RICHES ET PAUVRES DE TOUJOURS, un choix de textes des Pères de l'Église


Paris, éd. Migne (Lettres chrétiennes, 2), 2011, 404 p.
ISBN 978-2-908587-64-7


Présentation de l'éditeur
Collection : Lettres chrétiennes 2

Bienheureux, vous les pauvres! ... Malheur à vous, les riches! (Lc 6, 24). Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux (Mt 19, 24). L'Évangile condamne-t-il la richesse? Canonise-t-il la pauvreté? Un riche peut-il être sauvé? Le christianisme a-t-il quelque chose à dire sur l'économie et la société ? Ces questions, les chrétiens des premiers siècles se les sont posées. Le monde dans lequel ils vivaient offrait beaucoup de points communs avec le nôtre : de très grandes fortunes côtoyant une terrible misère, l'écrasement des classes moyennes, la plaie de l'endettement. Les Pères de l'Église auraient pu se décourager en pensant que les exigences évangéliques étaient incompatibles avec les réalités économiques et sociales. Ils ont pris le problème à bras le corps. C'est leur réflexion que nous livre ce recueil où l'on trouve les thèmes de la propriété et du partage des biens, du prêt à intérêt et du surendettement, de l'exploitation des salariés et de la spéculation, de la dignité des pauvres et de celle des riches. Il vaut la peine de s'arrêter pour les écouter Vous trouverez dans ce livre : - une Préface d'Antoine Hérouard - une Introduction de Jean-Marie Salamito - un choix de textes des Pères de l'Église. Épilogue de France Quéré

Le livre avait été présenté le 25 juin. 2012 sur le Blog Graecia orthodoxa de la brillante Vassa Kontouma (doyenne de la Section des Sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études) 



Fyodor A. Bronnikov (1827-1902)La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, 1886.


Droit de propriété et partage des biens

L’égalité originelle


Ambroise de Milan, Sur Naboth :

 « La terre a été établie pour l’usage commun de tous, riches et pauvres ; pourquoi, vous les riches, vous attribuez-vous un droit personnel sur le sol ? La nature ne connaît pas les riches, elle qui nous met tous au monde pauvres. (…) La terre nous met au jour nus, démunis de nourriture, de vêtement, de boisson, et elle reprend nus ceux qu’elle avait fait naître, elle ne sait pas enfermer dans un tombeau l’étendue de nos propriétés. (…)  (La nature) ne sait donc pas distinguer entre nous quand nous naissons, et elle ne le sait pas quand nous mourons. Elle nous crée tous semblables, elle nous enferme tous semblables dans le sein du sépulcre. »

Nous ne sommes que des gérants

Grégoire de Nazianze, Homélie sur l’amour des pauvres :

« Frères bien-aimés, ne soyons pas les mauvais économes des biens que l’on nous a confiés. »

Les riches accaparent les biens communs


Grégoire de Nazianze, Homélie sur l’amour des pauvres :

« Les hommes ont caché dans leurs coffres de l’or, de l’argent, des vêtements somptueux autant qu’inutiles, de reluisantes pierres précieuses et autres choses du même genre (…) mais pour des frères en détresse, point de pitié. Le superflu des riches n’ira pas fournir aux pauvres de quoi vivre. (…)  Ils ne réfléchissent pas que pauvreté et richesse (…) arrivèrent tardivement dans la race des hommes et qu’elles déferlèrent comme des épidémies amenées par le péché. Depuis ce temps-là, l’humanité qui ne formait qu’une famille a éclaté en une multiplicité de peuples qui ont pris des noms différents tandis que l’avidité a ruiné la générosité naturelle, et pour se soutenir s’est appuyée sur l’autorité des lois. Considère cette égalité primitive, oublie les divisions ultérieures. Arrête-toi non point à la loi du plus fort, mais à celle du Créateur. »


Maux de tous temps


Prêt à intérêt et surendettement


Grégoire de Nysse, Homélie contre ceux qui prêtent à intérêt :

« Ne cherche pas un rejeton(*) au cuivre ou à l’or, ces matériaux stériles, ne force pas non plus la pauvreté à accomplir les œuvres des riches : ne demande pas à celui qui demande un capital de donner des intérêts. »

Basile, Homélie sur le Ps 14 :

« (Au débiteur) : On dit que les lapines, dans le même temps, mettent bas, allaitent et sont à nouveau pleines. Chez les prêteurs aussi, en même temps que l’argent est prêté, il y a des petits et cela se multiplie. Car tu n’as pas encore reçu l’argent en mains et voilà qu’on te réclame les intérêts du mois courant. Tu fais un nouvel emprunt pour cela, qui nourrit un nouveau mal, et celui-ci un autre et ainsi à l’infini. C’est bien la raison pour laquelle, à mon avis, cette forme de la cupidité a reçu ce nom d’intérêt (τόκος), à cause de la grande fécondité du mal. (…) Qu’on donne le nom d’engeance de vipères à la prolifération des intérêts : on dit que les vipères viennent au monde en rongeant le ventre de leur mère ; les intérêts eux aussi sont produits en dévorant le patrimoine des gens endettés. (…)

Lorsque l’argent emprunté s’écoule peu à peu et que le temps s’avance et fait approcher les échéances, (…) chacun compte sur ses doigts : l’un (le créancier) se réjouit de voir augmenter les intérêts, l’autre (le débiteur) gémit sur ce supplément de malheurs. (…)

Le comble de l’inhumanité est réellement atteint quand celui qui manque du nécessaire cherche un prêt pour subvenir à ses besoins, et que l’autre ne se contente pas du capital, mais imagine d’amasser pour lui-même, sur les malheurs du pauvre, des revenus et d’abondantes ressources. »

« (Au créancier) : « Argent et profit, dis-moi, c’est chez l’indigent que tu les cherches ? Et s’il était capable de te rendre plus riche, que cherchait-il à ta porte ? Il est venu demander de l’aide, il a trouvé un ennemi. Il cherchait des remèdes, il a rencontré des poisons. Il fallait alléger la pauvreté de cet homme, et toi tu augmentes sa détresse en cherchant à tirer profit de son dénuement ! C’est comme si un médecin, entrant chez des malades, au lieu de leur apporter la santé, leur enlevait en plus le peu de forces qu’il leur reste. Toi, de la même manière, tu utilises les malheurs des pauvres comme occasion de profits. »

Accaparement


Ambroise de Milan, La vigne de Naboth :

« Quel est le possesseur d’une grosse fortune qui ne prétend chasser le malheureux de son petit bien et expulser le pauvre de la campagne de ses aïeux ? Qui est satisfait de son patrimoine ? Quel est le riche dont la propriété voisine n’enflamme pas les pensées ? (…) Chaque jour Naboth est exécuté, chaque jour le pauvre est mis à mort. Sous le coup de cette crainte, le peuple des humains se met à quitter ses terres, le pauvre chargé de ce qu’il a de plus précieux émigre avec ses enfants, son épouse en larmes le suit comme si elle conduisait au tombeau le corps de son mari. »

Spéculation


Basile, Homélie sur le Ps 14 :

« N’alourdis pas tes prix en profitant des besoins des gens, n’attends pas la disette pour ouvrir tes greniers. Ne souhaite pas la famine pour l’or qu’elle te rapporte, ni l’indigence publique pour ta prospérité personnelle. Ne trafique pas avec les catastrophes humaines, ne fais pas de la colère de Dieu une occasion d’arrondir ta fortune. »

Ambroise de Milan, La vigne de Naboth :

« L’homme cupide est toujours accablé par les rendements élevés, car il suppute alors un prix bas pour ses denrées. En effet la fertilité est bonne pour tout le monde, mais les mauvaises récoltes ne sont lucratives que pour l’homme cupide. Il se réjouit davantage des prix excessifs que de la profusion des ressources, et il préfère avoir quelque chose à vendre tout seul plutôt qu’avec tous les autres. Regarde-le qui a peur que son tas de blé ne déborde et que, ruisselant en dehors de ses greniers, il ne se répande chez les pauvres et ne procure aux indigents l’occasion d’un peu de bien-être. Le riche revendique pour lui seul les produits du sol, non qu’il veuille lui-même s’en servir, mais il veut les refuser aux autres. »

Ce ne sont que quelques exemples. Bien d’autres thèmes sont développés dans ce volume : la dignité du riche (Clément d’Alexandrie, dans Quel riche peut être sauvé ? brosse le portrait du bon riche qui met sa richesse au service de la communauté) ; la dignité du pauvre (image du Christ) ; la dénonciation de quelques sophismes (les pauvres sont responsables de leur pauvreté, il ne faut donner qu’aux pauvres méritants, je réserve ma richesse à ma famille).

En guise d’épilogue, les éditeurs nous offrent la réédition d’un article où France Quéré († 1995) analysait la diversité des approches patristiques sur le thème de l’aumône, plus morale chez les Pères latins, plus sociale chez les Pères grecs.

Ces textes ne donnent pas de recettes, mais remettent au premier plan les principes d’une morale simple, fondamentalement humaine, inséparable de l’agapè évangélique. Aux antipodes des discours alambiqués de nos experts, économistes de circonstance, technocrates ou politiques, ils imposent l’évidence des règles sans lesquelles toute société devient enfer. La lecture de ces textes est, aujourd’hui, non seulement utile mais urgente.

* Τόκος, en grec, signifie à la fois « rejeton » et « intérêt ».



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