DIMANCHE DE L'AVEUGLE NÉ
Homélie de l'Archimandrite Placide de bienheureuse mémoire
"Avec ce dimanche de l’Aveugle-né se poursuit la série de catéchèses sur le don du Saint-Esprit, sur la foi et le baptême, que la Liturgie nous procure depuis le dimanche de Pâques, au moyen de lectures de l’Évangile de saint Jean.
La guérison de l’aveugle-né (Jn, 9, 1-38), comme toutes les guérisons et les résurrections accomplies par le Seigneur durant sa vie terrestre, étaient des signes et comme des gestes prophétiques. Les Pères de l’Église ont toujours vu dans les guérisons d’aveugles opérées par le Seigneur une figure et une annonce de la guérison spirituelle, du don d’une nouvelle faculté de voir, d’un regard nouveau, qui est celui de la foi, que le Seigneur nous accorde par la grâce de l’Esprit-Saint. Celle-ci nous est donnée en lien avec le baptême.
La piscine de Siloé était une figure de la piscine baptismale. Et en même temps, le Seigneur manifeste clairement, dans cet épisode évangélique, que c’est Lui qui, à travers l’ordre qu’Il donne à l’aveugle de se laver à la piscine de Siloé, le guérit. C’est le Seigneur lui-même qui le guérit, c’est Lui la véritable piscine de Siloé, c’est sa vertu de guérison spirituelle qui se manifeste à travers cette eau. Pour être baptisé, il faut déjà avoir la foi, mais le baptême la fortifie. La grâce de la foi précède celle du baptême : on ne peut pas accéder au baptême si on n’a pas déjà cru à la prédication des apôtres, au témoignage des apôtres tel qu’il nous est transmis par l’Église.
On le voyait tout à l’heure dans l’Épître de ce dimanche, dans le récit de la conversion du geôlier de Paul et des apôtres, et de toute sa famille, qui demandent le baptême après avoir été instruits par Paul. C’est en entendant le message des apôtres que nous pouvons y adhérer et y croire, avec l’aide de la grâce intérieure de l’Esprit-Saint, bien sûr.
Mais tant que nous en restons là, la foi demeure pour nous une foi en quelque sorte verbale : nous croyons à des mots, nous croyons à des paroles, nous croyons à des idées ; nous n’avons pas encore, si je puis dire, l’expérience intérieure de ces réalités de la foi. Mais par la guérison de cet aveugle, et par celle d’autres aveugles qui nous sont rapportées dans l’Évangile, notamment celle des deux aveugles de Jéricho, qui a eu lieu à un moment où les apôtres ne parvenaient pas à comprendre et à accepter l’annonce de la Passion et de la Résurrection, le Seigneur veut nous annoncer que la grâce de l’Esprit-Saint, que ses disciples recevront au baptême, est une grâce qui ouvre en nous un regard nouveau. C’est une grâce qui nous donne comme une faculté nouvelle, qui nous permet non pas de comprendre rationnellement, intellectuellement, les mystères de la foi, mais qui nous persuade intérieurement de la vérité de cette parole transmise par l’Église, qui nous nous en donne l’intelligence profonde, qui nous la fait, d’une certaine manière, voir.
Dans un passage très important de ses Discours ascétiques, saint Isaac le Syrien nous dit que la foi commence par l’audition, que nous croyons parce que nous avons entendu un témoignage crédible. S’il nous a paru crédible, c’est déjà parce que le Saint-Esprit éclairait notre cœur. Mais à mesure que nous progressons dans la foi et dans la charité, cette foi qui croyait simplement à des paroles, à des mots, devient ce que saint Isaac appelle la foi qui voit. C’est-à-dire que c’est vraiment un regard nouveau qui s’ouvre dans notre cœur et qui nous fait percevoir les réalités de la foi avec, je dirais, une chaleur, une immédiateté comparable à celle avec laquelle notre vue perçoit les choses qui nous entourent. Quand nous voyons quelque chose avec nos yeux de chair, nous le percevons d’une façon concrète, immédiate, vivante. C’est tout autre chose que de connaître seulement une vérité à travers des idées, des concepts. Eh bien, la grâce du Saint-Esprit, si nous la laissons se développer en nous, si nous y consentons et y coopérons véritablement, nous fait acquérir comme un sens intime de toutes les vérités du christianisme. Elles deviennent pour nous autre chose que des mots et des phrases. Elles en viennent à éveiller vraiment un écho profond dans notre cœur. C’est cela, cette foi qui voit dont nous parle saint Isaac.
Dans ce passage de ses Discours ascétiques, saint Isaac précise aussitôt que la condition essentielle pour que nous passions de la foi qui entend à la foi qui voit, pour que se développe ainsi en nous ce sens intime des vérités de la foi, est que nous progressions dans toute notre vie spirituelle. Il insiste particulièrement sur le repentir. C’est dans la mesure où nous vivons vraiment dans ce repentir profond de nos fautes, dans la conscience vive de notre pauvreté spirituelle devant le Seigneur, que notre foi peut pleinement s’éveiller en nous. Dans d’autres passages, saint Isaac insiste aussi sur l’importance de l’humilité. Le repentir en nous doit s’épanouir en humilité, en humilité profonde. C’est bien ce que saint Silouane du mont Athos, lui aussi, nous enseigne. Il nous dit que l’humilité est l’œil par lequel nous pouvons voir la Lumière divine.
Si notre foi est fragile, si notre foi parfois chancelle, la racine profonde de cette crise, – s’il ne s’agit pas seulement d’une épreuve permise par Dieu pour purifier notre cœur et notre foi, – la racine profonde de cette fragilité de notre foi, c’est sans aucun doute l’orgueil, la confiance que nous mettons en nous-mêmes, que nous mettons dans nos jugements propres, l’attachement à nos idées, à ce que nous croyons être nos certitudes dans tous les domaines, même dans les circonstances les plus simples de la vie quotidienne. Si nous laissons cet orgueil se développer en nous, inévitablement notre foi en souffrira. Si le monde où nous vivons a perdu la foi, s’il n’a plus le sens des réalités spirituelles, c’est assurément parce qu’il cultive l’orgueil sous toutes ses formes, sans l’appeler par son nom.
Et au contraire, dans la mesure où, à travers toutes les occasions de notre vie, nous nous efforcerons de renoncer à toute suffisance, à tout orgueil, à toute confiance mal placée en nous-mêmes, eh bien, à ce moment là, nous serons de plus en plus accueillants à cette grâce de la foi que le Saint-Esprit a déposée en nous au baptême, mais sous la forme d’un petit germe qui doit se développer, et qui ne se développera que dans la mesure où nous y coopérerons en luttant pour devenir plus humbles, en luttant pour devenir intérieurement plus silencieux, plus accueillants à ces lumières que l’Esprit-Saint éveillera en nous. En ce dimanche de l’aveugle-né, demandons au Seigneur, comme les apôtres, d’augmenter notre foi.
Oui, nous avons la foi, mais il faut que notre foi se développe, qu’elle devienne de plus en plus cette foi qui voit, ce regard intérieur qui peut nous guider dans toute notre vie, et aussi nous remplir de joie. Car, dans la mesure où nous avons la certitude de la Résurrection du Seigneur, où nous sommes profondément convaincus de la vérité de ce mystère qui est le cœur de notre foi chrétienne, eh bien, à ce moment là aussi, la joie du Seigneur, cette joie qu’Il nous a apportée – « Je vous donne ma joie, non pas celle que donne le monde » – rayonnera en nous. Que cette joie de notre Père, de son Fils bien-aimé et de l’Esprit-Saint se développe toujours davantage en nous. À la Trinité sainte soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen."
Archimandrite Placide Deseille
La couronne bénie de l' année chrétienne Homélies pour l’année liturgique Éditions du Monastère St-Antoine-le-Grand |
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