La sainteté au jourd'hui

"C'est devenu une banalité de dire que nous vivons dans un monde soumis à de rapides et profonds changements, que ce soit dans les domaines économique, social, technique, ou scientifique. Tout change, même la religion! L'adjectif « nouveau » est devenu dans bien des cas synonyme de « meilleur », ce qui encourage à rejeter le passé et la Tradition ecclésiale qu'il véhicule. Dans cette remise en question, dans cette contestation permanente à laquelle sont soumises les bases mêmes de notre existence, il est permis de se demander ce que deviendra notre vie chrétienne dans le monde qui se prépare. Si tout change, il faut bien dire que l'essentiel demeure : la parole de Dieu et le cœur de l'homme, eux, restent ce qu'ils ont toujours été. Le reste, ce sont à un degré ou à un autre des épiphénomènes.

Il n'a jamais été et il ne sera jamais facile d'être chrétien. « Se charger de sa croix et suivre le Christ » n'était pas facile pour les martyrs des premiers siècles, ni pour les moines qui peuplèrent les déserts, ni pour les fols en Christ, ni pour Saint Séraphin de Sarov qui resta mille jours et mille nuits sur une pierre pour prier Dieu, ni pour personne à quelque époque que ce soit qui veut réellement vivre selon l'Évangile. Aujourd'hui, comme toujours, il s'agit d'ancrer sa vie dans l'ÉVANGILE, en d'autres termes d'accomplir les commandements du Christ : aimer Dieu et notre prochain (cf. Mat. t. XXII, 34-40). Sur cette voie, on se heurte inévitablement à la colossale résistance des puissances ennemies de Dieu : en nous, les passions ; autour de nous, le règne du Prince de ce monde. Ce règne prendra, à mon avis, de plus en plus le masque d'une pseudo-religion, œuvre du « père du mensonge » (Jean VIII, 44), cherchant à séduire, s'il était possible, les élus eux-mêmes (Marc XIII, 22) et ce qui est l'abomination de la désolation à s'infiltrer au sein même de la Sainte Église. Une vigilance toute particulière sera nécessaire pour résister à ces tentations et au mensonge quasi-généralisé. Il est vrai que la tâche consistant à purifier l'intelligence des idoles mentales suscitées par ces pseudο-vérités est à la fois des plus nécessaires et des plus difficiles. Pour cela il faudra une FOI simple et lucide, mais aussi ce grand don de Dieu qu'est le discernement des esprits. Nous sommes peut-être à la veille de l'époque prophétisée par Saint Antoine: « Un temps vient où les  hommes deviendront fous, et lorsqu'ils rencontreront quelqu’un qui n'est pas fou, ils se tourneront vers lui en disant: tu déraisonnes ! Et cela parce qu'il ne leur ressemble pas ». (Apoph. Antoine, 25).
Comme par le passé plus peut-être, car bien des structures ou supports secondaires risquent de disparaitre l'EUCHARISTIE sera le cœur de la vie chrétienne. Perdus au milieu d'un monde indifférent ou hostile, les fidèles « sacerdoce royal » (I Pierre II, 9) doivent apprendre à connaître et à vivre en plénitude la liturgie et à former d'authentiques communautés eucharistiques, dans l'attente et en anticipation de la venue de la Jérusalem céleste.

Si l'accent doit être mis sur la vie sacramentelle, il doit l'être tout autant sur l'ascèse. Il n'y a pas de vie chrétienne sans une certaine ascèse, en particulier sans prière. Et ici je crois que la PRIERE DE JÉSUS et la tradition philocalique seront d'un secours extraordinaire pour les chrétiens dispersés dans un monde sécularisé. Ils pourraient former de petites « fraternités de prière » quasiment sans structure mais non sans relations entre elles et des centres discrets de rayonnement avec lesquels serait jalousement gardée ininterrompue la chaine de la bénédiction qui remonte à un Père spirituel.

Avec la disparition de ce compromis entre le royaume du prince de ce monde et le Royaume de Dieu, que fut la Chrétienté pour le meilleur et pour le pire je crois que l'opposition de ces deux royaumes ne peut pas manquer de croitre dans la mesure où les chrétiens seront fidèles à leur vocation. Plus que jamais il leur faudra savoir ne pas être du monde tout en étant dans le monde. Il faut l'affirmer hautement en ce moment où l'on proclame dans certains milieux que la sécularisation est le fin mot de l'Incarnation et que le monde, tel qu'il est, est normatif.

Un terrain propice à bien des confusions et particulièrement ambigu me paraît être celui de l'œcuménisme. N'est-ce pas par un « concile œcuménique » tenu à Jérusalem sous l'égide de l'Antéchrist que Soloviev termine ses « Trois conversations » ? Ce concile permet de réaliser une fausse union de Chrétiens séduits, mais par contrecoup il provoque la vraie union de ceux qui refusent l'Antéchrist et ainsi inaugure l'ère de la Parousie. Amen. Viens Seigneur Jésus ! (Apoc. XXII, 20).
Hiéromoine Syméon (in Le Messager Orthodoxe n°II-1971 !)

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