Et vous qui dites-vous que je suis ? par Av. Aleksandr Winogradsky
extrait de son blog : http://abbaa.blog.lemonde.fr/
par av Aleksandr, prêtre orthodoxe (Israël)
03.11.09
En Israël, les communautés sont très variées, colorées, un peu “hawaiienne” des Etats-Unis ou bien “coloured/kleurkinge (métissées)” du côté du Sud-Est/Ouest africain. La société arabe est extrêmement bigarrée. On le sait peu. La Vieille Ville chrétienne est peuplée par toutes sortes de nations qui se sont fixées pour diverses raisons entre le Lieu de la Résurrection et le mont du Temple.
Le 25 octobre: l’Autriche fêtait localement le Nationaltag, jour de l’indépendance-neutralité d’une fédération rescapée de l’empire austro-hongrois (1955). A Jérusalem, il faut découvrir cette chapelle typiquement tyrolienne recouverte d’ex-votos en l’honneur des Habsbourg et collatéraux.
Le 24/10, on fêtait la fête nationale arménienne en commémorant Saint Mesrob et autres saints Traducteurs des Ecritures en cette langue si vitale pour l’Eglise, l’héritage universel. Le 28/10, les Héllènes fêtaient le Jour du “OXI/Non” déclaré en 1940 contre le fascisme et le nazisme. Il complète le 25/3, autre jour de l’indépendance grecque. Le Patriarche Théophilos III a célébré au Saint Sépulcre/Anastasis un office d’action de grâces. Le clergé et le consul sont grecs et les fidèles sont venus par avion, soutenir la Grèce de Jérusalem. Une présence réduite, mais qui appartient à cette terre. Deux prêtres arabes et votre chroniqueur à l’identité polychromatique apportaient une touche symphonique en cet instant irénique.
Une réception suivit au patriarcat : des élèves de nos écoles, des petits Arabes, ont chanté des refrains de nos campagnes du Péloponnèse tandis que le corps professoral grec et surtout arabe venait congratuler le patriarche, le consul… Voici 10 ans, des “allogènes” (Russes, Roumains, Géorgiens,…) se seraient joints à la fête. Aujourd’hui, chacun chez soi dans ses égos identitaires. Soudain, notre Archevêque Attallah de Sebastié (Théodosios en grec), Palestinien fortement identitaire, déclara, dans son arabe remarquable (il sait combiner langue chrétienne et musulmane), combien la lutte pour la liberté grecque devait s’exprimer dans le patriarcat grec-orthodoxe, en particulier en Al Quds/La Sainte (= Jérusalem). Peu de gens comprirent, il y eut un silence… On ne se choisit pas dans l’Eglise. Nous sommes tous frères. Au point qu’on ne remarque même plus l’absence des représentants de l’Etat hébreu comme de l’Autorité palestinienne. C’est pourtant un jour très fort dans l’histoire grecque… et sans nul doute, pour le devenir européen.
Ici, l’identité est flottante. Pour des Français, cela rappelle le film “Jamais le Samedi”: des héritiers juifs arrivent en Israël du monde entier pour une histoire d’héritage. Actuellement, nous traversons une période de criminalité plus sensible. Doucement les basses! On reste cool par chez nous : les judéo-Yankees donnent dans le western et oublient les règles élémentaires des 10 Commandements. Les vrais-faux-falsifiés-refaits judéo-Soviético-caucasiens oublient le respect de tout habitant et l’honneur du à la famille, fondamentaux dans ce pays. Ces valeurs sont souvent rappelées par le Président Shimon Peres, lui-même de la première génération issue de cette frontière slavo-soviétique.
Est-ce pourtant la question?
Le judaïsme a une question récurrente: “Mi El kamokha/מי אל כמוך - Qui est un Dieu comme Toi?”. Jésus interroge ses disciples: “Aux dires des gens qui suis-je?” - “Pour les uns Elie, pour d’autres Jérémie ou l’un des prophètes”. Jésus poursuit: “Et pour vous qui suis-je?” Simon-Caïphe-[Pierre] se prononce: “Tu es le messie, le fils du Dieu vivant”. “Heureux es-tu Simon, fils de Ionas, car cette révélation t’est venue non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est aux cieux”. (Matthieu 16,15-19).
On peut être d’accord ou pas : nul ne choisit son identité de base ; on la reçoit, on y adhère. La foi n’est pas la religion. Ici, elle fonde l’identité. Mais cela consiste à se reconnaître dans une histoire: “Simon, bar Ionas” = le premier prêtre qui célébra dans le Temple de Jérusalem (Siracide 50,1). Pierre porte le même nom, dans une situation de renouvellement et continuité de la foi. Nous faisons tous partie d’une histoire qui nous enracine dans une terre, des cultures, des langues, des attitudes morales.
En revanche, il est bien plus difficile de percevoir l’unité viscérale de l’être humain comme Image et Ressemblance du Créateur. Une unité qui permet de faire des choix ouverts à partir de valeurs qui n’excluent personne.
Tel est le sens hébraïque du Nom divin: “אהיה שר אהיה - Je suis Celui qui Suis = Je suis en train de devenir Celui que Je deviendrai (perpétuellement)” (Exode 3,14). Cela irrite, agace prodigieusement: être en mouvement? Alors que la retraite est reculée, que le voisin est un “affreux”, que le pouvoir d’achat s’effondre…!!! Eh bien, non. Nous sommes faits pour hériter notre identité. Tout notaire le dirait : tant que la personne n’est pas morte, tout est possible.
L’identité n’est pas faite pour mourir, mais pour vivre.
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