L'altérité orthodoxe [1] par Père André Borrely

Bien souvent il m'est arrivé de m'interroger sur ce prêtre imberbe (pourquoi mon Dieu une telle singularité, me suis-je souvent demandé ?) , maintenant  retraité, à la santé désormais fragile, mais à l'esprit toujours vif, que j'ai souvent trouvé un peu trop oecuménisant à mon goût (bien sûr !), se référant un peu trop souvent également ( selon une préoccupation, personnelle mais bien partagée, de référence aux Saints Pères avant tout, pour transfigurer la pensée du vieil homme) à la philosophie, qui fut l'objet de son travail d'enseignant pendant longtemps, ceci expliquant cela. Pourtant il m'a suffi  d'un entretien avec lui pour que ma perspective change, que je devienne plus attentif à ses propos et que ma défiance s'estompe sensiblement au point que je lui ai demandé la permission de publier quelques uns de ses textes sur mon blog, ce qu'il a accepté volontiers. J'ai en effet la conviction que Père André a conservé cette ligne directrice originelle de la participation orthodoxe au dialogue 'oecuménique', celle d'un témoignage d'une irréductible différence et d'une fidélité aux origines du christianisme donc de l'Orthodoxie. Voilà donc un texte sur L'altérité orthodoxe qui a fait l'objet d'un cycle de trois conférences à une rencontre oecuménique dont on pourra lire ici la première partie :

"Il y a quelques années, un mariage entre un orthodoxe et une catholique devait être célébré dans l'église d'un petit village des Bouches-du-Rhône. Chacun des deux  conjoints souhaitait la présence d'un prêtre représentant l'Eglise de son baptême. On me demanda de célébrer le mariage orthodoxe. Mais lorsque je pris contact avec le vieux Curé de la paroisse, celui-ci fut pris de panique : il n'avait jamais rencontré de prêtre orthodoxe. Il me pria de lui remettre le texte de l'office que j'avais l'intention de célébrer pour qu'il l'envoie à l'archevêché et sache s'il avait le droit d'autoriser une telle célébration dans son église. Je me suis retrouvé peu après dans la même situation à Marseille. Un français peut passer toute sa vie sans jamais rencontrer un orthodoxe. Et que de fois m'a-t-on demandé: "Comment doit-on vous appeler : Monsieur le Pasteur?" "Vous êtes pope?" "Vous croyez à la Vierge ?" En France, l'Orthodoxie est encore un christianisme inconnu ou méconnu, inattendu. Les catholiques,. les musulmans, les protestants, les israélites et même les témoins de Jéhovah, sont plus nombreux que nous qui ne devons être guère plus de 240.000. Aussi ai-je pensé qu'il vous plairait peut-être d'entendre un son de Cloche nouveau, susceptible de vous surprendre, mais peut-être aussi de vous donner l'envie de me dire ce que m'avait dit un soir à Aix-en-Provence le futur cardinal Billé, à la fin d'une table ronde œcuménique: "Je ne l'aurais pas dit comme cela, mais je suis d'accord avec ce que vous avez dit."
Le schisme de la Réforme fut un phénomène interne à l'Eglise latine, en l'absence de l'Eglise d'Orient qui depuis 1453 était devenue une Eglise sous la Croix, entrée pour quatre siècles dans une période de tragique mutisme historique. Sous la domination ottomane d'abord, ensuite durant les soixante-dix ans du totalitarisme communiste, l'Eglise ortho­doxe a tissé une icône du Christ de la Passion en entremêlant les fils dorés des grands transfigurés que furent saint Marc d' Ephèse, saint Cosmas l'Etolien, saint Païssi Velitchkovskiy, saint Séraphim de Sarov, saint Jean de Cronstadt, saint Nectaire d'Egine, et les fils rouges des martyrs qui vécurent dans l'Archipel du Goulag, et dont Olivier Clément a pu écrire qu'ils auront été les grands moines et moniales du 20ème siècle. Or, la recomposition de l'unité chrétienne ne sera réalisable que si elle est à trois voix. Sur beaucoup de sujets, catholiques et protestants donnent des solutions encore inconciliables à des problèmes posés dans le contexte d'une même culture chrétienne. Les orthodoxes sentent les choses autrement. Pour ne prendre qu'un exemple, jamais l'Orient chrétien ne s'engagea dans la vive et longue polémique qui opposa saint Augustin à Pélage et à Julien d'Eclane, et plus tard, mutatis mutandis, Luther à Érasme." (à suivre)

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