« Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! »
Un article de l'historien Jean Besse paru dans le dernier et très riche Messager orthodoxe aux Éditeurs réunis, concernant le cléricalisme fait trop écho à différents messages – concernant le danger du pharisaïsme et les "liaisons dangereuses" entre l'Église-institution et l’État – que j'ai postés ces temps-ci sur mon blog pour que je ne sois pas tenté de le retranscrire et vous inviter à acheter le n° de la revue si vous n'y êtes déjà abonné. Le voici :
Jean Besse |
"Cette exclamation vindicative de Gambetta, dans le dernier tiers du XIXe siècle, a laissé de profondes traces dans l'esprit et le comportement français. Peu fondée à l'époque οù elle a été prononcée, car confondant volontairement une apparente hostilité à l'influence du clergé catholique avec une réelle animosité antireligieuse, elle semble retrouver un nouveau sens dans la Russie d'aujourd'hui. L'article retentissant de Pierre Avril, correspondant à Moscou du quotidien Le Figaro, dans l'édition du jeudi 1er mars 2012 de ce dernier, en pleine page, sous le titre « L'Église orthodoxe affiche son soutien à Poutine», mérite quelques remarques. La partie la plus notable du texte, à la fois en sous-titre et dans la seconde colonne de la page 2, souligne la «désaffection de la pratique religieuse» révélant la « partie entamée de la légitimité de l'Église» par sa collusion avec le pouvoir post-soviétique. Le «renouveau » symbolisé par les coupoles redorées des sanctuaires serait donc moins éclatant et surtout moins durable qu'on ne le croyait. Si « le patriarche Cyrille tente de compenser» ce recul « par une proximité accrue avec le pouvoir, pas toujours bien comprise par les fidèles » (ibidem), ne faut-il pas en chercher les origines dans l'histoire moscovite des trois derniers siècles, à travers l'action politisante et peut-être purement politique des patriarches Philarète (Romanov), Nikon et Serge ?
Kiev, jusqu'à l'invasion mongole, avait vécu de la « symphonie byzantine ». Elle était encore proche de son modèle et bénéficiait de son influence. Moscou, après la libération du XVe siècle, pouvait moins s'abreuver à la même source. Son éloignement géographique aux confins de l'Europe, la russité jalouse et méfiante qui en provint et finit par dévier en « vieille foi », l'asiatisme de sa cour, si proche de la Perse et des khanats tatars par tant de traits, développèrent une idéologie religieuse et égocentrique largement étrangère à l'universalisme romain qu'avait maintenu Byzance. Si le clergé remplace l'Église comme norme suprême, ainsi que dans, l'ex-Église hors frontières, la déviance tourne en esprit de chapelle et l'apostolat en chasse gardée.
Dès lors, il n'est nul besoin de recourir aux cycles hégéliens pour deviner qu'après la tentative d'étouffement de la société civile par le clergé, un retournement violent se produira un jour contre l'Église tout entière, confondue avec ses évêques. Après Nikon, on eut Pierre le Grand et son Saint-Synode acéphale. Après-demain, quel Gambetta russe rassemblera les foules contre un patriarcat tenté par un « Guide Suprême » de la patrie sur le modèle iranien?
L'Occident, en raison de l'idée papale, pourrait servir d'exemple à éviter. Boniface VIII, qui s'éteignit peu après le rude «attentat d'Anagni» (1303), avait porté à son zénith la théocratie pontificale. La bulle Unam Sanctam avait prétendu l'année précédente que « l'autorité temporelle doit être soumise au pouvoir spirituel ». Quelques années plus tôt, en 1296, il s'était fait le thuriféraire d'un cléricalisme exacerbé ; dans la bulle au titre provocateur Clericis Laïcos, véritable anticipation de l'actuel священноначалие russe (« principe sacerdotal »), il s'était exclamé : « Que les laïcs soient hostiles aux clercs, l'Antiquité nous l'apprend et l'expérience du temps présent l'atteste à l'évidence l » Il en mourut, mais l'Église continua sa route..." Jean Besse (in Le Messager orthodoxe n° 152. I-2012. Éditeurs réunis 91 rue Olivier de Serres75015 Paris)
Kiev, jusqu'à l'invasion mongole, avait vécu de la « symphonie byzantine ». Elle était encore proche de son modèle et bénéficiait de son influence. Moscou, après la libération du XVe siècle, pouvait moins s'abreuver à la même source. Son éloignement géographique aux confins de l'Europe, la russité jalouse et méfiante qui en provint et finit par dévier en « vieille foi », l'asiatisme de sa cour, si proche de la Perse et des khanats tatars par tant de traits, développèrent une idéologie religieuse et égocentrique largement étrangère à l'universalisme romain qu'avait maintenu Byzance. Si le clergé remplace l'Église comme norme suprême, ainsi que dans, l'ex-Église hors frontières, la déviance tourne en esprit de chapelle et l'apostolat en chasse gardée.
Dès lors, il n'est nul besoin de recourir aux cycles hégéliens pour deviner qu'après la tentative d'étouffement de la société civile par le clergé, un retournement violent se produira un jour contre l'Église tout entière, confondue avec ses évêques. Après Nikon, on eut Pierre le Grand et son Saint-Synode acéphale. Après-demain, quel Gambetta russe rassemblera les foules contre un patriarcat tenté par un « Guide Suprême » de la patrie sur le modèle iranien?
L'Occident, en raison de l'idée papale, pourrait servir d'exemple à éviter. Boniface VIII, qui s'éteignit peu après le rude «attentat d'Anagni» (1303), avait porté à son zénith la théocratie pontificale. La bulle Unam Sanctam avait prétendu l'année précédente que « l'autorité temporelle doit être soumise au pouvoir spirituel ». Quelques années plus tôt, en 1296, il s'était fait le thuriféraire d'un cléricalisme exacerbé ; dans la bulle au titre provocateur Clericis Laïcos, véritable anticipation de l'actuel священноначалие russe (« principe sacerdotal »), il s'était exclamé : « Que les laïcs soient hostiles aux clercs, l'Antiquité nous l'apprend et l'expérience du temps présent l'atteste à l'évidence l » Il en mourut, mais l'Église continua sa route..." Jean Besse (in Le Messager orthodoxe n° 152. I-2012. Éditeurs réunis 91 rue Olivier de Serres75015 Paris)
Le professeur Jean Besse a fait paraître en 2011 un livre sur la sainte higoumène Catherine de Lesna
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