L'iconographie orthodoxe de la Pentecôte par Leonid OUSPENSKY

"L'iconographie orthodoxe de la Pentecôte est bien loin d'illustrer l'événement décrit dans le premier chapitre des Actes des Apôtres. Plutôt que sur l'événement lui-même, tout y est centré sur le contenu ecclésiologique de celui-ci: ce que nous voyons, c'est l'ordre de l'Église, son unité dans la multiplicité à l'image de la Triunité divine, rendue par la réalité concrète du cercle des douze Apôtres.
La Descente de l'Esprit Saint est le début de la vie de l'Église en tant que Pentecôte permanente. A partir de ce jour le Saint Esprit réalise dans l’Église les attributs essentiels de la vie trinitaire: l'unité, la sainteté, la catholicité. Par la volonté de la Sainte Trinité et l'action de l'Esprit s'achève en ce jour l'accomplissement du dessein du Conseil éternel - la re-création de l'homme et du monde que le péché originel avait compromis.
Le trait qui caractérise cette icône, c'est qu'il n'y a personne à la tête du groupe des Apôtres. « Le Chef divin ne peut être remplacé pour le Corps qu'est l'Église ni par un ange, ni, à plus forte raison, par un être humain» . La place à la tête du cercle apostolique demeure vide et la composition de l'image la lie directement avec le ciel symbolique, l'au-delà. L'icône orthodoxe de la Pentecôte montre le lien direct de l'Église avec son Prototype trinitaire, d'une part, et sa relation avec le monde, d'autre part (le Cosmos au bas de l'icône).
Les représentations occidentales de la Pentecôte sont tout aussi variées que celles de la Sainte Trinité et tout aussi arbitraires.
Après la période iconoclaste, lorsque l'iconographie de la Pentecôte se constituait, cette image avait encore en Occident un certain lien avec l'ecclésiologie. Durant cette période et jusqu'au XIIIème siècle on plaçait l'Apôtre Pierre à la tête du cercle apostolique (ne comprenant même pas toujours douze Apôtres). Cette présidence exprimait déjà l'ecclésiologie qui devait plus tard être formulée dans les dogmes de la juridiction universelle et de l'infaillibilité du pape. A partir du XIIIème siècle, c'est-à-dire du moment où triompha la scolastique filioquiste, il y a rupture totale avec la Tradition. Dans l'image de la Pentecôte la place de saint Pierre est occupée par la Vierge et tout lien de cette image avec l'ecclésiologie se trouve rompu. Elle acquiert un caractère de plus en plus illustratif et se limite à la description de l'événement (Ac 1,13 -14). C'est déjà la rupture totale entre la théologie, la vie spirituelle et la création artistique.


C'est à partir de la Pentecôte qu'est célébré le Sacrement de l'Eucharistie et que, par conséquent, une norme, une direction générale est donnée à toute la vie de l'Église, y compris son art.
Le lien entre le Sacrement eucharistique et l'image devient un trait qui caractérise l'orthodoxie. C'est pour cela que, pendant la période iconoclaste, les orthodoxes défendaient la correspondance de l'image au Sacrement, leur corrélation. n ne s'agissait pas d'une innovation, mais d'une succession ininterrompue de la doctrine et de la pratique de l'Église primitive.
Ce lien entre le Sacrement eucharistique et l'image n'est pas propre à quelque orthodoxie idéale et abstraite: il est la norme. Nous représentons « le corps de Dieu rayonnant de la gloire divine, saint, incorruptible, vivifiant». Des dérogations à cette norme, comme à n'importe quelle autre, sont toujours possibles et se produisent en raison de la faiblesse humaine. Ces dérogations peuvent avoir un caractère massif et durer longtemps. Ainsi la violation de la structure canonique de l'Église durant la période synodale en Russie dura près de 200 ans. Mais cela n'empêcha pas le retour à la norme. «L'orthodoxie, même si elle vit dans l'inconsistance et tolère des "hérésies pratiques", n'a jamais dogmatisé ces hérésies, laissant la possibilité de les combattre, de restaurer, de créer». La norme existe, qu'on en prenne conscience ou non. Elle est salutaire et fait partie du tissu vivant de la liturgie orthodoxe. Elle a été scellée par le dogme de la vénération des icônes, exprimée par le canon iconographique et protégée par lui."
(extrait de "Vers l'Unité ?" YMCA PRESS1987)