[3] Le schisme entre les Ultramontains et les Vieux-Catholiques


2. Les innovations occidentales au risque des Pères

Au sein de la théologie occidentale s’est déroulée une véritable guerre civile 8. En effet, chaque fois que les Pères anciens ont été édités, étudiés et mieux connus, cette redécouverte du christianisme en ses sources a provoqué une crise dans la théologie. L’opposition entre la tradition ancienne, que l’Église catholique prétend suivre, et les doctrines plus récentes qu’elle a admises ou même inventées, devient manifeste dès que l’on confronte la doctrine des Pères grecs, latins, syriaques ou autres, aux enseignements des scolastiques quels qu’ils soient.

Pour le montrer, nous utiliserons trois exemples. 

Tout d’abord, la querelle qui a eu lieu, en France, pendant des siècles, autour de la constitution de l’Église. 
Ensuite, la controverse de l’augustinisme. 
En troisième lieu, les débats sur la vision de Dieu, qui portent « sur la nature même des expériences spirituelles les plus élevées auxquelles les hommes sont appelés dans ce monde-ci et dans le monde à venir 9 ».

a) L’ecclésiologie de la papauté face à l’ancienne ecclésiologie

La doctrine de l’Église et du rôle du Pape a été, dans l’Occident, la source d’un conflit qui a duré jusqu’au XIXe siècle et qui s’est achevé dans le schisme entre les ultramontains et les Vieux-Catholiques.

La lutte entre les deux conceptions de l’Église avait commencé sous les carolingiens, mais pour comprendre ce qui s’est passé à cette époque-là, il faut remonter aux événements tragiques pour l’Église des Gaules qui l’ont précédée immédiatement.

Sous les rois mérovingiens, en effet, l’Église avait été décapitée, les Maires du Palais ayant transformé les évêchés et les monastères en de simples fiefs, qu’ils attribuaient à des évêques et à des abbés ignorant tout de la religion.

« Aussi peut-on dire, écrit l’abbé Guettée, que l’Église Franke n’eut bientôt plus d’évêques, et qu’elle n’eut pour chefs que des guerriers... Si ces prétendus évêques faisaient des visites pastorales, c’était pour piller les peuples et rançonner des prêtres qui n’étaient, à leurs yeux, que des vassaux ; ils se croyaient non pas les pères, mais les maîtres du clergé; non pas les pasteurs du peuple, mais des seigneurs 10... »

Cette décadence explique la suite. « L’Église de France ayant abdiqué, pour ainsi dire, sa propre direction, après l’invasion des barbares qu’elle subit à la fin du VIIe siècle; la papauté la gouverna par les Carolingiens 11... Il y eut des réclamations contre cette action immédiate de la papauté dans le gouvernement des Églises particulières, et ce fut pour soutenir ses prétentions que l’on composa alors la collection des fausses décrétales. Cette collection ne fut pas adoptée généralement en France. Les plus grands évêques, comme Agobard et Hincmar, réclamèrent énergiquement en faveur de l’ancien droit. La papauté soutint ses prétentions. De là, les premières luttes gallicanes et ultra-montaines qui se sont modifiées avec le temps mais qui durent encore12 ».

La dissension séculaire qui opposa les gallicans aux ultra-montains, reposait donc sur cette usurpation première, contraire à l’ancien droit ecclésiastique, celui de la tradition apostolique ; et c’est la volonté paradoxale de maintenir des éléments d’ecclésiologie orthodoxe dans un contexte hérétique qui explique la chute des gallicans. « Le gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile œcuménique qui était la plus haute autorité dans l’Église. Seulement il admettait, en théorie, le pape comme chef de l’Église de droit divin. C’était une inconséquence13 ».

Cette lutte intestine sur la constitution même de l’Église, qui devait aboutir à la grande erreur de l’infaillibilité pontificale, définie en 1870, témoigne éloquemment de la résistance de l’élément traditionnel, en même temps que de sa faiblesse dès qu’on le détache de la pierre de la vraie foi, de l’Église divino-humaine.

8. Voir Patric Ranson, Richard Simon ou du caractère illégitime de l’augustinisme en théologie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1990, qui introduit et justifie cette idée.11. Nous gardons l’orthographe de l’auteur, qui se conforme aux règles d’Augustin Thierry, soucieux de restituer la prononciation la plus juste des noms germaniques.
9. Mgr Photios, Une lecture orthodoxe, Revue des Deux Mondes, avril 1993, p. 80.
10. Abbé Guettée, Histoire de l’Église de France, III, Lyon-Paris, 1848, p.III. Sur l’abbé Guettée, voir l’Appendice du présent ouvrage.
12. Ibid, p. VIII. Le gallican essaye de maintenir le principe du droit de l’Église locale, face à l’ultramontain, partisan du pouvoir du pape.
13. W. Guettée, Souvenirs d’un prêtre romain devenu prêtre orthodoxe, Paris-Bruxelles, 1889, p. 180.




(in Le nouveau catéchisme contre la foi des Pères)
À SUIVRE

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