"Vous serez comme des dieux" (Genèse 3,5) : le projet transhumaniste, sa critique, et l'alternative orthodoxe : La déification (« théosis ») comme accomplissement de l’homme

           
   


 





 




 

“Le projet transhumaniste est vieux comme le monde humain : depuis toujours les hommes ont rêvé de géants, de sorciers, de héros invincibles ou immortels. Ce qui est nouveau c’est que l’accélération récente des capacités techniques apporte de l’eau au moulin transhumaniste dans la plupart des domaines, faisant crédibles des délires jusqu’ici à peine pensables. Et ce mouvement profite de deux phénomènes inédits : d’une part la mort de Dieu qui crée un vide à occuper par d’autres puissances issues de l’homme, d’autre part les catastrophes environnementales qui obligent à réagir au nom de la survie. Les réponses transhumanistes à ces défis dessinent, de façon encore très imprécise, un monde où l’homme (certains ? la plupart ? tous ?) bénéficierait de nouveaux pouvoirs grâce à des technologies en progrès exponentiel et illimité. L’humanité accéderait alors à la stature des héros rêvés depuis toujours, ce qui lui permettrait d’ échapper au sort funeste que ses propres actions ont préparé. Le transhumanisme se veut donc aussi une réponse à la crise écologique, mais c’est par la négation, voire l’exacerbation, des phénomènes qui ont créé la crise. Logiquement, il rencontre la sympathie de tous les acteurs irresponsables qui nient ces événements (négationnistes) ou qui en profitent (investisseurs en quête éperdue de croissance infinie). C’est dire que ce qui pourrait passer pour délire infantile venu du pays de Disney est à prendre au sérieux.” 

 Jacques Testart
« Transhumanisme : pour quoi faire ? », article paru dans la revue Silence n°418, décembre 2013.

et une vision orthodoxe

La divinisation comme projet et modèle chrétien du perfectionnement et de l’augmentation de l’homme
Ayant été invité à présenter le point de vue orthodoxe (qui s’est jusqu’à présent très peu exprimé dans ce débat, non seulement en France mais à l’étranger), j’ai pour ma part, dans l’introduction de mon exposé qui n’a pas été reproduite dans la version éditée, tout d’abord montré les limites internes du courant transhumaniste.

J’ai fait remarquer en premier lieu que celui-ci a deux fondements:
— Bien que l’on parle à son sujet de transhumanisme ou de posthumanisme, il s’enracine globalement dans l’humanisme né à la Renaissance et développé au XVIIIe siècle par les « Lumières », c’est-à-dire dans une conception qui considère l’homme comme existant d’une manière absolue, indépendamment de Dieu, pour lequel il ne peut y avoir aucun apport surnaturel, mais seulement un apport culturel, c’est-à-dire venant des productions sociales.
— Il est pour l’essentiel lié au progrès technologique, avec l’idée que c’est au moyen des nouvelles technologies surtout (en particulier robotiques, informatiques et génétiques) que l’homme pourra être amélioré, augmenté, transformé et dépassé ; dans ce sens il a une base matérialiste . Dans la mesure où les technologies se fondent sur les sciences, et où le transhumanisme pense que des solutions à presque tous – sinon à tous – les problèmes de l’homme pourront être apportées par les progrès technologiques fondés sur le progrès scientifique, il s’enracine aussi dans le scientisme, un courant philosophique né à la fin du XIXe siècle, selon lequel tout problème de l’existence humaine est susceptible de trouver, actuellement ou dans le futur, une solution dans la connaissance scientifique.
Bien que le mouvement transhumaniste et en particulier les théories de l’enhancement se veuillent ultra-modernes (et même futuristes) on voit donc que leurs fondements reposent sur l’humanisme de la Renaissance, le rationalisme des Lumières, le scientisme du XIXe siècle et le technologisme né à la même époque.
J’ai noté ensuite que, par rapport à ses fondements mêmes, le transhumanisme et ses corrélats présentent cependant un certain nombre de faiblesses :
1) L’humanisme en tant qu’idéal moral est mis a mal par le transhumanisme dans la mesure où en augmentant la part de technicité dans le fonctionnement physique et psychique de l’être humain, il réduit du même coup la part d’humanité, et pourrait, au terme de sa logique, déboucher sur « un monde sans humain » pour reprendre le titre d’une enquête récente de la chaine de télévision Arte.
2) La rationalité scientifique sur laquelle repose le technologisme du transhumanisme est mise à mal par la forte part d’illusion que comporte un monde transhumain, actuellement et sans doute à jamais bien plus imaginaire que réel. À cet égard, le transhumanisme, pour une grande part, relève plus de la science-fiction que de la science. Dans l’imaginaire qu’il développe se projette un certain nombre de fantasmes humains, comme un désir de perfection (physique, psychique et intellectuelle), de toute-puissance et d’immortalité acquises par des moyens humains.
3) Le transhumanisme se montre aveugle quant aux limites de la technologie face au vieillissement du corps humain dans sa totalité et quant à la mort qui constitue l’horizon inévitable de la vie humaine (on voit bien aujourd’hui comment l’augmentation de la durée moyenne de vie, dont la médecine se targue, est corrélée par toutes sortes de maladies dégénératives qui affectent le grand âge et ne trouvent leur solution que dans la mort).
4) Au lieu d’augmenter l’homme, comme il le prétend, le transhumanisme le diminue parce qu’il se centre essentiellement sur les performances ou les qualités du corps, et l’ampute donc pour une grande part de sa dimension psychique et pour la totalité de sa dimension spirituelle.
5) Dans la mesure où il vise à améliorer les performances psychiques et intellectuelles de l’homme, il les traite sur un plan essentiellement quantitatif, n’ayant de par sa nature technologique que peu de prise sur le qualitatif. La prétendue capacité de choix réalisée par des moyens informatiques, relève essentiellement de la classification et des probabilités, qui restent du domaine de la quantification. Les fonctions intellectuelles qu’il est susceptible de toucher restent de l’ordre du calcul et sont améliorées du point de vue de la rapidité, de la quantité d’information traitée, et du respect de règles logiques posées au départ. Elles manquent d’intelligence et de compréhension au sens d’appréhension du sens et de référence à des valeurs.
6) Lorsqu’il vise la qualité, comme c’est le cas de la génétique, le transhumanisme tombe dans des pratiques eugénistes contestables, et fait dépendre les choix de critères individuels (comme le désir ou la fantaisie des parents) ou sociaux (par exemple le besoin d’une société donnée d’avoir plus de filles ou plus de garçons, où, comme on l’a vu à l’époque du nazisme, le désir d’obtenir une race pure) qui sont non seulement discutables mais extérieurs à la personne concernée.
7) La plus grande faiblesse du transhumanisme et de l’enhancement est d’envisager une amélioration et une augmentation de l’être humain sans être capable de poser et de résoudre le problème de leur sens lorsqu’elles dépassent les limites d’une réparation ou d’un rétablissement d’ordre thérapeutique, ni le problème de leur valeur, ni même souvent, le simple problème de leur utilité.
J’ai souligné enfin que le transhumanisme (en dehors de ce cas de visée thérapeutique, très particulier et non caractéristique) pose un problème par rapport à la foi chrétienne : ce mouvement, qui prend souvent la forme d’une idéologie, se positionne en effet sinon contre la religion, du moins comme un substitut (ou ersatz) de celle-ci.
C’est ce que fait apparaître le corps de mon exposé (édité dans ce volume) dont le but est de présenter le perfectionnement de l’homme et son dépassement tels que les conçoit le christianisme et plus spécialement tel que les ont théorisés, au cours du premier millénaire surtout, les Pères grecs dans leur élaboration de l’anthropologie chrétienne, et particulièrement dans leur doctrine de la déification de l’homme (theôsis).

Commentaires

Unknown a dit…
J'encourage aussi d'écouter les conférences et cours de bioéthique du Père Jean Boboc (Prétre de l'église Orthodoxe Roumaine) spécialiste dans ce domaine.

Ces videos sont facilement retrouvable sur youtube.
Maxime le minime a dit…
Judicieux rappel. Merci, je ne manquerai pas de poster bientôt quels vidéos de¨Père Jean
Maxime le minime a dit…
Père Jean rappelle également que Testard a beau jeu de dénoncer la dérive de la dérive mais qu'il est lui-même à l'origine de la première dérive