EXTRAIT :
« Spiegel : (...) En quoi l’Occident n’est-il pas capable de comprendre la Russie contemporaine ?Soljenitsyne : On peut citer plusieurs causes, mais celles qui m’intéressent le plus sont psychologiques, et plus précisément la divergence entre des espoirs illusoires, en Russie et en Occident, et la réalité. Lorsque je suis rentré en Russie en 1994, j’ai trouvé ici une quasi-déification du monde occidental et du système politique de ses différents pays. Il faut reconnaître qu’il n’y avait pas tant là une connaissance réelle et un choix délibéré qu’une répugnance naturelle pour le régime bolchevique et sa propagande anti-occidentale. Cette opinion a commencé à changer avec les cruels bombardements de l’OTAN sur la Serbie. Ceux-ci ont laissé une marque noire indélébile dans toutes les couches de la société russe. Cela s’est ensuite intensifié avec les manoeuvres de l’OTAN pour attirer dans sa sphère d’influence d’anciennes républiques soviétiques ; cela a été particulièrement sensible dans le cas de l’Ukraine, qui nous est si proche par des millions de liens familiaux. Ceux-ci peuvent être coupés en un instant par la nouvelle frontière d’un bloc militaire. Ainsi, la perception de l’Occident comme chevalier de la démocratie par excellence a été remplacée par la constatation désenchantée que la politique occidentale est avant tout pragmatique, en partie intéressée et cynique. Pour beaucoup en Russie cela fut une dure épreuve, la chute de leurs idéaux.Dans le même temps, l’Occident, fêtant la fin d’une éreintante guerre froide, et observant quinze ans d’anarchie sous Gorbatchev et sous Eltsine, s’habitua très vite à l’idée facile que désormais la Russie était presque un pays du Tiers-monde, et qu’elle le resterait toujours. Lorsque la Russie commença de nouveau à se renforcer économiquement et politiquement, la réaction de l’Occident – peut-être à cause de peurs encore présentes inconsciemment – fut la panique.Spiegel : L’Occident l’associa avec l’ancienne super-puissance, l’Union Soviétique.Soljenitsyne : A tort. Mais auparavant l’Occident s’était permis de vivre dans l’illusion (ou bien était-ce une astuce bien pratique ?) que la Russie était une jeune démocratie, alors qu’il n’y avait pas de démocratie du tout. Bien sûr, la Russie n’est pas encore un pays démocratique, elle commence seulement à construire la démocratie, et il n’y a rien de plus facile que de lui présenter une longue liste de négligences, de violations et d’erreurs. Mais dans la guerre qui a commencé le 11 septembre, la Russie n’a-t-elle pas tendu la main à l’Occident, clairement et sans ambiguïté ? Seul un défaut psychologique ou une imprévoyance désastreuse peuvent expliquer le refus irrationnel de l’Occident de serrer cette main. Les Etats-Unis, après avoir accepté notre importante aide en Afghanistan, se mirent tout de suite à avoir des exigences sans cesse nouvelles. Et les griefs de l’Europe envers la Russie sont ouvertement ancrés dans ses peurs énergétiques, qui ne sont en rien fondées.N’est-ce pas un trop grand luxe pour l’Occident de repousser ainsi la Russie, en particulier face aux nouvelles menaces ? Dans ma dernière interview en Occident, avant mon retour en Russie (en avril 1994, pour le journal Forbes), je disais : « Si on regarde loin vers l’avenir, on peut voir une époque au XXIème siècle durant laquelle les Etats-Unis et l’Europe auront extrêmement besoin de la Russie en tant qu’alliée. » (source)
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