L'altérité orthodoxe [4] suite : le juridisme par Père André Borrely
Voici la suite de la conférence de Père André sur ce qui différencie l'Orthodoxie du Christianisme occidental. Lisez attentivement (quand tout aura été transcrit, j'en ferai un fichier *.pdf qui figurera en bonne place sur le blog des conversions devenir-orthodoxe.blogspot.com) . Je découpe cette conférence en plusieurs messages en attendant, pour ne pas décourager le lecteur qui ne passe pas plus de 3' en moyenne sur le site.
Oui, il faut avoir la patience de lire ce texte l'on comprendra alors qu'il ne s'agit pas seulement de séquelles historiques de la 4ème croisade, ou de concurrence juridictionnelle, ou de querelles byzantines dépassées ou de vieux ressentiments qu'il faut abandonner pour pardonner, il s'agit encore moins de querelles de vieux couple. Non c'est bien plus que cela il s'agit de fondements de la pensée et de mise en oeuvre de cette pensée jusqu'au plus intime de la vie psychique, physique et spirituelle de l'être humain devant Dieu et devant les hommes. Foin des billevesées bien pensantes. Là, la formation philosophique est bien au service de la foi et on voit bien l'avantage de tels outils intellectuels. Grâces soient rendues au prêtre André Borrely !
"L'intelligence humaine doit se retourner, se repentir devenir μετάνοια, afin de convertir les structures que les chrétiens ont introduites dans leur existence au cours des siècles, les concepts qu'ils ont laissé pénétrer dans leur pensée bien que ces concepts soient étrangers à l'essence véritable de l'Eglise, les facteurs empiriques qu'on a fini par confondre avec cette essence. Nous devons notamment nous interroger sur la place démesurée que le droit a prise dans la vie ecclésiale, dans la conception du mariage chrétien, du sacerdoce ministériel, de la rédemption, dans la représentation que les chrétiens se sont faite du mérite, du péché, du purgatoire et de l'enfer, du mystère sacramentel de la confession, de l'autorité et de la primauté dans l'Eglise.
La propension du droit est de nous donner ce que Leibniz a appelé un pouvoir moral. Il nous habilite à revendiquer, à exiger, au besoin par la contrainte, ce qui nous est dû. Avoir un droit, c'est détenir un pouvoir. Le droit constitue une barrière s'opposant aux empiètements d'autrui sur notre individualité. Il délimite la sphère en laquelle nous pouvons agir librement sans que notre activité puisse être entravée par autrui. En outre, le droit est essentiellement rationnel. Il se fonde sur l'esprit humain en tant que faculté d'ordre et puissance normative, comme raison qui légitime notre action et rend ses conditions moralement et socialement exigibles. La mentalité juridique nous accoutume inévitablement à une objectivation des situations existentielles, elle développe en nous la propension à substituer à l'indétermination dynamique de la vie, à l'unicité de l’évènement survenu dans la vie personnelle, des modèles de vie définitifs et impersonnels se référant à l'objectivité du cas général : cette femme de 22 ans qui, en quelques heures seulement, découvre avec horreur qu'elle a épousé un monstre, et qui veut continuer à être à part entière une fille de l'Eglise, ne va-t-on lui offrir que le célibat comme unique perspective de vie ? Plus une théologie est juridique, plus elle tend à rationaliser le mystère, moins elle est capable de réconcilier la pensée et la vie, la science et la sagesse, la connaissance et l'amour, et, plus généralement, toutes les réalités que divise la mentalité dualiste. Les Byzantins furent toujours étrangers au présupposé occidental selon lequel l'Eglise est une institution divine dont l'existence interne pourrait être définie de façon appropriée en des termes juridiques. Les concepts juridiques ne sauraient épuiser la réalité la plus profonde de l'Eglise. " (à suivre)
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