L'Église peut-elle survivre aux Etats-Unis ? par P. Andrew de L'ERHF

Father Andrew

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Introduction: La déchristianisation

Ma quatrième visite aux États-Unis ne fait que confirmer ce que je savais déjà - que le peuple américain est extraordinairement généreux, ouvert et sympathique ; toutefois, ils sont aussi un peuple dont la bonne volonté et la naïveté sont souvent abusés par l'Europe et les gouvernements américains successifs. L'élite américaine au pouvoir avec ses machinations mondiales, son arrogance, la faillite et les impôts est une chose; les Américains ordinaires c’est tout à fait autre chose. Ce qui m'a frappé lors de cette visite est le retrait et de la défaite de ce que je voudrais appeler l'Amérique traditionnelle. Un grand pays est désormais gouverné par une nouvelle Amérique, qui est de plus en plus et systématiquement anti-chrétienne: c’est l'Amérique de l'avortement, de la corruption, de la drogue, des églises à vendre, TV-Athée et le soutien par l'intimidation de l'anti-christianisme imposé par ses élites sur son peuple et sur le reste du monde. La Nouvelle Amérique ne choisit pas une «vie merveilleuse », mais l'alternative cauchemardesque proposée dans ce film classique.

En d'autres termes, les fragments de la Tradition Chrétienne de l'Amérique sont en train de disparaître très rapidement et je peux dire - avec une énorme tristesse - que beaucoup de ce que je voyais encore ici lors de ma dernière visite en 2008 est dores et déjà perdu. Un pays qui, jusqu'à récemment, était célèbre pour la fréquentation de l’église et ses valeurs chrétiennes devient comme cette Europe triste, décadente, travestie - et peut-être même pire, parce qu'en Europe, il y a au moins les rappels des vestiges historiques, physiques, architecturaux, de l'ancienne culture chrétienne. Il semble désormais qu’il y ait peu à hésiter entre l'Amérique et l'Europe. L'admirable Amérique de la profonde tradition biblique de simplicité, de sagesse et de libertarisme anti-fédéral est en train de mourir - et c’est tragique. Dans ce contexte, nous pouvons voir les deux grands défis, si le christianisme, en particulier sous la forme intégrale de Église orthodoxe, doit survivre aux Etats-Unis. Ces défis sont les deux luttes contre le conformisme et le consumérisme.

Le conformisme

L'histoire américaine a été marquée par l'intolérance, qui a clairement son origine dans le puritanisme. Tout le monde doit suivre le courant sous peine d’être déclaré «anti-américain». Tout le monde a entendu parler des sorcières de Salem. Tout le monde a entendu parler de l'esclavage, du racisme, de la guerre civile et du pharisaïsme puritain aveugle. Mais qu’advient-il du puritanisme dans une société post-puritaine et athée? Le réflexe de l’intolérance ne disparaît pas - il devient la chasse aux sorcières de ceux qui considèrent, par exemple, que le mariage homosexuel ou l'avortement sont des péchés, que LGBT est une maladie, ou encore, que tout péché est un péché et que le vice est le vice. Il devient la chasse aux sorcières de ceux qui considèrent que les drogues ne sont qu’une nouvelle forme d'esclavage et qu’elles détruisent la liberté de l'individu. La Nouvelle Amérique dit : Tout est permis si on se sent «bien» et que c’est «fun», alors «lâchez tout ». En d'autres termes, par réaction à la rigidité restrictive et la frigidité du passé, le puritanisme a été renversé; maintenant tout est permis, sauf le refus que tout devrait être permis.

L’intolérance abonde dans la Nouvelle Amérique contre tout ce qui est censé être contre cette étrange mode du politiquement correct, un ensemble de préjugés moraux qui est tout à fait frappant par son inanité absolue et illogique. Le Politiquement correct anti-Chrétien est le nouveau puritanisme, la nouvelle intolérance. Le conformisme et l'intolérance d'une société devenue rapidement post protestante et athée militante sont effrayants. La première tentation pour l'Orthodoxie dans une telle société est alors la tentation de se conformer, de cesser d'être elle-même, de peur d'être différent, de se dénaturer. Depuis des décennies, nous avons vu combien d’orthodoxes ici qui , ‘par crainte des Juifs’, ont voulu renoncer à leur identité pour devenir de ‘vrais américains bien comme il faut’. Ainsi, les premières choses à être jetées par dessus bord (si elles existent encore) sont le monachisme et le calendrier orthodoxe - en faveur du calendrier laïc-catholique-protestant. Mais c’est seulement le début.

Ainsi, disent-ils, que les prêtres se rasent la barbe, se coupent les cheveux court et mettent des cols ‘clergyman ’; qu'il y ait des bancs et des orgues et des chœurs en robe dans les églises ; que les bougies ne soient plus utilisées et qu’on sorte les icônes ; que les églises ressemblent aux temples baptistes et méthodistes ; qu’on abandonne le jeûne et qu’on réduise la confession et qu’on la remplace par un entretien annuel de confort avec un psychologue («vous ne devez pas vous sentir coupable de tout ce que vous avez fait de mal; ce n’est pas de votre faute»); que la communion soit obligatoire ; que les églises soient transformées en clubs sociaux comme les épiscopaliens, les presbytériens et tous les autres, où le divertissement (payant), le ‘show-time’ est fourni, où l’on peut faire des affaires et où la chose principale est combien «combien d’activités vous avez ». Le repentir, la prière, la vie liturgique et l'ascétisme de même que les raisons de l'existence de l'Église sont oubliés. La conformité à la société civile, et non plus à la loi de Dieu, est la norme.

En ce qui concerne la langue liturgique, il y a deux tendances. La première est ‘tout en anglais obligatoirement’, par ordonnance intolérante et toute mention de russe, grec etc. doit être interdite. Dans l'OCA (Orthodox Church in America) la mention «russe» a été physiquement retirée de tout panneau, dans une totale incompréhension que «russe» ne signifie pas d'origine russe ethniquement. Souvent l'anglais est accompagné d’une protestantisation et la vie de l'Église devient comme un sel qui a perdu sa saveur. D’un autre côté vous pouvez utiliser votre langue pour renforcer la communauté en tant que club ethnique d'origine russe, grecque, serbe, roumaine, bulgare, etc. en cultivant les traditions culinaires et le folklore. Cela est tout à fait acceptable mais seulement tant que ce n’est pas une Église, qu'elle n'a pas d'identité ni de vie spirituelles, mais que votre communauté est seulement culturelle et sociologique - tout comme les églises protestantes ou, d'ailleurs, les églises catholiques hispaniques, allemande polonaise. Ici, le facteur décisif est la classe, et aux États-Unis la classe est déterminée par combien d'argent vous «faites».

Le Consumérisme

Les États-Unis sont le pays du dollar, du matérialisme, de Mammon. La classe inférieure c’est ici les pauvres, la classe supérieure ce sont les riches. Rien n’est défini, comme en Europe, par votre nom, votre famille, votre bon goût, vos mœurs ou votre culture. La nouvelle «noblesse» est définie par l'argent, en d'autres termes, par la façon dont vous consommez et combien vous consommez et les vêtements correspondants, la forme du corps (créé à la clinique ou à la salle de gym) et le culte de la jeunesse. Malheureusement, cela conditionne également le Christianisme. Ici le Christianisme est généralement une cafétéria-christianisme, un «servez-vous et mélangez à votre goût», «venez comme il vous plaît», un christianisme « au choix ». Vous n'aimez pas le prêtre parce qu'il vous dit de se tenir debout à l'église et de jeûner et qu’il ne ressemble pas à un «Américain »? Il est pas 'fun', pas 'cool'? Qu'à cela ne tienne, débarrassez-vous en - c’est ce que les consommateurs actionnaires font de ceux qui ne sont pas drôles et pas cool. Sinon, changez de boutique, de dénomination ou de juridiction, et changez de marque, changez donc d’église.

Le Consumérisme ne vient pas de la hiérarchie, mais de la «démocratie», de la loi de la masse, et est ainsi toujours définie par le plus petit dénominateur commun. En d'autres termes, il est réducteur. Et cela signifie, par exemple, que les églises orthodoxes deviennent des églises seulement le dimanche et que les offices deviennent très courts - ils sont réduits à la fois en quantité et en qualité. Oubliez les offices de vigiles; pensez au Bingo. Le danger ici est que l'Orthodoxie - et il n'y a en fait qu'une sorte d'Orthodoxie, mais dans différentes langues - commence à devenir quelque chose de secondaire qui n’a rien à voir avec l’Orthodoxie. Au lieu de la tradition orthodoxe, on a développé aux Etats-Unis une Orthodoxie libérale, une «nouvelle orthodoxie», une «Orthodoxie américaine» , une Orthodoxie anti-ascétique, une religion de confort, faite non pour ceux qui veulent prier, mais pour ceux qui veulent payer, pour les «consommateurs». Ce qu'ils veulent en fait c’est combiner Dieu et Mammon.

Ceux qui ont «investi» dans l’invention d’une telle Orthodoxie ne sont pas intéressés par la qualité, mais plutôt par la quantité. Combien sont-ils ici? Ce dont il s’agit c’est d’un jeu de chiffres. «Franchissez les portes et allez chercher les clients où ils se trouvent». Ainsi, l’«audacieux» télévangélisme est tout simplement une action de marketing ciblant des spectateurs de divertissement de masse. Les fidèles sont des clients, avec des cartes de crédit dans leurs poches, qui peuvent être sondés sur leurs préférences. De cette manière, le Christ est oublié et remplacé par des cultes de la personnalité. Apportés de Russie par des intellectuels d'esprit laïc, les cultes de la personnalité se sont propagés à travers les diasporas européennes et américaines, reflètant simplement le culte séculaire des célébrités. La société laïque vit, comme dans les temps anciens de pain et de jeux, de restauration rapide et de loisir, de MacDonalds et de Disney. Les mêmes tendances de loisir de masse sont présentes en dehors de l'Église, mais aussi dans certaines églises orthodoxes de la diaspora.

Le culte consumériste du loisir est particulièrement visible dans la société américaine laïque et à partir de là, il se répand partout dans le monde, y compris dans la vie ecclésiale. Maintenant, «fun» est un euphémisme pour tout ce qui peut être plaisant du moment que cela ne concerne pas l'âme. Son signe est l'infantilisme et l'infantilisme est la caractéristique principale du « culte » protestant et catholique moderne. La masse ou le public, parce que c’est ce que les gens sont, sont traités comme des enfants, avec la musique, de la guitare, des applaudissements, de la danse, du sentimentalisme et de la manipulation. Ces «églises» et leurs «offices» ne ressemblent en rien à quoi que ce soit qu’ait connu l'histoire chrétienne. Les saints, qui ont été remplacés par des célébrités dans l'Église, ne connaissaient rien au 'fun' et n’étaient pas infantiles. L’infantilisation et le fun sont des nouveaux moyens de manipulation inventés pour un monde anti-ascétique, post-chrétien et même anti-chrétienne pour tranformer les offices de l'Église en spectacles de divertissement. Le ‘Fun’ tue le sacré.

Conclusion : La Tradition

Quelle est la solution? Il est clair que le conformisme, qui n’est que sociologique, et pas théologique, doit être évité. Les Orthodoxes ont une identité claire, nous sommes très différent des Protestants - ainsi que des Catholiques en Amérique, qui sont presque entièrement protestantisés. Nous avons une foi différente et nous adorons le Dieu sans filioque. Certes il y a un seul Dieu, mais tout le monde n’adore pas Dieu, et beaucoup rendent un culte à des substituts artificiels. Certes, il y a à l'autre extrême, le conformisme, qui émane habituellement d’ex-protestants convertis qui en conservent l’esprit, et qui veulent être différents juste pour le plaisir d'être différent. Ils cultivent l'exotisme, l'étranger, l'identité ethnique, l’ancien-calendarisme, et tout l'extrême des vêtements ou de la pratique extérieure. Ici, il y a seulement du psychologique, et pas du théologique. Mais nous ne suivons ni le sociologique, ni le psychologique, nous suivons le spirituel, exprimé dans la Tradition de l'Esprit Saint.
Ce faisant, nous ne cultivons pas les différences juste pour le plaisir de les cultiver. Nos différences sont essentiellement internes, pas principalement externes. Ainsi, lorsque nous avons besoin de commencer la transition inévitable vers l'anglais - et vers un bon anglais liturgique, correct grammaticalement, et non un anglais populaire d’immigrants – car nous ne devons pas répéter les erreurs du catholicisme d’il y a 50 ans - nous le faisons. Ainsi, nous ne perdons pas le sens du sacré, l'atmosphère de prière, le respect et la dévotion qui caractérisent l'Orthodoxie. Les langues sont seulement des voyelles et des consonnes dans des ordres différents : un changement de langue ne pose pas de problème, la perte de la piété authentique c’est ça qui fait problème. En toutes choses, notre tâche n’est ni de chercher à se conformer, ni être différent pour le plaisir de le faire, mais simplement d'être fidèle à la Tradition de l'Esprit Saint, qui est au-dessus du libéralisme et du conservatisme. L'Église ne se conforme pas au monde - le monde se conforme à l'Église.

The Mid-West, May 2014 This entry was posted in Orthodox Life, Pastoral Matters, USA and tagged Orthodoxy in the West on May 12, 2014 by Father Andrew.
(version française par Maxime le mini de la source)

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