La guerre juste du point de vue byzantin [5 et fin]


La guerre en ultime recours


Qu’en est-il donc des  guerres visibles, tangibles engagées par les Byzantins en armure avec des armes de fer et d’acier solide, et contre d'autres ennemis humains ? 
Nul traité byzantin sur l'idéologie de la guerre, que ce soit sur la guerre sainte ou la guerre juste, n’est parvenu jusqu'à nous, et il est peu probable qu’il en ait jamais été écrit. Il faut glaner ce que l'on peut à partir des manuels et des histoires militaires. Bien qu'il y ait eu à l'occasion des florilèges rhétoriques dans l'admiration de la vaillance et de la bravoure sur le champ de bataille, et bien qu’ils dépendissent de moyens militaires pour leur survie, les Byzantins, selon les termes d'un ingénieur de combat à la retraite du sixième siècle, considérait la guerre « comme un grand mal et le pire de tous les maux. » 30«Nous devons toujours préférer la paix par-dessus tout, a écrit Léon VI, et  nous abstenir de la guerre » 31 Pour eux  la guerre n'est pas « la politique par d'autres moyens » de Clausewitz, mais cela  a été le dernier recours.
La menace de la force écrasante était préférable à l'utilisation effective d'une telle force, et en cela, on peut noter qu’ils ont fait preuve d'une continuité frappante avec les anciens Romains. Ils ont cherché à atteindre leurs objectifs par la diplomatie, la corruption, des actions clandestines, en payant tribut, ou en embauchant d'autres tribus pour se battre. Ce n'est que lorsque tout avait échoué qu’ils étaient prêts à prendre les armes. Et même alors, ils ont essayé d'éviter un assaut frontal préférant venir à bout de l’ennemi par de légères escarmouches, une habile stratégie et une manœuvre habile. Ils étaient réticents à faire la guerre pour des raisons à la fois morales et pratiques. Tuer, même lorsque cela est jugé justifiable, était mal - il suffit de se rappeler le fameux, même si rarement observé, canon de Saint Basile, qui déclare que les soldats qui ont tué dans la bataille doivent  être interdits de communion pour trois ans32. Sur le plan pratique, la guerre était à la fois dangereuse et coûteuse.




Tout cela correspond au remarquable caractère défensif au coeur  la théorie et la pratique stratégiques byzantines. Un chercheur de l'armée américaine a écrit d'un tacticien du VIe siècle :
« Il a un esprit nettement défensif, et voit si clairement ce que l'ennemi peut lui faire qu'il n'a pas le temps de penser à ce qu'il peut faire à l'ennemi. » 33 Les Byzantins n’ont pas été un peuple belliqueux et, c’est en fait ce qui a conduit les croisés à les accuser de lâcheté. Leur entière attitude envers la guerre était colorée par l'accent mis sur la défense et, à cet égard, certainement différente de la croisade et du Jihād, qui tous deux étaient agressifs par nature. Même les campagnes offensives en territoire ennemi des Herakleios, Nicéphore Phocas, Jean Tzimiskes, et Basile II visaient à récupérer et protéger les régions qui revenaient de droit à l'Empire romain.



Dans le monde byzantin, la guerre n'était pas, comme parfois en Occident, un terrain de jeu mortel sur lequel ceux que l'on appelle les nobles affichaient leurs prouesses et cherchaient la gloire. En soi, la guerre n’était pas un acte bon ou méritoire, et elle n'était certainement pas « sainte ». 
Comment, alors, justifiaient-ils la guerre?  « Le but de toutes les guerres, c'est la paix. » écrivait Aristote il y a bien longtemps, et au XIe siècle Anna Comnène le citait pour expliquer pourquoi son père Alexis avait consacré autant de temps et d'énergie à faire la guerre34 Elle précise également que, comme pour un individu, une nation a aussi le droit d'utiliser la force pour se défendre. Dans son esprit Alexis était  également  en droit d’entreprendre une action militaire pour récupérer les territoires perdus, pour imposer le respect avec un traité sous serment, ou pour éviter un plus grand mal.35 D’autres auteurs, quand ils font allusion aux causes de la guerre, cherchent davantage de justifications qu’Anna.

Peut-être l'explication la plus claire et la plus délibérée du point de vue byzantin sur la guerre a été mise en avant par Léon VI au début de ses Constitutions tactiques, très tôt au Xe siècle. Bien que la plus haute priorité de l'empereur fût de veiller à la paix et la prospérité de ses sujets, il se rend compte que, pour assurer cela, il doit conserver les forces armées en bon ordre et à promouvoir l'étude de la tactique et la stratégie. Pourquoi la guerre doit-elle prendre tant d’énergie à l'empereur ?  « Par respect pour l'image et la parole de Dieu, tous les hommes devraient adopter la paix et favoriser l'amour les uns pour les autres au lieu de prendre les armes meurtrières dans leurs mains pour être utilisées contre leur propre peuple. Mais depuis le diable, le tueur d'origine des hommes, l'ennemi de notre race, a fait usage du péché pour amener les hommes autour de la guerre, contrairement à leur nature fondamentale, il est absolument nécessaire pour les hommes de faire la guerre en retour contre ceux que le diable manipule et de se tenir avec détermination et sans faille contre les nations qui veulent la guerre. » Finalement, il espère que « la paix sera respectée par tous et deviendra un mode de vie. »36

Léon VI prosterné devant le Christ

Les Byzantins ne sont pas enclins à la guerre contre d'autres peuples, a écrit Léon, à moins que ces autres peuples n’ouvrent les hostilités et n’envahissent notre territoire. «Alors, ainsi s'adresse-t-il  au commandant, vous avez en effet une cause juste, dans la mesure où l'ennemi a lancé une guerre injuste. Avec confiance et enthousiasme prenez les armes contre eux. Car ils en sont la cause, ceux qui ont injustement levé la main contre nos sujets. Prenez donc courage. Vous aurez le Dieu de la justice à votre côté. Prenant la lutte au nom de vos frères, vous et vos forces entières serez victorieux. . . . Assurez-vous toujours que les causes de la guerre sont justes. » 37

Les guerres byzantines ne furent pas de guerres « saintes », mais des guerres justes, des guerres impériales. Elles ont été menées pour défendre l'Empire ou récupérer des terres qui lui revenaient de droit. Les soldats ont mis leur vie en jeu pour l'empereur et le peuple de ses sujets, le peuple chrétien. Ils allaient au combat  « au nom de leurs parents, amis, patrie, et de l'ensemble du peuple chrétien. »38 Vers la fin du Xe siècle, un autre auteur militaire en parlant des hommes qui, sur la frontière orientale, ont choisi de braver les dangers pour le compte de nos saints empereurs et de tout le peuple chrétien. Ils sont les défenseurs et, après Dieu, les sauveurs des chrétiens.39
En conclusion, donc, les musulmans croyaient que la force pouvait être utilisée pour soumettre tous les peuples à la domination de l'Islam et les chevaliers occidentaux ont cru qu'ils étaient appelés non seulement à défendre mais à « exalter » le christianisme et que les attaques contre ses ennemis pouvaient être saintes et méritoires.
Quant aux Byzantins ils pensaient que la guerre était une chose ni bonne, ni sainte, mais mauvaise et ne pouvait être justifiée que dans certaines conditions, qui étaient centrées sur la défense de l'empire et de sa foi. Ils étaient convaincus qu'ils défendaient le christianisme lui-même et le peuple chrétien, ce qu’ils étaient vraiment."
(Version française de Maxime le minime)
d'après "Defenders of the Christian People: Holy War in Byzantium" by George T. Dennis 
un extrait de "Les croisades du point de vue de Byzance et du monde musulman"
édité par Angeliki E. Laiou et Mottahedeh Parviz Roy
publié par Dumbarton Oaks Research Library and Collection
NB : pour voir la page de notes : Voir le Fichier : bibliographie_-_Byzance_et_la_guerre.pdff

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