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« Le suffrage proportionnel, avenir de la Vème république ? » retour sur la conférence de Frédéric Rouvillois

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Compte-rendu de la conférence du Cercle Charles Péguy, tenue le 12/12/13 à la Mairie du Ier arrondissement. M. Frédéric ROUVILLOIS, Professeur de Droit Constitutionnel à l’Université de Paris-V René Descartes et intervenant à RTL, Europe 1 ou encore BFM TV, a traité du sujet « Le suffrage proportionnel, avenir de la Ve République ? ».

Frédéric Rouvillois a notamment écrit sur le snobisme ou la politesse chez Flammarion. Souvent présent sur les médias en tant que politologue, il est un défenseur du scrutin proportionnel, ou tout du moins un porteur des débats sur cette question, à l’heure où l’abstention en France est croissante. Cette question est souvent éludée par les tenants du scrutin majoritaire. Il ajoute que cela serait contraire à l’esprit de la Ve République. Or, il n’y a pas d’incompatibilité fondamentale entre le scrutin proportionnel et la Ve. Les incantations de VIe République ne rentrent pas dans les vrais ressorts des habitudes de vote des français. Or, ce scrutin pourrait être aussi envisagé avec le référendum d’initiative populaire. Mais ce dernier est difficilement applicable dans un pays de 60 millions d’habitants.

La proportionnelle : approche historique

Hier

Le 30 janvier 1914, la Chambre des Députés se réveille lorsque plusieurs de ses membres demandent l’organisation d’un référendum sur l’établissement de la représentation des minorités par la proportionnelle. Le premier à en prendre la défense ? Jean Jaurès. En effet, en 1910, il décrivait déjà la proportionnelle comme nécessaire à l’assainissement des mœurs publiques et nécessaire à la justice où chaque parti devrait pouvoir se faire entendre selon son poids réel. Cette réflexion, bien qu’elle commence avec Jaurès, nous rappelle toutefois que le thème de la justice, dès le début du XXe siècle est unanimement admis, sans jamais avoir été véritablement testé. Objectivement en effet, le scrutin majoritaire a pour effet de favoriser le regroupement des suffrages en écrasant les minorités.
En 1909, Paul Deschanel fait à la tribune un éloge de l’idée dejustice. Il revendique lutter pour l’égalité du suffrage universel, la justice étant opposé à l’iniquité du scrutin majoritaire. Cette idée s’efforce donc d’assurer à chacun une représentation en rapport à sa force numérique véritable. Si la majorité gouverne, la minorité doit être représentée, et non seulement ceux qui ont voté pour la majorité. Dès le milieu du XIXe siècle, John Stuart Mill développe cette idée, reprise plus tard par Louis Blanc. Il disait ainsi qu’une majorité d’électeurs doit avoir une majorité de représentants, mais homme pour homme, la condition est à remplir pour les minorités également. Sans quoi c’est un gouvernement de privilèges et d’inégalité.
Cet argument de justice n’est pas contesté. Mais il est jugé insuffisant pour contrebalancer les inconvénients d’un tel scrutin. Il serait en pratique catastrophique en entrainant l’émiettement de la représentation, la multiplication des partis et empêchant la constitution au Parlement de majorités permanentes et simples.
Une société politique doit avoir un gouvernement. Or, la proportionnelle entrave et paralyse la majorité, empêchant par cela de gouverner. Le gouvernement devrait donc s’appuyer sur une majorité de gouvernés. La proportionnelle porterait atteinte au prestige et à la force du pouvoir. Puis, Michel Debré expliquera qu’elle s’apparenterait à une « bombe atomique », créant désordre et saccageant le pouvoir.

Aujourd’hui

Si équitable soit-il, ce scrutin constitue un obstacle majeur. Pourtant ce vice rédhibitoire est-il aussi évident que le prétendent ses détracteurs, tels qu’ils le présentaient sous Clémenceau ? La majoritaire doit-elle continuer à être admise comme article de foi ? Les mutations du système institutionnel obligent à se poser la question. Elles obligent à conclure que cette idée d’inefficacité est en réalité un mythe ayant perdu aujourd’hui toute pertinence. Sous certaines conditions, il semble en effet qu’elle peut s’avérer au moins aussi efficace que le scrutin majoritaire, autant pour les décisions qu’il produit que dans son fonctionnement. D’autres avantages peuvent alors êtres perçus.

Un fait est là : nous ne sommes plus à l’époque de Vincent Auriol qui s’embêtait à l’Élysée pendant que l’Assemblée régnait. Ce n’est plus le Parlement qui gouverne. Il n’est pas au centre de l’État, c’est l’exécutif qui gouverne avec le Président de la République, qui échappe de ce fait, comme les ministres, aux effets désastreux de la proportionnelle, si tels en sont.
La proportionnelle ne pourrait atteindre à l’autorité de l’Etat que si ce mode de scrutin influerait directement sur la détermination du responsable de l’exécutif, comme c’est le cas en Israël. En l’espèce, l’absence de seuil de représentation (1%) a toujours produit à la formation de cabinets de coalition. Du fait des difficultés, elle a pu être considérée comme un problème majeur, ce qui a conduit à la révision de 1996, qui fait désormais que le Premier Ministre est élu au suffrage universel direct dans ce pays.
En France, la méfiance persiste chez certains, notamment dans les grands partis. Même une part de proportionnelle ne figurait pas dans le programme de l’UMP. J.-F. Copé estime qu’elle favoriserait l’instabilité politique. Ancienne et vénérable, cette crainte n’a plu de sens depuis la Constitution de 1958. Ces effets pervers ne peuvent être que dérisoires sur le pouvoir. Elle ne présente plus de nos jours aucun des risques de l’époque où les chambres concentraient tous les pouvoirs de décision. De plus, la fonction tribunicienne du Parlement pourrait très bien être élue à la proportionnelle, exprimant les variétés de celui-ci.
Les avantages. Au début des années 30, les adversaires de la proportionnelle expliquent que les communistes entreraient dans la Chambre. Joseph Barthélemyréfutait alors que selon les suffrages recueillis, ils ne devraient pas être amputés. Or, cestatu quo permet aux communistes de rester dans une position confortable : ils n’ont plus qu’à se plaindre et à gonfler virtuellement leur puissance, qui ne peut alors se vérifier concrètement. Aujourd’hui, le scrutin majoritaire ne conduit pas qu’à sous-représenter certains groupes, mais les exclut complètement, tout en laissant certains partis plus faibles très confortablement installés dans un jeu d’alliances.

La question de l’efficacité du système. L’exclusion d’une minorité les maintient dans le radicalisme et la marginalité : ils sont alors ennemis du système. Or, il s’agit bien d’un mauvais calcul. C’est bien là la politique de l’autruche. Bien au contraire, un parti bien mesuré, canalisé dans la légalité est moins dangereux. La proportionnelle supprime alors le sentiment du vaincu et de l’écrasement. Il peut également avoir un effet de dégonflage, d’une part en les privant d’un argument électoral de poids, d’autre part en les plaçant devant une autre réalité avec les parlementaires présents.
De plus, la proportionnelle élargit l’offre électorale dans les candidats susceptibles d’êtres élus. Elle aurait une influence positive sur le taux de participation, l’abstention étant tant vécue comme l’inutilité du vote. Cette dernière, réduite grâce à la proportionnelle, reste un dépérissement politique plus général, cela à cause de l’effet du « zapping électoral ». D’une élection à l’autre, l’électorat flottant change d’orientation politique ce qui entraine une chute des sortants et la tendance à la répétition. Ce phénomène résulte d’une inflexion électorale, mais aussi du scrutin majoritaire qui démultiplie l’importance de ces déplacements de votes. Le phénomène de « vagues » est alors observé. Dans le contexte actuel, il reproduit et accentue l’instabilité du système. Il fait naître l’un des éléments de la crise du régime. La proportionnelle a pour effet de neutraliser cet instrument violent. Elle assure à la représentation une certaine stabilité. Seule la frange médiane passe d’un côté à l’autre. Cette conséquence, mise en avant par Jaurès est la stabilisation de la proportionnelle. Michel Debré sous la IVe y voyait avec le scrutin majoritaire le moyen de raviver le sentiment de responsabilité des scrutés et des élus. Mais cet avantage purement théorique apparaît comme un risque permanent pour la stabilité du système et son bon fonctionnement. Or, les situations telles que la cohabitation, constituent un élément perturbateur bien plus important que la proportionnelle.

Demain

En terme de justice et d’intégration politique, il faut s’interroger sur ses modes de mise en place dans le cadre des élections législatives, crucial dans le cadre où il y a différentes manières d’établir un scrutin proportionnel. Il en dépendra alors des avantages et des inconvénients que l’on doit en craindre. Concrètement, le nombre de solutions envisageable est plus restreint. Les contours d’une réforme plausible s’imposent presque d’eux mêmes. D’abord, un système mixte. Quelle dose de proportionnelle pour les législatives ? Une dose intégrale, c’est-à-dire l’ensemble des sièges à la proportionnelle par son nombre de scrutins, est-ce concevable ? Ou bien un scrutin mixte, où seule une partie des sièges en relèvent ? Techniquement, l’instauration d’une proportionnelle intégrale n’a rien d’impossible. Aucun argument n’apparaît pertinent, ni la référence à la proximité, ni la thématique ambiguë et réversible de la confiscation de la souveraineté, ni même l’argument de l’inconstitutionnalité. Dans le parlementarisme rationalisé, on peut parfaitement légiférer sans majorité inconditionnelle. L’ancien président de l’Assemblée Bernard Accoyer, affirmait en 2012 que cela ne serait pas possible. Le seul problème serait en fait politique et psychologique. Le financement des partis en serait bouleversé, et les parlementaires se concevant comme des mandataires de leurs circonscriptions. D’où l’idée d’une partielle proportionnelle, un scrutin mixte, celui que la plupart de nos voisins européens exerce. Plausible, à condition que la dose soit adéquate. Ni trop restreinte, sous peine d’être une diversion, c’est ce qu’on reprochait au rapport de Balladur de 2007 à Sarkozy. Le Comité Balladur prenant acte de son souhait, se borna pourtant à réserver aux formations sous-représentés un nombre de sièges compris entre 20 et 30, afin de bénéficier d’une représentation plus équitable. Soit un peu plus de 6% de l’Assemblée, une compensation dérisoire ne répondant pas aux problématiques. Son excessive prudence ne sera d’ailleurs pas mise en œuvre.
En 2012, si tous les candidats promettent la proportionnelle, beaucoup restent dans l’incertitude. 10% « à discuter » chez Sarkozy, « une part de proportionnelle » seulement chez Hollande, tout droit sorti du programme Royal en 2007. Bachelot dit même sa volonté d’« instiller une dose de proportionnelle dans la politique ». Petit rappel : stila, du latin « la goutte »… tout est dit dans l’étymologie.
Au contraire, on pourrait largement tabler sur un chiffre tournant entre 25 et 33% de l’ensemble des députés, soit entre 250 et 300 sièges attribués sur cette base. Ce chiffre permettrait de réduire l’effet de vague inhérent au scrutin majoritaire, cause des alternances à répétitions. A l’inverse, il n’empêcherait pas la constitution de coalitions fragiles et malvenues, comme dans le cas d’une proportionnelle intégrale.

Le seuil d’éligibilité. A partir de quel pourcentage une liste peut elle avoir des élus ? Il faut trouver l’équilibre. En Israël, le seuil était trop faible, donc impraticable. Il a accentué la tendance à l’émiettement des partis politiques, rendant improbable la constitution de majorité stable. A l’inverse, s’il était trop élevé, cela risquerait de faire passer la réforme comme un faux-semblant. 5% apparaîtrait alors comme le compromis acceptable, comme le précisait le Comité Balladur en 2007. Cela aurait un effet couperet pour les gros partis. Les micro-partis, quand à eux, s’y retrouveront quoiqu’il arrive (Verts, PCF etc.).
Lors d’une table ronde en 2006, Pierre Joyce disait que sans risque de se tromper, on peut prédire la mise en place de la proportionnelle, les contours se dessinant d’eux-mêmes. Double vote, visibilité du scrutin, et circonscriptions régionales – pour conserver un enracinement géographique – sont envisagés. Or, il faudrait que le Président honore les promesses de son programme et que les parlementaires mettent en chantier une telle réforme. Cet optimisme est ancien, souhaitons que les débats ne perdurent plus encore pour nos petits-enfants…

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