Du peu de considération réelle de l'Église latine pour St Grégoire Palamas
Voici encore un extrait de l'article de Père André Borrely qui montre encore une fois, avec certes un total esprit d'amour mais avec fermeté et précision, qu'il y a une incompatibilité – durable et protéiforme – entre théologie latine et théologie orthodoxe, et que tout œcuménisme sincère et honnête doit, de manière incontournable, passer par ces distinctions fondamentales et ... savoir quoi en faire !
"L'évêque d'Hippone et le métropolite de Thessalonique
Dans l'article que j'ai intitulé le bienheureux Augustin, et non pas saint Augustin, j'ai tenté d'expliquer pourquoi le monde orthodoxe a éprouvé et éprouve encore un certain embarras, une certaine hésitation devant l’œuvre de l'évêque d'Hippone. Pour l'Orthodoxie, la glorification d'un chrétien ou d'une chrétienne – les chrétiens d'Occident, toujours plus à l'aise dans un langage plus juridique, disent : canonisation – ne saurait être qu'une affaire d 'héroïcité des vertus : encore faut-il que le saint ou la sainte ait été exemplaire par la rectitude de sa pensée sur Dieu, de sa théologie, ce dernier terme étant compris dans un sens fondamentalement sapientiel qu'indique Evagre le Pontique quand il écrit : Si tu es théologien, tu pries vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien. Et beaucoup plus près de nous, le P. Cyprien Kern définissait la chorale qui chante dans l'église comme une chaire de théologie.
L'essence de la sainteté, pour l'Orthodoxie se situe dans un certain τρόπος ύπαρξης dans un certain mode d'existence, d'une part irréductible à l'héroïcité de l'expérience morale, si admirable et vénérable soit-elle, et d'autre part, ce mode d'existence présuppose une expérience de la théologie comprise non point comme une science mais en tant qu'elle est synonyme de sagesse et de prière.
Mais si l'évêque d'Hippone a mis et continue à mettre mal à l'aise le monde orthodoxe, inversement, saint Grégoire Palamas (1296-1359), métropolite de Thessalonique de 1347 à 1359, n'a jamais été accepté par l'Occident chrétien comme saint et ce refus ne semble pas intéresser le mouvement œcuménique : le protestantisme n'avait pas encore vu le jour lorsque s'opposèrent palamisme et thomisme, et le catholicisme campe sur ses positions médiévales en la personne de théologiens de valeur comme J-M. Garrigues op., Le Guillou (qui se dit par ailleurs ouvert au dialogue œcuménique avec l'Orthodoxie), J-M.R.Tillard; auteur, pourtant, de trois beaux ouvrages – Église d’Églises. Coll. Cogitatio fidei, n°143. Ed. du Cerf. Chair de l’Église, chair du Christ. Aux sources de l'ecclésiologie de communion. Ibidem, n°168; L’Église locale. Ibidem, n°191 – dans lesquels Tillard développe une ecclésiologie qui rapproche de l'Orthodoxie la théologie catholique de l’Église. Si les termes d'embarras, d'hésitation peuvent suggérer le refus opposé par le monde orthodoxe à la théologie augustinienne, on pourrait dire que le refus de la théologie palamite par le catholicisme, et a fortiori par le protestantisme, peut être exprimé par le mot allergie. Mais cette dernière est allée plus loin que l'embarras ou l'hésitation à l'égard de saint Augustin. Car, outre l'hostilité envers Palamas, de l'Occident chrétien, augustinien puis thomiste, il y a eu un courant antipalamite au sein même du monde orthodoxe. Le métropolite de Thessalonique aurait pu s'appliquer à lui-même dans une certaine mesure la remarque du Christ en Lc 4, 24 :... aucun prophète n'est accueilli par sa patrie.
Dans son livre La théologie des énergies divines, des origines à saint Jean Damascène Jean-Claude Larchet remarque que la Dogmatique du P. Justin Popovitch ne mentionne jamais saint Grégoire Palamas ni la distinction entre l'essence divine totalement transcendante et imparticipable, et les énergies divines et incréées.
Les marxistes diraient qu'il y eut une alliance objective entre la théologie orthodoxe universitaire d'une certaine époque et, pour des raisons différentes mais finalement convergentes, la théologie catholique qui, elle, continue à rejeter Palamas. Cette tradition anti palamite occidentale n'est pas sans conséquences sur la tiédeur de plus d'un orthodoxe en face de l'engagement dans le mouvement œcuménique. Et ce que J-C. Larchet déplore à juste titre dans l' œuvre de Justin Popovitch, je l'avais moi-même déploré en 1973, en lisant et relisant la Dogmatique de l'Eglise orthodoxe-catholique de Panayotis N. Trembelas. En 1959, les deux premiers tomes de l'ouvrage de Trembelas furent publiés à Athènes par la Fraternité des théologiens ζωή, En 1961, le troisième et dernier tome fut publié par la Fraternité des théologiens Σωτηρ. Les trois volumes furent traduits par Dom Pierre Dumont osb et publiés en 1966 aux Editions de Chevetogne.
Lorsque, au sortir du maquis, le futur Père Cyrille s'en alla à Athènes pour faire des études de théologie en vue de la prêtrise, il eut comme professeur P.N.Trembelas. Or, dans les 1630 pages de la traduction française de cet ouvrage, Trembelas ne cite Palamas que trois fois et uniquement dans le premier volume. Mais le plus intéressant est de noter que le même auteur, dans les trois mêmes volumes se réfère 183 fois au Bienheureux Augustin !* Ainsi donc, le jeune hiéromoine qui arriva de Grèce en 1951 pour se mettre -au service de la paroisse orthodoxe grecque de Marseille avait encore tout à apprendre au sujet du plus grand théologien du Moyen-âge byzantin qu'il allait devoir commémorer chaque année, le deuxième dimanche du Grand Carême, sans qu'à Athènes on ait cru devoir l'y préparer en lui expliquant pourquoi l’Église orthodoxe célèbre, ce jour-là, la glorification du métropolite de Thessalonique.
Mais lorsque, dans les années 70, un de ses paroissiens et futur confrère** dévorait tout ce qui lui tombait sous la main dans le domaine de l'Orthodoxie et des Pères grecs, sans aucun mérite de sa part et ne s'étant donné la peine que de naître 18 ans plus tard, il avait l'avantage sur l'étudiant athénien des années 50 de pouvoir ne lire qu'en 1973 la Dogmatique de Trembelas, et d'abord, en 1969, le bel ouvrage du P. Jean Meyendorff : Introduction à l'étude de Grégoire Palamas.
A ce propos, il est significatif que, dans l'Eglise melkite catholique, on ait supprimé l'office célébré en l'honneur de saint Grégoire Palamas par les Eglises orthodoxes, et qu'on l'ait remplacé par un office en l'honneur des saintes reliques."***
Notes de M. le m. :
*C'est moi qui souligne. C'est le même courant occidentalisant néfaste pour l'Orthodoxie qui a produit tant de douteuses voire fausses icônes au style saint-sulpicien sans rapport avec la tradition orthodoxe, qui a malheureusement touché la théologie. On peut constater jusqu'à quel point cette influence, sous prétexte de dialogue interconfessionnel , peut être préjudiciable à l'Orthodoxie puisqu’elle peut créer dans le sein même de l’Église un courant anti-orthodoxe qui lui fait perdre toute spécificité et la dénature.
*C'est de lui-même dont parle ici P. André
*** C'est également moi qui souligne. La latinisation des églises orientales est plus insidieuse et profonde qu'il n'y paraît (au regard superficiel d'amateurs ne voyant que couleurs locales et orientalismes), transformant par toutes sortes de détails l'authentique spiritualité orientale en variante exotique locale de la théologie catholique romaine toujours vue comme princeps.
A ce propos, il est significatif que, dans l'Eglise melkite catholique, on ait supprimé l'office célébré en l'honneur de saint Grégoire Palamas par les Eglises orthodoxes, et qu'on l'ait remplacé par un office en l'honneur des saintes reliques."***
Notes de M. le m. :
*C'est moi qui souligne. C'est le même courant occidentalisant néfaste pour l'Orthodoxie qui a produit tant de douteuses voire fausses icônes au style saint-sulpicien sans rapport avec la tradition orthodoxe, qui a malheureusement touché la théologie. On peut constater jusqu'à quel point cette influence, sous prétexte de dialogue interconfessionnel , peut être préjudiciable à l'Orthodoxie puisqu’elle peut créer dans le sein même de l’Église un courant anti-orthodoxe qui lui fait perdre toute spécificité et la dénature.
*C'est de lui-même dont parle ici P. André
*** C'est également moi qui souligne. La latinisation des églises orientales est plus insidieuse et profonde qu'il n'y paraît (au regard superficiel d'amateurs ne voyant que couleurs locales et orientalismes), transformant par toutes sortes de détails l'authentique spiritualité orientale en variante exotique locale de la théologie catholique romaine toujours vue comme princeps.
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