L'enfant au seuil du royaume Père Vladimir Zelinsky

Sur le blog Parlons d'Orthodoxie


Père Vladimir Zelinsky , du patriarcat de Constantinople, Italie
Éditeur : Parole et Silence

Ce livre est parcouru par un appel à se mettre en quête de l'enfant - quête douloureuse comme un accouchement -, de cet enfant qui vit, perdu dans notre moi. Cette quête signifie ascèse, lutte intense pour atteindre la sainteté. Cette conversion se produit dans la remémoration ou la découverte de ce qui vit déjà en l'homme, malgré toutes ses chutes.

Pareille "justification " s'exprime par la chair même des mots bien aiguisés, pétris de tradition orientale, de l'auteur, leur tension vers la découverte du Royaume promis, qui a pris la forme d'un enfant cherchant le sein de sa mère.

Sainteté et amour du monde, ascèse et sensualité, effort de la quête et douceur de l'humanité : l'harmonie entre ces éléments rend l'ouvrage du P. Vladimir Zelinsky véritablement précieux ; c'est un pas décisif vers cette "troisième voie" qu'il reste à découvrir et à parcourir un jour.

Extrait du livre

Nous avons tous Ses paroles en mémoire :

A cette heure-là, les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » Il appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu d'eux et dit : « En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez à l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des cieux. Quiconque accueille en mon nom un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c'est moi qu'il accueille. » (Mt 18, 1-5)


C'est le Royaume des cieux que le Sauveur annonce, fondamentalement; c'est le but, la source, le mystère que sa prédication dévoile en grand.

L'annonce du Royaume sonnait dans Sa bouche comme la promesse messianique, partagée aux hommes, de la souveraineté de Dieu dans Son histoire, ici et maintenant, donc dans un temps renouvelé, encore inconnu, qui se cache quelque part, tout près, frappe à la porte, appelle, attend sur le seuil.

Ce temps se hâte vers nous en Christ, vivant aujourd'hui et à venir demain ; mais cette proximité stupéfiante avec Lui, dès maintenant, transparaît de la façon la plus claire en ceci : toujours, depuis l'origine, depuis le début de l'être, ce temps appartient au Christ. Le Royaume, comme l'enfance qui est tournée vers lui, est déjà proche, il est à vos portes (Mt 24, 33).

Nous en sommes un jour sortis, ou bien nous n'y sommes pas encore entrés, nous n'avons pas encore notre permis de séjour parce que nous avons accumulé tout un temps adulte, lourd, épais, qui, au fond, nous a toujours été étranger.

Le Royaume des cieux ressemble à notre enfance oubliée, il est toujours loin au bord du chemin, il est plus petit qu'une graine de moutarde, il est au dedans de vous (Lc 17, 21) mais ses graines sont plus faciles à percevoir chez ceux qui sont capables de se faire aussi petits que cette graine de moutarde. Il est dans les enfants d'aujourd'hui, ceux qui nous entourent, comme dans ceux que nous avons été un jour. Parce que ce qui est enfantin est aussi du Royaume, ce qui s'est fait petit est du Christ, et c'est vers ce mystère, dévoilé par Lui, caché en Lui, que Jésus nous appelle à revenir.





Revenir, c'est-à-dire se faire petit, se convertir, mais aussi accueillir l' enfant. Qu'y a-t-il derrière le verbe accueillir ? Jésus ne s'exprimait pas dans notre langue européenne polysémantique, ni non plus dans une langue symbolique, ésotérique ou hiératique. Dans ses paroles il y avait la densité, la corporéité, le concret bibliques - car le Verbe s'est fait chair - en particulier dans les cellules, les muscles et la gutturalité des mots araméens.

Ne faut-il pas accueillir l'enfant comme une chair sacrée, tout juste sortie de Ses mains, comme la divine bonté de la création à nous adressée, l'enfant qui nous dit dans son langage que c'est très bon ? Il faut donner asile au petit enfant dans notre maison, dans notre cœur, dans notre moi adulte. Accueillir l'enfant c'est devenir l'asile du Verbe venu anonymement dans l'enfant, et qui a besoin d'une mère. Et c'est l'Eglise, Corps du Christ, qui devient mystiquement sa mère.

En Eglise c'est dans la prière et l'Eucharistie que nous découvrons Dieu, mais aussi dans le mystère de notre propre personne, qui s'enracine dans son origine invisible. La vie en Eglise est un long cheminement vers soi-même. « Reviens vers toi, dit saint Augustin, car tu t'es égaré, et tu es devenu étranger à toi-même. Retrouve le chemin de ton cœur. »

« Deviens celui que tu es », dit le métropolite Kallistos Ware en écho aux Pères de l'Eglise. Et nous nous demandons à nous-mêmes : qui suis-je ? Qui est chacun de nous dans son être créé ? Est-ce que le propre de la voie orientale n'est pas de chercher son moi véritable, non défiguré par le monde, de le connaître en Dieu, pour ensuite le nettoyer de l'autre moi consumé par les soucis et les passions, celui dans lequel nous vivons aujourd'hui en le prenant pour notre unique demeure ? Pour pouvoir parler de notre moi ancien, il faut se rendre compte qu' un jour il a été créé et est venu au monde grâce au Verbe par qui tout a commencé à exister.

Dieu a dit à notre propos : créons-les, et Il a dit à chacun de nous : sois. Il nous a fait don du nom connu de Lui seul, un nom perpétuel, qui ne sera jamais retranché, comme il est écrit dans le prophète Isaïe (56, 5). « Tu nous as créés pour Toi, dit saint Augustin au début des Confessions, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne repose en Toi. » Oui, le cœur à tout moment se révolte en nous, parce qu'il est enivré de lui-même, mais dans son moi d'aujourd'hui il est à l'étroit comme dans une cage et il aspire à avoir de l'espace en Dieu.

Le cœur de l'enfant encore petit est au large là où son être se trouve depuis l'origine - dans Ses mains : Tes mains m'ont fait et affermi (Ps 119, 73) - dans la plénitude de Sa présence gratuite, inépuisable, royale. Les mots du psaume que nous venons de rappeler sont prononcés en chacun de ces tout-petits avant même qu'ils apprennent à parler.




C'est par l'étonnement qu'ils s'expriment.

Le Seigneur nous abrite dans la chair de notre mère et nous fait entrer dans le monde, et nous y entrons par les portes d'une action de grâces émerveillée, mais pas encore pleinement consciente d'elle-même. Par la bouche des tout-petits et des nourrissons tu t'es préparé une louange... (Ps 8, 3).

La louange du tout-petit ne ressemble pas à celle de l'adulte, il s'émerveille non pas comme s'il voyait quelque chose de nouveau qu'il n'aurait encore jamais vu, mais en accueillant ce qui existe comme un tout, dans l'union à ce tout. Il s'étonne de ce qu'il perçoit et absorbe par ses sens, mais il ne rigidifie pas son étonnement spontané par une réflexion. Accueillir l'enfant, cela veut dire répondre à son action de grâces, répondre au Verbe qui l'a appelé à la vie.

S'émerveiller du miracle de la volonté créatrice de Dieu, afin que « grâce à la grandeur et à la beauté des créatures nous finissions par avoir une compréhension convenable de Celui qui nous a créés », comme dit saint Basile le Grand (Les Six Jours de la Création).

S'étonner, cela veut dire sortir de son propre espace intellectuel, s'éloigner de l'image familière de notre monde déchu, de l'image qui s'est formée, qui est apparue et s'est solidifiée dans notre esprit. S'étonner, c'est s'offrir à quelque chose qui se dévoile, c'est participer aux « choses de Dieu ». Quand l'âme dans l'homme vient de s'éveiller, elle cherche à tâtons en elle-même le tu caché des choses et engage la conversation avec elles, comme une créature dialogue avec une autre.


Père Vladimir Zelinsky

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