Les lèvres mensongères font horreur à l'Éternel, tandis que ceux qui agissent avec fidélité lui sont agréables. Proverbes 12:22 «C'est ce qui sort de l'homme qui le rend impur. En effet, c'est de l’intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, l'immoralité sexuelle, les meurtres, les vols, la soif de posséder, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l'homme impur.» Marc 7:20-23 Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges. Proverbes 14:5 « Vous, vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il ne s'est pas tenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge. » Jean 8:44 Si les paroles distinguées ne conviennent pas à un fou, les paroles mensongères conviennent d’autant moins à un noble. Proverbes 17:7 « Écarte de ta bouche la fausseté, éloigne de tes lèvres les détours ! Proverbes 4:24 Craindre l'Éternel, c'est détester le mal. L'arrogance, l'orgueil, la voie du mal et la bouche perverse, voilà ce que je déteste. » Proverbes 8:13 « Pierre lui dit : «Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ? […] Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil? Ce n'est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.»Actes 5:3-4Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort.Apocalypse 21.8

mardi 20 décembre 2016

FRANCOPHILIE RUSSE ET RUSSOPHILIE FRANÇAISE



Discours de réception de l'écrivain Andreï Makine à l'Académie française

DISCOURS DE M. Andreï MAKINE
———
M. Andreï Makine, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de Mme Assia Djebar, y est venu prendre séance le jeudi 15 décembre 2016, et a prononcé le discours suivant :

Mesdames et Messieurs de l’Académie,
Il y a trois cents ans, oui, trois siècles à quelques mois près, au printemps de 1717, un autre Russe se rendit à l’Académie, une institution encore toute jeune, quatre-vingts ans à peine, et qui siégeait, à l’époque, au Louvre. La visite de ce voyageur russe, bien que parfaitement improvisée, était infiniment plus éclatante que mon humble présence parmi vous. Il s’agissait de Pierre le Grand ! Le tsar rencontra les membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, s’attarda – le temps de deux longues séances – à l’Académie royale des sciences, observa plusieurs nouveautés techniques et réussit même à aider les géographes français à corriger les cartes de la Russie. Il alla aussi à l’Académie française et là il ne trouva présents que deux académiciens. Non que les membres de votre illustre Compagnie fussent particulièrement dissipés mais le tsar, nous l’avons vu, improvisait ses visites sans s’enquérir des règlements ni de l’heure des séances. Néanmoins, les deux académiciens eurent l’élégance d’initier Pierre aux secrets de leurs multiples activités. L’un d’eux cita, bien à propos, Cicéron, son dialogue De finibus bonorum et malorum. Les langues anciennes n’étaient pas encore considérées en France comme un archaïsme élitiste et la citation latine sur les fins des biens et des maux, traduite en russe par un interprète, enchanta le tsar : « Un jour, Brutus, où j’avais écouté Antiochus comme j’en avais l’habitude avec Marcus Pison dans le gymnase dit de Ptolémée [...], nous décidâmes de nous promener l’après-midi à l’Académie, surtout parce que l’endroit est alors déserté par la foule. Est-ce la nature, dit Pison, ou une sorte d’illusion, [...] mais quand nous voyons des lieux où nous savons [...] que demeurèrent des hommes glorieux, nous sommes plus émus qu’en entendant le récit de leurs actions ou en lisant leurs ouvrages... »
 L’enthousiasme de Pierre le Grand fut si ardent que, visitant la Sorbonne, il s’inclina devant la statue de Richelieu, l’embrassa et prononça ces paroles mémorables que certains esprits sceptiques prétendent apocryphes : « Grand homme, je te donnerais la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l’autre. »
Le tsar embrassa aussi le petit Louis XV, âgé de sept ans. Le géant russe tomba amoureux de l’enfant-roi, sans doute percevant en ce garçonnet un contraste douloureux avec son propre fils, Alekseï, indigne des espoirs paternels. Mais peut-être fut-il touché, comme nous le sommes tous, quand nous entendons un tout jeune enfant parler librement une langue, pour nous étrangère, et dont nous commençons à aimer les vocables. Oui, cette langue française qui allait devenir, bientôt, pour les Russes, la seconde langue nationale.
Non, ce n’est pas cette passion linguistique qui traça l’itinéraire du tsar. Son programme, si je puis dire, était bien plus pratique : la manufacture des Gobelins qui allait inspirer la fabrication des tissus en Russie, la Manufacture royale des glaces qui, malgré l’opposition de l’Église orthodoxe, allait faire briller mille miroirs de Saint-Pétersbourg à Moscou et, enfin, Versailles et le défi que le tsar allait lancer en faisant bâtir son Versailles à lui, son Peterhof et ses fabuleuses fontaines...
Cependant, la discussion avec les deux académiciens ne fut pas vaine. Pour la première fois de sa vie, Pierre découvrait un pays qui avait dédié à sa langue une savante Académie, appelée à défendre l’idiome national. Dès le retour du tsar à Saint-Pétersbourg, l’idée de l’Académie russe prend forme et se réalise peu de temps après sa mort.
Mes paroles s’éloignent, pourrait-on penser, du but de ce discours qui doit rendre hommage à cet écrivain remarquable que reste pour nous Assia Djebar. En effet, quel lien pourrait unir le souverain d’une lointaine Moscovie, une romancière algérienne et votre serviteur que vous avez jugé digne de siéger à vos côtés ? Ce lien est pourtant manifeste car il exprime la raison d’être même de l’Académie : assurer à la langue et à la culture françaises le rayonnement le plus large possible et offrir à cette tâche le concours des intelligences œuvrant dans les domaines les plus variés.
Assia Djebar avait, en ce sens, un immense avantage sur un Russe, qu’il fût un monarque ou un jeune citoyen de l’Union soviétique. Elle n’avait pas eu à subir le refus de Louis XIV qui, en 1698, pour ne pas froisser son allié, le sultan de la Sublime Porte, évita de recevoir le tsar. Ce refus, nous confie Saint-Simon, « mortifia » le jeune monarque russe. Aucun Rideau de fer n’empêcha la brillante élève algérienne de traverser la Méditerranée, de venir étudier à Paris, au lycée Fénelon d’abord et, ensuite, à l’École normale supérieure. Aucune pression idéologique ne commanda, en France, les choix qu’elle devait faire pour persévérer dans ses études. Aucune censure ne lui opposa un quelconque index librorum prohibitorum. Et même quand la grande Histoire – la guerre d’Algérie – fit entendre son tragique fracas, Assia Djebar parvint à résister à la cruauté des événements avec toute la vigueur de son intelligence. Romancière à l’imaginaire fécond, cinéaste subtile, professeur reconnu sur les deux rives de l’Atlantique – la carrière de la future académicienne est une illustration vivante de ce que la sacro-sainte école de la République avait de plus généreux.
Un destin aussi exemplaire fait presque figure de conte de fées ou, plutôt d’une apothéose où le général de Gaulle apparaît, un jour, en deus ex machina, pour aider l’universitaire et la militante pro-F.L.N. Assia Djebar à réintégrer ses fonctions.
Cette vie, d’une richesse rare, est trop bien connue pour qu’on soit obligé de rappeler, en détail, ses étapes. Maintes thèses universitaires abordent l’œuvre d’Assia Djebar. Ses étudiants, en Algérie, en France, aux États-Unis, perpétuent sa mémoire. Des prix littéraires, très nombreux, ont consacré ses textes – depuis Les Enfants du Nouveau Monde jusqu’à La Femme sans sépulture – traduits en plusieurs langues.
Et pourtant, dans cette vie et cette œuvre subsiste une zone mystérieuse qui exerce un attrait puissant sur les étrangers francophones. Cette langue française, apprise, maniée avec une adresse indéniable, étudiée dans ses moindres finesses stylistiques, cette langue donc, que représente-t-elle pour ceux qui ne l’ont pas entendue dans leur berceau ? Une appropriation conquérante ? Une vertigineuse ouverture intellectuelle ? Un formidable outil d’écriture ? Ou bien, au contraire, une durable malédiction qui relègue notre langue d’origine au rang d’un patois familial, d’un sabir enfantin, d’une langue fantôme qui ne pourra plus que végéter au milieu des vestiges de nos jeunes années ? Apprendre cette langue étrangère, se fondre en elle, se donner à elle dans une fusion quasi amoureuse, concevoir grâce à elle des œuvres qui prétendent ne pas lui être infidèles et même, suprême audace, pouvoir l’enrichir, oui, ce choix d’une nouvelle identité linguistique serait-il une bénédiction, une nouvelle naissance ou bien un arrachement à la terre des ancêtres, la trahison de nos origines, la fuite d’un fils prodigue ?
Cette formulation qui peut vous paraître trop radicale reflète à peine la radicalité avec laquelle la question est soulevée dans les livres d’Assia Djebar. « Le français m’est une langue marâtre », disait-elle dans son roman L’Amour, la fantasia. Une langue marâtre ! Donc nous avions raison : adopter une langue étrangère, la pratiquer en écriture peut être vécu comme une rupture de pacte, la perte d’une mère, oui, la disparition de cette « langue mère idéalisée » dont parle la romancière.
« Sous le poids des tabous que je porte en moi comme héritage, disait-elle, je me retrouve désertée des chants de l’amour arabe. Est-ce d’avoir été expulsée de ce discours amoureux qui me fait trouver aride le français que j’emploie ? »
Le français, une langue marâtre, incapable d’exprimer la beauté des chants de l’amour arabe, une langue aride... Et, en même temps, une langue qui peut servir d’armure à la jeune Algérienne et qui libère son corps : « Mon corps s’est trouvé en mouvement dès la pratique de l’écriture étrangère. » Une langue d’émancipation donc, un parler libérateur ? Certes, mais le sentiment de privation, de déchéance même n’est jamais loin : 
« Le poète arabe, nous expliquait Assia Djebar, décrit le corps de son aimée ; le raffiné andalou multiplie traités et manuels pour détailler tant et tant de postures érotiques ; le mystique musulman [...] s’engorge d’épithètes somptueuses pour exprimer sa faim de Dieu et son attente de l’au-delà... La luxuriance de cette langue me paraît un foisonnement presque suspect... Richesse perdue au bord d’une récente déliquescence ! »
Tel est le dilemme qui se dresse devant la romancière algérienne comme devant tant d’autres écrivains francophones appartenant aux anciennes colonies françaises : une langue maternelle idéalisée, parée de tous les atours de finesse et de magnificence et la langue étrangère, le français, dont l’utilité d’armure intellectuelle et la force émancipatrice ne pourront jamais remplacer le paradis perdu où résonnaient les mélodies du verbe ancestral. Serait-ce un enfermement insoluble ?
La Grande Catherine de Russie sembla avoir bien tranché ce nœud gordien. « Voltaire m’a mise au monde », disait-elle, et cette affirmation ne concernait pas l’usage du français qu’elle pratiquait couramment grâce à mademoiselle Cardel et que toute l’Europe éclairée parlait à l’époque. Non, il s’agissait avant tout de l’ouverture au monde intellectuel de la France, à ses joutes philosophiques, à la diversité et à la richesse de ses belles-lettres. Le cas de la grande tsarine apparaît encore plus complexe que la situation d’une jeune Algérienne qui se culpabilisait de son geste de transfuge linguistique. Car Catherine, de langue maternelle allemande, et parfaitement francophone, a toujours été animée d’un désir impérieux de russité. Elle voulait comprendre le peuple de l’immense empire qu’elle eut à diriger toute jeune. Le russe, indispensable outil de gouvernance, est devenu pour Catherine une langue d’intimité, de communion avec l’insondable âme russe, avec la musique de ses paysages, de ses saisons, de ses légendes. Nature passionnée, Catherine se mit à étudier le russe en linguiste amateur, démontrant la témérité de son sens de l’étymologie. « Le Périgord, disait-elle, mais c’est un nom purement russe ! “ Peré ” signifie au-delà. Et “ gory ” – montagnes. Le Périgord c’est un pays au-delà des montagnes, donc ce sont les Russes qui avaient découvert cette région ! » Son entourage à la cour de Saint-Pétersbourg avait le tact de ne pas démentir ces fulgurances lexicologiques, préférant rire sous cape en disant que l’Impératrice réussissait à commettre, en russe, quatre fautes d’orthographe dans un mot de trois lettres. Et c’était, hélas, vrai !
Jusqu’à sa mort, Catherine garderait un accent. Allemand ? Français ? Allez savoir. Et ses fautes d’orthographe seraient corrigées par le seul homme qui aimait véritablement cette femme, le jeune prince Alexandre Lanskoï.
 Malgré toutes ses lacunes idiomatiques, la tsarine a laissé aux Russes un trésor inestimable : le privilège de parler français sans se sentir traître à la Patrie et la possibilité de communiquer en russe sans passer pour un patoisant borné, un inculte, un plouc. Bien sûr le dilemme que nous avons vu surgir si puissamment dans l’œuvre d’Assia Djebar – une langue d’origine, perdue, une langue étrangère, conquise – tourmentait aussi ces francophones russes qui, victimes d’une mauvaise conscience linguistique, se mettaient parfois à dénoncer les méfaits de la gallomanie et l’emprise du cogito français sur l’intellection russe. Le dramaturge Fonvizine consacra une comédie à cette influence française corruptrice des âmes candides. Son héros, un peu simplet, clame sans cesse : « Mon corps est né en Russie mais mon âme appartient à Paris ! » Fonvizine compléta cette satire en écrivant ses fameuses Lettres de France où, au lieu de moquer les Russes, lui qui a rencontré Voltaire trois fois, il s’en prend à certaines incohérences de la pensée française : « Que de fois, écrit-il, discutant avec des gens tout à fait remarquables, par exemple, de la liberté, je disais qu’à mon avis, ce droit fondamental de l’homme était en France un droit sacré. Ils me répondaient avec enthousiasme que “le Français est né libre”, que le respect de ce droit fait tout leur bonheur, qu’ils mourraient plutôt que d’en supporter la moindre atteinte. Je les écoutais, puis orientais la discussion sur toutes les entorses que j’avais constatées dans ce domaine et, peu à peu, je leur découvrais le fond de ma pensée – à savoir qu’il serait souhaitable que cette liberté ne fût pas chez eux un vain mot. Croyez-le ou non, mais les mêmes personnes qui s’étaient flattées d’être libres me répondaient aussitôt : “Oh, Monsieur, mais vous avez raison, le Français est écrasé, le Français est esclave !” Ils s’étouffaient d’indignation, et pour peu que l’on ne se tût pas, ils auraient continué des jours entiers à vitupérer le pouvoir et à dire pis que pendre de leur état. » Involontairement, peut-être, Fonvizine nous laisse deviner que tout en critiquant les cercles éclairés de Paris, il est devenu lui-même très français dans sa manière de mener subtilement une controverse intellectuelle.
Et c’est dans cet apprentissage de la francité que nous découvrons le secret de la solidité des liens entre nos deux civilisations. Non, les Russes n’ont jamais été aveugles : Fonvizine, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov ont tous exprimé, à un moment de leur vie, le rejet de ce qui pouvait se faire en France ou de ce qui pouvait s’écrire en France. Mais jamais ces grands écrivains n’ont eu l’idée de chercher la cause de ces fâcheuses réalités dans la francité même – et la faiblesse des ouvrages publiés à Paris, dans je ne sais quelle tare congénitale de la langue française. Fonvizine le formulait sur le ton d’un amant trahi : « Il faut rendre justice à ce pays : il est passé maître dans l’art du beau discours. Ici, on réfléchit peu, d’ailleurs on n’en a pas le temps, parce qu’on parle beaucoup et trop vite. Et comme ouvrir la bouche sans rien dire serait ridicule, les Français disent machinalement des mots, se souciant peu de savoir s’ils veulent dire quelque chose. De plus, chacun tient en réserve toute une série de phrases apprises par cœur – à vrai dire très générales et très creuses – et qui lui permettent de faire bonne figure en toute circonstance. » Reconnaissons-le, ce jugement reste actuel si l’on pense au langage politique et médiatique d’aujourd’hui.
Et pourtant le dramaturge russe ne parle que de la manière – abusive, redondante, hypocrite – d’user d’une langue, mais il n’attribue nullement ces défauts-là à la langue française même. Et Dostoïevski, ce grand pourfendeur de l’esprit bourgeois dans la France contemporaine, il salue le génie de Balzac, son art de peindre ces mêmes bourgeois dans La Comédie humaine. « Bonheur, extase ! J’ai traduit Eugénie Grandet ! » : on oublie souvent que la carrière du jeune romancier russe a débuté par ce cri de joie. Et Tolstoï qui n’hésitait pas à éreinter la production romanesque française, lui, il donnait au jeune Gorki ce conseil de vieux sage : « Lisez les Français ! »
Ces écrivains russes n’avaient jamais étudié Ferdinand de Saussure ni, encore moins, Roman Jakobson. Mais ils devinaient, d’instinct, ce distinguo linguistique désormais trivial : la langue et la parole, le dictionnaire et notre façon d’en faire notre usage personnel dans l’infini de ses possibilités. Oui, un dictionnaire, des règles, un corpus fermé, codifié, normatif et la fantaisie de chacun de nous, simples locuteurs ou bien écrivains.
 Alors, y aurait-il un sens à blâmer une langue étrangère dans laquelle on écrit, à mettre en doute sa richesse, sa grammaire, à se plaindre de son aridité, lui reprochant de ne pas répondre à toutes les circonvolutions de notre imaginaire d’origine ? Non, bien sûr que non. La langue parfaite n’existe pas. Seule la parole du poète atteint parfois les sommets de la compréhension visionnaire où les mots mêmes paraissent de trop. La parole du poète, dans toutes les langues, à toutes les époques. Mais très, très, très rarement.
Notre jeune romancière algérienne était-elle consciente de cette fondamentale neutralité des langues ? Sans aucun doute. Sinon, Assia Djebar n’aurait jamais évoqué, à propos du français, cette part d’ombre que l’histoire des hommes dépose au milieu des mots d’un dictionnaire : « Chaque langue, je le sais, entasse dans le noir ses cimetières, ses poubelles, ses caniveaux ; or devant celle de l’ancien conquérant, me voici à éclairer ses chrysanthèmes ! »
Encore une définition lourde à porter : « la langue de l’ancien conquérant ». 1830, la conquête de l’Algérie et la langue française qui serait donc à jamais associée à la violence, la domination, la colonisation.
Comme le ciel de l’entente franco-russe semblerait léger à côté de ces lourds nuages ! Serait-ce la raison pour laquelle le français, en Russie, n’a jamais été entaché par le sang de l’histoire ? Pourtant, le sang, hélas, a coulé entre nos deux pays et bien plus abondamment que dans les sables et les montagnes de l’Algérie. Soixante-quinze mille morts en une seule journée dans la bataille de la Moskova, en 1812, un carnage pas si éloigné, dans le temps, de la conquête algérienne. Oui, quarante-cinq mille morts russes, trente mille morts du côté français. Mais aussi la guerre de Crimée, dévastatrice et promotrice de nouvelles armes, et jadis comme naguère, l’Europe prête à s’allier avec un sultan ou – c’est un secret de Polichinelle – à armer un khalifat, au lieu de s’entendre avec la Russie. Et le débarquement d’un corps expéditionnaire français en 1918 au pire moment du désastre révolutionnaire russe. Et la Guerre froide où nos arsenaux nucléaires respectifs visaient Paris et Moscou. Et l’horrible tragédie ukrainienne aujourd’hui. Combien de cimetières, pour reprendre l’expression d’Assia Djebar, les Russes auraient pu associer à la langue française ! Or, il n’en est rien ! En parlant cette langue nous pensons à l’amitié de Flaubert et de Tourgueniev et non pas à Malakoff et Alma, à la visite de Balzac à Kiev et non pas à la guerre fratricide orchestrée, dans cette ville, par les stratèges criminels de l’OTAN et leurs inconscients supplétifs européens. Les quelques rares Russes présents à la réception de Marc Lambron lui ont été infiniment reconnaissants d’avoir évoqué un fait d’armes de plus ou plus ignoré dans cette nouvelle Europe amnésique. Marc Lambron a parlé de l’escadrille Normandie-Niémen, de ses magnifiques héros français tombés sous le ciel russe en se battant contre les nazis. Oui, ce sont ces cimetières-là, cette terre où dorment les pilotes légendaires, oui, cette mémoire-là que les Russes préfèrent associer à la francité.
Comme tous les livres engagés, les romans d’Assia Djebar éveillent une large gamme d’échos dans notre époque. Ces livres parlent des massacres des années cinquante et soixante, mais le lecteur ne peut s’empêcher de penser au drame qui s’est joué en Algérie, tout au long des années quatre-vingt-dix. Nous partageons la peine des Algériens d’il y a soixante ans mais notre mémoire refuse d’ignorer le destin cruel des harkis et le bannissement des pieds-noirs. Et même les mots les plus courants de la langue arabe, les mots innocents (le dictionnaire n’est jamais coupable, seul l’usage peut le devenir), oui, l’exclamation qu’on entend dans la bouche des personnages romanesques d’Assia Djebar, ce presque machinal Allahou akbar,prononcé par les fidèles avec espoir et ferveur, se trouve détourné, à présent, par une minorité agressive – j’insiste, une minorité ! – et sonne à nos oreilles avec un retentissement désormais profondément douloureux, évoquant des villes frappées par la terreur qui n’a épargné ni les petits écoliers toulousains ni le vieux prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray.
Il serait injuste de priver du droit de réponse celle qui ne peut plus nous rejoindre et nous parler. À la longue liste des villes et des victimes, la romancière algérienne aurait sans doute eu le courage d’opposer sa liste à elle en évoquant le demi-million d’enfants irakiens massacrés, la monstrueuse destruction de la Libye, la catastrophe syrienne, le pilonnage barbare du Yémen. Qui aurait, aujourd’hui, l’impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l’autel du nouvel ordre mondial globalitaire ?
Assia Djebar ne pouvait ne pas noter cette résonance soudaine que suscitaient ses œuvres. Ainsi, dans son discours de réception à l’Académie, se référait-elle à... Tertullien qui, d’après elle, n’avait rien à envier, en matière de misogynie, aux fanatiques d’aujourd’hui. Que peut-on répondre à cet argument ? Juste rappeler peut-être que nous vivons au vingt et unième siècle, dans un pays laïc, et que presque deux millénaires nous séparent de Tertullien et de sa bigote misogynie. Est-ce suffisant pour que certains pays réexaminent la place de la femme dans la cité et dans nos cités ? Et que les grandes puissances cessent de jouer avec le feu, en livrant des armes aux intégristes, en les poussant dans la stratégie du chaos, au Moyen-Orient ?
Je ne crois pas que la romancière algérienne ait pu être heureuse de cet imprévisible revif d’intérêt pour des polémiques que, bien sincèrement, elle devait croire dépassées. On la sentait habitée par un désir d’apaisement, de retour vers cette langue rêvée, une langue poétique, dont elle a toujours recherché la musicalité. Et c’est par antiphrase que l’un de ses derniers livres l’exprimait dans son titre : La Disparition de la langue française. Une langue apprise, passionnément explorée, comparée jalousement au palimpseste de sa langue maternelle, une langue que, dans une introspection très lyrique, elle essaye de définir : « Ma langue d’écriture s’ouvre au différent, s’allège des interdits paroxystiques, s’étire pour ne paraître qu’une simple natte au-dehors, parfilée de silence et de plénitude. » Ou encore : « Mon français, doublé par le velours, mais aussi les épines des langues autrefois occultées, cicatrisera peut-être mes blessures mémorielles. » « Mon écriture en français est ensemencée par les sons et les rythmes de l’origine. » « Mon Français devient l’énergie qui me reste pour boire l’espace bleu-gris, tout le ciel. »
Une telle auto-analyse, une longue mélopée mystique dont la compréhension finit par nous échapper comme dans un poème qui viserait un hermétisme mallarméen, cette métalangue pour définir sa propre langue d’écriture, a ses limites, Assia Djebar en était certainement consciente. Elle qui a bien lu Saussure, Jakobson, Barthes et Chomsky, elle savait que dans le travail d’un écrivain toutes ces belles et rotondes épithètes, toutes ces arabesques métaphoriques comptent peu. Et que se demander indéfiniment comment s’entrelacent les prétendus métissages linguistiques, velours, épines et autres nattes parfilées, est un exercice distrayant sans plus. Et que la vocation d’un artiste, quels que soient sa langue ou son mode d’expression, sera toujours cette tâche humble et surhumaine si bien définie par les scholastiques : « Adequatio mentis et rei ». Oui, par l’effort de tout son être, faire coïncider sa pensée avec les choses de ce monde. Dans le but prométhéen de dépasser ce monde visible, rempli de haine, de mensonges, de stupides polémiques, de risibles rivalités, de finitudes qui nous rendent petits, agressifs et peureux.  
Si l’on me demandait maintenant de définir la vision que les Russes ont de la francité et de la langue française, je ne pourrais que répéter cela : dans la littérature de ce pays, ils ont toujours admiré la fidélité des meilleurs écrivains français à ce but prométhéen. Ils vénéraient ces écrivains et ces penseurs qui, pour défendre leur vérité, affrontaient l’exil, le tribunal, l’ostracisme exercé par les bien-pensants, la censure officielle ou celle, plus sournoise, qui ne dit pas son nom et qui étouffe votre voix en silence.
Cette haute conception de la parole littéraire est toujours vivante sur la terre de France. Malgré l’abrutissement programmé des populations, malgré la pléthore des divertissements virtuels, malgré l’arrivée des gouvernants qui revendiquent, avec une arrogance éhontée, leur inculture. « Je ne lis pas de romans », se félicitait l’un d’eux, en oubliant que le bibliothécaire de Napoléon déposait chaque jour sur le bureau de l’Empereur une demi-douzaine de nouveautés littéraires que celui-ci trouvait le loisir de parcourir. Entre Trafalgar et Austerlitz, pour ainsi dire. Ces arrogants incultes oublient la force de la plume du général de Gaulle, son art qui aurait mérité un Nobel de littérature à la suite de Winston Churchill. Ils oublient, ces ignorants au pouvoir, qu’autrefois les présidents français non seulement lisaient les romans mais savaient en écrire. Ils oublient que l’un de ces présidents fut l’auteur d’une excellente Anthologie de la poésie française. Ils ne savent pas, car Edmonde Charles-Roux n’a pas eu l’occasion de leur raconter l’épisode, qu’en novembre 1995 le président François Mitterrand appelait la présidente du jury Goncourt et d’une voix affaiblie par la maladie lui confiait : « Edmonde, cette année, vous avez fait un très bon choix... » Par le pur hasard de publication, cette année-là le Goncourt couronnait un écrivain d’origine russe, mais ça aurait pu être un autre jeune romancier que le Président aurait lu et commenté en parlant avec son amie et la grande femme de lettres qu’était Edmonde Charles-Roux. Ceux qui aujourd’hui, au sommet, exaltent le dédain envers la littérature ne mesurent pas le courage qu’il faut avoir pour lancer un auteur inconnu, le défendre et ne pas même pouvoir vivre la joie de la victoire remportée – tel était le merveilleux dévouement de Simone Gallimard qui, quelques semaines avant sa disparition, avait publié Le Testament français au Mercure de France. Ces non-lecteurs ne comprendront jamais ce que cela signifie, pour un éditeur, de monter à bord d’une maison d’édition dans la tempête, de ressaisir la barre, de consolider la voilure, de galvaniser l’équipage et de sauver ce bon vieux navire comme l’a fait, du haut de sa passerelle, le capitaine du Seuil. Non, ceux qui ne lisent pas ne pourront jamais deviner à quoi s’expose, financièrement et médiatiquement, un éditeur en publiant un livre consacré à un soldat oublié, à un obscur lieutenant Schreiber, des souvenirs qu’il faudra imposer au milieu du déferlement des best-sellers anglo-saxons et de l’autofiction névrotique parisienne. L’homme qui a eu le panache d’accepter ce risque, chez Grasset, a balayé mes doutes avec le brio d’un Cyrano de Bergerac : « Avec ce texte, Monsieur, je ne suis pas dans la logique comptable ! » Oui, du pur Cyrano. Quelle folie mais quel geste ! Et quel dommage que les usages du discours académique m’interdisent, paraît-il, de divulguer le nom de ces deux hommes, de ces deux grands hommes !
La nouvelle caste d’ignorants ne pourra jamais concevoir ce qu’un livre français, oui, un petit livre de poche tout fatigué, pouvait représenter pour les Russes francophones qui vivaient derrière le Rideau de fer. Je me souviens qu’un jour à Moscou, dans les années soixante-dix, j’ai été intrigué par le roman d’un jeune écrivain français, par l’originalité de son titre : Les Enfants de Gogol. Les catalogues de la Bibliothèque des langues étrangères reléguaient cet auteur dans ce qu’on appelait le fonds spécial. Il fallait obtenir une autorisation assortie de trois tampons et consulter ce livre sous l’œil vigilant de la préposée. Les Enfants de Gogol, écrit par Dominique Fernandez. Un auteur donc à la réputation suffisamment sulfureuse pour effaroucher les pudibonds idéologues du régime.
On pouvait aussi tenter sa chance sur le marché noir et acquérir ce livre-là ou un autre au prix moyen de cinq à dix roubles, deux journées de travail pour un Russe ordinaire, l’équivalent d’une centaine d’euros. Mais voyez-vous, Mesdames et Messieurs, personne à cette époque ne parlait du prix excessif des livres. Un Moscovite aurait gagné la réputation du dernier des goujats s’il s’était plaint d’avoir trop dépensé pour un livre de poche français qui avait bravé le Rideau de fer.
On me fera observer que cette haute exigence littéraire n’est plus tenable dans notre bas monde contemporain où tout a un prix mais rien n’a plus de valeur. Parler de la mission prométhéenne de l’écrivain, de l’idéal du verbe poétique, des ultimes combats pour l’esprit sur un donjon assiégé par l’inculture, les diktats idéologiques, les médiocrités divertissantes, n’est-ce pas un acte devenu suicidaire ?
Eh bien, quittons cet Olympe de poètes et descendons sur terre, retrouvons-nous dans cette France d’antan, qui n’avait rien d’idyllique, en 1940, par exemple. Au milieu des combats, des blessés, des morts, dans le feu d’une atroce défaite, aux côtés des soldats qui se battent pour l’honneur de leur vieille patrie. Ce ne sont pas des intellectuels ni des poètes, et pourtant l’un d’eux, un presque anonyme lieutenant Ville décide de tracer quelques strophes sur la page de garde dans le Journal des marches du 4e régiment de cuirassiers. Il le fait pour son tout jeune frère d’armes, l’aspirant Schreiber, sachant que la mort peut les séparer d’une minute à l’autre. Un bref poème sans prétention, à la versification impromptue, le seul poème sans doute que le lieutenant ait rédigé durant sa vie :
Écrire une pensée à ce gosse-là, quoi dire ? 
Sinon qu’un soir, il arrivait au cantonnement
En rigolant comme un enfant !
Un matin de printemps, il pleut du fer mais
Il rigole bien comme un gamin !
Un jour, la frontière de France s’allume,
Il faut être partout où ça brûle et cogner, cogner,
En hurlant aux vieux guerriers : « Souriez, souriez ! »
Un crépuscule sombre et rouge. Derrière nous, la mer,
Sur nos têtes, devant nous, l’enfer.
Lui s’en amuse, sort des plaisanteries, comme un titi !
Revenus sur la belle terre de France, hélas, tout est perdu.
On baroude encore pour l’honneur.
Le gosse est toujours là, souriant et sans peur...
Non, le lieutenant Ville n’avait pas l’intention de rivaliser avec Victor Hugo. Ces strophes notées entre deux bombardements témoignaient d’une époque où les enfants apprenaient encore par cœur Corneille et Racine, Musset et Rostand. Cette musique intérieure créait dans leur âme ce qu’on pourrait appeler une « sensibilité littéraire », oui, la compréhension que, même dans les heures où l’homme est réduit à la simple chair à canons, la vie pouvait être rythmée autrement que par la haine sauvage et la peur bestiale des mortels.
Une sensibilité littéraire. Serait-elle la véritable clef qui permet de deviner le secret de la francité ?
J’ai cherché à l’exprimer en parlant, dans un livre, du lieutenant Schreiber et de ses frères d’armes. Ce jeune lieutenant français, âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, est aujourd’hui parmi nous. Tout au long de nos conversations, son seul désir était de rendre un peu plus pérenne la mémoire de ses camarades morts pour la France. Surtout le souvenir de Francis Gilot, un jeune tankiste de dix-huit ans – dix-huit ans ! – tué en août 44, dans la bataille de Toulon.
Le général de Gaulle en parlant de ces combattants oubliés disait avec tout son talent d’écrivain, avec toute sa sensibilité littéraire : « Maintenant que la bassesse déferle, ces soldats regardent la terre sans rougir et le ciel sans blêmir ! »
Merci.

dimanche 18 décembre 2016

Lettre du métropolite de Gortyne et Megalopolis Jérémie au sujet du Concile de Crète

extraits du site orthodoxie.com
lire l'INTÉGRALITÉ de ce TEXTE particulièrement important ICI


« Chers Frères prêtres et concélébrants,
Du 19 au 26 juin a eu lieu à Kolymbari, en Crète, le Saint et Grand Concile panorthodoxe, ainsi qu’il a été appelé. Je connais votre intérêt pour ce qui s’est passé lors de ce Concile, puisque vous me l’avez demandé au cours d’entretiens privés. Or, je vous avais dit que je vous répondrai à tous par une réponse générale. C’est ce que je fais maintenant, ce qui est mon devoir et mon obligation en tant que votre évêque.

1. En premier lieu, je dois dire ce que vous savez, c’est-à-dire que notre Église s’exprime conciliairement (synodika). Et vous-mêmes, avec votre troupeau, les chrétiens laïcs, vous constituez une Assemblée (synodos), et laquelle ! C’est la divine Liturgie qui est appelée « assemblée » (synodos) puisqu’elle est l’œuvre du peuple (leitos). Vous savez que sans l’élément laïc, vous ne pouvez célébrer la divine Liturgie. Cette Assemblée, la divine Liturgie est réellement « grande et sainte ». « Sainte », car en elle, par votre propre prière – celle du prêtre – qu’accompagnent les chrétiens fidèles pendant l’hymne « Nous Te chantons… », vient le Saint-Esprit, non seulement sur les Dons qui se trouvent sur le saint Autel, pour les transformer en le Corps et le Sang du Christ, mais aussi sur toute l’Assemblée des fidèles. C’est ainsi qu’il est dit dans la prière de la Consécration : « Envoie Ton Esprit Saint sur nous et sur les Dons ici offerts ». Et la divine Liturgie est une « Grande » Assemblée parce que malgré le fait que dans nos villages, il peut se produire que celle-ci ne soit constituée que de cinq femmes âgées, « des milliers d’archanges et des myriades d’anges… » sont présents à l’office, comme nous le disons dans la prière correspondante. Ainsi, l’Église convoque toujours des assemblées et elle a beaucoup tardé, ces dernières années, à se rassembler en Concile.[…]

2. Frères dans le sacerdoce, comme nous le savons par l’histoire des Conciles de notre Église, un Concile se rassemble pour condamner une hérésie et naturellement pour régler différentes questions d’ordre et de cheminement de notre Église. Mais, principalement, notre Église se préoccupe particulièrement de la foi de ses enfants, qu’elle formule clairement dans ses Conciles, dissociant celle-ci de l’erreur et de l’hérésie. On entend parler déjà depuis de nombreuses années de l’hérésie de l’œcuménisme, une construction religieuse qui veut l’unité de tous, en dépit des différences dogmatiques. Les racines de cette hérésie se trouve dans le syncrétisme de l’Ancien Testament, qui a été combattu passionnément par ses prophètes. Oui ! Les combats des prophètes de l’Ancien Testament sont des combats contre l’œcuménisme. Par cette hérésie, que ses connaisseurs appellent à juste titre « pan-hérésie », ont été influencés nombre de nos orthodoxes. Ils disent en effet qu’il existe des clercs de haut degré qui sont enthousiastes des mouvements oecuménistes et qui les soutiennent dans leurs paroles. […]


3. Mais, paradoxalement, il semble que le Concile de Crète n’a condamné aucune hérésie, ni qu’il ait parlé d’hérésies, qu’il qualifie « d’Églises ». Ici, mes très pieux prêtres, je m’arrêterai pour procéder à une clarification du terme « Église ». Il s’agit d’un mot qui signifie en général le rassemblement, la réunion, l’assemblée des personnes. Ce mot a été utilisé dans l’antiquité. C’est ainsi que les anciens parlaient de « l’ecclesia du peuple ». Dès le début, le christianisme pour manifester sa foi et exprimer ce qu’il faisait, a accepté sans crainte et librement des expressions séculières et politiques, tels que les mots « « royauté », « force » que nous entendons dans l’office divin (« Car à Toi appartient la force, à Toi conviennent la royauté, la puissance et la gloire… »). Pour ce qui concerne notre relation avec Dieu, nous l’exprimons par le mot « foi », et encore mieux par le mot « Église ». Non pas par le mot « religion ». Lorsque nous disons « foi », nous comprenons toute notre vie, toute notre relation avec Dieu. Nous comprenons toute notre famille sacrée que nous appelons « Église ». […]

4. Mais nous, les évêques [de l’Église de Grèce], lors de notre Assemblée de mai de cette année, n’avions pas formulé cette expression erronée. Pourquoi notre texte a-t-il donc été modifié ? Notre texte, suivant la décision de l’Assemblée de mai, disposait : « L’Église orthodoxe connaît l’existence d’autres Confessions et Communautés chrétiennes ne se trouvant pas en communion avec elle ». Cette proposition était on ne peut plus orthodoxe. Elle a été acceptée par toute notre hiérarchie et c’est cette proposition que devait soutenir notre délégation, sans modification, devant le Concile. Or, la proposition a été modifiée comme suit : « l’Église orthodoxe accepte l’appellation historique des autres Églises et Confessions chrétiennes hétérodoxes qui ne se trouvent pas en communion avec elle ». Cette phrase est erronée pour la raison que nous avons indiquée, à savoir que les hétérodoxes y sont appelés « Églises ». L’expression « Églises hétérodoxes » signifie « hérétiques ». Et puisque ces « églises » sont hérétiques, comment les appelons-nous « sœurs » ? […]

5. Dans le texte final de la délégation de notre hiérarchie, comme cela a été de nouveau relevé par S.E. le métropolite de Naupacte, il y a une autre faute sérieuse, dogmatique et ecclésiologique. Il est écrit dans le texte : « D’après la nature ontologique de l’Église, son unité ne saurait être perturbée. Cependant, l’Église orthodoxe accepte l’appellation historique des autres Églises et Confessions chrétiennes hétérodoxes qui ne se trouvent pas en communion avec elle ». Le métropolite de Naupacte considère à nouveau la première phrase du texte « impie et anti-orthodoxe ». Effectivement ! Cette phrase est telle parce qu’elle exprime le point de vue protestant sur l’Église invisible et visible. Lorsque Luther et, avec lui, Calvin et Zwingli, se sont détachés de Rome, ils ont développé la théorie sur l’Église invisible et visible, afin que l’on ne pense pas qu’ils étaient en dehors de l’Église. L’Église invisible, à laquelle ils pensaient appartenir, était selon eux unie, tandis que les Églises visibles sur terre (ils avaient d’abord appartenu à l’une d’entre elles – celle de Rome –) étaient divisées et s’efforçaient de trouver leur unité. Notre théologien Lossky, dénonçant cette ecclésiologie protestante, qui divise l’Église en visible et invisible, la met en parallèle avec l’hérésie de Nestorius, qui a divisé la nature divine et humaine dans la Personne du Christ. […]

 6. Je ne vous ai pas parlé, mes Pères, de tous les sujets du Concile de Crète, mais d’un seul seulement, le plus sérieux peut-être, parce qu’il est ecclésiologique. Au sujet de ce texte du Concile qui concerne le thème que j’ai exposé, intitulé « Relations de l’Église orthodoxe envers le reste [et non « l’ensemble » selon la traduction française officielle, ndt] du monde chrétien, l’érudit métropolite de Naupacte dit précisément dans son exposé à l’Assemblée de la hiérarchie de l’Église de Grèce au mois de novembre de cette année : « Ce que je puis dire est que ce texte n’est non seulement pas théologique, mais aussi qu’il n’est pas clair, n’a pas de perspectives et de bases claires, qu’il est diplomatique. Comme cela a été écrit, il se distingue par une ambiguïté diplomatique créatrice. Et comme texte diplomatique, il ne satisfait ni les Orthodoxes, ni les hétérodoxes (…) Le texte soulève de nombreux problèmes, malgré certaines bonnes formulations générales. […]

7. Nombreux sont ceux qui demandent : Reconnaîtrons-nous ce Concile ? Cela sera décidé par tous les les hiérarques de notre Église de Grèce. Notre archevêque Jérôme, accorde toujours la liberté de parole pour chaque point de vue qui s’exprime et il accepte toutes les positions. Nous l’en remercions. Mais nous savons, par l’histoire des Conciles, que beaucoup de sessions avaient lieu lors des Conciles œcuméniques lesquelles duraient des années. L’Église de Roumanie a décidé que les textes du Concile de Kolymbari en Crète peuvent être modifiés sur certains points, être développés par un futur saint et grand Concile de notre Église, être parachevés, et permettre ainsi un accord panorthodoxe. Parce que maintenant, au Concile de Crète, quatre Patriarcats n’ont pas participé, à savoir Antioche, Russie, Bulgarie et Géorgie. Ceci se produisait dans l’histoire des Conciles, nous le répétons. Il y avait beaucoup de sessions qui duraient des années. Et ces sessions étaient par la suite considérées comme un seul Concile.
8. Peut-être, Pères, ce que je vous ai dit peut paraître pour vous des points de détails, cela peut vous sembler quelque peu étrange, et vous pouvez peut-être m’accuser d’attribuer de l’importance aux mots et aux expressions. Cependant, mes Pères, notre foi orthodoxe s’exprime avec la précision des mots, qui sont chargés d’un profond sens théologique. Et comme nous le savons, notre Église a livré de grandes luttes pour la formulation correcte des dogmes de notre foi. Nous avons besoin de beaucoup de prière et de réflexion. Non d’actes précipités. J’attendrai, chers concélébrants et frères, vos questions, objections et désaccords sur ce qui a été dit, et nous parlerons à nouveau du Concile de Kolymbari en Crète. Priez pour moi.

Avec mes meilleurs souhaits et l’amour en Christ,
+ Le métropolite de Gortyne et de Megalopolis Jérémie »

Père Alexandre Men de bienheureuse mémoire (vidéo)




"В християнството има освещаване на света, победа над злото, над тъмнината, над греха. Но това е победа на Бога. Тя започна в нощта на Възкресението и ще продължава, докато съществува светът".

« L’essence du christianisme, c’est l’humanité unie à Dieu. C’est l’union de l’esprit humain, borné et limité dans le temps, à l’Esprit divin infini. C’est la sanctification du monde, la victoire sur le mal, les ténèbres et le péché. C’est la victoire de Dieu. Elle a commencé la nuit de la résurrection et continuera tant que le monde existera. »

samedi 17 décembre 2016

Liberté de conscience, liberté de pensée, liberté d'expression…par P. Jean Boboc


La Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée en 1948 par les Nations unies,  définit la liberté de conscience et de religion dans son article 18 :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

Liberté d’expression

Le délit d’entrave à l’IVG 


Petit être humain en devenir…


Le gouvernement français a fait voter, le 1erdécembre, une loi interdisant la libre expression dans le domaine d’opinions relevant de l’éthique. Le débat a été faussé, et on a discuté de l’avortement, alors que la question était celle de la liberté d’expression. Quelle que soit la qualité des sites incriminés, quelle que soit la réalité de la désinformation dont on les accuse, il est hallucinant qu’on puisse légalement interdire, dans un pays comme le nôtre, une publication sous ce prétexte. Bien des sources de désinformation pourraient tomber sous le coup d’une telle loi… Du point de vue de la société civile, cela signale une crise de la démocratie. Du point de vue chrétien, cela ne change rien. En effet, les chrétiens ne sont tenus de respecter que les lois civiles qui sont cohérentes avec la loi de Dieu. Notre obéissance est toujours conditionnelle, par motif de conscience, dit saint Paul (1 Co 10), c’est tout. Et il existe une liberté de désobéir dont les saints martyrs donnent l’exemple.

L’interdit de tuer

Donc, rien n’est changé. Les chrétiens continueront, comme ils l’ont fait depuis 2000 ans, en conformité avec la tradition biblique, à dire haut et fort que l’avortement est un mal, un péché, qu’il contredit un des préceptes fondamentaux de la loi divine : « Tu ne tueras pas ! » Nous continuerons à dire – dût-on taxer notre discours de « culpabilisant » – qu’il s’agit d’un infanticide, d’un meurtre légal, parce que c’est la vérité – qu’il s’agisse d’avortement thérapeutique ou d’avortement de confort.

Une société rétrograde

C’est le moment de (re) lire à ce sujet « L’embryon au IIème siècle », de Philippe Caspar (L’Harmattan, Paris, 2002). On y découvre que la société dans laquelle nous vivons actuellement est tout simplement réactionnaire et rétrograde : elle défend un néo paganisme auquel les Juifs et les chrétiens furent confrontés dans la société païenne. Sous couleur de modernité, on défend du pré chrétien, le rêve de vivre en faisant ce que l’on veut de soi et des autres, comme si l’Évangile n’avait pas été annoncé.

Défense de l’enfant

Ce livre montre que les Juifs et leurs héritiers les chrétiens ont défendu l’enfant menacé de mort et d’exploitation ; ils ont défendu la famille et sa stabilité ; ils ont donné l’exemple du sacrifice de soi des parents aux enfants par amour pour eux. Ils ont montré que l’embryon est un être humain à part entière. Et, dans la société païenne, les chrétiens assumaient leur liberté de pensée et d’expression dans toutes ses conséquences.

Prendre la liberté

Comment un chrétien réagit-il quand la liberté d’expression est supprimée ou, comme c’est le cas, limitée ? C’est très simple : en exerçant la liberté d’expression – en prenant la liberté de s’exprimer !  – Mais telle forme d’expression est interdite, maintenant ! – Pas de problème : nous continuerons à nous exprimer librement en assumant toutes les conséquences de la liberté qui nous appartient, comme nos frères des pays de l’Est, il n’y a pas si longtemps. L’Église ne se confond pas avec l’État ; elle ne se confond pas avec la société civile ; elle ne se confond pas avec le monde.

Une position courageuse

La bonne nouvelle est que rien ni aucune loi de ce monde ne nous privera de la liberté de conscience, de pensée, d’expression et de publication. Il faut ici rendre hommage aux évêques catholiques-romains qui ont courageusement, et de façon tout-à-fait normale de la part de chrétiens, pris position à l’annonce du projet de loi.

(A.p. Marc-Antoine Costa de Beauregard)

vendredi 16 décembre 2016

Coupo Santo

Coupo SantoCoupe Sainte
1er couplet
Prouvençau, veici la coupo
Que nous vèn di Catalan.
Aderèng beguen en troupo
Lou vin pur de nostre plant.
Refrain
Coupo Santo, E Versanto
Vuejo à plen bord,
Vuejo abord lis estrambord
E l’enavans di fort !
2e couplet
D’un vièi pople fièr et libre
Sian bessai la finicioun ;
E, se toumbon li Felibre,
Toumbara nosto Nacioun.
3e couplet
D’uno raço que regreio
Sian bessai li proumié gréu ;
Sian bessai de la Patrio
Li cepoun emai li priéu.
4e couplet
Vuejo-nous lis esperanço
E li raive dou jouvent,
Dou passat la remembranço
E la fe dins l’an que vèn.
5e couplet
Vuejo-nous la couneissènço
Dou Verai emai dou Bèu,
E lis àuti jouissènço
Que se trufon dou toumbèu.
6e couplet
Vuejo-nous la Pouesio
Pèr canta tout ço que viéu,
Car es elo l’ambrousio
Que tremudo l’ome en Diéu.
7e couplet (maestoso)
Pèr la glori dou terraire
Vautre enfin que sias counsènt,
Catalan, de liuen, o fraire,
Coumunien toutis ensèn !
1er couplet
Provençaux, voici la coupe
Qui nous vient des Catalans.
Tour à tour buvons ensemble
Le vin pur de notre cru.
Refrain
Coupe sainte,et débordante
verse à pleins bords,
Verse à flots les enthousiasmes
Et l’énergie des forts !
2e couplet
D’un ancien peuple fier et libre
Nous sommes peut-être la fin ;
Et, si les félibres tombent,
Tombera notre nation.
3e couplet
D’une race qui regerme
Peut-etre sommes-nous les premiers jets ;
De la patrie, peut-etre, nous sommes
Les piliers et les chefs.
4e couplet
Verse nous les espérances
Et les reves de la jeunesse,
Le souvenir du passe
Et la foi dans l’an qui vient.
5e couplet
Verse-nous la connaissance
Du Vrai comme du Beau,
Et les hautes jouissances
Qui se rient de la tombe.
6e couplet
Verse-nous la Poesie
Pour chanter tout ce qui vit,
Car c’est elle l’ambroisie
Qui transforme l’homme en Dieu.
7e couplet (debout)
Pour la gloire du pays
Vous enfin qui etes consentants nos allies,
Catalan, de loin, o frères,
Tous ensemble communions !

jeudi 15 décembre 2016

LE VRAI RÔLE DES MÉDIAS DE MASSE

sur

http://antipresse.tumblr.com/manifeste

par Slobodan Despot
LE VRAI RÔLE DES MÉDIAS DE MASSE

«Dans l’Occident moderne, l’altruisme émotif n’est pas une vertu, ni même une option: c’est un devoir. C’est un camouflage obligé pour sortir de chez soi, tout comme l’est la burqa pour les femmes en Arabie Saoudite.»

La rumeur parcourt l’«antisphère» depuis l’élection de Trump: les médias officiels sont morts! Ils ont tout misé sur Hillary ils ont donc tous perdu et plus personne le leur accorde le moindre crédit. Circulez, y a plus rien à en tirer!

C’est évidemment une vue de l’esprit. Les médias ne sont pas là pour dire le vrai, ils sont là pour organiser notre vie. Ils sont, dans un sens général (englobant donc aussi les «antimédias»), le filtre par où nous recevons les 95% de notre connaissance du monde qui nous entoure. Le paysan du XIXe siècle pouvait encore se prévaloir d’un rapport presque direct à la réalité, construit par une expérience immédiate patiemment accumulée tout au long de sa vie et validé par une tradition immémoriale. Le paysan d’aujourd’hui n’a, de ce lointain ancêtre, que le nom. Pour acquérir un bien agricole en UE, il doit franchir une vingtaine d’étapes administratives qui supposent davantage de familiarité avec la bureaucratie qu’avec les bêtes. Son contact avec la terre est lui-même médiatisé par les roues de son tracteur. De l’observation du ciel et des vents, il ne tire plus rien, ayant des applications météo gratuites dans son smartphone. Un smartphone sur lequel il tue le temps comme n’importe qui en labourant à la vitesse du pas les sillons interminables de ses champs de taille démesurée qu’impose l’agriculture industrielle.

Supposez que les services de météorologie lui donnent de fausses informations, que la bureaucratie change soudain ses critères en fonction de la théorie du réchauffement climatique, qu’une vague de suspicion frappe la céréale qu’il produit en monoculture ou que son fournisseur lui vende des semences stériles qu’il devra racheter contre bon argent l’année suivante s’il veut semer à nouveau. Il est mort! Il est totalement dépendant, totalement démuni, lui dont l’aïeul, tout en n’ayant pas le sou, était seul maître dans son enclos après Dieu. Une inflexion du cours des denrées, une entourloupe de Monsanto peuvent entraîner des vagues de suicides parmi les paysans désespérés, comme cela se voit aujourd’hui en Inde et ailleurs.

J’ai pris l’exemple du paysan comme un archétype de l’humain «archaïque» et antimédiatique — tout en sachant que c’était un faux exemple. Le paysan moderne est un technicien connecté, comme tout le monde dans notre société. Même des monastères régis par des règles de silence et d’isolation sévères dépendent la vente de leurs produits sur l’internet. Ils dépendent de leur médiatisation! Et il n’est pas un secteur d’activité dont la prospérité, et la survie même, ne dépendent de la pensée industrielle: de sa capacité de rationalisation, d’optimisation, de simplification. De la loi aveugle du nombre!
L’altruisme obligé, ou la burqa de l’homme blanc

C’est dans ce contexte de mécanisation et de déshumanisation systémiques qu’est née la civilisation la plus sentimentale de tous les temps. L’humain de l’ère industrielle — cœur dur et tripe molle selon Bernanos — vit avec une larme perpétuelle au coin de l’œil. Mais c’est le contexte médiatique qui va décider à quel moment, et à quel propos, sa larme va grossir en goutte et rouler sur sa joue. Téléthon: on récolte des millions pour le malheur médiatisé, mais on n’aura pas la moindre mansuétude pour le nécessiteux qu’on croise sur son palier. Migration: on met en scène la générosité de l’accueil, mais on n’a aucune pitié pour les parias qui se retrouvent à la rue pour n’avoir plus pu assumer les charges d’une société où une part croissante des taxes part justement… dans la générosité obligatoire!

La critique est facile, sur un plan général. On peut aisément en faire un système de pensée. C’est le système de pensée qui fonde le discours de ces mouvements dits «populistes» voire d’«extrême droite» qui constituent essentiellement le lobby des gens sans lobbies. Lesquels mouvements risquent bien, une fois arrivés, de remplacer une inhumanité par une autre. Entretemps, comme les révolutionnaires de jadis dans la civilisation bourgeoise, ils renvoient à cette société l’image la plus cruelle et la plus juste. Et, tout au fond de cette critique, se niche le plus petit dénominateur commun qui, par-delà les intérêts politiques et économiques, rassemble prolos et bourgeois, fils d’immigrés et vieux aristos sous les mêmes bannières: la volonté d’être non pas fascistes ni blancs ni Français ni Allemands; la volonté de rester ce qu’ils sont. De rejeter le camouflage imposé. Autrement dit, de rejeter la médiatisation qui les force dans un moule d’idées et de comportements qui les dénature.

Dans l’Occident moderne, en effet, l’altruisme émotif n’est pas une vertu, ni même une option: c’est une obligation. C’est un camouflage imposé pour sortir de chez soi, tout comme la burqa pour les femmes en Arabie Saoudite ou dans les quartiers sous charia d’Angleterre. Et, de même que leur voile intégral recouvre parfois des jeans serrés, voire des dessous de dentelle provocants, de même notre altruisme de façade recouvre une sécheresse de cœur encore jamais vue dans cette espèce dont nous sommes issus et qui s’appelait l’humanité.
A l’abri du sens

En un mot, nous nous sommes accommodés à vivre dans une hypocrisie permanente et absolue du fond de laquelle nous dénonçons l’hypocrisie des autres milieux ou des autres époques. Le «fond» de notre pensée, nous l’exprimons à mi-voix et uniquement à des proches et plus personne n’est assez fou pour clamer tout haut les évidences les plus cuisantes. De temps à autre, des «fuites» impliquant des ministres bien-pensants ou des vedettes de show-biz (se souvient-on de John Galliano?) nous rappellent à quel point le langage public de leur caste doit être corseté pour qu’ils finissent, quand ils se croient «en cercle privé», par s’épancher en des grossièretés explosives. Un seul mot malheureux peut mettre fin à une carrière par ailleurs exemplaire. Le discours des responsables politiques ou économiques est soigneusement lissé par les spin doctors afin de ne jamais laisser dépasser le moindre coin de bois rugueux sous la nappe satinée des euphémismes et des platitudes. Il importe de ne rien dire qui fasse sens! Lorsque vous franchissez cette limite, lorsque vous exprimez du sens, vous tombez dans la marmite du «populisme», d’où que vous soyez parti (voir à ce sujet le scandale soulevé par le banquier socialiste Thilo Sarrazin, en Allemagne).

Il importe de bien comprendre que cette terreur du «politiquement correct» n’est pas spécifiquement… politique. Comme le rappelle Angelo Codevilla), la correction politique passe avant l’exactitude factuelle parce que le Parti ou l’avant-garde éclairée (autrement dit le détenteur du monopole du langage public) incarne une réalité supérieure à la réalité elle-même. Une réalité «2.0», dirait-on aujourd’hui. Or depuis que nous sommes sortis du millénarisme marxiste et de ses illusions, plus aucun parti politique ne peut prétendre à une telle ambition: réécrire la réalité elle-même. La seule instance dotée des pouvoirs et des instruments d’un tel projet est le complexe académico-médiatique que les autorités publiques et l’économie entretiennent, mais qu’elles craignent plus que tout. L’université demeure aujourd’hui le dernier bastion des utopies collectivistes du XIXe siècle et en même temps le creuset des recherches de pointe en biotechnologie, cybernétique ou intelligence artificielle qui prétendent redéfinir concrètement l’être humain et son environnement. Sans l’assistance des médias (dont elle forme l’ensemble des cadres), l’université ne pourrait jamais justifier les crédits colossaux alloués à des recherches sans aucun intérêt ni écho pour les populations qui les financent, et encore moins s’assurer couverture et soutien pour des projets d’ingénierie humaine susceptibles d’accorder un droit de vie et de mort sur le «matériau humain» à une étroite et obscure avant-garde de technocrates. Il est aisé de voir que la théorie du genre elle-même ainsi que ses ramifications constitue une stratégie d’intimidation et de prise de pouvoir sociétale des milieux académiques, doublée d’un formidable désinhibiteur pour l’expérimentation la plus sacrilège: celle portant sur le sexe et la reproduction de notre espèce.
L’altruisme des sangsues

Au refaçonnage en laboratoire de la réalité biophysique correspond le remplacement de la réalité éprouvée par une réalité de synthèse au travers des médias. En ce sens, le processus est agnostiqueet apolitique. N’importe ce que vous pensez, pourvu que vous pensiez artificiel: c’est pourquoi, par exemple, le grotesque nazisme ukrainien ne dérange absolument pas les médias de grand chemin! N’importe ce que vous croyez voir, pourvu que vous le voyiez à travers nos lucarnes. Tout ce que nous sentons, tout ce que nous pensons est passé au crible des médias et des valeurs qu’ils colportent. Les contradictions ne leur font pas peur, au contraire. Elles contribuent à désorienter le cobaye — et donc à le rendre encore plus dépendant. Les médias ne servent pas à informer la meute, ils servent à la dresser.

D’où cette insistance sur le culte de l’Autre en tant que négation du Même (de soi), couplée à la dérive émotionnelle qui court-circuite les garde-fous rationnels. Tandis qu’on nous intime d’être altruistes dans le contexte général, il nous est permis et recommandé d’être cupides comme des sangsues dans notre vie privée («Vos intérêts», «Faire fructifier votre argent», «profiter de vos avantages», etc.). En couplant la générosité abstraite à la mesquinerie concrète, on façonne des masses d’humains écervelés, abreuvés de slogans de fraternité et de partage, mais mus par un égocentrisme strict excluant tout esprit de sacrifice et toute confiance en l’autre, conditions premières d’une identité collective.

C’est pourquoi les mouvements identitaires (= défense du Même) sont proscrits, c’est pourquoi le réalisme politique, social ou éducatif est a priori décrié, c’est pourquoi les individus au langage franc et à l’engagement sacrificiel sont inévitablement poussés vers l’«extrême droite». N’échappent à la mise au ban que les grégaires et les veules qui acceptent de brouter l’herbe entre leurs quatre pattes sans s’intéresser au destin du troupeau.

Et c’est aussi pourquoi la faillite totale du système médiatique sur la victoire de Trump n’était pas une simple erreur d’appréciation. C’était littéralement une «erreur système»: la faillite momentanée d’une matrice informatique mise en place non pour rendre compte de la réalité, mais pour la remplacer.


Slobodan Despot (Antipresse n° 54)


Illustration vidéo de l'article de S. Despot 



Les médias occidentaux se basent-ils toujours sur des sources crédibles dans leur reportages sur la Syrie ? La réponse de cette journaliste canadienne a laissé sans voix son interlocuteur.

mercredi 14 décembre 2016

Église orthodoxe et Patrie




« […] Universelle par nature, l’Église est en même temps un organisme, un corps (1, Cor 12, 12). Elle est la communauté des enfants de Dieu, «race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple acquis…autrefois pas un peuple, maintenant Peuple de Dieu» (1 P 2, 9-10). L’unité de ce peuple est assurée non par une communauté nationale, culturelle ou linguistique, mais par la foi en Christ et par le baptême. Le nouveau peuple de Dieu «n’a pas ici-bas de cité permanente mais cherche la cité future» (Heb 13, 14). La patrie spirituelle de tous les chrétiens n’est pas la Jérusalem terrestre mais celle «d’en haut» (Gal 4, 26). L’Évangile du Christ n’est pas enseigné dans une seule langue, accessible à un seul peuple, mais dans toutes les langues (Actes 2, 3-11). L’Évangile n’est pas annoncé pour que le seul peuple élu garde la pureté de la foi, mais pour «que tout au nom de Jésus s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et aux enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ qu’il est Seigneur à la gloire de Dieu le père» (Phil 2, 10-11). 
2.2) Le caractère universel de l’Église ne signifie pas néanmoins que le chrétien n’ait pas droit à une originalité nationale, à une expression nationale. L’Église unit au contraire en elle les postulats d’universalité et de nationalité. Ainsi, l’Église orthodoxe, tout en étant universelle, est composée d’une multitude d’Églises autocéphales locales. Les chrétiens orthodoxes, en se reconnaissant citoyens de la patrie céleste, ne doivent pas oublier leur patrie terrestre. 
Le divin fondateur de l’Église, le Seigneur Jésus-Christ Lui-même n’avait pas de refuge sur la terre (Mt 8, 20) et son enseignement n’avait pas de caractère local ou national: «il viendra un temps où ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père» (Jean 4, 20). Mais Il s’est identifié par ailleurs au peuple auquel il appartenait par sa naissance terrestre. S’entretenant avec la Samaritaine, il a souligné son appartenance à la nation d’Israël: «vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous nous adorons ce que nous connaissons car le salut vient des Juifs» (Jean 4, 22). Jésus était un ressortissant loyal de l’Empire romain et payait l’impôt à César (Mt 22, 16-21). L’apôtre Paul, tout en démontrant dans ses épîtres le caractère supranational de l’Eglise du Christ n’oubliait pas qu’il était «Juif, fils de Juifs» (Phil 3, 5) et citoyen romain (Actes 22, 25-29).
Les différences culturelles entre chaque peuple trouvent leur expression dans la liturgie et dans les autres formes d’art religieux, en particulier dans les particularités de l’organisation de la vie chrétienne. C’est ainsi que se forment les cultures chrétiennes nationales.


Bien des saints que vénère l’Église orthodoxe se sont illustrés par leur amour et leur fidélité à leur patrie terrestre. Les sources hagiographiques russes louent le saint et pieux prince Michel de Tver qui «a donné sa vie pour sa patrie», comparant son exploit au martyr du mégalomartyr Dimitri de Thessalonique, «bon défenseur de la patrie… disant de sa patrie Thessalonique: Seigneur, si tu fais périr cette ville, je périrai avec elle, si Tu la sauves, je serai sauvé avec elle».

Saint Prince Michaël de Tver

De tout temps, l’Église a appelé ses enfants à aimer leur patrie terrestre et à ne pas épargner leur vie pour la défendre lorsqu’un danger la menace. L’Église russe a souvent donné sa bénédiction à la participation du peuple à une guerre de libération. Ainsi en 1380, saint Serge de Radonej, higoumène et thaumaturge bénit-il les armées russes commandées par le saint et pieux prince Dimitri Donskoï, s’apprêtant à combattre les forces tataro-mongoles. En 1612, saint Hermogène, Patriarche de Moscou et de toute la Russie bénit de même la levée en masse contre l’intervention polonaise. En 1813, pendant la guerre contre l’envahisseur français, le saint Patriarche Philarète disait à ses fidèles: «en refusant de mourir pour l’honneur de la foi et pour la liberté de la Patrie, tu mourras criminel ou esclave; meurs pour la foi et la Patrie, tu recevras la vie et une couronne de gloire dans les cieux».
Saint Jean de Kronstadt, parlant de l’amour de la patrie terrestre, écrivait: «Aime ta patrie terrestre, c’est elle qui t’a élevé, soigné, honoré, nourri; mais aime plus encore la patrie céleste… elle est incomparablement plus chère que l’autre, parce qu’elle est sainte et juste, incorruptible. Cette patrie là t’a été méritée par le sang inestimable du Fils de Dieu. Mais pour en être membre, respecte et aime [ses] lois, de même que tu es tenu de respecter les lois de ta patrie terrestre».
2.3) Le patriotisme chrétien se manifeste à la fois envers la nation comme communauté ethnique et envers la nation comme communauté des citoyens d’un même Etat. Le chrétien orthodoxe est appelé à aimer et sa patrie, dans ses dimensions territoriales, et ses frères de sang vivant dans le monde entier. Cet amour est l’un des moyens d’accomplir le commandement de Dieu sur l’amour du prochain, qui inclut nécessairement l’amour de la famille, des compatriotes et des concitoyens. 
Le patriotisme du chrétien orthodoxe doit être actif. Il le manifeste en défendant la patrie contre les ennemis, en travaillant pour le bien commun, en ayant souci d’organiser la vie du peuple, y compris en participant aux affaires de direction politique. Le chrétien doit préserver et développer la culture nationale, l’identité populaire. 
Lorsque la nation, dans son acception citoyenne ou dans son acception ethnique, est soit entièrement, soit majoritairement de confession orthodoxe, elle peut alors, dans un certain sens, être perçue comme une communauté de foi, le peuple orthodoxe. 
2.4) Les sentiments nationaux peuvent cependant devenir prétexte à des manifestations coupables, comme le nationalisme agressif, la xénophobie, l’exclusivité nationale, l’animosité inter-ethnique. Dans leurs expressions extrêmes, ces manifestations mènent trop souvent à la limitation des droits des personnes et des peuples, aux guerres et autres actes de violence.
L’éthique orthodoxe rejette toute division des peuples en meilleurs et mauvais, l’humiliation de toute nation ethnique ou citoyenne. Les théories élevant la nation à la place de Dieu ou réduisant la foi à un aspect de la conscience nationale sont d’autant plus contraires à l’Orthodoxie. 
Tout en s’opposant à ces manifestations coupables, l’Église orthodoxe remplit une mission réconciliatrice entre les nations entraînées dans des hostilités et leurs représentants. Ainsi en cas de conflits inter-ethniques s’abstient-elle de prendre parti, sauf en cas d’agression évidente ou d’injustice manifeste. […] »



Jeanne d'Arc à Chinon


Jeanne à Orléans