La langue des offices et le problème de leur compréhension
Laurence dans son commentaire au message précédent qui présente la vidéo de l'entretien de Père Macaire avec Bernard Le Caro écrit :
Écouter les offices, en effet, mon problème actuel, c'est qu'ils sont en slavon, pour les Grecs le problème est le même, ils sont loin de tous comprendre le grec ancien. Les orthodoxes français ont la chance d'avoir des traductions fraîches dans leur langue actuelle qui leur permet de tout comprendre ! Ce fut pour moi, à Solan, une révélation.
Oui les Grecs contemporains sont loin de tous comprendre le
grec ancien. Mais je ne suis pas sûr que tous les Russophones comprennent parfaitement
le slavon non plus et encore moins qu’ils sachent le lire dans l’écriture glagolitique.
Oui les Orthodoxes français ont la chance d'avoir des
traductions fraîches dans leur langue actuelle mais j'ai un doute : est-ce que même en fréquentant un lieu de culte dont la langue nous est compréhensible cela suffit à être absolument attentif à
toutes les paroles chantées lors des offices ?
Tout d’abord il est souvent plus aisé pour comprendre un texte
de le voir écrit sous nos yeux que de l’entendre chanter – on peut en effet
être captivé par la beauté de la mélodie en négligeant les paroles, par la qualité
du chanteur ou ses défauts, perturbé par sa diction etc. et là, il est sans
doute préférable d’avoir les textes à la maison (c’est à dire toute une
bibliothèque !) et de les lire tranquillement avant l’office pour savoir
de quoi il est question ensuite. Il faut tout de même pour ça savoir comment et
de quoi ils sont composés. En fait, d’extraits de plusieurs livres choisis et
ordonnés selon un typikon (un ordo) propre à l’Église à laquelle on appartient
et la composition des offices orthodoxes est particulièrement complexe avec des
parties fixes et des parties variables – les psaltes en savent quelque chose. On
pourrait bien sûr rêver de les apporter à l’église… mais le Triode seulement,
par exemple, ça risquerait d’être un peu encombrant. Il faudrait donc un pupitre
pour chaque fidèle… Bref. Insensé.
Alors les livres étant réservés à la maison ou aux chœurs,
il y a lieu de penser notre attente de la compréhension des textes autrement.
Au vrai, essayer de suivre précisément tout ce qui se dit ou
plus exactement ce qui se chante lors des offices – des grandes fêtes particulièrement
– c’est présumer abusivement de nos possibilités. Cela requiert une attitude
mentale qui risque fort d’être caractérisée par une tension, conséquence d’un projet
essentiellement intellectuel, et donc une crispation mentale peu propice à la participation
aux offices telle qu’elle est requise par la tradition spirituelle orthodoxe. L’Esprit
Saint, Dieu, sait ce dont nous avons besoin, et ce qui peut nourrir notre âme,
à quel moment, dans quelles circonstances et nous n’avons pas besoin (sauf celui
d’une satisfaction intellectuelle) de tout comprendre. En revanche il vaut sans
doute mieux que notre posture mentale soit caractérisée par l’abandon et la
réceptivité. Le meilleur modèle de l’écoute optimale requise est sans doute celle
du psychanalyste qui « écoute » son patient : il ne s’agit pas
pour lui de tout saisir – ce qui entraînerait un effort pénible et pas
forcément opératoire – mais de cueillir seulement au passage ce qui lui paraît
pertinent pour être relevé et renvoyé au patient dans un processus curatif.
Pour nous qui participons aux offices, c’est en quelque sorte l’Esprit Saint en
nous le thérapeute, qui attire notre attention sur un mot, une expression, une
phrase des textes liturgiques récités ou chantés qui nous concerne tout personnellement,
et l’écho résonne en nous de sorte que cela devient notre propre parole et c’est
ainsi que notre esprit s’éclaire et que notre âme entame un processus de
guérison… ce qui justifie notre présence à l’office essentiellement.
Cela ne peut donc se
produire que dans la réceptivité, non pas dans le processus volontaire de comprendre. Et dans
la foi, cette prière du Centurion dont s’inspire la prière avant la communion
des fidèles catholiques « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir,
mais dis une seulement une parole et je serai guéri » devient efficiente…
Bien sûr il faut tout de même comprendre la langue utilisée
pour les offices là où on se trouve. Si ce n’est pas le cas, il m’a bien semblé
lire chez quelques pères spirituels qu’on pouvait alors se consacrer à la
prière de Jésus. Et ensuite il faut lire les textes à la maison.
Père Macaire conseille de lire particulièrement les
stichères idiomèles des Vêpres et des Matines. Il faut pour cela avoir le texte
entier des offices à la maison et chercher les fameux versets concernant notre
ascèse propre.
Cependant le fidèle orthodoxe croit fermement non seulement en
la valeur et l’efficience du « mystère » en soi et de ses rites et de
ses symboles, mais également en la valeur et l’efficience de la prière silencieuse
communautaire, de la prière du prêtre qui est à certains moments secrète et
inaudible donc, pas seulement de la prière relancée à haute et intelligible voix par le diacre et complétée par le chœur, mais aussi des prières personnelles que chacun fait discrètement dans son cœur et que les
autres ignorent. Et puis le fidèle orthodoxe n’accorde pas moins d’importance au
caractère sacré du lieu de culte, et à la présence invisible, et incompréhensible
par notre intellect, des saints par leurs icônes et leurs reliques et enfin à
la présence des anges qui se trouvent non pas à des hauteurs inaccessibles mais
dans le Royaume qui est proche et qui s’ouvre à nous invisiblement par les
Portes Royales.
Ainsi nous pouvons tout de même justifier notre humble présence
ignorante à l’église en reprenant simplement les paroles du psalmiste, sans
posséder tous les textes des offices, et sans tout comprendre :
«Me voici, je viens ;
C’est de moi qu’il est écrit en tête du livre ;
J’ai voulu accomplir ta volonté, ô mon Dieu,
Et ta loi est au milieu de mon cœur. » (psaume 39)
Car « L'Orthodoxe
dans la liturgie est comme un enfant dans le ventre de sa mère : il ne fait
rien et cependant, par le fait de se trouver dans l’église, il croît sans
cesse, jusqu’à l’heure de l'accouchement. » (Hig. Basile)
*Certains tropaires et stichères ont leur mélodie
propre : on les appelle des automèles; ces mélodies-modèles attribuées à
certain hymnes précis sont souvent réutilisés pour d'autres hymnes liturgiques
construits sur les mêmes modèles de phrases, ces hymnes, dont la mélodie est
reprise d'un texte automéle, sont appelés idiomèles.
Maxime le minime
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