de plus en plus ouverts à l'idée d'un Dieu créateur de toute l'immensité de l'univers. Mais l'essentiel n'est pas leur accord. Comme le disait Paul Evdokimov, théologien français de la communauté russe émigrée : « On ne prouve pas l'existence de Dieu, on l'éprouve. » Et ce n'est pas là un simple jeu de mots. Il rejoignait ainsi l’affirmation d'Évagre le Pontique, moine du IVe siècle «  Nul n'est théologien, s'il n'a vu Dieu. » Voir Dieu, l'éprouver ! C'est la seule vraie connaissance de Dieu, loin de tous les concepts philosophiques. Or, ce qu'éprouvent tous les mystiques, c'est non seulement son immensité, sa puissance, mais surtout son amour. Dieu est l'Amour absolu. Il n'a donc certainement pas créé un monde à moitié rongé par la haine et la souffrance. N'est sorti de Lui que de l'amour. L'expérience des mystiques est aujourd'hui confirmée par le témoignage de millions et même de dizaines de millions de personnes que l'on a crues mortes pendant quelques secondes, parfois quelques minutes, mais qui sont revenues à la vie de ce monde en rapportant l'expérience extraordinaire qu'elles avaient vécue pendant cette mort provisoire. J‘ai recueilli une anthologie de ces récits dans « Les morts nous parlent ». Il y a bien quelques variantes d'un récit à l'autre, mais le schéma central reste toujours le même : la rencontre d'un Amour inimaginable, total, infini, quoi  que l'on ait fait. Pas le moindre reproche, la moindre volonté de vous humilier. Certes, on y découvre aussi tout le chemin qu'il nous faudra faire pour rejoindre cet Amour, mais il n'y a que de l'Amour. Ces témoins ne savent pas trouver de termes assez forts. Ils se sont sentis « submergés » d'amour,  « écrasés » d'amour. le récit du Livre de la Genèse fausse tout. Dieu ne nous a jamais chassés de son Amour ! Ce serait se renier Lui-même, renier ce qui le constitue. Ce Dieu-là n'a pas créé pour nous un monde brisé, gangrené par le mal, comme une sorte de piège tendu, pour voir comment nous réagirions. Il ne fait pas des expériences avec nous comme nous le faisons avec des rats. Les épreuves, les horreurs de ce monde-là ne viennent pas de Dieu. Non. de Lui ne peut venir que de l’Amour, sans calcul, sans ruse. Dieu ne joue pas avec nous, nos vies, nos sentiments. Le mal qui est dans ce monde ne peut pas venir de Lui !

Contrairement à ce que racontent bien des philosophes et même des théologiens, Dieu, créateur de milliards de galaxies, sait très bien faire un monde sans souffrance et sans mal. Il l'a fait et des millions de morts provisoires ou de mystiques en sont témoins. Ils ont vu ou plutôt aperçu, lors d'une brève expérience, ces mondes de l'au-delà, en pleine harmonie, dans le bonheur, la joie, sans souffrance, mais aussi sans haine, sans rivalités, sans désir de domination, sans orgueil.

Alors, d'où vient ce mal ? Pourquoi ne sommes-nous pas déjà dans ces mondes-là ? Le problème, c'est que pour vivre dans ces mondes-là, dans ces mondes d'amour, il faut être capable d'aimer comme ceux qui y vivent déjà. L'amour ne s'impose pas. Il ne peut naître que dans une totale liberté. Or l'amour, c'est la seule chose que Dieu ne sait pas faire, qu'il ne peut pas créer. Il peut le solliciter, essayer de l’évoquer, de l’inspirer, mais Il ne peut pas le créer. Il aurait pu nous faire mille fois plus intelligents, capables de battre en calcul les ordinateurs les plus puissants. Il aurait pu nous faire capables de voler comme les oiseaux ou même de plonger dans l'espace comme les fusées. Il aurait pu nous créer hors d'atteinte de tous les virus, du feu et de l'eau. Dieu a su créer les fleurs, des milliards de fleurs, toutes différentes.
Il a même su créer le sourire d'un bébé heureux, ce qui est probablement le sommet de la Création. Mais il ne pouvait pas faire des machines capables d'aimer. Cette force mystérieuse qui fait justement le bonheur des saints, des mystiques et de ces morts provisoires est d'une nature différente de tout le reste. Dieu ne peut pas la créer directement. Cette force mystérieuse ne peut venir que de chacun de nous, du plus profond de chacun de nous. Les robots peuvent faire des choses extraordinaires, mais ils ne peuvent pas aimer. Dieu n'attend pas de nous l'obéissance mécanique des robots : ni même des esclaves ou des domestiques, guettant pour leur obéissance une petite gratification, peut-être une augmentation de salaire ou une promotion. L'amour est quelque chose de si merveilleux que Dieu même ne peut pas le créer en nous, le faire surgir en nous, sans nous. Il peut nous offrir de participer à son Amour, d'aimer avec Lui, en Lui, mais pour cela Il lui faut notre consentement. L'amour implique toujours une totale liberté. Dieu ne veut pas être toléré ; Il veut être invité, attendu, espéré, désiré. Si nous ne Le désirons pas, son amour ne pourra pas nous rendre heureux. Cela veut dire que nous pouvons accepter son Amour ou Le refuser. Il semble bien que nous tous, sur cette planète, nous n'ayons pas vraiment accepté, désiré l'Amour de Dieu.

François Varillon, reprenant Maurice Zundel, un grand spirituel et mystique suisse du siècle dernier, a fort bien analysé ce qu'implique l'amour :

« L'aimant dit à l'aimé: « Tu es ma joie », ce qui signifie « Sans toi je suis pauvre de joie ». Ou bien: « Tu es tout pour moi », ce qui veut dire: « Sans toi je ne suis rien ». Aimer, c'est vouloir être par l'autre et pour l'autre... Le plus aimant est donc le plus pauvre. L’infiniment aimant – Dieu – est infiniment pauvre...

Amour et volonté d'indépendance sont incompatibles, sinon en surface. Le plus aimant est donc le plus dépendant. L'infiniment aimant – Dieu – est   infiniment dépendant (ce qui est inintelligible si Dieu n'est pas pur Amour, je veux dire si on cède au prurit imaginatif de concevoir l'amour comme un aspect de Dieu, et non comme son être même, aussi infiniment intense qu’ infiniment pur) « L'aimant dit à l'aimé : « je ne puis te regarder de haut sans manquer à l'amour ». Si l'aimant est en quelque manière plus grand que l'aimé, son amour n'est amour que dans l'acte où il nie sa supériorité et se fait l'égal de l'aimé. Le plus aimant est donc le plus humble. L’infiniment aimant – Dieu – est  infiniment humble.
C'est pourquoi on ne peut voir Dieu dans la vérité de son Être qu'en considérant le Christ, qui signifie l'humilité divine par le geste du lavement des pieds. »

Je suis sûr que bien des croyants poursuivent intérieurement un dialogue avec quelque défunt qu'ils ont fortement aimé, ou avec leur ange-gardien, la Mère de Dieu ou avec Dieu lui-même. Pour moi, c'est, le plus souvent, directement avec le Christ. Oh, je ne suis pas dupe, je sais bien que n'importe qui me dira que c'est moi qui fais les demandes et les réponses. C'est sûrement un peu vrai. Mais les saints et surtout les mystiques ont tous connu et pratiqué ce genre de dialogues intérieurs et souvent la suite de leur vie et certaines circonstances ont prouvé que ce dialogue était vrai. Alors, avec le Christ, avec Dieu, je poursuis ce dialogue intérieur et je sens, il me semble qu'Il l'accepte et qu'Il me répond vraiment. Je crois même très bien sentir quand c'est moi qui fais la réponse et pas Lui. Cela sonne faux quand c'est moi qui réponds. Alors avec Lui, je peux tout me permettre, plaisanter, dire des bêtises, Il m'aime tellement que je peux faire et dire n'importe quoi avec Lui... comme un enfant avec son père ou sa mère, comme avec quelqu'un qui me suit dans tout ce que je fais, non pas pour me contrôler, mais pour me protéger, au besoin contre moi-même comme avec quelqu'un qui sait tout de moi, mais qui m'aime quand même. Aimer Dieu ainsi, c'est participer à I’Amour que les trois personnes divines se donnent entre elles. Tous les mystiques, même non chrétiens, l'ont compris, mais évidemment hors du contexte trinitaire, cela se comprend moins bien.

J'ai donc cette liberté incroyable avec Dieu au fond de moi-même. Mais il ne s'agit pas là d'un privilège unique. Dieu vous aime tout autant, chacun d'entre vous. Simplement, vous n'osez pas le croire. Ne vous imaginez pas non plus que dans la condition sociale où vous vous trouvez Dieu ne peut pas s'intéresser à vous autant qu'aux personnages influents dans la société. Balayeur de rue ou empereur, Dieu s'intéresse à vous et vous aime tous autant, infiniment. Acceptez pleinement la place dans le monde que Dieu vous a donnée et, à partir de là, cherchez à découvrir ce que Dieu attend de vous.
Si incroyable que cela nous paraisse, ce Dieu, créateur de milliards d'univers, est fou d'Amour pour chacun de nous. Il est prêt à mourir en croix des milliers de fois, indéfiniment, pour chacun de nous, si cela pouvait aider à notre salut.
C'est ce qu'Il a affirmé à Julienne de Norwich, une mystique anglaise du XIVe siècle. Aussi, ne voit-elle en Dieu jamais de colère envers nous, pas même « un soupçon de blâme » pour nos péchés, mais seulement une immense compassion.

Dieu nous aime tous infiniment, quoi que nous fassions et quand Il pardonne, c'est toujours uniquement pour nous ramener vers Lui, jamais pour nous humilier. C'est ce qu'a parfaitement ressenti Gabrielle Bossis, une mystique française du siècle dernier. Gabrielle ne vivait pas dans un couvent, perdue en prière. Elle n'a pas fondé d'association religieuse ou caritative. Elle n'avait rien d’extraordinaire. C'était une jeune femme toute simple, assez douée sur le plan artistique : elle composait des saynètes pour des pensions de jeunes filles et fabriquait elle-même décors et costumes. Elle poursuivait simplement, à travers toutes ses occupations, ce dialogue intérieur et continuel avec Jésus.

Au cours d'un de ces dialogues intérieurs, voici comment Il lui pardonnait : « Raconte la douleur de tes fautes, non pas tant parce qu’elles t'ont salie, que parce qu'elles m'ont peiné. Car tu as eu ce courage triste de peiner un Homme-Dieu qui avait donné Sa Vie pour toi. Tu le savais pourtant. Tu as passé outre et devant Son regard qui te suivait avec douleur, tu as fait tout ce que tu as voulu, et que, Lui, ne voulait pas.

« Connais-en le chagrin – chagrin sans larmes — dans ton vouloir renouvelé, qui te portera aux humbles amours, au sentiment de ton néant. Alors, je foncerai comme l'aigle avide de ravir, et Je t’emporterai dans les allées solitaires du jardin fermé. Tu chercheras à me parler du passé. Je poserai Ma main sur ta bouche. Tu entendras les mots de tendresse de la Miséricorde qui feront fondre ton cœur. »

Nos « fautes » ne sont pas niées, cependant elles ne sont pas comprises comme des « offenses », mais comme des blessures faites à l’Amour de Dieu et Dieu ne veut pas que nous ressassions le passé, même pour demander pardon. « Je poserai ma main sur ta bouche ».

Mais, évidemment, un tel Amour implique aussi, sans même le dire, une attente terrible d'un même amour en retour.
Avons-nous, nous tous, toute l'Humanité, ressenti cet Amour comme trop écrasant, trop absolu, trop exigeant ? Pourtant, cet Amour sait aussi être délicat, patient, discret. Quand Dieu nous incite à faire quelque chose, Il n'insiste jamais. Si nous le refusons. Il se retire aussitôt. Observez vous-même, en vous-même. Vous le sentirez bien, si vous êtes sincère avec vous-même.

Quand le refus de cet Amour a-t-il eu lieu ? Au début de la création de l'homme, comme dans le récit symbolique du livre de la Genèse, dans la Bible et comme le cardinal Newman se le représentait, sous forme de catastrophe cosmique spirituelle initiale ? Mais nous savons maintenant qu'à un niveau profond de la réalité le temps n'existe pas. Alors, si le mal est si puissant dans le monde, c'est peut-être qu'une grande partie de ce monde refuse l’Amour de Dieu, aujourd'hui, maintenant, à tout moment. Il faut probablement distinguer entre la cause et les effets. Les effets se déploient dans le temps. On ne le voit que trop.

Mais la cause, elle, comme la physique contemporaine nous permet de le comprendre, peut échapper au temps. Le récit symbolique du péché d'Adam et Ève, dans la Bible, correspond probablement à une vérité profonde. En hébreu « Adam » veut dire «  Homme ». Nous sommes tous Adam. Et si, à un niveau qui échappe à nos sens, il n'y a pas de temps, il n'y a pas non plus de réincarnation possible. Il ne peut y avoir d’incarnation antérieure à une autre, ni de progrès d'une incarnation à une autre.

Les hommes auraient refusé d'entrer dans ce jeu de  l’Amour infini de Dieu. Ils auraient réclamé le droit de chercher par eux-mêmes leur bonheur. Nous l'avons vu, l’Amour ne s'impose pas.

La science contemporaine tend de plus en plus à admettre que la matière et l'esprit ne sont que les deux faces de la même médaille. Certains spécialistes de physique quantique commencent à en faire l'hypothèse. L'un des plus avancés dans ces recherches est certainement Emmanuel Ransford, scientifique australien, mais qui écrit le plus souvent en français.
Il parle de «  psychomatière » ou d‘ « holomatière » pour tenter d'exprimer cette présence de l'esprit au cœur de la matière et, inversement, cette présence de la matière dans l'esprit.

Ceux qui ont déjà lu mes livres savent que j'attache une très grande valeur à certains messages qui nous sont parvenus de l'au-delà de personnes parfaitement mortes, mais qui sont arrivées, par différents moyens, à communiquer avec nous.
Il s'agit surtout de textes reçus en « écriture automatique », terme généralement employé en ésotérisme pour désigner ce processus. Le récepteur tient son crayon, mais à peine, seulement pour qu'il ne tombe pas et une force invisible fait bouger ce crayon entre ses doigts en formant des mots, puis des textes. Cela commence souvent par des gribouillis mais, peu à peu, les lettres prennent forme, puis des mots entiers apparaissent.

C'est un domaine que j'ai assez bien étudié et que l'on trouve dans toutes les langues. J'ai pu ainsi constater que la plupart des messages reçus, aussi bien en allemand qu'en espagnol, en anglais ou en italien ne contiennent rien d'important, pas plus qu'en français. C'est un véritable déluge de « révélations », toutes plus fantaisistes les unes que les autres, souvent sans intérêt, parfois dangereuses et même très dangereuses, la plupart des lecteurs de ces messages n'ayant aucune possibilité de faire par eux-mêmes le discernement nécessaire. C'est une véritable résurgence des « gnoses » anciennes.

Cependant, parfois, certains de ces messages font exception et peuvent même présenter un très grand intérêt. C'est notamment le cas des messages que Pierre Monnier, jeune officier français, mort en 1915, pendant la première guerre mondiale, envoya à sa mère, après sa mort, jusqu'en 1937. Ces textes sont connus sous le nom de « Lettres de Pierre ». Je l'ai déjà longuement exposé dans « Les morts nous parlent» et dans «  Christ et Karma ». Or, depuis l'au-delà, le 14 avril 1920, Pierre Monnier expliquait à sa mère : « Vous ne savez pas encore associer deux manifestations qui vous semblent diamétralement opposées... Ce que la science vous révélera, c'est la matérialité de l’effluence spirituelle, et la spiritualité de la matière, ce qui supprime de fait toute frontière entre les deux mondes dissemblables dans leurs résultats apparents, mais identiques en somme, la matière et l'esprit étant une même chose à un degré différent de condensation ».

Si esprit et matière sont vraiment si proches, l'un impliquant l'autre, on comprend mieux que le passage du corps du Christ de l'état charnel à l'état spirituel soit possible et, inversement de même, la matière ou l'esprit étant alternativement dominants, ce qui explique les différentes apparitions, à Marie-Madeleine, aux pèlerins d’Emmaüs, au Cénacle, les portes étant fermées, ou encore, à la fin de l'Évangile de St Jean : Le Christ, au bord du lac, attendant ses apôtres partis pécher et, finalement aussi lors de I’ Ascension. Tous ces allers et retours entre manifestation charnelle, dans la matière, et disparition dans l'autre monde, celui de l'esprit, n'ont alors plus rien de tellement extraordinaire et la Résurrection du Christ n'est rien d'autre que ce passage de notre monde matériel, charnel, au monde spirituel, le phénomène inverse se produisant parfois, lors de certaines apparitions du Christ.

Il n'est pas difficile alors de comprendre aussi que nos pensées, nos sentiments, puissent façonner le monde dans lequel nous vivons.  La constitution de ce monde dépend de la force créatrice de Dieu qui n’est qu’une force d’Amour, mais aussi de la force de nos pensées et de nos sentiments et là, c'est trop évident, il n'y a pas que de l'amour. Bien souvent la jalousie, la haine, l'emportent, entraînés par l'orgueil. Cependant, nous ne sommes pas non plus totalement pervers.
Nous sommes capables aussi d'un peu d'amour. Mais, parmi nous, la grande force d'Amour, c'est celle du Christ, avec nous, et surtout en nous. Mais, de la même façon, parmi nous et en nous, il y a une force de haine, d'orgueil, particulièrement puissante. La tradition lui donne plusieurs noms : Satan, Lucifer, le diable, le Malin.

Permettez-moi de citer encore Pierre Monnier : « Alors, frères, rentrez en vous-mêmes et regardez par quelle fuite votre âme se vide de toute force. La grande blessure a pour cause votre égoïsme qui naît de l'orgueil, générateur du péché sur la terre. Le Roi du Monde, le Malin, est tout orgueil et c'est lui qui attire les hommes dans le chemin de la perdition, par des flatteries pernicieuses qui détruisent l'âme. »

Jetez un regard sur l'Histoire du Monde. Vous comprendrez vite que les peuples ont été souvent entraînés à des massacres, des catastrophes, par des fous d'orgueil, tels Napoléon, Hitler, ou tant d'autres. Je vous laisse compléter la liste ! Mais, seuls, ceux-ci n'auraient pu rien faire, s'il n'y avait pas eu des foules entières à partager leur délire dans le même orgueil.

Le bonheur d'aimer Dieu ! Il y a déjà le bonheur bien connu d'être aimé de Dieu. Il est facile de comprendre que se sentir aimé de Dieu est une expérience merveilleuse, pleine de douceur. Cet amour peut même se manifester parfois avec une force extrême, presque avec violence comme en témoignent tous les mystiques qui ont éprouvé cet Amour lors d'une extase et ceux qui ont fait une expérience de mort provisoire. Ils se sont sentis « submergés », « écrasés » d'amour. Mais ce sont des expériences très brèves, presque instantanées. Après, reste le souvenir de les avoir vécues, mais on ne les éprouve plus. Le souvenir de ces expériences peut cependant suffire à soutenir toute une vie de recherche de Dieu. Elles agissent comme une nostalgie, merveilleuse et terrible.

Mais, le plus souvent, Dieu fait sentir son Amour de façon toute simple, dans une douceur merveilleuse. Oh ! Bien sûr, il y a dans ce monde des plaisirs et des bonheurs d'une intensité beaucoup plus grande, comme le bonheur d'un amour mutuel partagé ou l'amour d'un enfant auquel on peut tout donner. Mais dans l'amour que Dieu nous fait parfois sentir avec cette douceur, il y a une pureté extraordinaire qu'on ne retrouve pas dans nos amours humaines et ce bonheur grandit, peu à peu, à la mesure de notre réponse. II peut alors dépasser tous les bonheurs de ce monde.

Mais ce bonheur de se sentir vraiment aimé par Dieu n'est déjà pas accordé à tout le monde. Bien des croyants, profondément croyants, gens de prière et de générosité ne l'ont pas connu. Ils ne sont pas pour autant moins aimés de Dieu. Mais Dieu donne à chacun ce qu'il convient, en fonction de sa progression spirituelle personnelle, mais aussi en fonction de sa mission dans le milieu où il se trouve.

Encore faut-il aussi ouvrir son cœur à Dieu pour éprouver son Amour. Beaucoup d'hommes et de femmes vivent un peu comme des somnambules. Ils travaillent, s'amusent, s’étourdissent sans jamais se demander pourquoi ils sont dans ce monde, ni chercher à savoir ce qui les attend ensuite. Il semblerait, comme dans les contes de fées, qu'un méchant sorcier les ait frappés de sa baguette magique, non pour les figer dans le sommeil, comme dans « La Belle au bois dormant », mais pour les transformer en marcheurs éveillés, mais inconscients, en « morts-vivants » ou en « zombies », comme dans certains films d'horreur. Mais oui, c'est bien cela et ce sorcier qui nous détourne par tous les moyens de l'essentiel, vous le connaissez, c'est Satan, qui cherche sans cesse à pervertir l'œuvre de Dieu, et surtout dans ce qu'elle a de plus grand et de plus sublime : le cœur de l'homme.

Il est capital de bien comprendre que Dieu n'est absolument pour rien dans ce mal qui ronge et massacre son œuvre. Il n'y est pour rien ! Il est même venu, au contraire, par son Incarnation, partager notre misère pour nous aider à en sortir.
Il n'est pas du côté des bourreaux, mais du côté des victimes, avec nous, pour nous. Il est capital de bien comprendre cela. J'ai mis personnellement bien des années à innocenter Dieu complètement de tout ce mal qui ravage sans cesse le monde à un endroit ou à l'autre. Intellectuellement, je l'avais bien compris, j'en étais vraiment convaincu. Mais chaque fois qu'un nouveau drame, une nouvelle monstruosité, une nouvelle horreur, se présentait à moi, je sentais qu'en moi, sourdement, sans aller jusqu‘à me le formuler, mais irrésistiblement, montait en moi une accusation contre Dieu que j'essayais en vain de réprimer. Pourquoi, permets-Tu cela, pourquoi n’interviens-Tu pas davantage ? Or, tant qu'on ne s'est pas vraiment convaincu de cette totale innocence de Dieu, on ne peut pas vraiment l'aimer. Devant chacune des horreurs qui se multiplient sans cesse à travers le monde, je sais que Dieu en souffre plus que moi, parce qu'Il aime plus que moi et qu'Il en souffre directement dans ceux qui souffrent. Il faut que tout cela soit non seulement intellectuellement compris, mais surtout, psychologiquement assimilé en profondeur. Il faut que notre subconscient soit complètement imprégné de cette certitude, au point que cette sournoise accusation contre Dieu ne puisse pas remonter au fond de notre
cœur. Alors, on pourra connaître un très grand bonheur, on pourra, sans aucune réserve, se laisser aimer par Dieu, jouir du bonheur d'être aimé par Dieu, même au milieu de toute la souffrance de ce monde. Mais on pourra aussi, peu à peu, jouir d'un bonheur, nouveau sans doute pour la plupart d'entre nous et qui sera un soutien extraordinaire pour surmonter toutes les épreuves de notre vie : le bonheur d'aimer Dieu.

Car il y a un bonheur encore plus grand que de se sentir aimé de Dieu : aimer Dieu. Et cela aussi les mystiques l'ont éprouvé et ils ont aussi senti que Dieu en était heureux. Si incroyable que cela puisse paraître. Dieu, créateur de milliards de milliards de mondes attend, humblement, devant notre porte, que nous Lui ouvrions la porte de notre cœur, que nous L’aimions. On est là en pleine folie, c'est vrai ! Faire le bonheur de Dieu en L’aimant ! Mais le lavement des pieds que le Père Varillon évoquait, c'est cela. Une telle tâche incombait seulement à la femme du maître de maison. Il pouvait aussi l'exiger de ses esclaves étrangers, mais pas de ses autres esclaves, juifs (ou hébreux) comme lui. Petit détail le confirmant : Jésus s'est d'abord ceint d'un linge et c'est avec ce linge qu'il essuie les pieds de ses apôtres, tenue et fonction caractéristique de l'esclave, nous disent les experts. C'est vous dire toute la force d'un tel geste ! Dieu prend auprès de nous la place, le rôle de l'esclave étranger, de celui dont on peut tout exiger, même les services les plus humbles.
C'est St Jean qui nous rapporte cet épisode et il le fait à l'endroit du récit évangélique où les trois autres évangélistes rapportent le déroulement du repas pascal avec l'institution de l’eucharistie. Mais, pour St Jean, ce récit du lavement des pieds, qu'il est le seul à rapporter, est encore plus important. Dieu, créateur de milliards de milliards de mondes, nous montre par ce geste qu'il est prêt à se mettre à genoux devant chacun d'entre nous pour lui laver les pieds. Je n'invente rien. Je ne fais qu’expliciter ce que le récit de St Jean implique. Sinon, dans quel but nous aurait-il raconté cette scène ?
On est là en pleine folie ! Nous ne pouvons pas nous imaginer la puissance d'un tel Amour. Cela nous dépasse tellement !
Dieu est bien infini, tout-puissant, mais c'est un infini d‘Amour. Cet Amour, les saints dans leurs extases et ceux qui ont vécu une mort provisoire ont commencé non pas à le comprendre mais à l'éprouver.

Le bonheur d’aimer Dieu ! On peut le mesurer à la douleur de ceux qui l'ont connu et qui, brusquement, en ont été privés.
C'est ce bonheur-là que Mère Teresa de Calcutta, Ste Teresa, aujourd'hui proclamée sainte dans l'Église catholique, n’éprouvait plus. Elle n'avait pas du tout perdu la foi en l'existence de Dieu, comme on le raconte souvent, mais elle n'éprouvait plus aucun amour pour Dieu. Elle prononçait bien les mots d'amour de la liturgie ou des psaumes, mais ces mots n'avaient plus pour elle aucune charge affective : ils étaient aussi atones que ceux de l'annuaire du téléphone ou
des horaires de trains. Perte épouvantable ! Épreuve terrible ! Ce n'est pas qu'elle avait démérité aux yeux de Dieu. Mais il arrive que Dieu veuille associer ses saints à sa Passion, certains en partageant avec Lui sa crucifixion, comme St François d‘Assise ou Padre Pio, d'autres en partageant sa déréliction en Croix.

C'est par Amour pour nous qu'Il nous a créés. Il veut sentir que nous en sommes heureux et si nous sommes vraiment heureux de son Amour. Il le saura par la réponse de notre amour. Cette attente de Dieu, de nombreux mystiques l'ont ressentie. Ils en sont alors tout étonnés, bouleversés.

Mais, parfois, Dieu va encore plus loin. Il réclame notre amour, le quémande ; Il supplie presque. Ainsi auprès de Gabrielle Bossis : « Tu t'étonnes toujours de Mon Amour ? Ça, c'est la folie d'un Dieu. C'est la grande explication. Crois donc tout simplement à cet Amour d'un Être Tout-Puissant et d'un autre ordre que vous… Sois vaincue par l'Amour et demande grâce. Prends Mon  Amour pour M'aimer ». Il s'agit bien d'un Être Tout-Puissant, mais « d'un autre ordre » !

« Étrange chose n'est-ce pas, qu'une créature puisse consoler son Dieu ! Mon Amour renverse les rôles comme un moyen nouveau pour vous, comme une tendresse de protection à Me donner. » Zundel et Varillon avaient bien perçu ce « renversement » des rôles qu'implique le véritable Amour.

«  Ne Me quitte pas ! Je suis comme un enfant plein de terreur qui supplie qu'on ne le laisse pas seul... Je vois l'enfer déchaîné et Je suis Seul pour me défendre : prie avec Moi ! »

Ce dernier texte peut sembler excessif, mais n'oublions pas que, par son Incarnation,  le Christ est en tout homme et donc dans le cœur de tous les monstres de l'humanité, tous les tortionnaires des camps d'extermination de tous les pays. La lutte entre le Bien et le Mal, entre l’Amour et l'orgueil se déroule en chacun de nous, entre le Christ et le Malin. À nous
de choisir qui nous voulons suivre. avec qui nous voulons combattre.

Vous aussi vous pouvez entretenir avec Dieu un dialogue intérieur tout au long de votre vie, à travers toutes les circonstances de votre vie, en essayant d'accomplir la volonté de Dieu sur vous. C'est la première façon de L'aimer.

Acceptez pleinement le pays, la langue où vous êtes né. Acceptez votre condition sociale. Vous pourrez peut-être modifier tout cela selon les circonstances et selon la volonté de Dieu. Je suis né dans une famille catholique, pratiquante. J'ai été ordonné prêtre dans l'Église catholique et, au bout d'un long cheminement suis devenu prêtre orthodoxe. L'essentiel, c'est ce qui se passe dans votre cœur. Et cela agit sur le destin du monde, que vous soyez balayeur de rue ou empereur.
L'essentiel est d'aimer Dieu et de chercher sa volonté.

Mais L'aimer implique aussi qu'on cherche à Lui complaire et donc à faire ce qu'Il a envie de nous voir faire. C'est ce que certains, parmi nous, sous l'influence de Satan, ont refusé. Il y a d'ailleurs là comme un affinement progressif de conscience. On fait d’abord ce qu’Il veut pour les choses importantes, mais en faisant ce qu’il nous plaît pour les choses qui nous paraissent secondaires. Mais en Amour tout est important. L'Amour de Dieu est merveilleux, mais il est aussi
dévorant. Il donne Tout, mais il veut aussi tout. Il faut alors, progressivement, apprendre à faire coïncider ce qu'Il aime avec ce que l'on aime. C'est la conversion du cœur, le remplacement du vieil homme par l'homme nouveau, dont parle St Paul.

Pour arriver à cette coïncidence entre la volonté de Dieu et la nôtre, il faut s'habituer peu à peu à faire tout ce que l'on fait avec Lui, pour Lui, même s'il s'agit des choses les plus insignifiantes. Alors, ce bonheur de L’aimer se fera de plus en plus constant et de plus en plus intense, car c'est une participation à l'Amour dont Dieu s'aime Lui-même, à l’Amour de la vie intra trinitaire.

Aussi longtemps que Dieu vous l’accordera développez donc en vous ce bonheur d'aimer Dieu, développez-le pour votre bonheur, à vous, et, plus encore, pour le plus grand bonheur, l'immense bonheur de Dieu, ce bonheur, que vous ne pouvez pas imaginer qu'Il puisse éprouver à vous aimer et à sentir votre amour en retour, parce que Son Amour est d’« un autre ordre »."

Père François BRUNE, prêtre orthodoxe



MÉMOIRE ÉTERNELLE !




vendredi 17 mai 2019

Pour ne plus faire de mal à personne…

Mr Holmes 

un beau film de Bill Condon


"Il y avait une femme une fois
Que j’ai connue moins d’une journée
Nous avons parlé un quart d’heure.
Elle avait besoin de mon aide.
Elle attendait désespérément une explication de moi.
Je lui exposais les détails de son affaire comme je les voyais.
Elle semblait satisfaite.
Je l’ai regardée s’éloigner.
Dans l’heure qui suivait elle se suicidait.

En ayant clairement identifié son désespoir,
Je lui donnais carte blanche
Pour faire ce dont elle avait l’intention .
J’aurais dû tout faire pour la sauver.
Lui mentir, lui inventer une histoire.

La prendre dans mes bras
alors qu’elle pleurait et lui dire :
« Venez vivre avec moi. »
« Soyons seuls ensemble. »

Mais j’ai été lâche.
Égoïste.


Elle est la raison
De ma présence ici, avec mes abeilles .
Pour ne plus faire de mal à personne."

(extrait de dialogues du film)



vendredi 17 mars 2017

La haine, poison du diable



Même si nous effectuons des milliers de bonnes œuvres, mes frères: jeûnes, prières, aumônes; même si nous versons notre sang pour notre Christ, si nous n'avons pas ces deux amours [l'amour de Dieu et l'amour des frères], mais qu'au contraire nous avons de la haine et de la méchanceté envers nos frères, tout le bien que nous avons fait est du diable et nous allons en enfer. Mais, dites-vous, nous allons en enfer malgré tout le bien que nous faisons à cause de cette petite haine?

Oui, mes frères, parce que la haine est le poison du diable, et tout comme lorsque nous avons mis un peu de levure dans une centaine de livres de farine, il a un tel pouvoir qu'il provoque toute la pâte à augmenter, de sorte qu'il est avec la haine. Il transforme tout le bien que nous avons fait en poison du diable.

St Kosmas l'Etolien

mercredi 4 mai 2016

Avant-Poste (1) Un merveilleux film de Mikaïl Chadrine sur l'évêque ukrainien Longin















Première partie d'un merveilleux film de Mikaïl Chadrine sur l'évêque ukrainien Longin, autrefois père Mikhaïl, supérieur du monastère qu'il a fondé à la frontière de la Roumanie et de l'Ukraine. Providence des orphelins, un homme lumineux qui ne fait que du bien autour de lui.


lundi 10 février 2014

L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE (4f) par Père André BORRELY : la transfiguration de l' εpως en αγαπη

Origène a écrit que les réalités que nous expérimentons dans le devenir, nous devons en éclairer la vision par l'expérience divinisante que nous faisons de l'Esprit. Mais il ajoute qu'inversement l'expérience que nous faisons de l'Esprit ne doit jamais être désincarnée, que pour être vraie, elle doit s'enraciner dans notre vie terrestre. 
Et Origène d'écrire : ιστορικά πνευματικως, πνευματικά ιστορικως.

Je propose de modifier la formule et de dire: εpοτικα πνευματικως,πνευματικα εροτικως. Offrir aux couples la perspective de la transfiguration de l' εpως en αγαπη, c'est leur donner un témoignage d'amour. Et si, dans le mariage orthodoxe, on lit toujours le récit du miracle opéré par Jésus aux noces de Cana, c'est parce que les Pères ont vu dans l'eau des jarres un symbole de l'érôs et dans le vin de grand crû celui de l'αyαπη, de l'ερως transfiguré.

Mais l'Orthodoxie va plus loin encore. Elle a le même rite de la triple déambulation des époux autour d'une table, dans la nef, et autour de l'autel, lors de l'ordination d'un clerc majeur. Et durant cette danse sacrée, on chante les mêmes tropaires. Ainsi est affirmé que le mariage est une ordination, ce qui signifie qu'un divorce est comparable à un clerc majeur qui défroque.

L'Abbé Isaac écrit encore : Laisse-toi conduire par la compassion qui, lorsqu'elle se trouve dans ton cœur, est en toi l'icône de la sainte beauté á la ressemblance de laquelle tu as été créé. La vision que l'Orthodoxie a de l'amour humain est, certes exigeante. Le thème de la Croix est présent dans la célébration du mariage.



Aimer c'est expérimenter la loi de la vie qui ne peut jaillir que de la mort à notre ego. Il fut un temps οù celui qui avait commis un adultère, devait demeurer 15 ans sans communier. Il n'est pas question d'envisager un retour à cette sévérité. Mais il n'est pas davantage question d'être laxistes. Le Christ fut bon (envers Lazare et ses sœurs, pour la veuve de Naϊn et pour le serviteur du Centurion), mais il ne fut pas gentil avec les marchands et les changeurs de monnaie qu'il chassa à coups de fouet de cordes. Pour l'Orthodoxie, le mariage chrétien est essentiellement l'invocation et le don du saint Esprit en vue de la transfiguration de l'ερως en αγαπη plutôt qu'un contrat. Et si survient un divorce l'Église orthodoxe consent à bénir, à certaines conditions, un nouveau départ. L'homme contemporain est peut-être moins hypocrite que ses pères ; il est en tout cas plus fragile, plus instable. L'engagement nuptial dans la durée lui fait peur. Ce n'est plus un chêne mais une chétive plante d'appartement qui a besoin de tendresse maternelle et d'infinie compassion. (à suivre)

tonsure monatique

vendredi 7 février 2014

L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE (4e) par Père André BORRELY :

De même, la prière eucharistique des divines liturgies orthodoxes s'adresse à Dieu le Père d'une manière apophatique :... c'est Toi le Dieu ineffable, qu'il est impossible de considérer sous toutes tes faces, invisible, incompréhensible... Toi qui es sans commencement, indescriptible, immuable ..., créée à l'image, à la réplique de Dieu et pour lui ressembler Il faut donc tenir le même langage au sujet de l'homme en tant que personne et non point comme individu, au sujet de sa sexualité, de sa culture, et d'une manière générale pour tout ce qui touche à l'homme. Les sciences de l'homme sont des sciences de la nature humaine mais en aucune manière de la personne humaine unique au monde, imprévisible, incomparable, irreproductible. 

Et rien n'est plus incompatible avec cette vision foncièrement positive et optimiste de l'homme et du monde, que le dualisme

Si les chrétiens sont désunis, c'est bien parce qu'ils ont introduit la division entre la sainte Écriture et la Tradition, entre la parole et les rites sacramentels, entre les clercs et les laïcs, l'autorité et la liberté, la foi et les œuvres, le corps et l'âme, la pensée et la vie, la connaissance et l'amour, entre la foi et la raison, la philosophie et la théologie, entre les réalités spirituelles et les choses sensibles, le terrestre et le céleste, le temps et l'éternité, la contemplation et l'action, entre la nature et la personne, la nature et la grâce, ou entre la nature et le surnaturel. 

Et ce dualisme paraît s'être prolongé dans la société déchristianisée avec la théorie marxiste de la lutte des bourgeois et des prolétaires. Et on peut même se demander s'il n'y a pas un peu de cela dans un certain féminisme. 

 

 Par contre, rien ne manifeste mieux l'optimisme foncier de la vision de l'homme et du monde selon l'Orthodoxie, rien ne révèle mieux l'amour qui est la source intarissable de cet optimisme, que l'audace avec laquelle l'Église utilise le langage du corps pour évoquer des réalités spirituelles mais en aucune manière désincarnées. Il est du plus haut intérêt que, dans tout monastère orthodoxe, tout au long du Grand Carême, on lise à l'heure de Sexte, l'ouvrage d'un Abbé du monastère du Sinaï nommé Jean, qui vécut au 6 ème ou au 7 ème siècle. Le titre de ce livre est L'Échelle sainte. Or, avec la même surprise qu'en ouvrant le Cantique des cantiques puis la première épître de Jean, et en songeant que cet ouvrage est lu et médité par des moines et des moniales, on tombe sur la phrase suivante : Que l'éros physique ou : 1'amour charnel nous serve de modèle pour notre désir de Dieu. Et le même auteur écrit encore : Bienheureux celui qui a obtenu un désir de Dieu semblable à celui d'un amant passionné pour celle qu'il aime! 

Origène a écrit que les réalités que nous expérimentons dans le devenir, nous devons en éclairer la vision par l'expérience divinisante que nous faisons de l'Esprit. Mais il ajoute qu'inversement l'expérience que nous faisons de l'Esprit ne doit jamais être désincarnée, que pour être vraie, elle doit s'enraciner dans notre vie terrestre.(à suivre)

mardi 4 février 2014

L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE [4d] par Père André BORRELY : Mystère et Apophase

Par ce terme (de mystère) on ne désigne en aucune façon le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux. Dans le texte de l'Abbé Isaac sur le cœur compatissant, il y a un adverbe, ἀμέτρως , qui précise que cette compassion est sans mesure. Cette précision est très importante car elle témoigne de ce fait que c'est avec le judéο-christianisme que les idées de parfait et d'infini ont été unies. Pour les Grecs de l'Antiquité, le parfait et le fini allaient ensemble bien plutôt que le parfait et l'infini. Pour eux, le fini est supérieur à l'infini qu'ils confondent aisément avec l'indéfini. Ils aiment voir des clartés nettes se découper sur les choses.

La perfection ne se trouve pas, selon eux, dans les dieux de l'Olympe mais dans une belle sculpture, et une sculpture est belle dans la mesure où elle est achevée, accomplie, par faite au sens latin de perficere signifiant : faire complètement, achever; accomplir. La démesure est inséparable de l'expérience du mystère. 
Bernard de Clervaux exprimera cette conviction lorsqu'il écrira : Modus diligendi Deum, est diligere sine modo la mesure de l'amour, c'est d'aimer sans mesure. Ce qu'il y a dans l'homme de plus profond, ce qui concerne son être même, c'est d'être créé à l'image de Dieu et pour lui ressembler. Dans ces conditions, le sens de toute existence humaine est d'être divinisé en étant engendré à la Vie même du Père qui n'est pas quelque chose mais quelqu'un à savoir le saint Esprit dont le Fils est ici-bas le Dispensateur unique et obligé dès lors que, dans l'intimité de la vie trinitaire, il en est le Réceptacle éternel. Et tout le sens de la vie humaine est de devenir ce que Dieu est. Dieu s'est fait homme pour révéler à l'homme qu'il est divinisable, qu'au plus intime de sa finitude humaine il y a de l'infini et du divin. 

L'Orthodoxie est comme envoûtée par la contemplation du sans-fond, de la possibilité que Dieu offre à l'homme en tant que personne de participer au sans-fond du Dieu tri-unique. I1 y a donc de l'inépuisable en l'homme.

C'est pourquoi l'Église est un mystère et une mère bien plus qu'un ensemble d'institutions dimension institutionnelle, et c'est pourquoi aussi l'érôs est tendu vers le sens, attendant la déification et donc irréductible à la sexualité, belle et bonne, en tant que créée par Dieu, mais aussi fragile et faillible, soumise à l'épreuve du temps. 

Pour tenter d'évoquer le sans-fond de l'humain préconstruit pour être divinisé on a créé le mot apophatisme à partir du grec αποφασίς qui signifie négation. Pour un homme tel que l'Abbé Isaac, une idée comprise c'est une vie changée, la connaissance est nécessairement compromettante étant une forme de l'amour. Et la compassion follement démesurée de ce grand anachorète pour tout le créé manifeste simplement que l'homme a pour vocation de ressembler au Dieu bon et ami de l'homme.

jeudi 30 janvier 2014

L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE [4b] par Père André BORRELY

3-2. Qυ'est-ce qu'un cœur compatissant ?

 De cet amour démesurément compatissant de I'Eglise je donnerai deux exemples. Le premier concerne la sollicitude maternelle de l'Église à l'égard de l'homme et de la femme qui s'aiment. Ouvrons dans la Bible le Cantique des cantiques. C'est un texte insolite: alors que tous les autres livres bibliques prononcent le nom de Dieu presque à chaque verset, dans le Cantique le nom de IAHVE n'apparaît qu'une fois et sous une forme abrégée.


Dès la première ligne, les puritains, ont de quoi être scandalisés: — Qu'il me baise des baisers de sa bouche. On peut traduire aussi : Qu'il m'embrasse à pleine bouche! Plus loin, la Σηουλαμιτ dit du Bien-Aimé : Il passe la nuit entre mes seins. Avons-nous donc affaire à un livre érotique ? Or, si vous lisez ce livre dans sa version grecque, vous découvrez qu'à aucun moment le traducteur n'a utilisé le mot qui désigne le désir sexuel. Au lieu de ερως, il a préféré le mot αγάπη . Ce substantif se rattache probablement à une racine archaïque qui a donné naissance également au verbe latin gaudere, qui signifie se réjouir intérieurement, éprouver une joie intime, et dont, en grec, procèdent un certain nombre de mots qui tous expriment un intense sentiment d'admiration, d'illumination, d'émerveillement réæciproque, de joie exultante, devant l'éblouissante révélation de l'altérité de l'autre qu'on aime.
L'αγάπη est la qualité de jubilation la plus foncière, la plus pure aussi, la plus rare de l'amour, ce qu'il comporte de fraîcheur et de générosité natives lorsqu'il jaillit du fond de la personne. Il y a dans ce mot une nuance de joie intense éprouvée à contempler la beauté rayonnante de celui ou de celle qu'on aime en excluant l'égocentrisme de l'érôs. Or c'est ce même mot αγάπη qui est utilisé deux fois par la
première épître de St Jean pour dire que Dieu est amour, non point depuis seulement qu'il a créé l'homme, mais de toute éternité, étant un seul Dieu qui n'est pas solitaire mais pluriel, capable de conjuguer le verbe aimer aux trois personnes du singulier et du pluriel. L'Orthodoxie refuse radicalement tout dualisme, séparation ou incompatibilité entre !'ερως et l'αγάπη, l'esprit et le corps, le divin et l'humain.
Elle pense ces réalités comme une union sans confusion. Et l'auteur de la première épître de Jean lui vient en aide en employant, pour parler du Dieu tri-unique, le même mot que la version grecque du Cantique évoquant l'amour humain. (à suivre)

lundi 27 janvier 2014

L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE [4] par Père André BORRELY

3. Qυ'est-ce qu'un cœur compatissant ?

Pour effectuer cette évocation je vous propose de méditer deux textes de St Isaac et un de Bossuet. Dans le premier texte Isaac demande :  
Qu'est-ce qu'un cœur compatissant? ... c'est un cœur qui brûle pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour toute créature. Lorsqu'il pense à eux, et lorsqu'il les voit, ses yeux versent des larmes. Si forte et si violente est sa compassion, et si grande est sa constance, que son coeur se serre et qu'il ne peut supporter d'entendre ou de voir le moindre mal ou la moindre tristesse au sein de la création. C'est pourquoi il prie en larmes à toute heure pour les animaux sans raison, pour les ennemis de la vérité et tous ceux qui lui nuisent, afin qu'ils soient gardés, et qu'ils soient pardonnés. Dans l'immense compassion qui se lève en son cœur, sans mesure, à l'image de Dieu, il prie même pour les serpents.



De ce texte admirable je retiens l'idée que rien ne peut être exorbité de l'amour sans que le christianisme perde sa logique interne, devienne incompréhensible et fade voire haïssable. Il n'est de vérité que pour une liberté. Au jeune homme riche, le Christ dit: si tu veux et non pas tu dois ou il faut. Car si la vérité est imposée à ma liberté, elle cesse d'être la vérité pour moi. La liberté, c'est ce que le livre de la Genèse appelle la création de l'homme à l'image de Dieu, une présence du divin dans le non-divin, un sans-fond indiquant que l'homme est divinisable. C'est pourquoi les chrétiens n'ont pas le pouvoir de rendre le christianisme nécessairement crédible. Par contre, il est de leur devoir de le rendre respectable. Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, disait au peuple de Rome le pape saint Léon le Grand au cours d'une liturgie de Noël : Chrétien prends conscience de ta dignité.
Mais cette prise de conscience suppose que le chrétien soit capable de présenter le christianisme d'une manière qui le rende respectable même pour celui dont Aragon disait qu'il ne croyait pas au ciel. L'Office byzantin ne cesse de s'adresser au Dieu tri‑unique en le qualifiant d'Αγαθός και φιλάνθρωπος bon et ami de l'homme. L'Abbé Isaac ne célébrait pas l'Office byzantin et j'ignore le syriaque, mais je pense qu'on pourrait raisonner de la même manière à partir des textes liturgiques qu'il utilisait. Penser, sentir, agir afin que l'homme apparaisse en ce monde comme l'icône du Dieu tri-unique, cela suppose que l'homme soit démesurément compatissant à l'égard de tout ce qui a été créé par l'amour de ce Dieu-là.(à suivre)