La guerre sainte du point de vue byzantin [4]

La véritable guerre sainte, invisible = le combat spirituel
ο πνευματικός πόλεμος 



"L'attitude byzantine envers la guerre peut être mieux comprise dans le contexte de la manière dans laquelle ils voyaient le monde et la vie en général. Ce monde et la vie qu'elle portait étaient fragiles et éphémères. La seule réalité permanente se trouvait dans un autre monde, le Royaume des cieux. L'empire sur la terre était un simple reflet de celui des cieux, et l'empereur était appelé à imiter le Seigneur du Ciel. En dessous de Dieu, il se devait d'assurer le bien-être de ses sujets et de les protéger contre tous les dangers, à l'intérieur et l'extérieur. L'Église avait un rôle différent. Jésus avait dit à ses disciples qu'il pourrait faire appel à des légions d’anges pour se sauver de la mort17 mais Il ne le fit pas, et son Église ne doit pas plus le faire.


 Contrairement à sa sœur latine, l'Église byzantine laissait l'appel aux armes et la l’engagement de la guerre, même contre les hérétiques les plus pernicieux et destructeurs et les infidèles au gouvernement impérial. Mais elle prenait la tête d’un autre genre de lutte, celui pour les âmes des fidèles, une lutte non contre les ennemis de l'homme, mais contre les puissances cosmiques et les forces supra humaines du mal18. Pour les chrétiens byzantins il s'agissait d'une forme de guerre qui pourrait être appelé sainte, même si je n'ai pas trouvé l'utilisation explicite de ce terme. Le concept du chrétien impliqué dans un combat contre les forces du mal remonte, bien sûr, à Saint Paul, si ce n'est avant19.


Bien que chaque chrétien  se dût de résister aux assauts du diable, les moines étaient les troupes de première ligne dans la guerre contre les légions de Satan. Nuit et jour, selon Grégoire de Nazianzos, le moine doit lutter dans le combat spirituel (pneumatikos polemos) 20.


St Jean Chrysostome dit à son auditoire que la guerre contre les démons est difficile et sans fin21.
Le combat spirituel est un thème récurrent dans les vies de saints22. Des démons sous des formes variées, des hyènes aux dragons, y attaquent sauvagement les saints parmi lesquels on compte Théodore d'Edesse, Gregoire de Dekapolis, Joseph le psalmiste, Jean Psychaites, Isidore, l’abbesse Sarah, et de nombreux autres23. Histoire après histoire on raconte  leurs luttes incessantes contre les forces du péché et des ténèbres.
Les démons, pour leur part, prennent la guerre au sérieux. Ils apparaissent en ordre de bataille, en phalanges de cavalerie et d'infanterie qui font volte-face en formation. Les récits les montrent portant des cuirasses de fer et munis d’arcs, de flèches et d'autres missiles24. Ils commencent leur progression contre Saint Ioannikios en bon ordre, faisant un vacarme épouvantable ; ils sont organisés en ordre de bataille, poussent  leur cri de guerre, et tirent un flux régulier de flèches sur lui. Tout cela le Saint le repousse par le signe de la croix. Sous le commandement de leur stratège, Satan, les démons se sont déployés eux-mêmes avec  leurs phalanges en une véritable ligne de bataille (parataxe), tout comme font  les forces armées de l'empereur25. Comme le prescrivent les manuels militaires, ils feignent la retraite, crient des insultes de loin, se regroupent, et reviennent à l’attaque. Le saint les repousse avec une croix en bois faite sur place, mais l'effort le laisse épuisé. Un moine du Skite entend une sonnerie de trompette de guerre signalant que les démons se préparent à l'attaquer et le forcer à quitter sa prière26.


Pour faire face à de tels adversaires, le moine doit se faire soldat. Syméon rappelle à ses moines qu'ils ont été appelés à combattre contre des ennemis invisibles. Ils ont répondu à l’appel et pris leur place dans les rangs des soldats du Christ27. Les moines n'ont pas attendu d'être attaqués ; ils ne sont pas contentés de garder le fort, mais ils ont porté la guerre dans le territoire du diable et l’ont combattu sur son propre terrain, dans le désert et dans d'autres endroits sauvages, abandonnés. Beaucoup se sont installés dans le désert où vivaient les démons28. Daniel le Stylite apprend que les démons se cachent dans une vieille église. Il s’y rend immédiatement pour se battre avec eux « comme un  brave soldat s’arme pour la bataille contre une armée de barbares » tenant l'invincible arme de la croix29." (à suivre)


(Version française de Maxime le minime)
d'après Defenders of the Christian People: Holy War in Byzantium
By George T. Dennis 
un extrait de Les croisades du point de vue de Byzance et du monde musulman
édité par Angeliki E. Laiou et Mottahedeh Parviz Roy
publié par Dumbarton Oaks Research Library and Collection
Washington, D.C.



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