L'art de la peinture d'icônes dans un monde postmoderne : Entretien avec George Kordis [1]


George Kordis peignant l'église de Faneromeni,
Vouliagmeni, Grèce.
L'iconographe George Kordis, résident à Athènes, peut être considéré comme l'un des plus importants représentants de la renaissance de l'icône. Il ne conçoit pas l'icône dans la Tradition comme la simple répétition de modèles anciens, mais plutôt comme l'application de principes immuables dans la résolution d’une problématique picturale contemporaine. Son style unique, parfois considéré comme « trop moderne » ou innovateur, remet en question ce que nous concevons comme possible. Cette interview servira à nous aider à comprendre sa méthodologie comme la comprend l'iconographe lui-même.

Né en Grèce en 1956, George Kordis a étudié la théologie à l'Université d'Athènes. Il a ensuite poursuivi ses études en théologie et esthétique de la peinture byzantine à Holy Cross Orthodoxe Grecque School of Theology à Boston, obtenant une maîtrise en théologie. En 1991, il obtient son doctorat en théologie à l'Université d'Athènes. En 2003, il a été nommé au poste de conférencier à la même université. Aujourd'hui, il est professeur adjoint en iconographie (théorie et pratique) à l'Université d'Athènes.

En plus de son travail académique, le Dr Kordis donne régulièrement des conférences en tant que professeur invité et donne des cours de peinture d'icônes aux États-Unis (Université Yale et Université de Caroline du Sud), en Roumanie (École de théologie de Bucarest), en Ukraine (Université pédagogique d'Odessa) etc.

Le Dr Kordis est également un auteur prolifique. Son livre, «L'icône comme communion : les idéaux et les principes de composition de la peinture d'icône,» a été traduit en anglais par Holy Cross Orthodoxe Press. Il s'avère comme particulèrement utile, et c'est l'un des seuls guides pratiques disponibles aujourd'hui pour l'apprentissage du dessin iconographique.

En plus des icônes portables, le Dr. Kordis a peint de nombreuses églises. Ses plus récentes commandes aux États-Unis comprennent : Holy Trinity Church, Columbie, SC; Sainte-Sophie, Valley Forge, PA; Église orthodoxe grecque de la Sainte-Trinité, Carmel, IN; Église orthodoxe grecque de la Sainte-Trinité, Pittsburg, Pennsylvanie; St. Georges, église orthodoxe antiochienne, Fishers, IN; Sainte-Catherine, Église orthodoxe grecque, Braintree, MA.

Georges Kordis, Dome de l'église de la Sainte Trinité, Columbia, SC
P. Silouane : C’est devenu un truisme de dire que l'iconographie n'est pas de «l'art». Il me semble que c'est une demi-vérité. Oui, il va sans dire que l'icône ne doit pas être comprise simplement en fonction des présuppositions de l'art telles qu'elles nous sont venues de la Renaissance humaniste et de l'extrême subjectivisme du Modernisme. Néanmoins, c'est un «art» au sens traditionnel de «techne», c'est-à-dire un artisanat, l'habile assemblage des pièces ou la fabrication selon un discours correct (logos). Pensez-vous qu'il soit important de revendiquer une compréhension de l'icône en tant que véritable œuvre d'art, impliquant la maîtrise de la technicité des principes picturaux, afin de la préserver d'un conservatisme simpliste, souvent confondu avec la Tradition, mais qui finit par nuire à sa revitalisation dans l'Église?  
  


Georges Kordis : Oui. Je crois qu'aujourd'hui, dans notre monde postmoderne, nous devons redéfinir le sens de la peinture des icônes pour éviter tout malentendu. Selon la Tradition Orthodoxe, déclarée par le Septième Concile œcuménique et les pères de l'ère iconoclaste, la peinture iconographique est un art avec des objectifs et des caractères spécifiques. Selon la définition de saint Photius, patriarche de Constantinople, la peinture iconographique utilise les médias de l'art et, suivant la Tradition de l'Église, son but est de rendre la forme extérieure de toute personne représentée. A cet effet cet art élabore et transforme la forme sous une condition, l'image doit toujours être reconnaissable par le spectateur fidèle. Tout d'abord, le peintre supprime tous les éléments qui sont inappropriés et ne satisfont que la curiosité humaine, mais ne servent pas la mission sacrée de l'icône. Ainsi, l'iconographe d'abord rend l'icône plus abstraite qu'une photo. Et puis, l'artiste rend cette forme purifiée d'une manière artistique qui convient à la personne sacrée. Il doit «inventer», créer un mode de peinture qui soit approprié et bon. Ainsi, selon saint Photius, l'art de la peinture iconographique est un art fonctionnel qui sert la communauté chrétienne et aide les fidèles à être en contact avec les événements et les personnes qu'il représente. Bien sûr, nous devons analyser en détail le processus que l'artiste a suivi pour que ces objectifs soient réalisés.


P. Silouane : Dans votre livre "L'icône comme communion" vous parlez de "rythme" dans la peinture d'icônes. Vous avez également dit que la peinture exige une structure, sinon, faute de saisir l'ensemble, les choses restent du domaine de la simple décoration.. Pouvez-vous nous donner une définition du concept de rythme, quels rapports il entretient avec le dessin, et comment il entre le mieux dans la structure d'une composition?

Georges Kordis : Le rythme est l'instrument de base que les peintres ont utilisé pendant la période byzantine pour parvenir à la communion entre le spectateur-croyant et la personne représentée. L'idée principale était que l'icône n'est pas simplement une image, une forme sur le mur d'une église ou sur une surface de bois. L'icône doit être vivante, doit être une présence du saint dans l'église. De cette façon, l'icône pourrait démontrer la croyance que l'Église est le corps vivant du Christ dans le temps et l'espace, où tous les membres sont incarnés et vivent. Dans cette perspective, l'icône doit donner au spectateur l'impression que tout ce qui est représenté est vivant, est présent. Plus précisément, ils voulaient montrer que la personne représentée vient aux dimensions du spectateur et est liée à lui. Ils devaient donc créer un système de principes de peinture qui pourraient servir ce besoin. Le rythme était l'instrument de base. Le rythme est un moyen de gérer les mouvements et les énergies qui existent sur une surface de peinture. Toute ligne ou couleur est une énergie. Le peintre peut organiser ces mouvements ou énergies pour que l'icône entre dans la réalité du spectateur et le rencontre. Ils ont donc suivi la manière dont les peintres grecs utilisaient le rythme. Toutes les lignes forment un X à la surface et tout dans la composition suit cet axe X. De cette façon, tout dans une icône est organisé correctement, est uni et crée un état d'équilibre dynamique. Il y a toujours le mouvement, indiquant la vie et le mouvement, et en même temps il y a aussi la stabilité qui indique l'éternité, un état de réalité intemporelle. Par le rythme, l'icône est projetée dans la réalité du spectateur. Couleur, lumière et perspective, sont également utilisés comme véhicules pour créer cette projection. On pourrait dire que le rythme est un véhicule créant l'unité dans toute icône orthodoxe et contribue à remplir sa mission dans l'Église.

Georges Kordis, L'onction des pieds du Seigneur à la maison de Simon.

P. Silouane : Vous avez précédemment opposé la notion de réalité virtuelle, que vous voyez découlant des développements du naturalisme occidental, avec l'utilisation de l'espace pictural dans la peinture byzantine, que vous appelez la virtualité réelle. Pouvez-vous résumer quelques-unes des différences entre ces deux approches de la représentation?

Georges Kordis : Dans la peinture naturaliste, développée en Europe occidentale après la Renaissance, l'idéal pour les peintres était de créer une peinture illusionniste qui donne au spectateur l'impression qu'il existe une autre réalité emblématique derrière la surface de la peinture. Ils pensaient que de cette manière la peinture serait un véritable substitut de la réalité. Mais les conséquences en furent très graves. De cette façon, ils ont créé deux réalités distinctes qui ne communiquent pas. Une vraie et une fausse. La réalité de l'iconographie [peinture religieuse illusionniste] était la fausse. Le Christ et les saints apparaissent comme s'ils vivaient dans une réalité différente, loin de notre réalité. Le Corps du Christ, l'Église, semblait être brisé en morceaux. L'absence du Christ était évidente pour quiconque entrait dans une église et pouvait voir une peinture naturaliste. Le Christ était là comme une peinture, mais le spectateur avait l'impression que la personne était absente. Il y eut donc des conséquences ecclésiologiques.

Dans la peinture byzantine, le mode choisi par l'Église orthodoxe pour le rendu des icônes, les choses étaient différentes. Comme je l'ai déjà mentionné, l'objectif premier et originel était de visualiser l'unité de l'Eglise, afin que le spectateur entrant dans l'église puisse immédiatement sentir cette vérité. Pour cette raison l'espace pictural de l'icône doit être devant le champ de l'image et pas derrière. L'espace et le temps de la personne représentée sur les icônes doivent être les mêmes que les spectateurs. Par conséquent, les peintres suivant ce besoin ont évité la réalité iconique d'un illusionnisme exagéré et ont créé une véritable iconicité. À mon avis, c'est la différence fondamentale entre la peinture naturaliste et la peinture byzantine.

Georges Kordis, St. Pambo l'Egyptien
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