Le rôle de la matière dans l'iconographie et les arts liturgiques
«Ô Christ, que pouvons-nous t'offrir en présent * pour être apparu sur terre en notre humanité? * Chacune de tes créatures, en effet, * exprime son action de grâce en t'apportant:
*les Anges, leur chant,* le Ciel, une étoile, * les Mages, leurs cadeaux,* les Bergers, l'émerveillement, * la Terre, une grotte, * le Désert, une crèche * et nous-mêmes une Mère vierge. * Dieu d'avant les siècles, aie pitié de nous.. "[1]
La Déipare du Don panneau Tempera à l'oeuf avec des pigments naturels (comprenant des ocres de la forêt de Dean en Angleterre et du lapis-lazuli d'Afghanistan) et or 24 carats , 2011 |
Les arts liturgiques de la Sainte Eglise Orthodoxe servent à nous orienter vers la beauté ineffable du Royaume céleste de Dieu et sont une fenêtre ouverte sur elle, qui nous révèle la nouvelle Jérusalem et à travers ses saints mystères et l'iconographie nous met en communion avec le Christ, la Mère de Dieu et les grands saints de l'ancien et nouveau. Se trouver plongé dans cet environnement sacré est une expérience profonde qui se fait par le biais de tous les arts liturgiques qui travaillent ensemble dans une symphonie sacrée qui transporte notre être dans le royaume de l'éternel et de l’ineffable.
Les principes intemporels théologiques sur lesquels les arts liturgiques sont fondées, le respect et la compréhension de la langage sacré des formes et des couleurs, des matériaux utilisés et la façon dont cet art est fait sont d'une immense importance. Je souhaite échanger sur certains de ces principes et méthodes dans mes contributions au Journal des Arts Orthodoxes tout au long des prochains mois, notamment en référence à des icônes, à l'enluminure et aux autres arts du livre. Cela inclura une recherche sur leurs significations symboliques et théologiques, ainsi que leur histoire, les matériaux et les divers aspects techniques.
Pour commencer, je voudrais explorer le rôle de la matière et du monde matériel dans le culte de l'Église orthodoxe. Ce qui est au cœur de notre compréhension du monde matériel, c'est que la matière est créée par Dieu, qu’elle est bonne, et qu’elle fait partie du plan divin. Cela est exprimé dans Genèse 1:31, «Et Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites et voilà, elles étaient très bonnes. » En outre, nous lisons que «Toute grâce excellente et tout don parfait viennent d'en haut, et descendent du Père des lumières». (Jacques, 1:17)
L'importance de l'expression matérielle du sacré dans le Christianisme Orthodoxe se trouve au centre de notre compréhension de l'Incarnation, comme le dit saint Grégoire de Nysse : « Il a donné à la vie une réalité effective, pour qu'au moyen de la chair revêtue par lui et déifiée avec lui, se trouvât sauvé en même temps ce qui est apparenté à la chair et de même nature. »[2] En outre, lors de la Transfiguration, la grâce est passée de la divinité du Seigneur à sa nature humaine et à ses vêtements qui brillaient. De même, dans l'Église, la grâce du Christ passe, et là, à travers l'humanité qui il partage avec nous et à travers nous cette grâce peut alors passer à tout le monde matériel. Dans Romains 8:21 nous lisons: «... la création elle-même sera affranchie de la servitude de la corruption dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu."
Comprendre les matériaux de façon plus profonde est absolument essentielle au maintien de l'intégrité et de la beauté des arts liturgiques dans le long terme. L'un des objectifs est de créer des œuvres qui reflètent l'incorruptibilité et la beauté de Dieu et l'utilisation de matériaux pauvres ou inadaptés sape ce symbolisme. Par exemple, la sélection de peintures modernes de fabrication industrielle peut sembler acceptable, mais quand on les examine de près, leurs caractéristiques comprennent souvent des éléments inappropriés ou de qualité médiocre et leurs pigments sont souvent instables à la lumière ou ont été obtenus par des procédés chimiques douteux ou immoraux au cours desquels la couleur résultante est un sous-produit, sans rapport avec l'intention du processus. Quelle comparaison possible avec l’acte de ramasser une pierre unique, la fleur d'une grotte souterraine et le fruit de plusieurs milliers d'années de croissance naturelle? Les couleurs rayonnantes de la malachite ou de l'azurite, par exemple, n'ont pas d'égal dans la palette artificielle et ne s’altèrent pas du tout à la lumière, elles sont durables et ne perdent rien de leur éclat, et sont donc à la fois symboliquement et fonctionnellement particulièrement appropriés pour la réalisation de l'art sacré.
Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce l’œuvre de ses mains ». (Psaume 18:1)
Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Dimitrios a déclaré que "Malheureusement, de nos jours, sous l'influence d'un rationalisme extrême et de l'égocentrisme, l'homme a perdu le sens du sacré de la création ...» [3]
Une grande partie de notre compréhension de la symbolique spirituelle inhérente à la matière a été perdue ou corrompue par le point de vue actuel laïque, qui a été façonnée par diverses idéologies non-orthodoxes et sont souvent en contradiction avec la théologie orthodoxe. Une société désacralisée cesse de voir la création en tant que porteur de la sagesse et de l'amour de Dieu, elle la regarde au contraire comme une accumulation de matières premières ayant une valeur économique qui leur est associée. Par exemple, dans le cas de l'or, au lieu de voir l'or comme quelque chose de la source divine et un symbole de la divinité de Dieu, de son amour et de son incorruptibilité, on nous apprend à ne voir que sa valeur monétaire, mais rien de la beauté incandescente de sa substance, rien de son essence intérieure ou de son sens.
En outre, nos matières premières sont désormais touchées par les effets délétères des procédés industriels et de la pollution: «L'industrie croissante produit de plus en plus des quantités de déchets toxiques dont ne sait quoi faire. L'air, les eaux et le ciel, les éléments qui étaient autrefois purs, prennent aujourd'hui une couleur produite par l’homme.» [4] Les produits d'origine animale tels que l'œuf, qui est utilisé dans la fabrication de la tempera à l'œuf, peuvent être le produit d’un élevage en batterie qui exploite les poules, ce qui compromet à la fois la qualité du matériau et le rôle qui nous a été assigné de prendre soin de la création.
En conséquence de ce qui précède, il est maintenant plus important que jamais que l'artiste liturgique et ceux qui passent des commandes et utilisent les arts liturgiques comprennent et célèbrent l’usage véritable et élevé du monde matériel. Une bonne compréhension de la théologie des matériaux et de notre relation avec eux est au cœur du processus de fabrication et une route vers la compréhension plus profonde du caractère sacré de la création et de la contemplation de la réalité de l'Incarnation.
Toute la création matérielle dans sa beauté resplendissante est une icône, c'est une image des choses les plus élevées, un cadeau d'amour et de générosité, et un mode de réalisation de la beauté divine. Dans les paroles de saint Jean Chrysostome « La nature est notre meilleur maître. A partir de la création, apprenez à admirer le Seigneur! "
Dessin icône miniature de SainteJeanne la Myrrhoblite
à l'encre sépia sur vélin tendu feuille d'or 24 carats
(fleur et pièce d'un penny pour indiquer la taille).
Le culte de l'Eglise orthodoxe concerne la célébration et l'utilisation de tous les aspects de nos sens. Cela inclut la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat. Il utilise et honore à la fois les matériaux, que ce soit du bois, de l'or ou de la peinture, les matériaux pour l'écriture tels que les encres et les plumes, le pain et le vin sacrés ou la combustion de l'encens parfumé.
Le but des arts liturgiques, c'est la glorification de Dieu et l'action de grâces. L'humanité, un participant simultanément du matériel et du monde spirituel, a été créée pour rattacher la création à Dieu, afin que le monde puisse être sauvé de la corruption et la mort. Nous avons été créés pour vivre selon un mode eucharistique, par des actions de grâces pour tout ce que nous avons reçu. Par conséquent, ce n'est pas seulement un choix, mais notre responsabilité de faire ce don de remerciement le plus beau peut-être, même si cela signifie parfois un sacrifice supplémentaire et un défi. Une icône durera aussi longtemps que la surface sur laquelle elle a été peinte et les matériaux avec lesquels elle a été faite dureront. Elle est destinée à être un objet tactile liturgique, ce n’est pas seulement une surface peinte, et donc chacun de ses aspects doit être soigneusement pris en compte lors du processus de fabrication. Elle doit être suffisamment robuste pour résister à la pérégrination d'adoration que sera sa vie, tout en restant un véritable et numineux symbole de la beauté de Dieu.
Les matériaux utilisés pour créer l'art liturgique n’ont pas seulement leurs caractéristiques physiques habituelles qui peuvent être mesurées par la science, mais aussi un sens profond et un symbolisme qui gouvernent leur emplacement et leur utilisation dans l'environnement sacré. Cela inclut les caractéristiques pratiques et fonctionnelles qui sont un facteur essentiel dans leurs diverses applications. Par exemple, dans la fabrication d'une icône pour un usage extérieur, la pierre, le métal ou même la céramique seraient des choix appropriés, tandis que les icônes textiles ou les icônes dorées ne
conviendraient pas.
Travailler en harmonie avec la création plutôt que contre elle est d'une grande importance. L'architecture et les arts traditionnels liturgiques emploient souvent des matériaux de construction régionaux s’harmonisant ainsi avec le milieu environnant. Les matériaux naturels sont souvent utilisés dans leurs formes pures et certains matériaux qui sont exceptionnellement rares et précieux, comme le lapis-lazuli, peuvent provenir de terres lointaines en raison de leurs qualités particulières.
Un morceau de Lapis Lazuli d'Asie centrale,
le pigment extrait est appelé Lazurite
L'usage contemplatif de matériaux naturels dans leurs formes pures nous permet également d’apprécier leurs qualités et leur valeur fondamentales.J'ai souvent été frappée en regardant la plupart des anciens manuscrits enluminés que beaucoup des couleurs sont utilisés pures et cela renforce notre capacité à aimer et à apprécier chacune pour ce qui la distingue comme ce qui l’unit aux autres. La malachite, le minium, l'indigo, l’azurite et orpiment sont tous faciles à distinguer comme beaucoup d'autres.
L’aventure de la fabrication d’une œuvre d'art liturgique commence longtemps avant de commencer à construire ou à peindre et ce travail de base comprend également la construction d'une relation personnelle avec des matériaux à un niveau beaucoup plus profond que simplement aller dans un magasin et acheter des articles déjà tout faits sur un comptoir. Pour moi en tant qu'artiste, des progrès dans la technique ont souvent eu lieu après la préparation à la main, avec soin, d'un nouveau matériau et il s’en est suivi que l'expérience de son utilisation s’est ensuite transformée en quelque chose que je n'aurais jamais pu imaginer. L'œuvre terminée est toujours plus belle et rayonnante qu'elle aurait été autrement.
[1] Vêpres de la Nativité
[2] Grande Catéchèse de St Grégoire de Nysse
[3] Discours pour Le jour de La Protection de l'environnement 1er sept. 1989
[4] L'Orthodoxie et la crise écologique Patriarcat oecuménique et WWF (World Wide Fund for Nature International)
(version française par Maxime le minime d'un extrait d'un article de Christabel Anderson du 10 juillet 2012 paru sur le site Orthodox arts journal
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