COMMENTAIRE BIBLIQUE DE MATTHIEU 16.18 GREC : « TU ES PETROS… » en finir avec un mythe.
« tu es Petros (masculin), un roc : et sur cette petra (féminin), sur ce roc, je bâtirai… »
(source)
On voit que l’évangéliste a employé en grec ces deux synonymes de manière à ce que l’un soit un nom propre, l’autre un nom commun.
Le français comme le grec rend ce jeu de mots : « Tu es Pierre et sur cette pierre… » Mais Jésus parlait araméen et répéta identiquement le même terme : « Tu es Kèphas (roc) et sur ce Kèphas… » (Jean 1.43).
On a trouvé une contradiction entre ce dernier passage et notre récit : d’après Jean, Pierre aurait reçu ce nom dès le commencement. Mais ici Jésus ne lui donne pas ce nom, il le lui confirme : tu es Pierre.
Quel est le sens des paroles si longuement controversées : sur ce roc je bâtirai mon Église ? Et d’abord, qu’est-ce ici que l’Église, mot qui ne se trouve nulle part dans nos évangiles, sauf dans notre passage et dans Matthieu 18.17 ?
Le terme français Église est grec par son étymologie (ecclèsia) et dans la langue originale, il signifie toute assemblée ou plutôt convocation même en dehors d’un but religieux (Actes 19.39-40). Jésus se servit sûrement du mot hébreu kahal, qui désignait les convocations solennelles du Peuple israélite. Par ce terme, il n’entendait pas désigner une Église particulière, mais l’ensemble de ceux qui croiraient en lui (il en est autrement au Matthieu 18.17).
Enfin, il considère l’Église, suivant une figure de langage qu’emploiera fréquemment l’apôtre Paul, comme un édifice qu’il s’agit de bâtir.
La critique négative, n’admettant pas que Jésus pût ainsi parler de son Église avant qu’elle existât, révoque en doute l’authenticité de ces paroles, qui, selon elle, appartiennent à un ordre de faits postérieurs.
Comment alors Jésus pourrait-il parler si souvent de son royaume (verset 19), en décrire tous les caractères et tous les développements, jusqu’à la perfection ? La notion d’une telle société spirituelle était d’ailleurs donnée par la communion des âmes pieuses du milieu du peuple d’Israël, qui formaient déjà une Église. Et même le petit nombre de croyants réunis autour du Sauveur n’étaient-ils pas déjà son Église ? Et Jésus n’aurait pu en prévoir tous les développements futurs ! Il faut s’y résigner : retrancher du Nouveau Testament la prescience et la divinité de Jésus-Christ, c’est se condamner à n’y plus trouver qu’une longue suite d’énigmes.
Maintenant, quelle prérogative le Seigneur confère-t-il à Pierre par ces paroles ? Il faut d’abord en écarter toutes les interprétations contraires à une saine exégèse. Ainsi l’idée d’Augustin que Jésus, en disant : sur ce roc, se désignait lui-même du geste. Ainsi encore celle de plusieurs Pères et de la plupart des interprètes protestants que ce roc, c’est la confession de Pierre, ou sa foi considérée dans un sens abstrait. Sans doute, c’est à cause de cette foi que le Seigneur le proclame le roc sur lequel il fondera son Église et l’instant d’après quand Pierre ne comprendra point les choses divines, il l’appellera Satan (verset 23).
Mais il faut bien reconnaître que Jésus en lui disant : Tu es Pierre,…sur cette pierre, je bâtirai,…désigne bien la personne de l’apôtre. C’est sur sa personne, pour autant du moins qu’il se montrera, par l’obéissance et la foi, un rocher, c’est sur son action personnelle, que reposera l’édifice de l’Église.
L’événement a confirmé la prophétie. Les premiers chapitres du livre des Actes nous présentent Pierre comme le fondateur de l’Église, parmi les Juifs, Actes 2.1ss parmi les Samaritains (Actes 8.14 et suivants) et parmi les païens (Actes 10). Dans tous les catalogues des apôtres, Pierre est nommé le premier (Matthieu 10.2 ; Marc 3.16 ; Luc 6.14 ; Actes 1.13). Il a donc bien occupé aux yeux de l’Église primitive le rang que le Maître lui avait assigné.
Qu’y a-t-il dans ce fait qui puisse donner le moindre prétexte aux inventions absurdes et impies de l’Église de Rome ? Un apôtre n’a point de successeurs, Pierre n’a point fondé l’Église de Rome et n’en fut jamais l’évêque (voir l’introduction à l’épître aux Romains) ; mais l’eut-il été, la prétention des papes à hériter de son rang et de beaucoup plus encore, constitue une impiété. Paul sans doute ne craint pas de montrer l’Église bâtie « sur le fondement des apôtres », mais il a soin d’ajouter que Jésus-Christ en reste « la pierre angulaire » (Éphésiens 2.20 ; comparez Matthieu 21.42), le seul fondement divin qu’on puisse poser (1 Corinthiens 3.11 ; 1 Pierre 2.6).
Quant à Pierre s’il joua un rôle prépondérant tant qu’il s’agit de jeter les premiers fondements de l’Église, d’autres apôtres, Paul par son action, Jean par ses écrits, y sont, dans la suite, devenus plus grands que lui. Et lui-même n’eut jamais d’autre sentiment (1 Pierre 5.1 ; comparez Matthieu 19.28 ; Apocalypse 21.14). En outre, dans tout le Nouveau Testament, on ne trouve pas trace d’une suprématie exercée par Pierre dans le gouvernement de l’Église. C’est l’Église qui élit les diacres (Actes 6). Quand il s’agit de baptiser les premiers païens, Pierre consulte les disciples (Actes 10.47), puis il se justifie humblement devant l’Église (Actes 11.2 et suivants) ; dans le concile de Jérusalem, il prend une part décisive à la discussion mais c’est Jacques qui propose et fait adopter la résolution (Actes 15) ; enfin cet apôtre accepte la répréhension de Paul (Galates 2).
Ajoutons que tout ce discours de Jésus a Pierre est omis dans le récit de Marc, son « interprète » et dans celui de Luc, preuve que ces prérogatives temporaires avaient peu d’importance dans la tradition apostolique (voir sur ce passage R. Stier, Discours du Seigneur, tome II, p. 204 et suivants).
Le séjour des morts (grec hadès, le lieu invisible, comparez Matthieu 11.23, note) est considéré comme une forteresse ayant des portes si fermes, que nul n’en peut ressortir (comparer Job 38.17 ; Ésaïe 38.10 ; Psaumes 9.14). Or, Jésus affirme que l’édifice de son Église sera plus ferme encore et qu’elle ne périra jamais. Toutes les interprétations qui supposent ici un combat de la puissance des ténèbres contre l’Église faussent l’image ; des portes n’attaquent pas, mais ces portes de la mort s’ouvrent pour engloutir des victimes et elles n’engloutiront jamais l’Église : celle-ci ne mourra point.
De plus, il ne faut pas, comme nos versions ordinaires, confondre le hadès, séjours des morts, avec l’enfer.
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