L'ORTHODOXIE, CETTE INCONNUE [4b] par Père André BORRELY

3-2. Qυ'est-ce qu'un cœur compatissant ?

 De cet amour démesurément compatissant de I'Eglise je donnerai deux exemples. Le premier concerne la sollicitude maternelle de l'Église à l'égard de l'homme et de la femme qui s'aiment. Ouvrons dans la Bible le Cantique des cantiques. C'est un texte insolite: alors que tous les autres livres bibliques prononcent le nom de Dieu presque à chaque verset, dans le Cantique le nom de IAHVE n'apparaît qu'une fois et sous une forme abrégée.


Dès la première ligne, les puritains, ont de quoi être scandalisés: — Qu'il me baise des baisers de sa bouche. On peut traduire aussi : Qu'il m'embrasse à pleine bouche! Plus loin, la Σηουλαμιτ dit du Bien-Aimé : Il passe la nuit entre mes seins. Avons-nous donc affaire à un livre érotique ? Or, si vous lisez ce livre dans sa version grecque, vous découvrez qu'à aucun moment le traducteur n'a utilisé le mot qui désigne le désir sexuel. Au lieu de ερως, il a préféré le mot αγάπη . Ce substantif se rattache probablement à une racine archaïque qui a donné naissance également au verbe latin gaudere, qui signifie se réjouir intérieurement, éprouver une joie intime, et dont, en grec, procèdent un certain nombre de mots qui tous expriment un intense sentiment d'admiration, d'illumination, d'émerveillement réæciproque, de joie exultante, devant l'éblouissante révélation de l'altérité de l'autre qu'on aime.
L'αγάπη est la qualité de jubilation la plus foncière, la plus pure aussi, la plus rare de l'amour, ce qu'il comporte de fraîcheur et de générosité natives lorsqu'il jaillit du fond de la personne. Il y a dans ce mot une nuance de joie intense éprouvée à contempler la beauté rayonnante de celui ou de celle qu'on aime en excluant l'égocentrisme de l'érôs. Or c'est ce même mot αγάπη qui est utilisé deux fois par la
première épître de St Jean pour dire que Dieu est amour, non point depuis seulement qu'il a créé l'homme, mais de toute éternité, étant un seul Dieu qui n'est pas solitaire mais pluriel, capable de conjuguer le verbe aimer aux trois personnes du singulier et du pluriel. L'Orthodoxie refuse radicalement tout dualisme, séparation ou incompatibilité entre !'ερως et l'αγάπη, l'esprit et le corps, le divin et l'humain.
Elle pense ces réalités comme une union sans confusion. Et l'auteur de la première épître de Jean lui vient en aide en employant, pour parler du Dieu tri-unique, le même mot que la version grecque du Cantique évoquant l'amour humain. (à suivre)

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