La création déifiée dans l'Incarnation : la montagne sainte
La session du Christ dans son Corps à la droite du Père a donc déifié virtuellement toute la création. Or ce mystère doit être considéré comme le but et l'aboutissement de l’lncarnation. Il est donc normal de retrouver cet aspect de déification du monde dans l'icône de la Nativité. Or cette déification n’est pas révélée dans le corps de l’enfant nouveau-né, comme dans l’icône de la Transfiguration où la lumière jaillit du corps du Christ, mais dans la montagne qui entoure les ténèbres de la grotte. [Le bœuf et l’âne, représentés dans la grotte selon une tradition apocryphe, peuvent aussi révéler l'inclusion du règne animal dans ce processus de déification du monde. Les animaux se sont révélés capables de sentir la sainteté d’un homme et d’abandonner face à un saint leur aspect sauvage et dangereux pour entretenir des rapports d’amitié, comme en témoignent le lion de saint Gérasime du Jourdain ou l’ours de saint Séraphin de Sarov. Eux aussi sont concernés par le devenir spirituel de la création.]
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L'harmonie de la montagne autour de la Mère de Dieu |
La manière de représenter les montagnes dans l'iconographie est très particulière. Tout en n’étant pas réaliste par les proportions ou par la forme, elle suggère pourtant pleinement l’aspect à la fois brut et dynamique de la roche telle qu’on la trouve dans le désert ou en haute montagne. C’est là que la création se révèle dans son aspect le plus sauvage: terrifiante, écrasante et bouleversante de beauté. [Cette manière de représenter les montagnes et le désert en iconographie est, de toute évidence, liée à l'expérience du désert beaucoup plus qu’à celle de la haute montagne.] Ce qui frappe avant tout, tant dans l'icône de la Nativité que dans celle de la Transfiguration, c’est l'impression de poussée vers le haut suggérée par cette figuration de la montagne. [L’idée de poussée vers le haut est tout-à-fait réaliste sur le plan géologique.] La montagne est liée à l'élévation spirituelle, non dans le sens où le ciel spirituel se trouverait à une certaine altitude par rapport au sol, mais dans un rapport mystérieux avec la révélation de Dieu, dans cette sorte de géographie sacrée établie par le Seigneur.
La roche du Sinaï et du Mont Thabor ont participé à la révélation de la gloire de Dieu, et la figuration qu’en fait l'iconographie suggère pleinement leur embrasement au contact de la lumière divine. Cette manière d’éclaircir les parties saillantes du rocher, sans ombre portée, suggère l’idée d’une exposition à un rayonnement très puissant mais diffus, rayonnement qui imprègne tellement la matière qu’il semblerait se continuer de manière rémanente. Moïse dut ainsi se couvrir la face en redescendant du Sinaï, tant elle était encore imprégnée de la lumière de Dieu, de même la montagne resplendit de cette même lumière dans l’icône. Une autre roche, celle du Tombeau du Christ, a été le lieu d’un état limite de la création qui ne se reproduira plus avant le Dernier Jour: la Résurrection du corps du Christ. Celle-ci a embrasé la matière pour en marquer le saint Suaire selon un mode qui ne peut être ni connu ni, a fortiori, représenté, et c’est cette même lumière de la Résurrection qui rayonne de la montagne entourant la grotte. La tension vers le haut de la montagne en iconographie exprime le mystère de toute la création. Lorsque saint Paul parle dans son épître aux Romains de l'aspiration de la création tout entière à la révélation des fils de Dieu, de ses gémissements dans son travail d’enfantement, il ne fait pas de la poésie. Il décrit une réalité profonde vécue par de nombreux saints, dont saint Nectaire d’Égine : le chant de la création, sa manière de louer Dieu, mais aussi la soif de plénitude qu’elle éprouve dans l’attente de Dieu. L’amour divin est au coeur de la création comme une fournaise qui la pousse vers Dieu. C’est cette attente mais aussi la réponse à cette attente dans la déification du monde, qu’exprime notre icône.
extrait d'une étude de l'Archimandrite Gabriel
Higoumène du Saint monastère St Nicolas de la Dalmerie
parue dans la revue Paix n°80
et publiée avec permission de son auteur
(à suivre )
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