Esthétique orthodoxe selon Christos Yannaras [texte 4]


« La liturgie de l'Eucharistie a sa propre esthétique, laquelle vient de l'ontologie méme de la vérité et de la morale de l'Eglise. Elle n'a aucun rapport avec l'esthétique conventionnelle des analogies harmoniques, des catégories du beau et du laid, du symétrique et du dissymétrique, ni non plus avec les recherches individuelles arbitraires de l'effet du suggestif. Le but de l'art ecclésial orthodoxe n 'est pas de plaire aux sens ou à l'intelligence, mais de révéler aux sens et à l'intelligence la vérité et la raison intérieure des choses, la dimension personnelle de la matière, sa possibilité de manifester l'énergie personnelle du Dieu Verbe, d'incarner Celui qui n'a pas de chair et de contenir Celui que rien ne peut contenir. Toutes les formes de l'art liturgique - l'architecture, la peinture, la décoration, la poésie, la dramaturgie, la musique - mènent à l'abandon de la jouissance esthétique et de l'exaltation sentimentale individuelles. Un tel art porte le fidèle à la purification des sens - purification signifie ici transfiguration des possibilités individuelles en possibilités personnelles - il le conduit au dépassement amoureux et à la communion personnelle. C'est là le signe distinctif et spécifique du culte orthodoxe: il demeure un baptême dans la vérité, une immersion réelle dans les éléments du monde et une émergence réelle de la vraie vie : non pas une simple aspersion de hautes pensées et d'exhortations morales ».

Christos Yannaras, La liberté de la morale, Genève, Labor et Fides, 1982, pp. 84-8

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