L'altérité orthodoxe [2] par Père André Borrely
Voici la suite du beau texte de P. André qui montre comment on peut (pouvait) participer à une réunion oecuménique tout en témoignant d'une foi orthodoxe authentique :
"Un soir de janvier des années 90, dans un village près de Marseille, il y avait une réunion œcuménique organisée dans la semaine de prière pour l'unité des chrétiens. La soirée était achevée. Nous avions entrepris de consommer une boisson chaude. Soudain, un catholique monta sur une table pour donner lecture d'un accord qui venait d'être conclu entre l'Eglise romaine et les Luthériens sur la question de la foi et des œuvres. Je pris part à la joie commune que procurait cette réconciliation théologique. Pourtant, je me disais que, somme toute, ce n'était pas un scoop. En effet, je songeais à l'ouvrage d'un certain Marc l'Ascète, qui, au 5ème ou au 6ème siècle, écrivit un ouvrage intitulé : De ceux qui pensent être justifié par les œuvres. L'auteur y développe l'idée que l'ascèse ne saurait faire du Royaume le salaire des œuvres. Elle n'est que l'exercice continuel et gratuit de l'humilité et de l'amour. Je songeais aussi à la huitième prière qui depuis des siècles est récitée au lever dans les monastères orthodoxes. Plus encore que par la longueur du nez de Cléopâtre, la face du monde eût été changée si le pape Léon X et Luther avaient récité chaque jour cette prière : ... « Sauveur, sauve-moi par grâce, je t'en prie. Car si tu me sauvais pour mes œuvres, ce ne serait plus grâce ni don, mais plutôt chose due ... Si ... la foi en toi sauve ceux qui n'ont plus d'espérance, et je le crois, sauve-moi car tu es mon Dieu et mon Créateur. Que la foi me soit comptée à la place des œuvres, mon Dieu, car tu n'en trouves point qui puissent me justifier. Mais que ma foi les remplace toutes, qu'elle réponde pour moi, qu'elle me justifie. »
"Un soir de janvier des années 90, dans un village près de Marseille, il y avait une réunion œcuménique organisée dans la semaine de prière pour l'unité des chrétiens. La soirée était achevée. Nous avions entrepris de consommer une boisson chaude. Soudain, un catholique monta sur une table pour donner lecture d'un accord qui venait d'être conclu entre l'Eglise romaine et les Luthériens sur la question de la foi et des œuvres. Je pris part à la joie commune que procurait cette réconciliation théologique. Pourtant, je me disais que, somme toute, ce n'était pas un scoop. En effet, je songeais à l'ouvrage d'un certain Marc l'Ascète, qui, au 5ème ou au 6ème siècle, écrivit un ouvrage intitulé : De ceux qui pensent être justifié par les œuvres. L'auteur y développe l'idée que l'ascèse ne saurait faire du Royaume le salaire des œuvres. Elle n'est que l'exercice continuel et gratuit de l'humilité et de l'amour. Je songeais aussi à la huitième prière qui depuis des siècles est récitée au lever dans les monastères orthodoxes. Plus encore que par la longueur du nez de Cléopâtre, la face du monde eût été changée si le pape Léon X et Luther avaient récité chaque jour cette prière : ... « Sauveur, sauve-moi par grâce, je t'en prie. Car si tu me sauvais pour mes œuvres, ce ne serait plus grâce ni don, mais plutôt chose due ... Si ... la foi en toi sauve ceux qui n'ont plus d'espérance, et je le crois, sauve-moi car tu es mon Dieu et mon Créateur. Que la foi me soit comptée à la place des œuvres, mon Dieu, car tu n'en trouves point qui puissent me justifier. Mais que ma foi les remplace toutes, qu'elle réponde pour moi, qu'elle me justifie. »
Je voudrais vous faire sentir l'altérité orthodoxe et qu'elle vous apparaisse moins comme une réalité confessionnelle que comme l'humble témoignage de l'Eglise indivise où s'enracinent toutes les confessions chrétiennes. Je commencerai par le mot théologie qui, dans l'Orthodoxie, n'évoque pas principalement une spécialité scientifique ayant l'ambition d'effectuer l'inventaire du dogme en l'enrichissant par la spéculation intellectuelle et en le prolongeant rationnellement. La théologie n'est pas une science si par ce terme on entend un effort intellectuel pour construire une synthèse rationnelle du dogme. Il est significatif que le plus grand théologien orthodoxe du Moyen Age byzantin, Saint Grégoire Palamas, n'ait pas cherché à forger un système théologique.
A Marseille, il y avait le patron d'une civette, maintenant décédé, qui avait toujours, sous son comptoir, une bible et une Philocalie. Ce dernier terme, Φιλοκαλία qui signifie étymologiquement l'amour de la beauté, désigne une anthologie, publiée à Venise en 1782, de textes provenant des monastères et ermitages du pourtour de la Méditerranée orientale. Dès que la clientèle lui en laissait le loisir, il s'empressait de se plonger dans la lecture de ses chers auteurs. Et si quelqu'un s'avisait de lui demander quel roman policier l'absorbait ainsi, il se faisait une joie de lui parler d'Évagre le Pontique ou de Maxime le Confesseur. Non seulement il n'avait aucun titre universitaire en théologie, mais sa scolarité avait dû être brève, la nécessité de gagner sa vie ayant été pressante très tôt, comme pour beaucoup de grecs de cette époque. Toute la paroisse tenait Georges Théodorou pour un théologien. Je me revois, diacre, passant dans la nef et encensant indistinctement icônes et fidèles.
En arrivant devant cette colonne de prière, j'avais conscience de me trouver en présence d'une icône vivante. Je n'ai jamais entendu cet homme dire du mal de qui que ce fût.
Jamais aucun concept n'a pu engendrer la vie, jamais un enchaînement d'idées ne pourra rencontrer le réel. C'est pourquoi la seule théologie qui puisse jaillir en vie éternelle est celle qui sort de la vie en Christ d'un homme ou d'une femme qui consent à la déification. C'est le propre de la vie de ne sortir que de la vie. Saint Grégoire Palamas a écrit cette phrase admirable : "Toute parole peut contester une autre parole, mais quelle est la parole qui peut contester la vie ?" Pour être vraie, la théologie doit être existentielle. De saint Isaac le Syrien le P. Basile Gondikakis a pu écrire magnifiquement : "Il ne dit rien qui n'ait passé en lui sans qu'il en ait souffert." Pour le théologien ainsi compris, connaître ne se sépare pas d'aimer, penser signifie nécessairement penser la vie en Christ avec son cœur au sens biblique de ce mot, qui ne désigne pas l'affectivité mais le fond très secret de l'homme où se jouent la fidélité et l'ouverture à Dieu, ou, au contraire, l'endurcissement à son égard. La théologie doit être fondée sur l'ascèse par laquelle l'homme parvient, tel un palmier, à faire monter son cœur dans sa tête. Le saint le moins doué intellectuellement est un authentique théologien si peu qu'il ait acquis l'intelligence de la divinisation de l'homme par le saint Esprit, ce qui ne signifie pas qu'il soit un intellectuel. La vraie théologie requiert beaucoup d'intelligence, mais très peu d'intellectualité." (à suivre)
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