La dignité humaine est de beaucoup supérieure à celle des anges
Extrait de l'ouvrage "Sainte Photinie l'ermite", qui relate la rencontre de l'auteur avec l'ascète Photinie, (1860 - ?), sur les bords du Jourdain et les entretiens que celui-ci eu avec la vénérable ermite.
[…] Hier, j’ai oublié, au cours de la conversation, de te prier d’apporter ton étole et ton livre pour bénir les eaux et sanctifier ma demeure.
- Oh, lui dis-je, quand je pars en voyage, je porte toujours dans ma petite besace, une étole et un petit livre de prières, je peux toujours en avoir besoin… Je ne sais pas comment la pensée m’est venue, hier, de mettre ces objets dans ma besace ; je les avais laissés au Monastère de l’Abba Gérasime.
Entendant cela, Photinie leva les mains au ciel et dit :
- Béni soit ton saint nom, ô Père céleste !
Elle fléchit les genoux et se prosterna jusqu’à terre. Puis elle porta ses regards sur moi et me dit :
- Hier, je ne t’ai pas parlé d’étole, parce que le sacerdoce n’est pas dans les ornements mais dans l’âme du prêtre ; par lui agit la grâce divine ; les ornements n’ont pas une importance capitale n’est-ce-pas ?
- Oui, je suis d’accord avec toi, le sacerdoce est en l’homme lui-même, le prêtre peut offrir sans ornement, car comme on vient de le dire, la prêtrise n’est pas dans les ornements mais en l’homme créé à l’image de Dieu et que la grâce divine rend digne du don de célébrer les saints mystères. S’il porte des ornements, c’est d’une part, pour la grandeur du sacerdoce, de l’autre, parce que l’homme n’a pas encore atteint la cime de la spiritualité, pour comprendre la valeur de l’homme et la majesté de Dieu, comme le Seigneur l’a dit à Nicodème : « Si quand je vous parle des choses terrestres, vous ne croyez pas, comment croirez-vous si je vous parle des choses célestes ? » Je te prie Photinie, développe ta pensée.
- J’ai pensé que tu avais compris ce que je t’avais dit, c’est pourquoi je ne me suis pas étendue. Ecoute donc. Dieu, comme on l’a dit, est Esprit, Esprit infini. Il est dans l’univers entier et au-delà de tout l’univers. En tant qu’Esprit, Dieu a crée d’autres esprits, comme les Anges, pour qu’ils participent par la Grâce, à sa félicité. Il a aussi créé l’homme d’une manière toute particulière. La Sainte Ecriture dit qu’Il l’a fait à son image et à sa ressemblance, qu’Il lui a donné une volonté plus grande, plus élevée que celle des Anges. Dieu l’a tant honoré, au point que le Fils Lui-même et Verbe de Dieu a pris la nature humaine et qu’Il est apparu Dieu-Homme sur la terre. Si les anges avaient été supérieurs en dignité à l’homme, il se serait fait non pas Homme mais Ange. Les anges n’ont-ils pas servi et ne servent-ils pas les hommes saints ? L’apôtre ne dit-il pas que les anges sont des esprits servants, dépêchés pour servir ceux qui devaient hériter du salut ? Et l’Église du Christ ne chante-t-elle pas la Mère de Dieu comme « plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins » ? La dignité humaine est donc de beaucoup supérieure à celle des anges, car par la pratique des vertus l’homme devient Dieu par la Grâce. « J’ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut » dit l’Écriture. Dieu a créé, en une seule fois, les anges et ils restent, pour cela, les mêmes en dignité et en nombre. Chez les anges, il n’y a pas de différence de sexe, il n’y a pas de mâle et de femelle, parce qu’ils ne sont pas soumis à la nécessité de la naissance et de la mort. Donc, tous les anges, en tant qu’esprits, sont de la même nature et appartiennent au monde spirituel. Mais, puisque, outre le monde spirituel, il y a aussi le monde matériel, l’homme a été créé double, corps et esprit. Par son corps, il appartient au monde matériel et, par son esprit, au monde spirituel. Aussi est-il le lien qui relie le monde matériel et le monde spirituel. Comme la matière prend différents formes et figures, sans pour cela retourner au non-être, de même le corps de l’homme, en tant que matériel, vit de nourriture matérielle, subit des changements ; de nourrisson, il devient enfant puis adulte, homme fait, vieillard, et à la fin son corps se décompose et retourne aux éléments qui l’ont composé. L’âme, en tant qu’esprit, ne subit aucun changement, elle reste toujours la même. L’étude des lettres et des sciences ne lui apportent aucun développement ni rien de semblable. Les lettres et les sciences développent les forces de l’âme qui appartiennent au corps, comme l’intelligence, la mémoire, l’imagination, ect… mais l’âme, en tant qu’être spirituel, reste identique à elle-même, sans changement, car elle n’a pas été tirée de la terre, comme le corps, mais créée d’une manière particulière, par Dieu lui-même, comme le révèle la Sainte Ecriture. Dieu a soufflé sur le corps de l’homme un souffle de vie et l’homme est devenue une âme vivante.
L’Ecriture dit tout cela, pour présenter la création toute particulière de l’âme, à savoir qu’elle n’a pas été tirée de la terre mais qu’elle est venue de Dieu immortel, immuable, inaltérable, éternel. Donc l’âme humaine qui reçoit son commencement, non de la matière, mais de Dieu inaltérable et immuable, ne peut-être ni mâle ni femelle, car en ce cas, elle ne serait pas un esprit simple, mais composé de parties multiples. La différence donc se trouve dans le corps. Quand l’âme quitte son corps, elle n’est ni homme, ni femme, elle est comme un ange, dit le Seigneur : « À la Résurrection, on ne se marie plus… mais ils sont comme les anges de Dieu dans les cieux ». D’autre part, s’il y avait dans l’âme une différence mâle-femelle, c’est-à-dire homme-femme, la femme ne pourrait concevoir des enfants ayant une âme d’homme, mais toujours que des filles selon l’âme. Basile le Grand, comme les Pères Théophores, dit que l’âme est au corps de l’homme ce que le feu est au fer embrasé. Y a-t-il un feu femelle et mâle ? Puisque les hommes devaient se multiplier, et Dieu ayant dit : « Croissez et multipliez-vous », il était nécessaire qu’il y eût différence de corps entre l’homme et la femme, pour la multiplication et non, comme certains l’affirment, pour la conservation de l’espèce ; l’homme ne retourne pas au néant, il ne fait que déposer son corps matériel, qui n’est pas nécessaire pour le monde spirituel. Tant que l’homme vit dans le monde matériel, il a besoin de son corps matériel, c’est par lui qu’il communique avec le monde matériel ; dans le monde spirituel, le corps est superflu. Lors de la Résurrection universelle, l’homme récupérera son corps, qui sera alors spirituel, comme l’enseigne l’apôtre Paul : « Il est semé corps animal (matériel) et ressuscite corps spirituel ». Ce corps spirituel n’aura besoin ni de nourriture ni de vêtement ; l’homme vivra alors de la parole de Dieu, comme le Sauveur l’a dit : « L’homme vivra pas seulement de pain, mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu ».
Ce corps ne pourra plus subir de changement ; comme l’esprit, il sera à jamais inaltérable ; il ne sera plus marqué par la différence mâle femelle et il n’y aura plus de désir, ce qui serait insensé. Là où il y a le désir, il y a aussi jalousie, et par conséquent disputes, ce qui est incompatible avec la vie future, qui sera une vie de joie et d’allégresse. Car là où il y a le désir, il y a toujours altération, ce qui ne saurait convenir à ce qui est éternel et immuable ; le changement exclut l’éternel et l’infini, par exemple, croissance et diminution qui signifie altération et changement. L’homme, en son corps, est nourrisson, puis enfant, homme adulte et vieillard et mortel en son corps qui croît ; l’homme ne connaît donc pas de différence selon l’âme. La femme étant, comme on l’a dit, semblable à l’homme, et la religion chrétienne étant une religion spirituelle, comme le Seigneur l’affirme, quand il dit à la Samaritaine : « L’heure vient et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en Vérité », pourquoi la femme alors n’entrerait-elle pas dans le sanctuaire pour y aider au cours des saints Mystères ? Le Sauveur a bien permis à des femmes de l’approcher, de le toucher, d’oindre sa tête et ses pieds ? La tradition ne dit-elle pas que la Mère de Dieu est restée douze ans dans le Temple de Dieu ? Le Fils et Verbe de Dieu n’a-t-il pas habité le sein de la Vierge en laquelle il a pris chair ? Si dans le grand et divin mystère de l’Économie de l’Incarnation, les femmes ont servi plus que les hommes, pourquoi la femme ne servirait-elle pas au cours des saints mystères ?
- Je ne contredis certes pas, mais il y a des cas où la femme ne peut le faire.
- Je sais à quoi tu penses, à la grossesse et aux règles ; mais elle doit être vierge et, pendant ses périodes, remplacée.
- À cela je ne contredirai pas, mais les saints Pères ont exclu les femmes du sanctuaire.
- Oh ! Non pas les Pères, parce que les Apôtres comme les Pères, leurs successeurs, ordonnaient des diaconesses, qui entraient au sanctuaire et servaient pendant la Divine Liturgie. Ce ne sont pas les Pères qui ont exclu les femmes du sanctuaire, mais les passions humaines. Des hommes passionnés, nullement spirituels, pénètrent dans le sanctuaire ; des hommes charnels, des hommes pleins de passions ont été ordonnés prêtres et officiants de notre très sainte religion. Oh ! Jamais de tels êtres ne devraient être faits liturges de notre religion sainte et spirituelle. Ils ne sont pas de digne liturges des saints Mystères. Le liturge qui voit en la femme une femelle ne peut être un digne liturge de notre religion. *
- Comment doit-on alors considérer la femme ?
- Comme un être humain, surtout comme un être spirituel ; le liturge de la religion spirituelle doit voir l’être humain dans sa nature spirituelle et non charnelle. Celui qui pense que la pourpre royale c’est le roi, se trompe, une statue sans âme peut porter la pourpre du roi. Le corps, comme on l’a dit, est le vêtement de l’âme, son instrument ; par lui elle entre en contact avec le monde matériel. Si le corps était l’homme lui-même, il ne subirait pas la mort ou encore la vie éternelle serait un mensonge.
- D’après tout ce que tu viens de dire, je conclus, Photinie, que tu veux des liturges de notre sainte religion, totalement spirituels. Mais l’homme qui vit au milieu des tribulations de ce monde, agressé par tant de provocations, peut-il arriver à la mesure parfaite de la spiritualité et tout voir avec les yeux spirituels de son âme ?
- Certes, il le peut, s’il a conscience de sa place et de sa destination. Oui, tous les chrétiens se doivent, autant que possible, de vivre une vie spirituelle, comme l’enseigne l’Apôtre Paul : « La figure de ce monde passe ». Tu as certainement lu comment la moniale digne de l’habit monastique a parlé au moine qui, en l’apercevant, avait dévié de sa route ?
- Je ne me souviens plus.
- On lit dans le Patéricon ** qu’une vieille moniale, accompagnéé d’une novice, cheminait sur la route, quand un moine venant en sens inverse les vit et s’écarta de son chemin, pour les éviter. Alors la vieille moniale lui dit : « en vérité, si tu étais un vrai moine, tu ne te serais pas écarté de ton chemin ; tu nous aurais saluées, sans penser que nous étions des moniales, c’est-à-dire des femmes ». Le vrai disciple du Sauveur, appelé homme au sens large***, voit l’homme la créature faite à l’image et à la ressemblance de Dieu. Le Sauveur n’a-t-il pas dit aux Apôtres : « Vous, vous n’êtes pas du monde ». Et il dit la même chose aux servants de son Église.
- Je vois Photinie, que tu as très bien compris les Saintes Écritures.
- Selon mes forces et avec l’aide de Dieu, car il ne sert à rien de lire les Saintes Écritures si on ne les comprend pas, selon l’enseignement de l’Apôtre Paul : « La lettre, dit-il, tue, l’esprit vivifie ».
Et elle se tut.
Sainte Photinie l’ermite,
de Joachim Spetsieris,
Ed. L’Age d’Homme,
Col. La lumière du thabor, p.60-65.
Notes
* L’opinion de sainte Photinie l’ermite rappelle celle de sa contemporaine, la Mère Catherine, fondatrice du monastère de Lesna, qui souhaitait le retour des diaconesses dans l’Église, comme aux temps apostoliques. Les idées de sainte Photinie, ici, sont fondées sur la conception patristique selon laquelle l’être déifié dépasse les catégories de la chute. Or la division des sexes n’existe qu’en fonction de la chute. Dieu ayant prévu, selon saint Grégoire de Nysse (in La création de l’homme), que l’homme serait privé, par son péché, « du mode d’accroissement angélique », a voulu « éviter que la multiplication du genre humain ne soit tronquée » en donnant à l’homme un mode de reproduction approprié à son état d’après la chute. Tout cela réfute les théories que l’on voit se développer dans certains milieux modernistes de l'Église grecque, selon lesquels l’image de Dieu serait androgyne. Sur cette question, voir P. Patric, La doctrine des Néo-orthodoxes sur l’Amour, Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas, Paris, 1990.
** Recueil des Apophtegmes des Pères.
*** Litt. « appelé homme commun (koinos anthropos) ». En grec, anthropos veut dire homme au sens d’être humain, et s’applique en commun à l’homme et à la femme. Le vrai disciple devient comme son maître : notre Sauveur, nouvel Adam, a revêtu toute la nature humaine, telle qu’elle existe avant la division des sexes. La véritable nature de l’homme, c’est son essence à-l’image-de-Dieu. […]
[extrait du forum orthodoxe francophone)
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