L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE [4] par Père André BORRELY

3. Qυ'est-ce qu'un cœur compatissant ?

Pour effectuer cette évocation je vous propose de méditer deux textes de St Isaac et un de Bossuet. Dans le premier texte Isaac demande :  
Qu'est-ce qu'un cœur compatissant? ... c'est un cœur qui brûle pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour toute créature. Lorsqu'il pense à eux, et lorsqu'il les voit, ses yeux versent des larmes. Si forte et si violente est sa compassion, et si grande est sa constance, que son coeur se serre et qu'il ne peut supporter d'entendre ou de voir le moindre mal ou la moindre tristesse au sein de la création. C'est pourquoi il prie en larmes à toute heure pour les animaux sans raison, pour les ennemis de la vérité et tous ceux qui lui nuisent, afin qu'ils soient gardés, et qu'ils soient pardonnés. Dans l'immense compassion qui se lève en son cœur, sans mesure, à l'image de Dieu, il prie même pour les serpents.



De ce texte admirable je retiens l'idée que rien ne peut être exorbité de l'amour sans que le christianisme perde sa logique interne, devienne incompréhensible et fade voire haïssable. Il n'est de vérité que pour une liberté. Au jeune homme riche, le Christ dit: si tu veux et non pas tu dois ou il faut. Car si la vérité est imposée à ma liberté, elle cesse d'être la vérité pour moi. La liberté, c'est ce que le livre de la Genèse appelle la création de l'homme à l'image de Dieu, une présence du divin dans le non-divin, un sans-fond indiquant que l'homme est divinisable. C'est pourquoi les chrétiens n'ont pas le pouvoir de rendre le christianisme nécessairement crédible. Par contre, il est de leur devoir de le rendre respectable. Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, disait au peuple de Rome le pape saint Léon le Grand au cours d'une liturgie de Noël : Chrétien prends conscience de ta dignité.
Mais cette prise de conscience suppose que le chrétien soit capable de présenter le christianisme d'une manière qui le rende respectable même pour celui dont Aragon disait qu'il ne croyait pas au ciel. L'Office byzantin ne cesse de s'adresser au Dieu tri‑unique en le qualifiant d'Αγαθός και φιλάνθρωπος bon et ami de l'homme. L'Abbé Isaac ne célébrait pas l'Office byzantin et j'ignore le syriaque, mais je pense qu'on pourrait raisonner de la même manière à partir des textes liturgiques qu'il utilisait. Penser, sentir, agir afin que l'homme apparaisse en ce monde comme l'icône du Dieu tri-unique, cela suppose que l'homme soit démesurément compatissant à l'égard de tout ce qui a été créé par l'amour de ce Dieu-là.(à suivre)


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