Eglise St Nicolas de Toulouse : à qui la faute ?

D'abord il vaudrait mieux ne pas donner trop d'importance à l'affaire. Ensuite on a bien fait de virer virilement (si j'ai bien compris) les fauteurs de trouble mais ensuite il y a sûrement mieux à faire que de s'indigner et de s'ajouter à la liste des victimes.

Il faut essayer de comprendre. Et en bons chrétiens, essayer de comprendre en quoi la responsabilité se partage quand le monde va mal quelque part. Cet article fait suite en quelque sorte à l'article précédemment paru sur les Pussy Riot.

C’est ce que voudrait faire cet article qui à coup sûr ne plaira pas tout le monde…

Quand une église est profanée, un clergé malmené dans un pays où le Christianisme est désormais minoritaire ou l’a toujours été, on ne peut douter qu’il s’agit là de pure persécution et l’Agneau de Dieu est une fois de plus immolé par le péché de l’homme déchu et ensauvagé.

Cependant il en va peut-être quelque peu différemment dans un pays où l’Église n’est pas dans cette position de faiblesse et l’on peut hésiter à interpréter les mêmes phénomènes sacrilèges selon le contexte. Ainsi en est-il de l’Église catholique de France et de l’Église orthodoxe de Russie lors des révolutions du 18ème et du 19ème siècle ici et là-bas.

La question que l’on peut – et qu’il faut bien aussi sans doute  – se poser, en constatant tant de haine récurrente et d’acharnement tenace voire obsessionnel contre l’Église à travers les siècles, c’est – pour parler de manière abrupte – celle-ci :
– quelle est la part indubitable de l’originelle, éternelle et systématique persécution de la foi chrétienne dont on connaît bien l’origine et qui s’actualise périodiquement ici ou là comme cela se produit au Moyen Orient ces derniers temps par exemple…
– mais également quelle est la part purement contextuelle et sociétale de la révolte contre ce qui représente aux yeux de beaucoup non pas la suprême voie du salut, c’est-à-dire pour nous Orthodoxes la déification, mais tout simplement une institution humaine – bien trop humaine – dont les prétentions à moraliser, policer voire réglementer les mœurs et les pratiques sociales, en concurrence ou en collaboration avec le pouvoir politique en place ne sont non seulement pas comprises mais rejetées par ceux dont la « culture religieuse » est faible, tordue voire nulle. Autrement dit et plus clairement quelle est la part de responsabilité du cléricalisme dans le rejet du Christianisme identifié uniquement à une pure institution dont on peut vouloir se passer ou se débarrasser ?

Pourquoi, en l’occurrence à Toulouse, un temple se situant dans la « tradition » russe bien que n’étant volontairement et ostensiblement (mais pour qui ?) pas dans, et encore moins sous, la juridiction du Patriarcat de Moscou a-t-il subi ces outrages ? Pourquoi a-t-il été choisi et visé comme cible par ces révolutionnaires pâtissiers à la mie de pain solidaires des exhibitionnistes slaves ? Parce que leur ignorance les a induits à une assimilation abusive sans doute… Ils ont vu « église russe » ils y ont foncé parce que les « méchants » qui ont participé à la répression de leurs copines exhibitionnistes c’est des russes orthodoxes hein ? et donc puisqu’on a une leurs églises sous la main c’est bien pratique, on va leur montrer ce qu’on en pense à ces curés !

Un certain nombre de questions ne peuvent qu’émerger de cet évènement et l’on aura compris que la problématique exposée en introduction m’amène à donner à la critique du cléricalisme la place de responsabilité qui lui revient selon moi :

Dans le désordre

1. L’Église Russe avait jusqu’à une certaine époque une image sanctifiée par les persécutions, qu’il s’agisse des récits de martyre de l’émigration ou des samizdat de la dissidence restée sur place. Elle pouvait devenir l’icône de la Sainte Russie massacrée par le communisme athée.

2. Elle avait aussi jusqu’il y a peu cette image mystique fidèle à une tradition d’ascètes qui faisaient l’admiration des chercheurs spirituels en quête d’alternative à ce qu’ils avaient connu du Christianisme occidental et qui ne les nourrissait plus depuis longtemps.

3. Cette image sainte de martyre et d’apôtre s’était merveilleusement répandue à travers le monde avec les fruits les plus beaux... mais…

4. L’Église russe désirant légitimement reprendre, pour le bien de tous, la place qui lui revenait avant la Révolution, le Patriarcat a trouvé pour ce faire le soutien du politique qui, avec la promesse de retrouver son prestige passé, lui a confié la mission de remise en ordre moral de la société ex-soviétique. Résultat : l’Église russe a changé d’image, et de victime du pouvoir attirant la compassion et l’adhésion, elle est devenue suppôt du pouvoir provoquant le soupçon. Au lieu de conserver son image de martyre qui pouvait convertir les âmes comme cela s’est toujours produit dans l’histoire du Christianisme, elle a acquis une image de pouvoir institutionnel, financier, moral. Tour à tour et simultanément selon les uns ou les autres revendiquée ou soupçonnée, elle a de toute façon acquis une connotation politique de compromis avec le monde. L’ostentatoire et fréquente présence à l’église de Poutine, son soutien exprimé diversement , ont achevé d’assimiler l’institution religieuse et le pouvoir politique.

5. L’Église russe a néanmoins poursuivi dans cette voie de reconnaissance, de consolidation et de visibilité d’une institution religieuse nationale, en Russie comme à l’étranger, le modèle institutionnel étant malheureusement celui que l’occident non seulement remet sans cesse en cause mais rejette sans relâche : l’Eglise catholique romaine. Étrangement l’Orthodoxie russe ne semble toujours pas comprendre où s’origine le rejet du Christianisme occidental et persiste dans l’erreur en calquant son modèle de représentation traditionnel et médiatique sur Rome. Le Patriarcat a même produit, imitant en cela l’Eglise romaine, sa propre « doctrine sociale ». En s’associant et en se solidarisant avec un organisme malade – malgré sa somptueuse apparence et sa représentation médiatique du Christianisme malheureusement incontestée – et rejeté d’un nombre toujours croissant, elle y perd en crédibilité non seulement dans le monde orthodoxe (soupçonnée de vouloir non seulement ressusciter la 3ème Rome et de devenir un pape de l’Orthodoxie) mais dans le monde occidental, soit ignorant de l’Orthodoxie mais bienveillant , soit attiré jusqu’à l’adhésion. L’orthodoxie (russe en l'occurence) demeure ignorante de la réalité chrétienne occidentale : jadis elle n’y voyait que perdition rejetant même ce qu’il y avait de plus fidèle à la Tradition, aujourd’hui elle est aveugle à la dégénérescence réelle de l’institution papale et aux dommages réels qu’elle risque à s’y identifier.

6. D’autre part, ailleurs, sous le prétexte de la perpétuation fidèle et du culte d’une si belle tradition ancestrale, l’Église orthodoxe russe s’est d’abord voulu et avant tout russe, en Russie comme à l’extérieur, comme la grecque demeure grecque avant tout… mais cela fut funeste pour tous.

7. Le Patriarcat de Moscou n’a pas bonne presse auprès des fidèles de l’Exarchat voyant toujours en lui une institution compromise avec le pouvoir ; mais ces derniers, ayant toujours voulu et voulant encore tout de même demeurer russes avant tout, viennent de "bénéficier" de l’amalgame et… d’une responsabilité rejetée mais objective dans l’affaire des exhibitionnistes militantes.

8. N’étant plus dans l’Église russe (non par choix mais par obéissance à la Divine Providence ayant changé de lieu de résidence) je devrais peut-être ne pas m’en mêler. Mais je dois avouer pourtant que j'ai été enthousiaste au moment de la réunion d'une partie non négligeable des Orthodoxes Hors frontière avec Moscou et que je souhaitais que ceux de l'exarchat les rejoignent. Je suis plus amateur de paix et de communion que de schismes. De même j'ai souvent vu d'un bon œil le développement de l'Église russe à l'étranger pensant comme beaucoup (naïvement) qu'il serait bon pour tous que l’Église Orthodoxe soit vue comme importante et prospère et l’Église russe semblait bien placée pour cela.

Mais le problème est le suivant :

    a. l’Église orthodoxe, à trop vouloir faire ami-ami avec Rome, non seulement subit tous les inconvénients précédemment cités mais devient une église-institution chrétienne avec sa hiérarchie comme l’autre. Donc aux yeux de tous : Église orthodoxe russe = Église catholique romaine et vu les prétentions de Moscou à la représentation universelle de l’Orthodoxie. Église russe = Eglise orthodoxe universelle. A=B=C aucune différence, même rejet, même combat et mêmes conséquences néfastes.
    b. Je ne vois donc ni comment l’Exarchat peut communiquer, c’est à dire se justifier pour éviter l’amalgame dans ce monde médiatique réduisant tout au même, ni comment un orthodoxe peut désormais vivre sa vie orthodoxe tranquille à l’abri de tous les soupçons, assimilé qu'il va être à cette orthodoxie là…

Alors oui, bien sûr, le malin fait flèche de tout bois et peut lui chaut que la persécution soit sournoise, vicieuse et sophistiquée, ou bien brutale, violente et mortifère, ou bien médiatique et stupide ou bien athée et hargneuse, ou bien religieuse et fanatique, tout se conjugue à son avantage, pour lui tout est bon qui peut directement ou par conséquences détruire l’Église du Christ… mais encore faut-il s’efforcer à être complice du moins de choses possible de ce genre, dans une lutte de tous les instants...

On ne peut pas faire de l'Orthodoxie une chose mondaine pour faire des news, une chose intellectuelle pour faire des colloques et de prestigieux livres savants, une chose morale pour bien se conduire, une chose esthétique pour faire des expositions et des concerts, une chose politique pour maintenir l'ordre, une chose identitaire pour se distinguer des impurs, un bon plan pour faire carrière. C'est impossible de contenir l'Esprit Saint et la vie en Christ là dedans ! Par pitié ! Faites retour sur vous-mêmes, regardez ce que vous faites de l'Orthodoxie. N'attirez pas le malin, ne lui faites pas plaisir, ne  lui permettez pas de prospérer officiellement !

Que notre Dieu miséricordieux nous vienne en aide, à vous et à moi d'abord, pécheur que je suis parmi les pires, et qu’Il nous illumine pauvres aveugles que nous sommes, guidés trop souvent par des aveugles et nous accorde à tous sa grande miséricorde !
Maxime le minime scripsit.

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