À la découverte de ce qui fait tenir le monde [6] : Comme ce petit enfant… le plus grand dans le Royaume des Cieux
"Jésus, ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d'eux, et dit: Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. C'est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le Royaume des Cieux.…" (Matthieu 18)
"Le loup habitera avec l'agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau, et le bétail qu'on engraisse, seront ensemble, Et un petit enfant les conduira" (Isaïe 11, 6)
[…] Enfin, quand flamboyait dans la fournaise le gravier blanc du sentier aux serpents, lentement les vipères fer de lance s’y glissaient et le couvraient bientôt comme une bandelette se couvre d’hiéroglyphes. Ces bêtes qui vivaient nombreuses dans les crevasses et les fissures de l’Ermitage, ne nous inspiraient point de crainte ; nous y prenions bien plutôt plaisir, durant le jour, à voir briller leurs couleurs éclatantes, et la nuit, à entendre le léger sifflement subtil et sonore dont elles accompagnaient leurs ébats amoureux. Souvent, notre manteau légèrement relevé, nous les enjambions, et lorsque nous recevions un hôte qu’elles effrayaient, nous les repoussions du pied hors du chemin. Mais jamais, sur le sentier aux serpents, nous ne lâchions la main de nos hôtes ; et souvent j’ai remarqué que la liberté, la bondissante sécurité qui nous saisissait sur ce chemin, nos hôtes également semblaient l’éprouver. Bien des choses contribuaient à rendre ces bêtes si peu farouches, mais leurs manières d’être nous fussent demeurées bien ignorées, sans Lampusa, notre vieille cuisinière. Tant que durait l’été, Lampusa plaçait chaque soir devant l’entrée de sa cuisine creusée dans le rocher, un petit bassin d’argent plein de lait, puis pour attirer les bêtes elle lançait un appel rauque. Alors, aux derniers rayons du couchant, on voyait luire partout dans le jardin un mouvement sinueux et doré, sur la terre toute noire des parterres de lis, sur la verdure argentée des gros buissons, et plus haut, dans le taillis des coudriers et des sureaux. Puis les bêtes se rassemblaient autour du bassin, formant ensemble le signe enflammé de la roue solaire, et prenaient l'offrande qu’on leur apportait. Lampusa avait l'habitude, pour offrir ce don, de prendre sur son bras le petit Erion, qui accompagnait son appel de sa voix frêle. Quelle ne fut pas ma stupeur, lorsqu'un soir, alors qu’il marchait à peine, je vis l’enfant traîner hors du seuil le petit bassin. Il en frappa le bord avec une cuiller de bois, et les serpents rouges te brillèrent, glissant hors des crevasses du marbre. Et comme si je rêvais tout éveillé, j’entendis rire le petit Erion, debout au milieu d’eux sur l’argile battue du seuil de la cuisine. Les bêtes l’entouraient de leurs jeux, se soulevant à demi, et balançant par-dessus sa tête en un rapide mouvement de pendule leurs lourdes têtes triangulaires. l'étais de- Imul sur la terrasse, et n’osais appeler mon petit Erion, pareil à l’homme qu’on voit marcher dans son sommeil sur l'escarpement des toits. C’est alors que j'aperçus la vieille, devant sa cuisine dans les roches, Lampusa qui souriait, les bras croisés, et le sentiment triomphal de la sécurité au foyer même des périls se leva rayonnant dans mon cœur. À dater de ce jour, ce fut Erion qui nous appela ainsi à la collation du soir. Lorsque nous entendions tinter le bassin d'argent, nous laissions notre travail pour nous réjouir au spectacle de l'enfant dans son offrande. Frère Othon quittait bien vite sa bibliothèque, moi l'herbier dans la galerie intérieure, et Lampusa se levait aussi de son foyer pour admirer l'enfant, le regard plein de tendresse et de fierté. Et nous nous amusions des efforts de l'enfant pour maintenir l'ordre parmi les bêtes. Bientôt Erion put les appeler chacune par son nom, et il trottinait dans leur cercle. traînant sa petite robe de velours bleu ourlée d'or. Il était aussi fort attentif à ce que chacune eût sa part, et faisait place aux traînardes autour du bassin. Puis, de sa cuiller en bois de poirier, il frappait la tête de l'une ou l'autre des baveuses, ou bien, quand elles tardaient à céder la place, il les saisissait à la nuque et de toutes ses forces les tirait de côté. Si rudement qu'il pût les saisir, les bêtes étaient toujours douces et dociles envers lui, même à l'époque de la mue où elles deviennent si sensibles ; c'est un temps où les bergers ne laissent point leurs troupeaux pâturer aux abords des falaises de marbre, car une morsure au bon endroit tue le taureau le plus fort avec la promptitude de l'éclair. […]
Extrait de "Sur les falaises de marbre"
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