La morale, l'art, la foi chrétienne par CHRISTOS YANNARAS


"Pour que l'existence puisse enjamber la vie, passer le seuil de la mort et marcher ailleurs, au-delà de l'être périssable, les possibilités de notre nature ne suffisent pas. L'éthique a beau exercer comme il faut la volonté, nos vertus ont beau se tenir sur la brèche, il n'est pas possible que la nature surmonte la condition mortelle. Sur l'échelle de l'« élévation » morale nous mesurons l'illusion du dépassement naturel. Mais sur chaque degré, en bas le vide de la mort est une inexorable béance.
L'éros: oui, c'est lui qui change l'existence en relation. Il est une autre perception de la vie. Déjà dans l'antichambre de l'éros, dans l'art, quelque chose répand comme les prémices d'une certitude. Poètes, musiciens, peintres, rendus à la terre depuis des années ou des siècles - ossements secs et nus -: et pourtant leur parole perdure. Elle dure dans l'immédiateté personnelle de la relation. Autant tu t'abandonnes à la relation, autant brille en toi l'altérité personnelle de leur parole, de leur« âme ». Autant tu te livres à l'éros, autant s'allume également l'espérance nostalgique d'une immortalité de ta propre « âme ».
La «foi chrétienne transforme lumineusement l'espérance nostalgique en degrés d'attente amoureuse. L'éros: oui, il change l'existence en vie dégagée de toute contrainte, parce que Dieu lui-même est comme l'accomplissement d'une union amoureuse dans la Trinité : « Dieu est amour ». Il a pris l'individualité mortelle - le Christ Jésus - et il a transformé la mort en obéissance (par sa relation avec le Père), il en a fait une communion à la vie immortelle. La condition mortelle est demeurée une maladie de la nature, et l'immortalité une possibilité offerte dans la relation. Le moi secret, ou notre « âme », notre personne véritable, émerge de la mort en toute liberté, quand nous reconnaissons dans le lieu de l'Autre l'appel personnel qui nous fonde comme sujets: la personne du Père qui aime."
CHRISTOS YANNARAS
Variations sur le Cantique des Cantiques
Essai sur l'éros
Traduit du grec par Jacques Touraille
ed.DDB

Commentaires