SUR LA PATIENCE (1) par St Jean Chrysostome

La dette d'amour

1. Puisque, par la grâce de Dieu, nous sommes rendus les uns aux autres, acquittons la dette que nous impose à votre égard la charité, si cette dette peut être jamais acquittée; car cette dette est la seule qui ne soit jamais éteinte: plus on travaille à l'acquitter, plus elle s'accroît. Tandis que nous félicitons ceux qui ne doivent rien en fait d'argent, nous exaltons ceux qui, en matière de charité, doivent beaucoup. De là ces paroles de Paul, le docteur de l'univers, dans une de ses épitres : « Ne soyez redevables de rien à personne, si ce n'est de l'amour les uns pour les autres;» (Rom. XIII, 8) 1l veut que nous nous acquittions toujours de cette dette, et en même temps qu'elle dure toujours et qu'elle ne s'éteigne jamais, tant que la vie présente ne sera pas écoulée. De même que les dettes pécuniaires sont une charge et un ennui, de même l'on est coupable de n'être pas toujours redevable de la dette de la charité. Pour vous convaincre de cette vérité, écoutez la sagesse de ce maître admirable, et comment il nous  adresse ses exhortations. Il commence par dire : « Ne soyez redevables de rien à personne ; » puis il ajoute : « si ce n'est de l'amour les uns pour les autres; » voulant ainsi et que nous éteignions ici-bas toutes nos dettes, et néanmoins que cette dette-ci ne soit jamais éteinte. C'est là, effet, un point pour notre vie de la plus haute et de la plus haute et de la plus rigoureuse importance. Puisque nous n'ignorons pas les avantages de cette dette, ni qu'elle s'accroit à mesure qu'on s'en acquitte, efforçons nous de nous acquitter, nous aussi, de la dette que nous a imposée, non la négligence ou l'ingratitude, mais une maladie imprévue. Acquittons-nous-en aujourd'hui aussi bien que nous le pourrons, en adressant à votre charité quelques paroles sur un sujet que nous indique ce docteur admirable de l'univers. Le langage qu'il tenait aujourd'hui dans son épître aux Romains, mettons-le, en l'expliquant, sous vos yeux, et servons à votre charité la réfection spirituelle que nous n'avons pu, depuis longtemps, lui servir.

Le combat spirituel 

Il est indispensable de citer les paroles dont on a fait la lecture, afin que le souvenir du texte vous permette de saisir plus facilement nos développements. « Nous savons, dit l'Apôtre, que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu.» (Rom. VIII, 28). Que signifie ce début? Cette âme bienheureuse ne dit rien sans raison ni sans motif; toujours elle applique aux maux dont elle s'occupe les remèdes spirituels les plus convenables. Quelle est donc sa pensée? Bien des épreuves assaillaient de toutes parts les hommes qui alors se convertissaient à la foi; l'ennemi multipliait sans relâche ses attaques; aux embûches succédaient les embûches; les persécuteurs de l’Évangile ne restaient pas un moment en repos, jetant les uns dans des cachots, envoyant les autres aux supplices, précipitant les autres dans une infinité de maux. C'est pourquoi, de même qu'un habile général qui, voyant son adversaire enivré de fureur, parcourt les rangs de ses soldats, les ranime, les encourage, les excite de toutes les manières, les remplit d'audace, augmente leur ardeur à en venir aux mains avec l'ennemi, leur persuade de mépriser ses attaques, de lui résister avec une indomptable fermeté, de le frapper, s'il se peut, au visage, et de ne pas craindre de lui tenir tête; de même ce bienheureux apôtre, cette âme  aussi vaste que le ciel, pour ranimer le courage des fidèles, porter haut leurs pensées trop rapprochées de la terre, commence par leur adresser ces paroles : « Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu ». Voyez-vous la prudence de l'Apôtre? Il ne dit pas, je sais; mais, nous savons, afin d'emporter leur assentiment à ces paroles : « Tout contribue au bien de ceux aiment Dieu. » Remarquez la précision de ce langage. Paul ne dit pas : Ceux qui aiment Dieu seront à l'abri des  calamités, ils seront affranchis des tentations ; mais «Nous savons », c'est-à-dire nous sommes persuadés, nous sommes certains, nous avons été convaincus par l'expérience elle-même : « Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu. »

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