LA SERVITUDE VOLONTAIRE par Christos Yannaras
" […] Les gens se soumettent assez facilement à toutes sortes d'institutions liées à l'exercice du pouvoir — dans de nombreux cas, on pourrait parler du plaisir de la soumission ou de la soumission fanatique. Quelle explication peut-on offrir pour cette situation ?
Une interprétation possible est que la soumission soulage l'individu de la responsabilité, du risque et de la liberté—elle le soulage de la peur de grandir, de la peur de devenir adulte. D'autres—et non pas le même individu—décident, choisissent et prennent le risque de l'erreur. L'individu obéit simplement ; il suit. L'étreinte et les soins de la mère, la force et la prérogative du père, le fait de laisser la responsabilité des décisions à cette affection et cette autorité protectrices—tout cela trouve un substitut désirable dans les institutions et les personnes autoritaires. C'est un agréable report du sevrage, un refus commode de grandir. Le secret de notre volonté de nous soumettre et d'obéir à toute forme d'autorité réside plutôt dans notre besoin de trouver un substitut à la protection paternelle et maternelle ; il réside dans la peur de la liberté.
[…]
Par le mot totalitarisme, j'entends la revendication et la tentative (systématiquement organisée) d'une autorité gouvernante de contrôler l'ensemble de la vie, publique et privée, de ceux qui sont sous son autorité, avec pour but de subordonner tous les aspects de la vie (même les convictions, les intentions et les jugements des individus) aux règles établies par cette autorité. Le fait qu'une telle revendication puisse être formulée, mise en place comme un régime organisant la société dans son ensemble, ne peut être simplement le résultat d'une imposition d'en haut. La conformité de la pensée, du jugement et des intentions des individus avec les lignes tracées par l'autorité présuppose en premier lieu un groupe social qui est volontairement (et peut-être avec plaisir) enclin à faire une telle soumission—c'est sur cela que repose l'imposition générale de la revendication. Sans cette masse critique donnée, ou l'inclination latente (et peut-être inconsciente) à la soumission, aucune force ne pourrait imposer et maintenir un régime totalitaire.
La soumission et l'obéissance aux ordres venus d'en haut sont, dans la plupart des cas, le résultat de la peur de devenir adulte, la peur de la liberté—un produit de l'instinct de préservation et de protection de soi. Cependant, l'exercice du pouvoir, la capacité de subordonner les autres à soi et de les diriger, constitue un autre type de plaisir, peut-être supérieur à tout autre—un produit de la satisfaction de l'instinct (tout aussi aveugle) de domination. Avoir autorité sur la pensée, le jugement et la volonté de ses semblables, exercer une autorité « spirituelle » sur eux, dicter leur comportement et leurs pratiques quotidiennes, dominer leurs attitudes psychologiques et contrôler leur relation avec le transcendant doit être équivalent à un sentiment enivrant de pouvoir et d'affirmation de soi.
En même temps, la personne qui exerce un tel pouvoir est vénérée par ceux qui ont pris plaisir à se soumettre à lui. Il suscite leur respect. Ils l'honorent ; ils l'admirent. Sa présence évoque la crainte, voire l'extase, principalement lorsque l'autorité qu'il exerce se manifeste non pas comme un pouvoir séculier mais comme un pouvoir supra-mondain, reflétant une autorité métaphysique et jugeant l'avenir éternel des êtres humains, qu'ils « périssent » ou soient « sauvés ». La personne qui exerce un tel pouvoir est alors considérée comme un être presque au-delà des limites du naturel. Il est enveloppé dans la splendeur du sacré. L'imposition de son autorité est irrésistible."
Christos Yannaras
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