PATMOS, île des saints : (9) Le saint ermite Theoktistos

Un saint ermite
Le XXe siècle n'arrêta pas le modeste courant de sainteté qui, presqu'à l'état endémique, existait dans la petite île de l'apôtre bien-aimé. Son représentant le plus pittoresque, et dont le souvenir vit encore dans la mémoire de quelques anciens, était un ressortissant d'Asie Mineure, nommé Theoktistos. On le disait évêque mais on ne savait quasiment rien de la vie antérieure de ce pèlerin venu de Kos à Patmos. Le Saint ermite se bornera toujours à répondre par le silence à la question de qui il était et quand on lui demandait pourquoi il était venu sur cette île il répondait qu’il avait entendu la voix de Dieu « comme le bruit de grandes eaux ».
Géant à la voix tonitruante, à la barbe flottant jusqu'aux genoux (pour travailler, il la nouait autour de la taille), au visage et aux yeux pleins de lumière, c'était un homme doux, au cœur tendre qui avait pitié des serpents et des fous. Il quitta le monde « où l'on faisait le mal même lorsqu'on voulait faire le bien » et, poursuivi par les tentations combattit le démon, amant de la prière continue, allant de site en site, la prière de Jésus aux lèvres, le komboskini de laine noire au poignet.

Ayant l'autorisation patriarcale de Constantinople, il entra d’abord au monastère du Théologien, mais malgré les supplications des Pères il les quitta pour le désert, à la recherche d'un endroit tranquille pour y vivre la vie érémitique. Il commença par vivre à Zarοϊ, dans le voisinage d'Apollos, où, excellent et courageux ouvrier, il construisit un ermitage et planta une vigne. Les gens venaient voir cet homme de Dieu, dont la vigne fut bientôt reconnue comme la meilleure de la région et quand il exprima son intention de fuir le pays et comme on lui en demandait les raisons, il n’avait qu’un mot pour répondre : « Tentation ! ». Il était affable et hospitalier mais il lui arrivait de se cacher dans les arbres pour ne pas être importuné. En dépit de son aspect imposant les gens l'aimaient et le révéraient.
Il finit alors, pour fuir la notoriété, par s'installer à une certaine distance de Patmos sur un îlot rocheux dépourvu d'eau et de végétation. Tous les dix jours, on venait lui apporter de l'eau potable et des «paksimadia » – morceaux de pain bis passés au four deux fois, ce qui les empêchait de moisir. Les Pères du désert, dans les temps anciens, en usaient déjà. Ensuite, comme un Père du désert, Theoktistos, voulant combattre le démon jusque dans son antre, élut domicile dans une grotte au sommet de la montagne Genoupas, au sud-ouest de l'île.
Un méchant magicien du nom de Kynops, ennemi de saint Jean, y vivait, paraît-il, au premier siècle, et jusqu'à nos jours la montagne a mauvaise réputation. On croyait que les démons avaient triomphé dans cette grotte et continuaient à nuire. Telle était la peur des hommes pour la grotte de Genoupas (déformation du nom de Kynopos le magicien). Mais la sainte vie de l’ascète et ses prières exorcisèrent le lieu mal famé et le sanctifièrent plutôt. Theoktistos confessa humblement un jour qu'il avait, dans le silence de l'ermitage, entendu l'harmonie de la musique des puissances célestes au lieu du rugissement du vent. La vue qu'on en a sur l'immense étendue de la mer est grandiose.
Theoktistos se tailla une citerne pour emmagasiner l'eau de pluie, et un fauteuil dans le roc où il aimait s'asseoir pour égrener, face au soleil disparaissant dans les flots, son chapelet de laine aux cent nœuds. Des vipères glissaient tranquillement à ses pieds et couchaient avec lui dans la grotte à la paroi de laquelle il avait fixé une icône de la Vierge.
De temps en temps il quittait son ermitage et allait dans les villages à la demande des fidèles, pour réconcilier des ennemis et ramener la paix dans leurs foyers. Et quand ce pacificateur arrivait sans y être invité, il frappait à la porte de ceux qui étaient agités par la tentation en annonçant : "M’acceptez-vous ? C’est le Christ qui m'envoie ! Si vous ne me voulez pas, du moins accepterez-vous le Christ ". Il lui arrivait alors de faire suivre sa longue prière par deux mille prosternations « pour ses propres péchés et ceux de toutes les personnes ».
Il étudiait en profondeur la "Philocalie" et vivait en authentique « Kollyvvade » réservant la commémoration des défunts au samedi en l’excluant du Dimanche qui est le jour de la résurrection. Conservant, comme ses frères, l’Orthodoxie pure et intacte, réagissant vivement à toutes les hérésies et les mensonges de l'époque (quand la désintégration spirituelle des Catholiques, mais plus généralement de l'Occident avait déjà affecté dangereusement les pays orthodoxes de l'Est ), avec les mensonges de l'Europe des Lumières (qui faisait des ravages en Europe à l'époque), promouvant un modèle d’homme vivant sans Dieu, ne comptant que sur ses propres forces, contrairement à la posture orthodoxe de l'homme se plaçant sous la protection divine, acceptant la dépendance à l'égard de la Grâce salvatrice.

Devenu aveugle à la fin de ses jours, Theoktistos dut renoncer aux ascétiques solitudes. Il mourut en 1917 dans les bâtiments du monastère de l'Apocalypse où quatre hommes vigoureux eurent de la peine à le transporter. Sa dépouille mortelle, en revanche, assure-t-on, ne pesait pas plus lourd qu'une feuille morte, « les anges aidant à son ensevelissement ». Trois jours avant sa mort, il vit un ange qui l’avertit: «Prépare-toi, dans trois jours nous partirons ensemble! » Lorsqu'on lui demanda « Qu'est-ce que tu as vu ?» il répondit: «Je mourrai le Mardi Saint!" A sa dernière heure, il donna ces préceptes à ses frères : "Aimez le Christ. Lisez l'Evangile. Gardez précieusement Sa Loi.". Au coucher du soleil le Saint et Grand Mardi, 28 Mars 1917, à 87 ans, Theoktistos quitta cette terre paisiblement avec son ange (comme prédit) pour la patrie éternelle, à la rencontre du Seigneur qu'il aimait de toute son âme. 
(  sources : voir note 1° post et version française par Maxime le minime de la source  grecque)

Commentaires