Les croisades du point de vue de Byzance et du monde musulman [1]

Les défenseurs du peuple chrétien : Guerre sainte à Byzance [1]







"Pour la plupart des gens civilisés, le terme de guerre sainte est une contradiction dans les termes. Quel motif religieux pourrait bien transformer la destruction et le massacre de milliers d’ êtres humains en un acte saint et méritoire ? Mais, comme nous le savons, la religion a trop souvent servi de prétexte à la violence. Avant d'aller plus loin, toutefois, nous devrions nous accorder sur une définition de la guerre sainte. Trois critères, je crois, sont essentiels. Une guerre sainte a été déclarée par une autorité religieuse compétente, les exemples évidents étant du côté chrétien un pape ou un calife du côté musulman. L'objectif doit être religieux ; à nouveau, deux exemples évidents sont la protection ou le rétablissement de sanctuaires ou de la conversion forcée ou l'assujettissement d'autrui à votre religion. Il pourrait, bien sûr, y avoir d'autres objectifs. Enfin, on promet à ceux qui participent à la guerre sainte une récompense spirituelle, comme la remise de leurs péchés ou l'assurance d'une place au paradis1.
Dans le monde autour de la Méditerranée, deux formes de guerre sainte ont émergé. En premier, le Jihād Musulman. On a beaucoup écrit à ce sujet, et je tiens seulement à souligner ses caractéristiques marquantes2 Le Jihād est pour la communauté musulmane un devoir religieux de propager l'Islam, en employant la contrainte sous toutes ses formes selon les besoins, jusqu'à ce que le monde entier professe l'islam ou soit soumis à ses lois. À certains moments, surtout quand le calife, ou toute autre autorité religieuse, le proclame, cette obligation prend la forme d'un conflit armé. Ceux qui meurent dans la lutte sont acclamés comme martyrs et on pense qu'ils vont tout droit au paradis. On peut trouver des traces de la doctrine du Jihād dès les premiers jours de l'Islam, mais peut-être pas directement à Mahomet lui-même. Le Jihād n’est pas devenu l'un des cinq piliers de l'Islam, mais il a été maintenu en vigueur par la prédication et l'attrait de l'idéal du martyre et du paradis et les récompenses les plus tangibles du butin et du pillage. En substance, il était agressif et inclina à la conquête. Bien sûr, toutes les guerres menées par les puissances musulmanes, y compris celles contre les non-croyants, n’ont été des guerres saintes. Beaucoup ont été simplement tribales, ethniques, nationales, voire des conflits dont les racines provenaient souvent de l'époque préislamique.

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En Europe occidentale, l'idée d'une guerre sainte se développa plus tard et pour des raisons différentes.
Tant de choses ont été écrites à ce sujet qu'il n'y a pas besoin d'entrer dans les détails3 D'abord, nous devons nous rappeler que ce que nous appelons une croisade, en particulier durant le premier siècle, fut un pèlerinage, et ceux qui y ont pris part étaient des pèlerins, c'était un saint voyage (iter, passagium), pas une guerre sainte. Elle était considérée essentiellement comme défensive, c'est-à- dire que des escortes armées étaient chargées de protéger les pèlerins en route pour les lieux saints de la chrétienté et devaient récupérer ou défendre les lieux saints en Palestine. Ce caractère défensif faisait la différence avec le Jihād, de même que le fait qu'il ne préconisait pas l'imposition par la force du christianisme aux autres. Dans les siècles suivants, il est vrai, et pour certains participants, il prit un caractère plus belliqueux. Il suffit de rappeler les croisades dite des Albigeois ou celle qui a saccagé Constantinople en 1204. Pourtant, l'idée d'utiliser la force pour convertir l'infidèle était, à quelques exceptions près, étrangère au christianisme, de l'Est et de l'Ouest. Mais les Croisades ont été proclamées par la plus haute autorité religieuse à l’Ouest, le pape, elles ont été dirigées dans un but religieux, la protection des chrétiens en Orient et la récupération et la défense des lieux saints, et ceux qui ont pris part ont eu la promesse de récompenses religieuses, en particulier la rémission des péchés.




Pour les Byzantins, il faut le dire dès le départ, les idées et les formes de la guerre sainte, Jihād ou  croisade, étaient odieuses4. Ils rejetaient absolument l’un comme l’autre. Premièrement, le Jihād. Ils ne le comprenaient pas. Ce qui motivait les armées de l'Islam, ainsi que les Byzantins l'ont vu, a été l'espoir du butin et un amour barbare des combats. Selon Léon VI, « Les Sarrasins ne partaient pas en campagne avec un sens du service et de la discipline militaires, mais plutôt par amour du gain et de la licence ou, plus exactement, dans le but de piller au nom de leur foi. » 5. Léon les rejette comme des « barbares et infidèles » uniquement préoccupés  de pillages6. L’immense majorité d'entre eux venaient de Syrie et de Palestine, « inconscients des dangers de la guerre, avec nulle autre intention que de piller » 7. Les auteurs byzantins, du septième au quatorzième siècle, répètent ces accusations, car ils professent leur répugnance absolue pour la doctrine du Jihād. Dans leurs polémiques contre l'islam ils critiquent avec véhémence le Jihād comme à peine plus qu’une licence pour le meurtre  injustifié et un prétexte pour piller8. Les Byzantins, en revanche, s’il leur arrivait  de se livrer au massacre et au pillage, ne les justifiaient jamais au nom de la religion.
En ce qui concerne les croisades, il suffit d'écouter Anna Comnène, qui abhorrait la fois le mouvement et beaucoup de ses participants9.  Cependant, certains Byzantins firent bon accueil aux Occidentaux au début. Ils étaient, après tout, d’autres chrétiens, bien que peut-être quelque peu approximatifs dans leurs enseignements et leurs pratiques. L'Empereur Alexis les a traités d’une manière civile presque cordiale, mais il a toujours été nerveux au sujet de ce qu'ils pourraient faire, et il leur a fourni une assistance militaire à travers l'Asie Mineure. Mais, en général, les Byzantins ne semblaient jamais à comprendre pourquoi tous ces chevaliers occidentaux et leurs partisans  marchaient à travers leurs terres. La restitution de Jérusalem à la domination chrétienne était peut-être un objectif louable, mais ça valait-il un tel effort, aussi immense, rempli de tant de périls et d’incertitudes et réalisé avec une telle brutalité ? Constantinople, après tout, était la Nouvelle Jérusalem, la vraie ville sainte. Les Byzantins, toujours pratiques, étaient bien plus intéressés par la possession d'Antioche en raison de sa position stratégique importante que de mettre la main sur Jérusalem avec toute sa valeur sentimentale. Le pèlerinage, ils comprenaient, et la guerre, ils comprenaient, mais la conjonction des deux, ils ne comprenaient pas. Ils ont été tout à fait consternés par la prédication de Saint Bernard et son appel à l'extermination de l'infidèle (delenda penitus), ainsi que son affirmation selon laquelle tuer un ennemi du Christ n'était pas un homicide, mais malecide10.



Et qu'auraient-ils pensé de la règle qu'il rédigea pour les Templiers, des moines qui portaient des armes meurtrières dans la bataille?11 Les Byzantins en vinrent bientôt à croire que les guerriers de l’ouest n’avaient rien de moins à l'esprit que la conquête de l'empire, et les événements de 1204 ont prouvé qu'ils avaient raison. Finalement, ils en sont venus à détester les Latins autant, voire plus, que les musulmans. Si jamais les Latins rapportaient leurs expéditions à la «guerre sainte », ce terme, c’est clair, n'aurait pas été apprécié par les Byzantins."(à suivre)
(Version française de Maxime le minime)
d'après Defenders of the Christian People: Holy War in Byzantium
By George T. Dennis 
un extrait de Les croisades du point de vue de Byzance et du monde musulman
édité par Angeliki E. Laiou et Mottahedeh Parviz Roy
publié par Dumbarton Oaks Research Library and Collection
Washington, D.C.
NB : une page de notes paraîtra ultérieurement de façon séparée.

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