" L’Islam moderne" a-t-il un avenir ?

Je ne suis guère amateur de ce mythe de l'Andalousie qui a tendance à faire bon marché de la dhimmitude et de la persécution sournoise ou officielle que subissait la population juive et chrétienne sous domination musulmane en Espagne. La paix idyllique dont on veut souvent nous rebattre les oreilles était fondée sur la domination des uns par les autres. Un point c'est tout. Bien sûr quand le plus fort a réussi à suffisamment écraser son adversaire pour que celui-ci renonce au combat la paix règne admirablement... Tenez, par exemple, que l'"Occident" cesse de se mêler des affaires africaines et l'on verra rapidement s'installer la paix et l'harmonie sur le continent africain lorsqu'après quelques guerres qui n'auront plus rien de "civiles"puisqu'elles seront uniquement ethniques, et quelques massacres, le faible reconnaîtra la supériorité du plus fort et s'écrasera de lui-même sans qu'on le lui demande et sans qu'on ait besoin de l'écraser plus longtemps... dans la plus belle harmonie (qu'on admirera quelques siècles plus tard).

Bon, il n'empêche que je n'aime pas les guerres, légitimes ou non, incontournables ou non et surtout pas quand elles se font au nom de l'invraisemblable "droit d'ingérence" (je sais trop à quel point pendant des générations successives, sous des formes directes ou indirectes, diverses, perverses et variées elles ont de terribles conséquences sur la vie des générations qui suivent sans même que les personnes concernées s'en rendent compte) alors si des gens travaillent à améliorer les relations humaines comme tous ces gens avec qui a parlé et dont parle Nadia Khoury-dagher, je suis pour, car ayant vécu et travaillé au Maghreb pendant des années, je sais que ce dont elle parle est vrai et que ces gens existent.

Extrait du journal algérien : elwatan.com
Edition du 18 juin 2009



Nadia Khoury-dagher. Chercheur et auteure égyptienne

« L’Andalousie est mondiale »


Son livre L’Islam moderne est centré sur le Maghreb et se propose de mettre en valeur les résistances à l’intégrisme.
- D’où vous est venue l’idée de ce livre ?
- Je suis chrétienne mais née en terre d’Islam (en Egypte). J’ai un fils musulman, j’ai travaillé comme chercheur et journaliste plus de dix ans en Egypte et en Tunisie, J’ai une foule d’amis, musulmans au Maghreb, au Moyen-Orient ou à Paris, qui, comme la plupart des musulmans rencontrés dans ces pays, ne sont ni intégristes, ni extrémistes. Depuis des années, et plus depuis le 11 septembre 2001, les « nouveaux penseurs de l’Islam », veulent démontrer que la lecture littéraliste, austère et rigide de l’Islam que proposent les intégristes n’est pas dans l’esprit de l’Islam. En juillet 2005, le magazine marocain Tel Quel, avait publié deux dossiers spéciaux : l’un, Laïcs versus islamistes, le duel et l’autre, Et si l’on relisait le Coran ?. Si les médias, au Maghreb, commencent à parler de la laïcité et de relecture du Coran, c’est que le débat est sur la place publique, me suis-je dit. Tout cela a été un déclic, et comme journaliste, plutôt que d’apporter mon propre témoignage, j’ai voulu tendre le micro à ceux qui sont des témoins de premier ordre.
- Vous avez circonscrit votre enquête au Maghreb, est-ce un choix délibéré ?
- J’ai aussi enquêté en Egypte, foyer du mouvement des Frères musulmans, mais aussi d’un vaste mouvement pour un Islam moderne. J’avais notamment interviewé le frère de Hassan Al Banna, fondateur des Frères musulmans, Gamal Al Banna qui est aujourd’hui l’un des plus farouches opposants aux islamistes. Ce que j’avais ramené du Maghreb était très riche, j’ai alors décidé de ne retenir que cette région, très homogène quant aux revendications de nombreux éléments de sa société civile pour un Islam moderne.
- Qu’avez-vous trouvé de commun entre les trois pays du Maghreb ?
- D’abord la qualité des élites et, parmi elles, des penseurs critiques dont, malheureusement, on entend très peu parler en France et dans le monde. Il y a dans les trois pays d’excellentes revues de sciences sociales et d’excellents éditeurs par exemple. Deuxièmement, et c’est la grande leçon du livre, la société civile est très mobilisée. Beaucoup de gens ont un engagement citoyen, associatif, contre l’intégrisme, avec le désir de changer les choses. Ce n’est pas toujours possible, ni facile, ni visible.
- Ce sont là les forces les plus actives de résistance ?
- Plusieurs éléments sont mobilisés. D’abord les médias qui portent le débat sur la place publique en ouvrant leurs colonnes à des opinions « libres ». L’utilisation d’internet aussi permet de contourner la censure. En second lieu, les associations de femmes jouent un rôle prépondérant au Maghreb dans la lutte contre l’intégrisme. En Algérie, lors de la décennie noire, les seuls membres de la société civile à avoir réussi à mobiliser massivement contre le terrorisme ont été les femmes : plus de 100 000 femmes sont descendues dans la rue ! Dans les trois pays, les associations de femmes font un travail remarquable, d’autant plus que c’est un travail plus social que politique. Au Maroc, pour contrer les cheikhs obscurantistes, elles font un travail d’information et de sensibilisation auprès des femmes.
- Le combat n’est-il pas inégal ?
- Le combat est inégal pour une raison très simple (c’est pour cela que j’emploie le mot « résistants »), l’intégrisme islamique a une puissance de frappe et des moyens colossaux, puisqu’il finance des télévisions satellitaires et inonde ces pays de millions de livres religieux...
- C’est ce que vous appelez l’Islam importé ?
- Comme le démontrent de nombreuses études, le wahabisme, injecté dans les manuels scolaires du Maghreb, est une idéologie importée. Cette espèce d’habit monastique et austère, le voile noir intégral, est complètement étranger à la culture méditerranéenne et maghrébine, qui est épicurienne. Le vêtement des femmes, au Maghreb, a toujours été d’une grande pudeur, mais en même temps d’une subtile féminité. Les islamistes interdisent la musique non religieuse, alors que ces pays ont de riches traditions musicales. Alger a pour surnom Al Bahdja, la joyeuse, en référence à ce sens de la fête des Algériens ! Ce rigorisme et cette austérité sont donc ce que j’appelle l’Islam importé opposé à « l’Islam méditerranéen ». L’Islam maghrébin traditionnel est tolérant pour une raison simple : depuis 6000 ans en Méditerranée, toutes les communautés se sont mêlées avec un vivre-ensemble qui fait partie de l’histoire et de la culture méditerranéenne. Depuis les Phéniciens, il y a des migrations humaines et du commerce. Alger, Tanger ou Tunis ont toujours brassé des gens originaires de tout le pourtour… Le grand reporter polonais Richard Kapuscynski parlait d’opposition entre « l’Islam de la mer » et « l’Islam du désert ». L’Islam de la mer est un Islam des commerçants, des villes, d’ouverture. L’Islam du désert, ou importé, est un Islam de régions austères où passent peu d’étrangers, et où l’ouverture à l’autre est limitée.
- L’enjeu serait donc la réhabilitation de l’Islam méditerranéen ?
- Exactement. Les musulmans que j’ai rencontrés réclament à la fois la modernité et un Islam tolérant, ce que les Occidentaux ont du mal à comprendre. Pour beaucoup d’entre eux, si on tient à sa religion, c’est qu’on est arriéré. L’Occidental croit qu’être athée, c’est le stade ultime de l’évolution intellectuelle de l’homme. En réalité, les pays arabes sont en plein dans la modernité. Le monde arabe a accompli en une ou deux générations ce que l’Occident a mis trois siècles à réaliser, en matière d’industrialisation, d’affranchissement de la féodalité… En cinquante ans, le monde arabe a connu l’exode rural, l’urbanisation et la modernisation. Une masse de ruraux affluent en ville et se coltinent le choc de la modernité. C’est normal qu’ils se protègent. Le conservatisme religieux n’est pas l’intégrisme, mais une manière de concilier un passé si proche et une modernité dans laquelle on baigne déjà.
- Qu’est-ce qui vous a le plus surprise ou choquée à Alger pour votre premier séjour ?
- Le sentiment positif que j’ai eu, c’est d’abord la qualité de l’élite intellectuelle algérienne et la culture générale des gens que j’ai rencontrés. Ils se battent et portent une énorme volonté de faire, de dire, malgré une chape de plomb, à l’instar des jeunes éditeurs qui créent et des journaux qui prennent des risques. Par contre j’ai été démoralisée, lors du Salon du livre d’Alger, par le raz-de- marée de livres islamistes ; de voir la Cinémathèque désaffectée et presque plus de lieux culturels à Alger ; de voir que les livres coûtent extrêmement cher...
- Un chapitre entier sur El Watan. Pourquoi ?
- El Watan, ou Réalités (en Tunisie) ou Tel Quel (au Maroc), mais aussi d’autres, sont des journaux influents bien que francophones et avec un tirage moindre que les journaux en arabe. Dans deux pays, j’ai pris un journal pour une étude de cas fouillée. Pour El Watan, je voulais, par le choix d’un journal francophone, que le lecteur occidental puisse, le cas échéant, aller sur le site du journal et vérifier ce que je dis. Je me suis plongée dans les archives d’El Watan pour montrer le travail systématique de martèlement de ce message : on peut être moderne et musulman. Ce qui m’a semblé intéressant dans El Watan aussi - et cela vaut plus pour l’Algérie, c’est que l’élite à l’étranger est très impliquée dans son pays d’origine, écrit et est sollicitée régulièrement dans la presse algérienne. Aujourd’hui, un Algérien en France n’est pas expatrié, la France fait partie de ce que j’appelle la « nouvelle Andalousie ». Elle a remplacé l’Espagne médiévale comme foyer intellectuel arabe. Par exemple, il se publie en France plus de mille livres par an sur le monde arabe, le Maghreb et sur l’Islam.
C’est plus, pour la langue française, que tout le Maghreb. Beyrouth, Paris, Alger, Rabat, Tunis, Londres, Harvard ou Djakarta, forment ce que j’appelle la « nouvelle Andalousie » : les nouveaux territoires où vivent des musulmans, et des musulmans éclairés. L’Andalousie est mondiale. Il y a un proverbe danois qui dit : « On entend l’arbre de la forêt tomber, on n’entend pas la forêt grandir ». Les médias du monde se focalisent sur l’intégrisme, les attentats, le terrorisme. Pendant ce temps, des millions de musulmans - la grande majorité - vivent leur foi paisiblement. C’est à cette immense majorité silencieuse que ce livre rend hommage.
Repère :
Née en Egypte, docteur en socio-économie du développement, Nadia Khouri-Dagher travaille sur le monde arabe depuis 25 ans. Elle a vécu une dizaine d’années en Egypte, en Tunisie et au Ghana. Elle a notamment mené une enquête de deux ans sur les stratégies de survie des familles dans un quartier pauvre du Caire, Mansheyet Nasser. Aujourd’hui journaliste free-lance, elle a signé ou cosigné une douzaine d’ouvrages. Son dernier livre L’Islam moderne. Des musulmans contre l’intégrisme (Ed. Hugo&Cie, mars 2009), donne la parole à des hommes et des femmes qui en Algérie, au Maroc et en Tunisie, « loin d’être minoritaires, mènent avec leurs moyens et leurs réseaux, une véritable guerre de résistance à l’intégrisme islamique et à sa force de frappe - ainsi qu’aux gouvernements qui l’entretiennent pour mieux régner ».

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