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ST ISAAC LE SYRIEN |
SUR LES TROIS MODES DE LA CONNAISSANCE.
Sur la différence de leur pratique et de leur sens. Sur la foi de l’âme et la secrète richesse qui est cachée en elle. Et combien la connaissance du monde diffère en ses modes de la simplicité de la foi.
L’âme qui voyage par les sentiers de la vie monastique et sur le chemin de la foi y fait souvent de grands progrès. Mais si elle retourne aux modes [purement humains] de la connaissance, aussitôt elle se met à boiter dans sa foi, et elle est privée de la puissance spirituelle de celle-ci. Cette puissance, sous les diverses formes de la divine assistance, se manifeste elle-même dans l’âme pure qui, sans poser de questions, a recours à elle avec simplicité en tout ce qui la concerne. En effet, l’âme qui, avec foi, s’est confiée à Dieu une fois pour toutes et a reçu, à travers de nombreuses expériences, le goût de son secours, ne se soucie plus d’elle-même. Elle reste à l'émerveillement et dans le silence, et elle n’est plus capable de retourner aux modes de sa connaissance et d’en faire usage, de peur que, dans le cas contraire, elle ne soit privée [du secours] de la Providence de Dieu, qui sans cesse la visite secrètement, prend soin d’elle et l’accompagne constamment dans ses multiples voies. Ce serait folie de sa part que de se croire capable de pourvoir à ses besoins en s’appuyant sur la force de sa propre connaissance. Ceux sur qui la lumière de la foi est descendue auraient honte de prier pour eux-mêmes, ou de dire à Dieu : « Donne-nous ceci », ou : « Reçois de nous cela », ou de se soucier d’eux-mêmes en quoi que ce soit. En effet, à tout moment, par les yeux spirituels de la foi, ils voient à tout moment la Providence les couvrir de son ombre, venant du Père véritable dont l’amour sans mesure surpasse l’amour de tous les pères terrestres et qui a le pouvoir et la force de nous secourir au-delà de toute mesure et de tout ce que nous pouvons demander, désirer et concevoir.
En effet, la connaissance est opposée à la foi, et la foi, par tout ce qu’elle est, efface les lois de la connaissance, — nous ne parlons pas ici de la connaissance spirituelle. Par définition en effet, la connaissance ne permet pas d’agir sans enquête et sans examen préalables ; on doit rechercher si ce qu’on envisage et désire faire est possible. Mais que dire de la foi ? Si le « oui » et le « non » se présentent à égalité devant elle, est-elle obligée de ne pas prendre de décision?
La connaissance ne peut pas exister sans recherches et sans procédés d’investigation, et vise toujours dans le doute à obtenir une certitude à l’égard de la vérité. La foi, en revanche, est une perception directe, limpide et simple, éloignée de tous les détours et de tous les procédés de recherche. Vois-tu combien elles sont opposées l’une à l’autre ? La demeure de la foi est l’esprit d’enfance et la simplicité du cœur. « Dans la simplicité de leur cœur, est-il écrit, ils glorifiaient Dieu » (cf. Col.,3, 22), et : « Si vous ne vous convertissez pas et ne redevenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Ml., 1 8, 3). Mais ces deux qualités ne conviennent pas à la connaissance qui les rejette et s’y oppose.
La connaissance demeure dans les limites de la nature en toutes ses démarches, tandis que la foi chemine au-dessus de la nature. La connaissance n’admet rien qui soit en désaccord avec la nature, et elle s’en tient éloignée. La foi en revanche, s'en empare hardiment et déclare sans ambage : « Sur l’aspic et le basilic tu marcheras, et tu fouleras le lion et le dragon » (Ps.90, 12). La crainte suit la connaissance, l’espérance suit la foi. Ainsi, celui qui marche dans les modes de la connaissance est lié par la crainte ; il n’est même pas digne de la liberté. Mais celui qui suit le chemin de la foi devient aussitôt libre et maître de lui-même, et il agit en maître en toutes choses avec la liberté d’un fils de Dieu. L’homme qui a trouvé cette foi use comme Dieu lui-même de tous les éléments de la création. La foi en effet a le pouvoir d’opérer une nouvelle création, à la ressemblance de Dieu : « Si tu le veux, est-il écrit, toutes choses seront à ta disposition » (cf. Job,23, 13). Souvent la foi peut ainsi tout faire de rien, mais la connaissance ne peut rien faire sans une matière. La connaissance n’ose pas entreprendre quelque chose qui n’a pas été accordé aux possibilités perceptibles de la nature. Comment cela ? La nature fluide de l’eau ne permet pas qu’un corps marche sur sa surface, et celui qui s’approche trop près du feu se brûle ; celui qui oserait n’en pas tenir compte se mettrait en danger ; la connaissance se tient soigneusement en garde contre de telles choses, et il est absolument impossible de la convaincre d’outrepasser les limites de la nature.
En revanche, la foi les transgresse avec autorité, en disant : « Si tu passes par le feu, il ne te brûlera pas, et les fleuves ne te submergeront pas » (Is.,43, 2). C’est ce que la foi a souvent fait sous les yeux de toute la création. Si la connaissance s’était trouvée dans une situation l’invitant à tenter quelque chose de ce genre, elle ne se serait en aucune façon laissé persuader de le faire. Par la foi, beaucoup sont entrés dans le feu, ils ont mis un frein au pouvoir qu’il a de brûler, ils ont marché au milieu des flammes sans être consumés, ils ont marché sur la mer comme sur une terre ferme. Toutes ces choses étaient au-dessus de la nature, contredisaient les lois de la connaissance, et montraient la vanité de ses principes et de ses lois. Vois-tu comment la connaissance reste dans les limites de la nature, et vois-tu comment la foi s’élève au-dessus de la nature et y trace ses propres sentiers ?
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