Anarchistes vs Fols en Christ ?

St Isidore le thaumaturge
An-archè,
sans commencement...
Qui seul est sans origine ?
Seul celui que nous invoquons sous le nom de Dieu peut être ainsi qualifié, car Il est de tout temps, l’Éternel...
Qu'est-ce donc qu'un anarchiste ?
C'est celui, dit-on communément, qui n'a ni dieu ni maître ? Mais si Dieu n'est plus qu'un dieu, c'est à dire une idole "qui a des oreilles et n'entend pas, une bouche et ne parle pas, des yeux et ne voit pas", une idole faite de mains d'homme, à l'image et à la ressemblance de l'état de déchéance qui est le sien depuis la Chute, alors l'anarchiste n'a pas tort de refuser d'adorer un tel dieu. Et si le maître est un tyran qui prétend à être non seulement obéi mais vénéré voire encensé et adoré, alors quel tort pourrait-on reprocher à celui qui se dérobe à son pouvoir ?


Voici une autre définition du véritable anarchiste selon nous : littéralement c'est celui qui suit la voie de l'An-archè, du seul non-créé, c'est à dire Dieu Lui-même, le vrai Dieu, et non point sa caricature idolâtrée ici et là sous diverses formes mais Celui qui est à la fois l'inconcevable, l'ineffable, l'incommensurable et qui s'est incarné selon un plan conçu de toute éternité, en Jésus de Nazareth, enfant du ventre d'une de nos sœurs humaines, de sorte que celui qui a vu le Fils voit le Père, et s'unisse à  Lui, dans les mystères de sa Vie, sa Passion et sa Résurrection, connaissant à nouveau son image originelle, pour s'y conformer par la ressemblance en y trouvant sa libération de toute idole et de toute tyrannie à commencer par lui-même, soumis qu'il est avant tout à son égocentrisme et à l'aliénation que lui vaut ses diverses dépendances, en vue de son salut. Ceux que dans l’Église Orthodoxe nous appelons des "Fols en Christ" sont sans doute ceux-là les véritables anarchistes.


Jean-Claude LARCHET dans une interview «Fou» pour le Christ parue dans la revue Фома, n° 110, juin 2012, p. 21-­26, rappelle que
[…] L’Église, en tant qu’institution, a tendance à se figer dans le ritualisme et le formalisme, et […]  peut être séduite par le pouvoir, par les richesses et par l’esprit de ce monde. Les prophètes, les startsi, les fous-en-Christ, mais aussi tous les fidèles qui vivent profondément leur foi sont là pour rappeler la véritable réalité de l’Église, qui est le Corps du Christ animé par l’Esprit et non une société humaine ou un État dans l’État. […] les fous-en-Christ, du fait de leur vie publique et du fait qu’ils témoignent par leur genre de vie d’un parfait détachement par rapport à ce monde et à ses lois, expriment d’une manière particulièrement forte que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde (cf. Jean 18, 36). Ils rappellent aussi, contre le ritualisme, le formalisme et le moralisme, que la lettre tue et que c’est l’esprit qui vivifie (cf. 2 Corinthiens 3, 6). Mais le Christ Lui-même, par diverses paroles (comme « les premiers seront les derniers et les derniers les premiers », ou comme les Béatitudes [Matthieu 5, 3‐12]) a souligné que le christianisme obéit à des lois différentes de celles du monde ; et saint Paul a affirmé très clairement que le christianisme est folie pour le monde (cf. 1 Corinthiens 1, 17‐27) et a dit au nom de tous les chrétiens qui vivent profondément leur foi : « nous sommes fous à cause du Christ » (1 Corinthiens 4, 10).


Christos YANNARAS dans un chapitre de son beau livre "La liberté de la morale
écrit également :

Le défi des fols en Christ 
«Ce qui nous condamne ou ce qui nous sauve est notre refus ou notre effort de « transformer » la révolte de notre nature commune en relation personnelle de repentir et de communion; notre refus ou notre effort d'imiter la kénοse du Christ, le renoncement à toute exigence individuelle de justification; notre refus ou notre effort d'assumer volontairement l'échec commun et de le porter à Dieu, d'incarner dans nos personnes la parole de l'Apôtre Paul: « Je supplée dans ma chair à ce qui manque aux afflictions du Christ pour son corps, qui est l'Église » (Col. 1, 24). C'est seulement ainsi que les saints, lesquels vivent le mode trinitaire de l'existence, dépassent la fragmentation de la nature par le péché, transforment le péché en humble accueil des autres, en événement de communion et d'amour. » [...]

«Mais la provocation des « fols » ne crée pas de confusion dans la foi des hommes. Elle n'enténèbre pas non plus la vérité de l'Église. Elle surprend seulement ceux qui ont identifié la foi et la vérité avec la conception sécularisée de la conséquence morale et de la bienséance conventionnelle. Les « fols » ont le charisme et l'audace de déclarer ouvertement que la chute et le péché humains qui nous sont communs à tous, sont la réalité de notre nature, et qu'ils ne sont abolis ni parce qu'existent des cas individuels « améliorés », ni parce qu'ils (la chute et le péché) sont dissimulés sous les apparences sociales.»  [...]


«C'est en ce sens que tout moine de l'Orient orthodoxe est une sorte de « fol en Christ» . Il porte le vêtement de deuil, signifiant par là ouvertement qu'il assume notre chute et notre péché communs. Et il se retire dans l'ascèse combattant pour nous tous cette chute et ce péché. Telle est également la vocation de tout membre de l'Église. Si nous-mêmes persistons à ignorer l'Évangile du salut en identifiant la nouvelle naissance de l'homme avec la reconnaissance sociale de la vertu individuelle, avec cette réussite mondaine qu'est la considération morale, c'est nous qui en portons la faute, cette faute qui nous exclut de la vérité et de la vie.»[...]


«De toute manière, dans le cas des « fols en Christ », leur bouleversante liberté vis-à-vis de toute loi, toute règle, toute limitation, toute déontologie, n'est pas simplement un rappel didactique du danger que nous courons à identifier la vertu et la sainteté avec la bienséance sociale conventionnelle et la conséquence morale égocentrique. Nul n'enseigne jamais vraiment en ne faisant que contester des conceptions et des mode de vie erronés, mais en incarnant lui-même la vérité capable de sauver, La bouleversante liberté des « fois » est avant tout une mort totale, une parfaite destruction de tout élément égocentrique de vie. Cette mort est la liberté qui peut briser et dissoudre toute forme conventionnelle. Elle est la résurrection dans la vie de l'altérité personnelle, dans la vie l'amour qui ne connaît pas de limites et de barrières.»
 

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