Révolution, Nationalisme, Phylétisme et Eglise orthodoxe

Après m'être associé à la joie de la fête nationale grecque et avoir même vanté les mérites de la révolution , il me faut tout de même apporter quelques nuances sur ces fameux bienfaits...
Cet extrait d'un texte très important pour nous Orthodoxes occidentaux de Geronda Placide Deseille sur le sujet le fera bien mieux que je ne pourrais le faire, le voici  donc :


"[...] La philosophie politique des protagonistes de la Révolution a été formulée par eux dans la «déclaration des droits de l'homme et du citoyen», selon laquelle la liberté de l'individu n'est limitée que par celle des autres individus; l'autorité et la loi n'émanent que de l'homme, envisagé collectivement, sans dépendance d'aucune Autorité transcendante. Mais, comme le remarque pertinemment encore Régis Debray, si « l’image de la Déclaration de 89 est la plus populaire», «il serait pour autant ingrat de laisser dans l'ombre ce qui a rendu possible l'incarnation des immortels principes; la nation, et la violence. Elles ont partie liée. L'idéal énoncé au monde par la Révolution française, ce fut la nation comme nouveauté radicale, plus que le droit comme promesse d'avenir. Et c'est la première qui a servi de propulseur au second» (1).
La Révolution a donné ainsi le signal à un essor du nationalisme qui a marqué toute l'histoire du XIXème siècle, et qui, en cette fin du XXème siècle a encore des retombées de l'Amérique latine aux Pays baltes, à l'Arménie et à la Géorgie, en passant par l'Afrique noire. «Se considérant comme exportable - missionnaire. (la Révolution française) a voulu enseigner la liberté aux peuples contre la tyrannie des trônes. Elle a opposé la souveraineté populaire au droit divin des rois et posé en principe éthique le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (2)
Ce nouveau nationalisme est d'une nature très différente du patriotisme qui animait les membres des anciennes nations chrétiennes. Il n'est plus fait de l'attachement à un terroir, de la fidélité à un souverain et de l'amour d'un patrimoine commun, mais il procède plutôt de l'enthousiasme pour l'idée qu'une communauté ethnique ou linguistique se fait d'elle-même et pour ses mythes nationaux tels que ses écrivains et ses publicistes les formulent et les exaltent. Cet individualisme collectif est facilement xénophobe, chaque nation tendant à opposer son particularisme à celui des autres (3).
Paradoxalement, dans l'Europe du XIXème siècle, ce nationalisme révolutionnaire, dont la racine était antichrétienne, servit la cause de nations catholiques romaines ou orthodoxes : la Belgique, la Pologne, l'Irlande se libéreront de la domination de nations non-catholiques, tandis que la Grèce et les nations balkaniques s'affranchiront du joug ottoman.

Le nationalisme et l'Eglise orthodoxe

Le mouvement de libération nationale n'eut pas, pour les pays orthodoxes que des conséquences bénéfiques. Dans un premier temps, il contribua à la formation de nations où l'Orthodoxie était proclamée religion d'état. Mais il portait en lui, de par ses origines, un germe de déchristianisation qui se développerait peu à peu et conduirait un jour à l'établissement de gouvernements athées et antichrétiens. Le lien qui rattache les révolutions marxistes à la Révolution française est manifeste.
Mais surtout, le nationalisme des deux derniers siècles est responsable de ce qui constitue l'une des plaies les plus redoutables du monde orthodoxe contemporain, le nationalisme religieux ou «phylétisme». Il fut condamné par le Concile local de Constantinople de 1872, alors que les Bulgares envisageaient la création d'une Église nationale sans limites géographiques précises, exerçant une juridiction universelle. Le rapport élaboré pour ce Concile dénonce avec rigueur et clarté ce mal qui n'a pas cessé de perturber l'Église orthodoxe, surtout là que se pose le problème de la Diaspora :
«Le phylétisme, c'est-à-dire la distinction fondée sur la différence d'origine ethnique et de langue, et la revendication ou l'exercice de droits exclusifs de la part d'individus et de groupes d'hommes de même pays et de même sang, peut avoir quelques fondements dans les états séculiers, mais ... dans l'Église chrétienne, qui est une communion spirituelle destinée par son chef et fondateur à comprendre toutes les nations dans l'unique fraternité du Christ, le phylétisme est quelque chose d'étranger et de totalement incompréhensible. La formation, dans un même lieu, d'églises particulières fondées sur la race, ne recevant que les fidèles d'une même ethnie, excluant tous ceux des autres ethnies, et dirigées par les seuls pasteurs de même race, comme le prétendent les adeptes du phylétisme, est un événement sans précédent... (4 )
Il est normal et sain que dans un pays de tradition orthodoxe, l'Église soit comme l'âme de la nation, et l'expression la plus profonde de son être collectif. Un sain patriotisme, exempt de tout exclusivisme et de tout chauvinisme, est pleinement conciliable avec l'esprit du christianisme. Dans des situations de diaspora, il est normal que des émigrés gardent un attachement pour leur patrie d'origine ; mais le rôle de l'Église ne doit pas être confondu avec celui d'une association culturelle ou d'un groupe folklorique, ni l'identité ethnique avec l'identité chrétienne.
L'Église de Dieu présente à Athènes est la même que celle qui est présente à Moscou ou a Bucarest ; un Russe ou un Roumain en résidence à Athènes peut, tout au plus, souhaiter que l'Église locale mette à sa disposition un lieu de culte où la Liturgie soit célébrée dans sa langue, mais ce lieu de culte doit dépendre de l'Église locale, et non d'un évêque qui représenterait sur place l'Église russe ou l'Église de Roumanie. La fidélité à la tradition canonique de l'Église, qui n'est que l'expression de vérités théologiques essentielles, exigerait qu'il en aille de même à Paris ou à Londres. Le respect du principe territorial n'implique d'ailleurs aucunement l'existence d'une Église autocéphale ou autonome dans chaque pays : en faire une exigence serait encore une forme de phylétisme ; rien n'empêche que le métropolite de Paris dépende d'une autocéphalie dont le siège serait à Londres, par exemple, ou du Patriarche œcuménique ; ce qui importe, c'est qu'il n'y ait pas dans un même lieu plusieurs communautés ecclésiales, plusieurs évêques, plusieurs métropolites indépendants les uns des autres.[...]"

1. Régis Debray, Que vive la république  Paris 1989 p. 59.
2. Emile Poulat, Liberté. Laïcité. l,a guerre des deux France et le principe de la modernité. Paris, 1987, pp. 127-128.
3. Cf. Marie-Madeleine Martin, Histoire de l'unité française. L'idée de patrie en France des origines à nos jours, Paris. 1949. 
4. Voir l'ensemble du texte dans : Métropolite Maxime de Sardes, Le Patriarcat œcuménique dans l'Église orthodoxe, Paris, 1975. pp. 378-387.

in  "Tous, vous êtes un dans le Christ
L'Église orthodoxe et le nationalisme
(ed. du Monastère SaintAntoine Le Grand 26190 Saint-Laurent-en-Royan)
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Jean VI Cantacuzène, empereur  et 
moine - sous le nom de Joasaph Christodoulos

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